Rétrodiffusion électromagnétique par la surface de la mer

Les performances des détecteurs navals sont très fortement perturbées par le fouillis de mer et plus particulièrement à incidence rasante. Cela est le cas pour les radar maritimes lors de la détection de menaces ou de cibles à faibles signatures. Les missions de surveillance en zone côtière ainsi que le suivi et le guidage de cibles se trouvent fortement influencés par le fouillis de mer. Dans ce contexte la caractérisation de la rétrodiffusion des ondes électromagnétiques par la surface de la mer est stratégique.

L’étude du fouillis de mer peut par conséquent permettre d’améliorer la détection de petites cibles et de potentielles menaces. Dans la configuration d’incidence rasante (angle d’illumination inférieur à 5◦ ), l’un des principaux problèmes est l’apparition du phénomène de spikes de mer. « Spikes » est le terme dédié dans la littérature pour décrire les événements à forte rétrodiffusion qui apparaissent par intermittence sur les mesures radar de fouillis de mer. Ce phénomène est soumis à de nombreuses recherches mais son origine n’est pas pleinement caractérisée dans la littérature. Par ailleurs, les spikes constituent une partie importante de la signature radar de la mer et perturbent fortement la détection des petites cibles par les radars côtiers, rendant parfois difficile l’estimation de leur vitesse Doppler.

A ce jour, il n’existe pas de modèle complet dans la littérature permettant de restituer la contribution des spikes de mer. En effet, les différents modèles approchés de diffraction  dépendent de la représentation hydrodynamique de la surface de mer et ne sont pas valides en incidence rasante. D’autres études se sont alors concentrées sur une approche semi-empirique pour la modélisation statistique du fouillis de mer [1], [2]. Elles avancent alors l’hypothèse d’un modèle statistique à deux échelles pour la description du champ rétrodiffusé par la surface. Le développement de ce dernier associé à une modélisation du spectre Doppler permet alors d’approcher le comportement observé sur les mesures. Cependant, ces études se basent sur la régression de jeux de données limités et les paramètres utilisés dans la génération statistique du fouillis sont modifiés et adaptés à chaque base de données.

Afin d’améliorer la compréhension physique du fouillis de mer en incidence rasante, plusieurs analyses portent sur les spikes et le traitement Doppler des mesures [3][4]. Celles-ci permettent d’établir un lien entre les fortes vitesses Doppler et les spikes de mer. En parallèle, la composante basse fréquence, appelée group line, observée sur les diagrammes de dispersion (spectres 2D) des cartes de fouillis de mer est l’objet de plusieurs articles [5], [6]. La pente de la group line issue de simulations numériques y est comparée avec, entre autres, des vitesses Doppler issues de données expérimentales. Ces travaux ont permis de conclure que la principale contribution expliquant l’origine de la group line était les vagues déferlantes. Une formule empirique permettant d’estimer la vitesse des vagues déferlantes est alors proposée [7]. Toutefois, ces études n’incluent pas de group lines obtenues sur des données expérimentales pour étayer leur démonstration. De plus, les auteurs n’ont pas exploré tous les mécanismes pouvant expliquer la présence de la group line .

Modélisation du problème électromagnétique de la rétrodiffusion par la surface de la mer

Description de la surface de la mer

La génération des vagues constituant une surface océanique est principalement effectuée par l’action locale du vent sur la surface. Plusieurs études décrivent précisément ce mécanisme par la théorie des interactions résonantes [9], [10]. Ainsi la formation par le vent de petites vagues sur une certaine zone de mer introduit la notion de mer de vent. Lorsque le vent souffle suffisamment longtemps, la mer devient une mer pleinement développée. La houle provient de ces vagues induites par une action plus longue du vent. Celles-ci sont directives, possèdent une longueur d’onde plus grande et se propagent sur des zones très grandes. Notons que la houle peut être présente alors que le vent ne souffle plus. L’état de mer représente alors la description d’une surface océanique soumise à l’action du vent et de la houle. Une surface océanique peut ainsi être classifiée en fonction de son état d’agitation. L’échelle de Douglas, créée en 1917 par Percy Douglas, permet par exemple d’exprimer l’état de mer en fonction de la hauteur des vagues liées au vent et de la hauteur de la houle résiduelle.

De façon plus précise, une surface de mer peut être décrite comme la superposition de différentes vagues interagissant les unes avec les autres dont la longueur d’onde varie d’une centaine de mètres à quelques millimètres. En fonction de leur longueur d’onde et de leur période temporelle, il est possible de les classer.

Les ondes de capillarité-gravité séparent les vagues de gravité générées par le vent, soumise à la force gravitationnelle et les vagues de capillarité affectées par la tension superficielle de la surface. Selon la longueur d’onde émise par le radar, la rétrodiffusion de la surface de mer sera majoritairement induite par les petites vagues de gravité ou les ondes de capillarité, à travers la résonance de Bragg. Celle ci ne représente pas néanmoins l’unique contribution à la rétrodiffusion de la surface océanique à faibles angles de rasance. L’évolution temporelle des vagues est décrite par la relation de dispersion hydrodynamique qui relie la pulsation d’une vague, ω, (sa fréquence angulaire) à son nombre d’onde, k. Chaque régime de vagues, gravité ou capillarité, obéit à une relation de dispersion hydrodynamique particulière. Mais de façon générale, en régime de gravité comme de capillarité .

Cette modélisation est usuellement paramétrée par le vent (vitesse et direction), l’âge des vagues et le fetch. Des modélisations du spectre de mer ont été apportées dans la littérature à partir des années 1960 avec le spectre de Pierson-Moskowitz [15]. Le spectre de JONSWAP [16] établi en 1973 permet la modélisation des vagues dominantes et de la houle. Les vagues dominantes correspondent aux nombres d’onde pour lesquels le spectre de mer est maximal. Le spectre d’Elfouhaily [12], proposé en 1997, permet de prendre en compte l’ensemble du spectre de mer et reste l’un des plus utilisés dans les études de télédétection. Kudryavtsev [17] propose ensuite un spectre qui prend en compte l’équilibre d’énergie entre les vagues de gravité et les vagues de capillarité permettant de mieux décrire ces dernières. Malgré les différentes améliorations apportées aux spectres de mer, la génération de surface océanique à partir de ces derniers reste linéaire et ne décrit pas les interactions des vagues entre elles.

La RCS d’une cible correspond à la surface équivalente radar d’une sphère parfaitement conductrice qui rétrodiffuserait la même puissance que la cible. Cela correspond à un paramètre physique (ayant pour unité des m² ) intrinsèque à la cible influant sur la détectabilité de celle-ci par un radar. La NRCS, notée σ0, est la surface équivalente radar moyenne par unité de surface illuminée. Cette quantité est communément utilisée en télédétection car elle ne dépend pas de la distance entre la surface et le radar. Dans la suite du manuscrit nous travaillerons avec le champ complexe rétrodiffusé mesuré par le radar sous forme de signaux en phase et quadrature (I et Q). Ce champ complexe est normalisé afin que son module au carré soit analogue à la NRCS. Ainsi, après normalisation par la surface illuminée, la NRCS représentera la puissance du champ rétrodiffusé dans une cellule radar par unité de surface. Afin d’estimer cette quantité, il est nécessaire de déterminer analytiquement ou numériquement le champ diffracté par la surface de la mer.

Modèles approchés de diffusion électromagnétique 

Grâce à leur facilité d’implémentation par rapport aux méthodes rigoureuses, les méthodes asymptotiques sont couramment utilisées pour des problèmes de grande taille et permettent une formulation analytique des solutions proposées. Une description de ces très nombreuses méthodes les plus utilisées est proposée dans [21]. Seules les méthodes les plus classiques sont succinctement présentées ici.

Approximation de Kirchhoff (KA)

L’approximation de Kirchhoff est l’une des plus anciennes méthodes approchées pour calculer la diffusion électromagnétique par une surface rugueuse [24]. Elle peut être appelée approximation du plan tangent ou approximation de l’optique physique à hautes fréquences. Cette méthode considère que le champ sur un point de la surface correspond au champ produit sur un plan tangent au même point dépendant ainsi uniquement du coefficient de réflexion de Fresnel pour l’angle d’incidence local du plan.

Méthode rigoureuse de calcul de la rétrodiffusion électromagnétique par la surface de la mer 

Les différentes méthodes asymptotiques évoquées jusqu’ici présentent chacune des limites inhérentes aux approximations faites. Ces limites sont particulièrement atteintes pour la configuration en incidence rasante et la rétrodiffusion micro-onde qui constitue la base des travaux effectués dans cette thèse. Une approche différente permet de calculer la rétrodiffusion d’une surface de mer dans ces configurations. En effet, la résolution de ce problème complexe par une méthode rigoureuse de calcul direct peut être envisagée [43], [44] grâce au formalisme intégral de frontière [45], [46], [47]. La résolution numérique appliquée au cas d’une surface 2D est décrite dans [48].

En polarisation horizontale, la résolution du système nécessite l’estimation du courant électrique de surface en résolvant l’équation intégrale EFIE (Electric Field Integral Equation) [49], [50]. Cette équation est adaptée numériquement à un système linéaire Ax = Bc où l’inconnue x est une fonction du courant de surface. Ce dernier s’obtient alors numériquement par inversion matricielle ce qui demande un temps de calcul important. Le champ diffracté s’obtient ensuite grâce à la formule de Weyl [51], [52] selon le principe d’Huygens. La résolution des équations pour le cas d’une surface 1D linéaire ou faiblement non linéaire grâce aux modèles de Creamer et Choppy Wave est détaillée dans [40] [53].

La résolution du problème 1D par la méthode des moments est utilisée dans le manuscrit. Cette méthode rigoureuse est néanmoins contrainte par certaines limites incluant notamment le temps et la taille numérique nécessaire aux calculs ainsi que la génération de surface au mieux faiblement non linéaire qui peinent à reproduire les surfaces océaniques observées lors des campagnes de mesure.

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Table des matières

Introduction
1 Rétrodiffusion électromagnétique par la surface de la mer
1.1 Modélisation du problème électromagnétique de la rétrodiffusion par la surface de la mer
1.1.1 Description de la surface de la mer
1.1.2 Diffraction et rétrodiffusion micro-onde par la surface de la mer
1.1.3 Modèles approchés de diffusion électromagnétique
1.1.4 Méthode rigoureuse de calcul de la rétrodiffusion électromagnétique par la surface de la mer
1.1.5 Bilan des méthodes de modélisation
1.2 Présentation des données MMA de mesure du fouillis de mer réalisées lors des campagnes Sylt et MARLENE
1.2.1 Intérêts et enjeux des campagnes de mesure
1.2.2 Sylt
1.2.3 MARLENE
1.2.4 Bilan et limites de la base de données
2 Étude du comportement statistique, temporel et spectral du fouillis de mer en incidence rasante
2.1 Comportement général des séries spatio-temporelles de fouillis de mer en incidence rasante
2.1.1 Étude des séries temporelles et observation du phénomène de « spikes » de mer
2.1.2 Étude de la polarisation sur la NRCS
2.2 Étude de la distribution statistique de l’amplitude du champ rétrodiffusé par la mer en incidence rasante
2.2.1 Choix des distributions théoriques et démarche expérimentale
2.2.2 Caractérisation de la distribution de l’amplitude des données expérimentales
2.2.3 Impact de la calibration sur les distributions
2.3 Étude et validation du modèle statistique à deux échelles du fouillis de mer en incidence rasante
2.3.1 Présentation du modèle gaussien composé
2.3.2 Recherche de la longueur de cohérence temporelle par application du test de Jarque Bera sur le speckle gaussien complexe
2.3.3 Recherche de la longueur de cohérence temporelle par application du test de Kolmogorov–Smirnov
2.3.4 Validation du modèle à deux échelles par la caractérisation des distributions des deux composantes du fouillis de mer
2.4 Étude de la corrélation et du comportement spectral de l’amplitude et de la texture
2.4.1 Étude de la périodicité spatio-temporelle du fouillis de mer par estimation des fonctions d’autocorrélation
2.4.2 Étude du comportement de la densité spectrale de puissance de l’amplitude du fouillis de mer
2.5 Synthèse des résultats
3 Caractérisation du comportement du spectre Doppler du fouillis de mer en incidence rasante et analyse du phénomène de spikes de mer
3.1 Analyse des spectres Doppler des séries spatio-temporelles de fouillis de mer
3.1.1 Principe de calcul des spectres Doppler
3.1.2 Analyse de la variabilité en angle d’azimut et de rasance
3.1.3 Confrontation des données expérimentales à la théorie classique de la modulation de la vague de Bragg
3.2 Mise en évidence de l’impact des spikes de mer
3.2.1 Modification des spectres Doppler
3.2.2 Impact sur la détection de cible
3.3 Étude du comportement spatio-temporel des vitesses Doppler quasi-instantanées
3.3.1 Principe de calcul des vitesses Doppler quasi-instantanées
3.3.2 Comportement temporel et spatial de la vitesse Doppler
3.3.3 Distribution des vitesses Doppler et distribution croisée NRCS/vitesses
3.3.4 Filtrage des vitesses dans les creux des vagues
3.4 Détection des spikes de mer et étude du comportement de leurs vitesses
3.4.1 Seuil de détection CFAR
3.4.2 Influence du seuil de détection
3.4.3 Variabilité en azimut du comportement des spikes de mer
3.5 Synthèse des résultats et interprétation de l’origine des spikes de mer
3.5.1 Résultats obtenus
3.5.2 Origine des spikes de mer
4 Étude théorique et expérimentale de la group line des spectres de dispersion spatio-temporels
4.1 Présentation du problème
4.2 Modélisation théorique et analytique de la group line
4.2.1 Principe de génération de la group line
4.2.2 Modélisation de la group line de différentes quantités relatives à la surface
4.2.3 Étude de la pente analytique de la group line
4.3 Validation numérique de la modélisation
4.3.1 Simulations numériques
4.3.2 Test de convergence
4.3.3 Formule empirique corrective dans le cas de série temporelle courte
4.3.4 Comparaison de la modélisation à des simulations numériques issues de la méthode des moments
4.4 Étude du comportement de la group line des données expérimentales
4.4.1 Présentation du protocole de mesure de la pente de la group line
4.4.2 Comparaison des données expérimentales aux simulations numériques
4.4.3 Étude de l’influence de la fréquence sur la pente de la group line
Conclusion

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