Les saignements d’origine gynécologique sont fréquents, de présentation clinique très variable pouvant aller d’une faible quantité, de survenue ponctuelle, à des épisodes cataclysmiques et abondants, risquant dans ce dernier cas d’être fatal. Déterminer l’étiologie du saignement est fondamental afin d’optimiser la prise en charge, de préciser le délai et les moyens employés. Les hémorragies secondaires sévères du post partum (24h au 42ème jour après l’accouchement) sont rares, leur incidence est estimée à 0,23% et il est maintenant avéré qu’elles sont principalement liées à la présence d’une rétention trophoblastique (RPOC), suivies par l’existence d’une subinvolution du lit placentaire (SLP) ou d’une endométrite (1). Les hémorragies à distance d’un contexte de post partum récent sont encore plus rares ; devant la multiplication de données anatomopathologiques, il apparait qu’elles semblent elles aussi principalement liées à des RPOC (2)(3). Ces hémorragies en dehors du post partum ont pendant des années souvent été attribuées à l’existence de malformations artério-veineuses utérines (MAV). Plus récemment, de nouvelles données radiologiques et anatomopathologiques ont amené la communauté scientifique à reconsidérer ce diagnostic devant la présence d’anomalies vasculaires utérines. Leurs survenues étant rares, les démarches radiologiques et thérapeutiques sont par ailleurs peu standardisées, ayant mené à la réalisation de procédures invasives non nécessaires. Ce travail a pour objectif, à travers une revue de la littérature et la présentation de cas de notre centre, de faire un état des lieux et une révision de l’entité « MAV », de proposer des définitions plus à même de refléter les caractéristiques radiologiques et histologiques de ces anomalies vasculaires et de mettre en place une démarche diagnostique encadrée permettant de faciliter la décision thérapeutique. Il sera accompagné d’une clarification des connaissances actuelles sur le développement placentaire physiologique, s’avérant en continuité avec la pathogénèse des anomalies vasculaires utérines. Les hémorragies primaires du post partum (dans les 24 premières heures) étant une entité à part, elles ne seront pas traitées dans le sujet suivant. Les hémorragies liées à des néoplasies utéro vaginales ne seront également pas abordées.
Révision de l’entité « MAV »
État des lieux des MAV utérines
Pendant des décennies, des MAV ont été décrites devant l’existence de formations hypervasculaires utérines visualisées historiquement par chirurgie, puis par angiographie et plus récemment par échographie et imagerie par résonnance magnétique. Elles étaient classées en congénitales, se révélant très rares, liées à un arrêt prématuré de la différenciation au cours du développement vasculaire embryologique, menant à des connections anormales entre les artères et les veines, ou plus fréquemment en acquises, diagnostiquées à l’âge adulte, secondairement à un traumatisme utérin, comme une chirurgie utérine ou une pathologie néoplasique. Mulliken and Glowacki (4) définissent de manière générale les malformations vasculaires comme des anomalies vasculaires constituées d’endothélium quiescent, causées par des défauts focaux de morphogenèse liés à des anomalies de régulation de l’embryogenèse et de la vasculogenèse. Plus récemment, l’international society of the study of vascular abnormalities a fait une classification en 2 catégories ; premièrement les anomalies vasoprolifératives (tumorales, définit par une reproduction cellulaire liés à des phénomènes mitotiques), et secondairement les anomalies malformatives, traduisant les lésions endothéliales quiescentes comme décrit précédemment.
Modèle lésionnel inadapté
De fait, le terme MAV apparait inapproprié en différents points. Le mot «malformation» est par définition un trouble du développement d’un organe. Une révision de la littérature met en évidence que ces hémorragies ou la découverte fortuite de ces lésions surviennent quasi exclusivement chez des patientes en âge de procréer (en dehors de quelques cas en ménopause précoce), et non dans une population d’étude pédiatrique, l’origine embryologique semblant peu probable. De plus, un réel shunt artério-veineux traduit par un retour veineux précoce en IRM ou en angiographie n’est en réalité présent que dans 16 à 50% des cas .
Ces définitions ne laissent pas de place à la régression spontanée des anomalies, qui est en réalité souvent observée (2)(3)(6)(7)(8)(9). Ces anomalies sont quasi systématiquement diagnostiquées dans les suites d’une fécondation, plus ou moins amenée à terme, le plus souvent en post partum, plus rarement quelques années après. Cet élément fait suspecter un probable rôle du placenta dans la pathogénie plutôt que le développement utérin propre. Plus récemment, le RPOC a pris une plus grande place dans les étiologies suspectées ; effectivement, devant une anomalie hypervasculaire prévalente au sein de l’endomètre, les praticiens s’accordent à dire qu’il s’agit très probablement d’un RPOC, devant la multiplication de cas dans la littérature où les données anatomopathologistes après curetage tranchaient en faveur de ce diagnostic (10)(11)(12)(13)(14)(15). Il en est de même pour les cas de régression spontanée plus ou moins d’évacuation par voie basse de la lésion (9). A contrario, devant des anomalies myométriales pures, il est encore présupposé qu’il s’agisse de MAV (16)(17). D’un sens strict, il est difficile de séparer l’atteinte endométriale et myométriale, les RPOC présentant toujours une composante myométriale avec interruption de la zone jonctionnelle. Rappelons également l’absence de spécificité des critères diagnostiques des MAV, apparaissant dans les différentes modalités d’imagerie comme des structures vasculaires tortueuses hypertrophiques au sein du myomètre. Le gold standard concernant le diagnostic de MAV est l’angiographie, avec visualisation d’un retour veineux précoce signant un shunt artério-veineux(18). La définition anatomopathologique d’une MAV utérine est un réseau vasculaire présentant des communications artérielles et veineuses shuntant le réseau capillaire, générale à l’ensemble des MAV. De plus, les nouveaux modèles concernant le développement placentaire, mettant en jeu le myomètre sub placentaire, corroborent l’idée qu’il existe forcément une composante myométriale dans les RPOC hypervasculaires (19)(20). Il n’existe donc pas d’éléments permettant de distinguer un réseau vasculaire myométriale complexe, pouvant être le reflet d’un lit placentaire non involué, d’une MAV suspecté. Devant l’association non équivoque des AVU et des gestes chirurgicaux utérins, et plus particulièrement des curetages (62 à 92% (21) (22), le traumatisme utérin semble plutôt jouer le rôle de facteur favorisant plutôt qu’étiologique ; il existe effectivement de nombreux cas où il n’est pas rapporté de traumatisme chirurgical (7)(23)(24). Le nombre fréquent de curetage ou de césarienne fait penser à une pathogénie proche de celle du placenta accreta, avec l’idée qu’une interface utéro placentaire sous développée altère l’involution du lit placentaire sous-jacent (25).
Vers les anomalies vasculaires utérines
Ces dernières décennies, le nombre de MAV décrites dans les suites d’un avortement, d’un curetage ou d’une grossesse a augmenté de manière considérable en parallèle de l’essor de l’imagerie par écho Doppler(26); la découverte de ces lésions chez des patientes asymptomatiques ou pauci symptomatiques fait envisager une surestimation de sa réelle incidence, qui en dehors de toute imagerie serait passé inaperçue.
Plus récemment, devant la multiplication de données anatomo-pathologiques ne corroborant pas le diagnostic de MAV utérines, les différents auteurs adoptent de nouveaux et variés termes pour nommer ses anomalies, pouvant être source de confusion. Timor-Tritsch et al.(7) utilisent le terme « enhanced myometrial vascularity»(EMV), ne prenant pas en compte l’atteinte endométriale ; Timmerman et al.(24) considèrent les « true MAV » et les « non arteriovenous malformations » reflétant l’absence de shunt artério-veineux systématique, mais appuyant à tort le caractère malformatif ; Bazeries et al.(3) utilisent le terme de « retained products of conception with marked vascularities » (RPOC hypervasculaire) faisant des présuppositions histologiques.
L’utilisation du terme « anomalies vasculaires utérines » (AVU) en imagerie nous semble le plus adapté, regroupant les atteintes endométriales et myométriales. Au sein de l’endomètre il traduit un RPOC hypervasculaire; au sein du myomètre, il correspond à une zone myométriale hypervasculaire (=EMV), dont il est difficile de prouver la nature réelle, en dehors des données anatomopathologiques dans les suites d’une hystérectomie, d’où l’intérêt de préférer un terme observationnel. Elle peut correspondre en post partum précoce (<10 semaines) à une involution en cours du lit placentaire ; nous allons voir par la suite les différents éléments nous faisant penser qu’à distance elle est le reflet d’une SLP. Ces lésions étant en pratique souvent à cheval sur le versant endométrial et myométrial, il nous paraît plus adapté d’utiliser un pattern radiologique global. Afin de ne pas dénaturer le travail des auteurs, nous utiliserons par la suite le terme de MAV quand il a été utilisé par ces derniers.
Grossesse normale : nouveaux modèles physiologiques placentaires et de la circulation utéro fœtale
Vascularisation en dehors de de la grossesse
L’artère utérine, issue du tronc antérieur de l’artère iliaque interne, assure la vascularisation de la majeure partie de l’utérus. Les artères utérines gauche et droite montent le long des faces latérales de l’utérus dans le ligament large, et se terminent en s’anastomosant le plus souvent avec l’artère ovarienne. Les artères utérines se divisent pour donner des artères arquées qui passent et pénètrent dans le myomètre. Les artères arquées se divisent presque immédiatement en branches antérieures et postérieures qui circulent de manière circonférentielle au sein du tiers externe de l’épaisseur du myomètre. Au cours de leur parcours, les artères arquées donnent des artères radiaires qui traversent le myomètre et se dirigent vers le la lumière utérine. Quand elles approchent de la frontière myomètreendomètre, chaque artère radiaire donne une branche latérale. Naissent alors des artères basales puis spiralées qui vascularisent l’endomètre (Figure 1, Image de Tsatsaris).
Remodelage artériel pendant la grossesse
Les parois des artères spiralées, basales et radiaires contiennent une grande quantité de fibres musculaires lisses présentant une innervation autonome (27). Très développées à la fin du cycle menstruel, les artères spiralées subissent en cas de grossesse une transformation progressive en artères utéroplacentaires particulièrement dans la zone d’implantation du blastocyste, en rapport avec l’invasion du trophoblaste extra villeux. Au cours du premier trimestre, les artères spiralées sont remodelées et se transforment en conduits flasques. Ce phénomène est lié à différents mécanismes, notamment à la diffusion de facteurs issus du trophoblaste mais également un remodelage par interaction directe entre le trophoblaste invasif et les composants de la paroi artérielle (28). Entre 6 et 10 semaines d’aménorrhée, les cytotrophoblastes extra villeux (CTEV) se transforment en cytotrophoblastes invasifs et colonisent l’endomètre et le myomètre superficiel. Ils migrent vers la lumière des artères spiralées où ils forment un bouchon trophoblastique et pénètrent dans la paroi des artères (Figure 2, image du Dr Tarrade). Histologiquement, on retrouve un remplacement de la couche endothéliale par des CTEV et une destruction de la média, avec dépôt interstitiel de matériel hyalin. De ce fait, au 1er trimestre la chambre inter villeuse est faiblement perfusée. Ainsi, les villosités trophoblastiques obtiennent leurs métabolites et gaz à échanger à partir d’un fluide filtré à travers ces bouchons trophoblastiques.
La circulation utéro placentaire
Ces bouchons seraient progressivement éliminés entre 8 et 12SA, néanmoins le timing exact de la perfusion de la chambre inter villeuse par le sang maternel reste inconnu. Le sang maternel traverse le myomètre via les artères spiralées remodelées et entre dans la chambre intervilleuse sous forme d’un jet produit par la pression artérielle maternelle (Figure 2, image du Dr Tarrade). Le sang maternel circule autour des villosités placentaires, permettant les échanges entre la mère et le fœtus. En correspondance échographique, à partir de la 12ème semaine d’aménorrhée, on détecte un signal doppler pulsé d’origine maternel et d’origine fœtal au sein du placenta, distingué grâce aux index de pulsations (19).
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Table des matières
I. Introduction
II. Révision de l’entité « MAV »
1. État des lieux des MAV utérines
2. Modèle lésionnel inadapté
3. Vers les anomalies vasculaires utérines
III. Grossesse normale : nouveaux modèles physiologiques placentaires et de la circulation utéro fœtale
1. Vascularisation en dehors de de la grossesse
2. Remodelage artériel pendant la grossesse
3. La circulation utéro placentaire
4. Un réseau anastomotique au siège du lit placentaire myométrial
IV. Post partum normal : involution du lit placentaire
V. Jusqu’au pathologique, évolution vers les AVU
1. RPOC
2. SLP
VI. En pratique, diagnostic positif et critères de gravité en imagerie
1. Échographie par voie transvaginale combinée au doppler couleur
2. Scanner
3. IRM
4. Angiographie
5. Critères de gravité en imagerie
VII. Prise en charge
1. Surveillance médicale
2. Résection gynécologique des RPOC hypervasculaires
3. Embolisation en radiologie interventionnelle
VIII. Conclusion
IX. Références bibliographiques