Rhéologie des mousses de fluides complexes

Viscoélasticité linéaire

   La mousse aqueuse est viscoélastique, sa réponse à la déformation n’est pas purement élastique et comprend des phénomènes de dissipation dont les origines sont multiples. La dissipation peut être due à la viscosité du liquide interstitiel ou aux propriétés des tensio-actifs (viscosité et diffusivité)[33][34]. La mousse aqueuse exhibe donc de nombreux temps de relaxation propres aux mécanismes de dissipation à l’œuvre, qui peuvent être observés en changeant la fréquence de sollicitations oscillatoires aux faibles déformations. Pour de petites fréquences ? < 10−2??, le module élastique G’ diminue et le module visqueux passe par un maximum. La mousse est sollicitée sur des temps longs, elle vieillit. Les bulles se réarrangent sous l’effet du murissement et les contraintes sont relaxées ce qui explique notamment la diminution du module élastique[35][36]. Pour des valeurs intermédiaires de la fréquence 0,1<f<1Hz, le module élastique atteint un plateau. Les effets du vieillissement sont beaucoup moins présents et les modules dépendent peu de la fréquence. C’est dans ces conditions que l’on peut utiliser l’eq. 31 pour déterminer le module élastique. Lorsque la fréquence dépasse 1hz, le module visqueux G’’ varie comme la racine carré de la fréqence. L’origine de cette loi de puissance n’est pas encore clairement établie, il pourrait s’agir (1) d’une dissipation liée au glissement des bulles les unes sur les autres au niveau de zones faibles, selon la théorie décrite par Liu et al pour des émulsions[32] , c’est-à-dire que le matériau sollicité glisse au niveau de zones fragiles créées par le désordre des bulles et réparties aléatoirement ; (2) D’un effet de l’élasticité dilatationelle des bulles décrit par Cohen-Addad et al [37] : l’élasticité des films met en jeu les tensio-actifs qui diffusent de la phase continue vers l’interface des bulles et évolue selon le modèle de Lucassen[38], c’est-à-dire avec une loi de puissance sur la fréquence en 0,5.

Mesure de la fraction en gaz

      Pour faire la mesure on remplit de mousse aqueuse un récipient dont le volume est connu. On racle le haut de l’échantillon pour retirer la mousse en excès et on pèse l’échantillon. Connaissant la densité de la phase continue, on en déduit la fraction en gaz. Les sources d’erreur de cette mesure sont : l’erreur sur le volume de mousse et l’erreur sur sa masse. Si on considère que le volume de mousse est rempli entièrement par la mousse, l’erreur sur le volume provient uniquement de l’étape de raclage de l’échantillon. Un volume de mousse trop important ou trop faible de mousse peut avoir été retiré. Pour minimiser les erreurs, on mesure un volume de mousse important avec un récipient dont la surface à racler est faible et on utilise une balance de précision. Ce faisant, à l’aide récipient de 70ml, on obtient une erreur de l’ordre de 10−4 pour nos mesures. La Figure 33.a montre les résultats de mesures successives de fraction de liquide sur des mousses aqueuses dont la taille des bulles est de 600µm pour différents débits d’imbibition. On remarque l’efficacité de l’imbibition, plus le débit de liquide injecté en haut de la colonne est élevé plus la fraction de liquide imposée est grande. Les mesures sont reproductibles, la fraction de liquide varie au maximum de +⁄− 0,1%. Les mesures de fraction liquide effectuées sur des mousses avec des bulles de 300µm de diamètre avec une vitesse d’imbibition de 0.17µm.s-1 (Figure 33.b) montrent que la fraction de liquide mesurée dépend du temps qui s’est écoulé entre la fin de la génération et la mesure. Plus ce temps est élevé, plus la fraction de liquide mesurée est faible. Ce qui nous indique qu’il faut attendre plus d’une heure pour commencer à atteindre le régime de drainage stationnaire où la fraction de liquide est imposée sur la hauteur de mousse mesurée.

Mesures rhéologiques sur la mousse aqueuse

     La mousse aqueuse est un matériau fragile, drainant, susceptible de glisser pendant les mesures de rhéologie et composé de bulles de taille caractéristique ??. La géométrie de vane apparait comme la géométrie la plus adaptée aux mesures rhéologiques sur les mousses car elle prend en compte ces particularités (1) Le vane limite la dégradation du matériau liée à l’insertion de la géométrie dans la cuve[82]-[85](2)La principale contribution au couple provient du matériau qui se situe latéralement aux pales du vane et permet de minimiser la contribution de la partie drainée sous le vane. (3) Le vane empêche le glissement ; le matériau contenu entre les pales se déplace en bloc et cisaille le matériau localisé dans l’entrefer. Pour nos mesures nous prendrons une géométrie de vane en acier inoxydable de 50mm de long et de 25mm de diamètre. La cuve a été fabriquée sur mesure à partir de d’une résine de polymère photosensible (marque clear) avec une imprimante 3D, ses stries tronquées minimisent le liquide piégé dans les stries, et son diamètre de 37mm crée un entrefer assez large pour cisailler la mousse sur une épaisseur d’une dizaine de taille de bulles. De plus, elle est suffisamment légère pour pouvoir être pesée avec le matériau sur une balance de précision. La cuve est remplie soigneusement en évitant de coincer des poches d’air dans la mousse qui pourraient fausser la mesure, le vane est inséré lentement pour éviter les pré-cisaillements trop violents et l’excédent de mousse qui est poussé à l’extérieur de la cuve lors de l’insertion du vane est retiré. En parallèle une mesure de la fraction de liquide est effectuée. On caractérise le comportement rhéologique global d’une mousse aqueuse ?? = 450µ? ?? ? = 0,99 à l’aide d’une rampe en déformation oscillatoire à 1Hz (figure 13-a). La déformation critique observée est typique des mousses aqueuses, d’environ 0,4. Par la suite les mesures sur les mousses aqueuses seront faites à l’aide d’une oscillation simple à 1hz et pour une déformation de 10−3 bien en dessous de la déformation critique. Pour mesurer la contrainte seuil on procède à une expérience de mise en écoulement à un taux de cisaillement de 10−3?−1 (figure13-b). Pour pouvoir comparer les propriétés rhéologiques des mousses complexes que nous allons générer à celles de la mousse aqueuse, il est nécessaire de pouvoir évaluer l’évolution du module élastique et de la contrainte seuil des mousses aqueuses en fonction de la fraction de liquide. Pour évaluer ??(?) et ?′(?), on utilise les formules semi-empiriques ?? =???(? − 0.64)2 et ?′ =????(? − 0.64) . Pour nos mousses aqueuses on connait ?(~0,99), il reste donc à mesurer ??(?) et?′(?) pour en déduire ? et ? et extrapoler les valeurs de la contrainte seuil et du module élastique pour des mousses plus humide. Dans nos expériences on trouve ? = 0,65 et ? = 0,9 ; ? = 0,65 est proche du coefficient de 0,5 donné par Mason [28] en revanche ? = 0,9 est plus éloigné du coefficient de 1,4 classiquement attendu pour ce type de mousse[6]. Pour expliquer cet écart, on s’interroge sur l’effet du profil de fraction liquide de la mousse dans la mesure de la contrainte seuil et du module élastique. On procède comme suit :
(1) On simule le profil de fraction de liquide ??(?) dans la cuve, soit avec l’équation de drainage (figure 11-b) où en fixant une fraction de liquide constante (fraction liquide de l’ensemble de la mousse).
(2) On calcule les profils du module élastique et de contrainte seuil dans la cuve ?(?) et ?′(?) à l’aide des profils ??(?) et des formules empiriques de ?(?)et ?′(?) (eq. 29 et eq. 31).
(3) On compare les valeurs de contrainte seuil et de module macroscopique obtenues avec les deux techniques.
La figure 40-c-d montre l’évolution du module élastique et de la contrainte seuil de la mousse au niveau de la zone latérale de la pale du vane en fonction de la fraction liquide. Ces propriétés rhéologiques sont constantes quand le profil de fraction liquide est constant. Les valeurs du module élastique et de la contrainte seuil lorsque le profil de fraction de liquide est constant sont très proches des valeurs obtenues en moyennant les valeurs des contraintes seuil et des modules élastiques simulés lorsque le profil de fraction de liquide n’est pas uniforme. La différence de préfacteur n’est donc pas expliquée par les profils de fraction liquide, nous verrons cependant que nos expériences sur les mousses de fluides complexes nous donnent une piste pour expliquer cet écart.

Conclusion générale

      Au cours de cette thèse nous avons généré des mousses de fluides complexes avec l’ambition de savoir comment les propriétés rhéologiques des fluides complexes modifient la rhéologie de la mousse initiale. Pour répondre à cette problématique nous avons choisi de travailler sur des matériaux modèles afin de contrôler d’une part la rhéologie de la mousse initiale et d’autre part la rhéologie et la taille des éléments constitutifs des fluides à seuil. Dans un premier temps nous avons observé l’impact de la structure adoptée par les grains au sein du réseau interstitiel de la mousse. Nous avons exploré la rhéologie des mousses de grains pour une pour une large gamme du paramètre de contrôle ??⁄?? (0,002 < ? ?⁄?? < 8). Lorsque ? ?⁄?? < 0,005 toutes les particules sont contenues dans le réseau et forment un squelette granulaire qui le rempli [57][51]. Le résultat surprenant de cette étude est l’ordre de grandeur du module élastique des grains qui forment le squelette granulaire, ce dernier dépasse de plusieurs ordres de grandeur l’élasticité de la mousse aqueuse (150kPa contre ~100Pa pour les mousses aqueuses). Cette valeur étonnante du module élastique est due au confinement exercé par les bulles de la mousse sur les grains : les grains sont alors assimilés à un milieu granulaire qu’il suffit de confiner faiblement pour obtenir une valeur élevée de module élastique. A la lumière de cette observation nous avons élaboré un modèle empirique pour décrire l’élasticité des mousses de grains fondé sur la simple addition de l’élasticité capillaire des bulles et de l’élasticité de la matrice de grains. Lorsque 0,005 < ? ?⁄?? < 8, les particules commencent à être exclues du réseau. Comme cela était attendu l’effet de renforcement des grains sur le module élastique et la contrainte seuil de la mousse de grains décroit à mesure que les grains sont exclus du réseau de la mousse[63][59]. La compréhension de l’effet du confinement permet d’associer nos résultats expérimentaux sur la transition d’exclusion aux données de Cohen-Addad et al[59]. Finalement l’effet de renforcement n’est dépendant de ? ?⁄?? que dans le cas exceptionnel où (0,005 < ? ?⁄?? < 5). Il n’est pas possible d’appliquer le même modèle pour décrire l’évolution de la valeur du module élastique des mousses d’émulsion. D’abord parce que la contribution de la matrice d’émulsion au module élastique final de la mousse est faible et qu’on ne peut pas négliger le couplage entre l’élasticité des bulles et l’élasticité de la matrice. Ensuite parce que l’agencement des mousses d’émulsion et l’agencement des mousses de grains sont probablement différents du fait que les mousses de suspension drainent et pas les mousses d’émulsion. Il est néanmoins possible de déterminer la contribution capillaire des bulles au module élastique de la mousse, et décrire l’effet du couplage sur le module élastique final. Comme pour les travaux sur la rhéologie des suspensions de bulles de Ducloué et al, le couplage des mousses d’émulsion dépend des paramètres de contrôle suivant : nombre capillaire élastique ou nombre capillaire de Bingham et fraction volumique en gaz. Nous avons défini une fonction empirique de couplage en fonction de ces paramètres de contrôle qui permet de décrire le module élastique linéaire de nos résultats expérimentaux : elle s’ajoute aux termes théoriques du module élastique des bulles et de la matrice d’émulsion. Enfin, on montre que les paramètres de contrôle de la contrainte seuil des fluides complexes que sont les émulsions et les grains ne dépendent que du nombre de Bingham et de la fraction volumique de gaz. Toutes choses étant égales par ailleurs, c’est donc la valeur de la contrainte seuil du fluide interstitiel qui détermine la contrainte seuil de la mousse de fluides complexes et non sa nature (grains ou émulsion). Ces travaux fournissent une première approche de la rhéologie des mousses de fluides complexes qu’il serait intéressant d’approfondir. Plusieurs pistes sont envisageables, (1) augmenter la gamme de fraction de gaz sur laquelle les mousses sont produites pour raccorder nos résultats avec ceux sur les suspensions de bulles dans un fluide à seuil[72][132][104][144], (2) compléter l’étude sur les mousses de grains en variant la taille des bulles ou en utilisant une cellule osmotique pour explorer l’effet d’une modification du nombre capillaire sur le comportement rhéologique des mousses de grains(3) proposer une expression théorique de l’évolution du module élastique des mousses de fluides complexes en utilisant les outils de simulation et en caractérisant d’avantage la structure des mousses de fluides complexes générées. Comment l’émulsion modifie-t-elle la structure de la mousse ? Sur les échantillons de mousses de grains observés, où se forme le squelette granulaire ? La réponse à ces questions permettrait d’apporter des éléments de réponses sur l’origine du couplage entre la matrice interstitielle et les bulles de la mousse, et permettre une meilleure compréhension du phénomène de confinement des grains dans la mousse. Enfin, il serait intéressant de regarder l’impact de la modification de la rhéologie de la mousse sur des phénomènes comme le murissement des bulles, la propagation des ondes acoustiques ou encore les propriétés thermiques de la mousse.

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre I. Etat de l’art
I. Mousses
A. Mousses aqueuses
Interfaces et tensio-actifs
Tension de surface
Tensio-actifs
Structures et Géométries
Pression osmotique
Drainage
Perméabilité
Expériences de drainage
Rhéologie
Déformation et mise en écoulement de la mousse aqueuse
Elasticité linéaire
Viscoélasticité linéaire
Mousse aqueuse en écoulement
B. Mousses de liquides complexes
Stabilité
Drainage
Rhéologie
C. Mousses solides
II. Suspensions
A. Suspension de grain
B. Suspensions de bulles
Rhéologie
C. Rhéologie des suspensions dans des fluides à seuil
Chapitre II. Matériaux et Méthodes
I. Mesures de rhéologies
A. Calcul de la contrainte et de la déformation
Cas des matériaux à réponse linéaire
Les plans parallèles
La géométrie de vane
Cas des matériaux mis en écoulement
Détermination des paramètres rhéologiques
B. Séquences de mesures
Mesures oscillatoires
Mise en écoulement à taux de cisaillement constant
II. Composants des mousses de fluides complexes
Mousse aqueuse
Génération et caractérisation de la mousse aqueuse
Dispositif de génération
Formulation de la phase continue
Mesure de la taille des bulles
Mesure de la fraction en gaz
Outil numérique de mesure de la fraction de liquide
Mesures rhéologiques sur la mousse aqueuse
Emulsion
Génération de l’émulsion mère
Mesure de la taille des gouttelettes
Mise en place d’un dispositif milifluidique de dilution
Mesures rhéologiques sur les émulsions
Suspensions de grains
III. Systèmes générés : Mousses de fluide complexe
Mousses de grains
Dispositif de mélange
Structures observées
Caractérisation des mousses de grains
Mesures de rhéologie
Mesure de fraction de grains
Mousse d’émulsion
Dispositif de mélange
Structure des mousses d’émulsion
Mesures de la fraction d’huile et de la fraction de gaz
Mesures de rhéologie
Chapitre III. Elasticité linéaire des mousses de grains
I. Introduction
II. Article sur l’élasticité linéaire des mousses de grains percolés
III. Articles sur l’impact de la transition d’exclusion sur l’élasticité linéaire
IV. Annexe
A. Transition d’exclusion
B. Percolation de rigidité
Chapitre IV. Elasticité linéaire des mousses d’émulsion
I. Introduction
II. Article sur l’élasticité des mousses d’émulsion
III. Annexe
A. Contribution élastique des bulles
B. Unification des données
Chapitre V. Contrainte seuil des mousses de fluides complexes
I. Introduction
II. Mise en écoulement des mousses de fluides complexes
A. Mousse d’émulsion
B. Mousses de suspension
III. Article sur la contrainte seuil des mousses de fluides complexes
Conclusion générale
Chapitre VI. Bibliographie

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