Les alliages à haute entropie (HEA) constituent une classe émergente de la science des matériaux. Ils sont définis pour la première fois par Yeh et al. en 2004 (1) comme tous les alliages dont les éléments principaux forment entre 5 et 30 % de la composition atomique totale. Cette définition ouvre un espace de compositions possibles extrêmement large, même en limitant les éléments utilisés aux plus communs et abondants du tableau périodique. De plus, l’exploration des propriétés de chaque composition de cet espace est rendue difficile par la complexité des compositions. Cette complexité impacte les outils de prédiction et de modélisation des propriétés utilisés pour les matériaux traditionnels qui ne sont pas adaptés ou perdent en précision lorsque le nombre d’éléments à considérer augmente. Ainsi la méthode la plus précise pour déterminer les propriétés d’un alliage à haute entropie est la synthèse puis la caractérisation de cet alliage. Or, pour chaque méthode de synthèse, différents paramètres influent sur les propriétés de l’alliage synthétisé augmentant d’autant plus le nombre d’études nécessaires pour déterminer les possibilités qu’offre chaque composition de HEA.
Parmi les nombreuses compositions possibles de HEA, certaines présentent des mélanges de propriétés au sein d’un même matériau, comme une dureté élevée accompagnée d’une forte déformation plastique à la rupture, qui peuvent dépasser les performances d’alliages traditionnels usuels. Ces effets sont à l’origine de l’augmentation de l’intérêt porté aux HEAs par la communauté scientifique et l’industrie au cours des dix dernières années. De nombreux chercheurs ont commencé l’exploration de différentes formulations de HEAs possibles avec leurs propriétés. Au fil de cette exploration, de plus en plus de publications traitent des formes non-métalliques de ces alliages, en particulier les nitrures d’alliage à haute entropie (HEANs). Ces nouveaux alliages présentent des propriétés intéressantes, notamment lorsqu’ils sont synthétisés sous la forme de revêtements, comme une dureté élevée à haute température et une grande résistance à l’oxydation. Des alliages avec ces propriétés suscitent l’intérêt de l’industrie, notamment du milieu de l’usinage, pour substituer de nouveaux revêtements plus performants aux revêtements existants.
LES ALLIAGES A HAUTE ENTROPIE ET LE DEPOT PAR ARC
INTRODUCTION AUX ALLIAGES A HAUTE ENTROPIE
CONTEXTE HISTORIQUE
Dans la fin des années 90, plusieurs équipes dans le monde travaillent indépendamment sur le concept d’alliages contenant plusieurs éléments principaux (2). En 2003, S. Ranganathan (3) publie une introduction imagée aux « cocktails multi-métalliques », suivie en 2004 des travaux de Cantor et al. (4) en Grande Bretagne sur des alliages à multicomposants généralement équiatomiques ou quasi-équiatomiques et des articles de l’équipe de J. W. Yeh à Taïwan sur des alliages à élément principal multiple (5–7) (MPEA pour Multi-Principal Element Alloy) et des alliages à haute entropie (1,8) (HEA pour High Entropy Alloy). Dans ces articles, Yeh propose une première définition des HEAs comme des alliages «composés de 5 ou plus éléments principaux en proportions équimolaires » (1). Il élargit dans la phrase suivante la définition aux alliages dont la concentration de chaque élément principal forme entre 5 et 35 % atomiques de la composition globale. Selon cette définition étendue, des alliages ternaires et quaternaires, dont certains aciers inoxydables et superalliages de nickel, peuvent être considérés comme des HEAs en plus des alliages à 5 éléments ou plus.
Dans un autre article, Yeh utilise une définition basée sur l’entropie de configuration ∆????? pour classer les alliages (9). Le calcul de ∆????? est détaillé dans la section suivante. En notant ? la constante des gaz parfaits, un alliage est considéré à basse entropie ou traditionnel si ∆????? ≤ 0,69 ?, à moyenne entropie si 0,69 ? ≤ ∆????? ≤ 1,61 ? et à haute entropie pour ∆????? ≥ 1,61 ?. Cette dernière valeur correspond à l’entropie de configuration d’un alliage à 5 éléments en proportions stœchiométriques. Or l’entropie de configuration d’un alliage à 5 éléments de type A5B5C20D35E35 est de 1,36 (10). Donc la définition en composition étendue prend en compte des alliages rejetés par cette définition en entropie de configuration. De plus, d’autres appellations comme MPEA ou CCA (Complex Concentration Alloy) désignent également des alliages contenant plusieurs éléments principaux. Dans la littérature, l’abréviation HEA est plus souvent utilisée pour désigner une solution solide monophasée avec une entropie de configuration élevée alors que MPEA et CCA sont plus souvent utilisés pour désigner des structures multiphasées (10). Dans cette étude, les dénominations HEA et HEAN sont privilégiées et désignent respectivement les alliages entrant dans la définition de composition étendue définie par Yeh et al. dans leur premier article décrivant les HEAs (1) et les nitrures formés avec ces alliages.
INTERET DES HEAS
A l’inverse d’un HEA, un alliage traditionnel est généralement formé d’un élément principal auquel sont ajoutés d’autres éléments pour modifier ses propriétés. Par exemple, en ajoutant entre 0,02 et 2 % massique de carbone dans du fer, la dureté du matériau est fortement augmentée. L’élément principal forme la matrice dans laquelle s’incorporent les éléments d’alliages par substitution, en position interstitielle ou en formant des phases secondaires. La majorité des éléments d’alliage est ajoutée en petites proportions, de quelques parties par million (ppm) à quelques pourcents massiques. Un à deux éléments sont parfois ajoutés en plus grandes quantités, en général entre 5 et 30 % massiques, pour obtenir un alliage secondaire ou ternaire avec des propriétés différentes. Ce type d’ajout s’accompagne souvent d’une augmentation de la fragilité de l’alliage avec la multiplication des phases présentes. L’utilisation de plus de trois éléments principaux était historiquement considérée comme inutile puisque les alliages ainsi formés seraient trop fragiles (4,7). De plus, l’introduction de nombreux éléments complique fortement les analyses et les calculs de diagrammes de phases .
Selon la définition de composition étendue, 3 éléments en proportions équimolaires forment un HEA avec le plus petit nombre possible d’éléments. Dans cette configuration, parmi les 72 éléments primordiaux du tableau périodique hors halogènes et gaz rares, plus de 59 000 combinaisons sont possibles. Avec la définition stricte de 5 éléments équimolaires, ce nombre dépasse 13 millions. Un mélange de 20 éléments en quantités stœchiométriques, chacun comptant ainsi pour 5% de la composition atomique de l’alliage, le nombre de combinaisons possibles dépasse 3.10¹⁷ . En comptant en plus les alliages avec des compositions non stœchiométriques, le nombre de combinaisons possibles approche de l’infini avec des propriétés variant fortement.
Le choix d’une composition adaptée à une application est complexe car prédire les propriétés d’un HEA est extrêmement difficile s’il n’a pas déjà été étudié dans la littérature. En effet, les HEAs sont structurellement différents des alliages traditionnels et ne se comportent pas systématiquement de la même façon. Lors de sa solidification, l’énergie d’un mélange d’une composition donnée est régie par la formule suivante :
∆???? = ∆???? − ?∆???? (I.1)
Avec ∆Gmix : l’enthalpie libre de Gibbs de mélange
∆???? : l’enthalpie de mélange
? : la température
∆???? : l’entropie de mélange à la température ? .
La partie enthalpique ∆Hmix représente l’énergie interne et le travail fourni par le système pour occuper son volume. Un système physique tend de manière générale à minimiser son énergie en ordonnant les atomes, quitte à les séparer en plusieurs phases pour favoriser un état stable. La partie entropique ∆Smix représente le désordre du système au niveau microscopique. Selon la loi de Boltzmann, l’entropie d’un système à l’équilibre thermodynamique peut être calculée avec la formule suivante :
Δ???? = ??. ln(Ω) (I.2)
Avec ?? : la constante de Boltzmann,
Ω : le nombre de configurations du système,
La contribution de la partie entropique prend de plus en plus le pas sur la partie enthalpique (18). Dans ce cas, quatre effets principaux définis par Yeh en 2006 (9) ressortent et forment le cœur de l’intérêt des HEAs par rapport aux alliages traditionnels :
– Haute entropie : l’augmentation du facteur entropique favorise la formation d’une solution solide sous la forme d’une phase simple, souvent cubique ou amorphe, malgré la présence d’éléments formant habituellement des composés intermétalliques ou d’autres configurations cristallines.
– Déformation de la maille cristalline : les atomes de tailles différentes distribués aléatoirement déforment fortement la maille. Cela crée des contraintes locales qui modifient les propriétés mécaniques, thermiques et chimiques du matériau macroscopique, entre autres. La structure peut également devenir amorphe si les contraintes sont trop élevées à cause de la différence de taille entre les atomes.
– Ralentissement des modes de diffusion : aux contraintes de déformation s’ajoutent les différences entre les atomes de différents éléments, comme l’électronégativité ou le nombre d’électrons de valence, qui complexifient et ralentissent les phénomènes de diffusion au travers du matériau (19–23). Les HEAs synthétisés par PVD sont généralement nanocristallins ou amorphes à cause de ces entraves à la diffusion atomique, ce qui modifie également les propriétés mécaniques, physiques et chimiques du matériau.
– Effet « Cocktail » : les interactions entre les différents éléments dans la microstructure modifient également les propriétés macroscopiques du matériau. J. W. Yeh compare les HEAs à des « composites à l’échelle atomique » (9). En variant la proportion d’un élément dans la composition, différentes propriétés du matériau, comme par exemple la structure cristalline, la dureté ou la résistance à l’oxydation, peuvent changer drastiquement .
Ces quatre effets sont à l’origine de l’intérêt porté aux HEAs, malgré certaines réserves soulevées sur leur existence (20). En les combinant correctement, un matériau avec des propriétés spécifiques, inobtenable par des alliages traditionnels, pourrait exister. Toutefois, ces quatre effets compliquent également les modélisation de HEAs (31,32) qui pourraient faciliter le choix d’une composition parmi les nombreuses possibilités.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : LES ALLIAGES A HAUTE ENTROPIE ET LE DEPOT PAR ARC
I.1. INTRODUCTION AUX ALLIAGES A HAUTE ENTROPIE
I.1.1. CONTEXTE HISTORIQUE
I.1.2. INTERET DES HEAS
I.1.3. DOMAINE D’UTILISATION
I.1.4. CLASSEMENT DES HEAS
I.1.5. ELABORATION DES HEAS
I.2. INTRODUCTION AU PROCEDE D’EVAPORATION PAR ARC CATHODIQUE
I.2.1. LES CONTEXTES D’UTILISATIONS DU PROCEDE D’EVAPORATION PAR ARC
I.2.1.a. Les différentes technologies de dépôt par Arc
I.2.1.b. Utilisations de l’Arc dans l’industrie
I.2.2. FONCTIONNEMENT D’UNE MACHINE DE DEPOT PAR ARC CATHODIQUE LORS D’UN DEPOT
I.2.2.a. Amorçage de l’arc sur la cible
I.2.2.b. Aimants et usure de la cible
I.2.2.c. Trajet des particules dans le réacteur
I.2.2.d. Dépôt en atmosphère réactive
I.3. MATERIEL ET METHODES
CONCLUSION
CHAPITRE II : ETUDE PARAMETRIQUE DE REVETEMENTS HEANS REALISES PAR ARC
II.A. SYNTHESE DE REVETEMENTS (ALCRTIV)N AVEC LA MACHINE PLANAR
II.A.1. UTILISATION DE LA MACHINE PLANAR
II.A.2. CARACTERISATION DU REVETEMENT
II.A.3. PROPRIETES MECANIQUES APRES DEPOT
II.A.4. COMPORTEMENT APRES RECUIT DE (ALCRTIV)N
II.A.4.a. Influence de la température de recuit sur la structure
II.A.4.b. Résistance à l’oxydation dans la gamme de 600 à 800 °C
II.A.4.c. Propriétés mécaniques après recuit à 600 °C
II.B. ETUDE COMPARATIVE AVEC D’AUTRES HEANS SYNTHETISES DANS DES CONDITIONS SIMILAIRES
II.B.1. Caractérisation des revêtements
II.B.2. Propriétés mécaniques
II.B.3. Résistance à l’oxydation
II.B.4. Propriétés mécaniques après traitement thermique à 600 °C
CONCLUSION
CHAPITRE III : DEVELOPPEMENT D’UNE MACHINE COMPACTE DE DEPOT, LA MICROARC
III.1. CONCEPTION DE LA MACHINE
III.1.1. CAHIER DES CHARGES DU PROJET MICROARC
III.1.2. PRESENTATION DU PROTOTYPE
III.1.2.a. Schéma de fonctionnement du prototype MicroArc
III.1.2.b. Schéma électrique
III.1.2.c Evolutions du prototype pendant son développement
III.1.3. LE PROTOCOLE DE DECAPAGE
III.1.4. METHODOLOGIE DES ESSAIS DU PROTOTYPE MICROARC
III.1.4.a. Protocole standard d’utilisation du prototype
III.1.4.b. Paramètres modulables
III.2. POSSIBILITES DU PROTOTYPE MICROARC AU TRAVERS DE REVETEMENTS TIN/TIALN
III.2.1. RESULTATS DE CARACTERISATIONS METALLURGIQUES DES FILMS
III.2.1.a. Nomenclature des essais
III.2.1.b. Composition des revêtements
III.2.1.c. Mesure d’épaisseur des revêtements
III.2.1.d. Analyse DRX pour déterminer la structure cristallographique des échantillons
III.2.1.e. Observations au MEB de coupes transversales des échantillons
III.2.2. PROPRIETES MECANIQUES DES REVETEMENTS
III.2.2.a. Dureté, module de Young et propriétés mécaniques associées
III.2.2.b. Résistance à l’usure
III.2.3. RESISTANCE A L’OXYDATION
CONCLUSION
CONCLUSION GENERALE
BLIBLIOGRAPHIE