RESUME DE L’HISTOIRE DE LA CONTRACEPTION ORALE ESTROPROGESTATIVE
En 1951, la compagnie Syntex synthétise au Mexique le norethindrone, progestatif norstéroide, qu’elle ne développera pas.(7) Au cours des années 1950, de nombreux acteurs établis au Mexique et dans plusieurs Etats d’Amérique du Nord (la Fondation Worcester du Massachusetts en particulier) travaillent de concours à l’association de la molécule à un estrogène de synthèse: le mestranol. Le produit est expérimenté chez la Femme sur l’île de Porto Rico, puis d’autres tests ont lieu à Haïti et au Mexique. ENOVID®, la première pilule estroprogestative est commercialisée dès 1957 aux Etats-Unis dans le cadre du traitement de « troubles gynécologiques » et trouve son indication contraceptive légale en 1960. La loi Neuwirth du 29 décembre 1967 ouvre à ce produit le marché français.
Dès 1961, le risque cardiovasculaire induit par cette association est mis en évidence (10) Progressivement, à la fin des années 1960 et au cours des années 1970, différents travaux viennent compléter les connaissances autour du risque vasculaire, artériel et veineux, et étayent les différentes contre-indications.
Le mestranol qui nécessite d’être administré à fortes doses est abandonné et remplacé par l’éthinyl-estradiol. Les premières pilules macrodosées (75 à 100 µg d’éthinyl-estradiol) laissent progressivement leur place aux normodosées, puis finalement, à la fin des années 1970, aux minidosées, contenant moins de 50µg d’éthinyl-estradiol. L’un des buts recherchés est de diminuer l’incidence des évènements thrombotiques veineux.(7,14) En parallèle, le composé progestatif auquel on attribue plutôt les accidents artériels, évolue lui aussi.(15) Les estroprogestatifs de première génération (EP1G) contiennent un progestatif dérivé de la norethistérone, nécessitant d’être administré à forte dose.
Chez la deuxième génération, commercialisée à partir de 1973, le progestatif devient le norgestrel ou son isomère actif, le levonorgestrel, pouvant être proposés à dose plus faible.(7) La fréquence des évènements cardiovasculaires diminue.(15) Les pilules de troisième génération investissent le marché dès 1984.(16) Elles comportent l’un des progestatifs suivants: le désogestrel, le gestodène, le norgestimate. L’objectif est de diminuer encore le risque artériel et permettre d’abaisser les doses d’éthinyl-estradiol sans perte d’efficacité contraceptive.(7,17) Paradoxalement, en antagonisant en partie le métabolisme de l’éthinylestradiol, ils augmentent sa concentration plasmatique, majorant alors son effet activateur de la coagulation.
A partir de 2001, des nouvelles associations voient le jour. Elles comportent des progestatifs dits de quatrième génération: la drospirénone, l’acétate de chlormadinone, le diénogest et le nomégestrol. Leurs propriétés antiandrogéniques sont mises en avant, mais comme leurs aînées de troisième génération, elles induisent un environnement très estrogénique qui active davantage la coagulation que les EP2G. C’est particulièrement le cas pour DIANE®, qui deviendra DIANE 35® en 1987. Composée d’éthinyl-estradiol et d’acétate de cyprotérone, bénéficiaire de l’autorisation de mise sur le marché dès 1982 dans le traitement de l’acné et non en tant que contraceptif, elle est pourtant largement prescrite dans cette indication.
LE SUR-RISQUE THROMBO-EMBOLIQUE VEINEUX INDUIT PAR LES ESTROPROGESTATIFS
Chez une femme en âge de procréer et indemne de tout facteur de risque spécifique, le risque de survenue d’un accident thrombo-embolique veineux, qu’il s’agisse d’une phlébite, ou d’une embolie pulmonaire est d’environ 2 pour 10 000 femmes par an. Selon l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament, il est d’environ 5 à 7 pour 10000 femmes avec la plupart des estroprogestatifs de deuxième génération (EP2G) et d’environ 9 à 12 pour 10 000 femmes avec la plupart des estroprogestatifs de 3ème génération (EP3G).
A ce jour, le sur-risque lié aux estroprogestatifs dits de 4ème génération (EP4G) est estimé être du même ordre que celui des EP3G.(23–25) Par ailleurs, le sur-risque d’accident thrombo-embolique veineux est plus important au cours de la première année d’utilisation d’un contraceptif estroprogestatif, quelle que soit la génération (26,27) Le risque d’accident thrombo-embolique veineux varie avec la dose d’éthinylestradiol et dépend du type de progestatif associé, mais d’autres facteurs sont susceptibles de l’influencer.(26) Ainsi, chez un même sujet, le risque thrombo embolique veineux augmente avec:
-l’âge,
-la consommation de tabac,
-une immobilisation prolongée,
-la notion d’antécédent familial d’accident thrombo-embolique veineux,
-la notion d’un trouble de la coagulation, à type de thrombophilie par exemple, chez le sujet ou un parent,
-les suites de certains types de chirurgies,
-certaines pathologies telles que le cancer.
Ainsi, le prescripteur a pour rôle de dépister ces facteurs de risque avant toute instauration ou modification d’une contraception hormonale.
Les nombreuses modifications hormonales au cours d’une grossesse normale sont connues pour favoriser également le risque thrombo-embolique veineux. (6 accidents pour 10 000 femmes).(28) On utilise souvent ce chiffre pour comparer les risques relatifs des estroprogestatifs par rapport à cette situation physiologique et fréquente. Il faut cependant rappeler que, d’après l’actuel modèle contraceptif français, la durée d’exposition au facteur de risque que représente une grossesse est d’ordinaire inférieure à la durée de consommation d’un estroprogestatif au cours de la vie d’une femme.(29) Une patiente sous estroprogestatif est exposée au sur risque vasculaire chaque année d’utilisation, quand une femme enceinte présente un sur-risque thrombo-embolique élevé le seul temps de la grossesse et du post partum.
Malgré le risque de survenue d’accidents vasculaires rares mais graves qu’ils induisent, ces produits demeurent l’une des références en termes d’efficacité contraceptive. Dans sa fiche de bon usage de médicament de novembre 2012,(30) la Haute Autorité de Santé rappelle que « les contraceptifs oraux estroprogestatifs sont parmi les moyens les plus efficaces (indice de Pearl < 1) pour la prévention des grossesses non désirées ». Un indice de Pearl inférieur à 1 signifie que moins d’une grossesse non désirée est attendue sur 100 femmes utilisant une contraception donnée sur un an.(rp) Enfin, elle précise que « l’efficacité des différents types de contraceptifs oraux estroprogestatifs est du même ordre ».
L’AFFAIRE DES ESTROPROGESTATIFS DE TROISIEME ET QUATRIEME GENERATIONS
Les fondements de l’affaire
Trois problématiques de fond semblent permettre d’expliquer l’avènement de cette crise:
-la faible confiance du public et des médias envers l’industrie pharmaceutique et les instances sanitaires nationales,
-des prises de position divergentes de la part des institutions face au renforcement des connaissances scientifiques sur les EP3G et estroprogestatifs dits de quatrième génération (EP4G),
-un important taux de prescription des produits intéressés par les professionnels de santé, à des sujets en âge de procréer, volontiers indemnes de toute pathologie. Ces prescriptions se faisaient fréquemment hors des recommandations de la Haute Autorité de santé.
Un facteur précipitant survient le 14 décembre 2012, provoquant brutalement une médiatisation importante du sur-risque vasculaire des estroprogestatifs de dernières générations. A cette date, une femme victime d’accident thrombo-embolique veineux porte plainte contre le fabricant de son contraceptif et le président de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament. Le jour même paraît dans le journal Le Monde un article polémique évoquant cette plainte, le rôle supposé défaillant des autorités sanitaires et une suspicion de collusion entre industriels et professionnels de santé.
La méfiance du public et des médias
Le « pill scare »
Au cours des 10 premières années de vie des estroprogestatifs de troisième génération (EP3G), il est majoritairement admis par la communauté scientifique que la minimisation des doses d’éthinyl-estradiol permise par l’apparition des nouveaux progestatifs ne peut être que bénéfique du point de vue du risque thrombo-embolique.(17) Ceci est brutalement remis en cause par la parution du Lancet du 16 décembre 1995. Il présente 3 études épidémiologiques mettant en avant une élévation du risque de maladie thrombo-embolique veineuse chez les patientes sous EP3G par rapport à celles sous EP2G.(32–34) En Grande-Bretagne, un mois avant même la parution de la revue, les autorités sanitaires mettent en place une importante campagne de mise en garde contre les EP3G, accompagnée d’une déferlante médiatique. (17) C’est à ces circonstances que fait référence le terme « pill scare », évoquant la « peur de la pilule » chez les femmes concernées. 12% des patientes sous EP3G stoppent brutalement leur contraception.(35) Une augmentation des IVG de 10% est constatée dans les 2 années suivantes.(36) Dans le même temps, l’Allemagne instaure des restrictions d’usage de ces contraceptifs (17) Selon les études, le risque veineux relatif des EP3G varie alors de 1,5 à 2,6 par rapport à celui des EP2G. Etant donné la faible importance du risque sous EP2G, inférieur au risque au cours d’une grossesse, c’est une augmentation à la limite de la significativité clinique pour les experts.(17) L’hypothèse décrivant une activation plus importante de la coagulation par les EP3G est souvent jugée peu plausible et les connaissances de ces mécanismes sont encore limitées.(37–39) Ceci finit de démobiliser les scientifiques.
Une crise de confiance qui s’approfondit
Du scandale du DISTILBENE® en 1971, à celui du MEDIATOR® en 2009, la santé publique française essuie en quarante ans des crises aussi nombreuses que redoutables, bien souvent en lien avec un produit de santé. Elles contribuent pour beaucoup à ébranler la confiance du public envers le dispositif de sécurité sanitaire national et l’industrie pharmaceutique. Ainsi, Hervé Gisserot, président de Leem, fédération des entreprises du médicament, déclare le 31 janvier 2013 que « Tout accident lié au médicament […] interpelle les industriels » et « personne ne peut traiter avec mépris ou indifférence ce type d’évènement ». Mais « en France, très rapidement nous sommes confrontés à une sorte de malaise profond et persistant » et « chaque interrogation très rapidement se transforme en réquisitoire » contre le médicament et ses acteurs.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
1) Résumé de l’histoire de la contraception orale estroprogestative
2) Le sur-risque thrombo-embolique veineux induit par les estroprogestatifs
3) L’affaire des estroprogestatifs de troisième et quatrième générations
3.1) Les fondements de l’affaire
3.1.1) La méfiance du public et des médias
3.1.1.1) Le « pill scare »
3.1.1.2) Une crise de confiance qui s’approfondit
3.1.1.3) La loi du 29 décembre 2011
3.1.1.4) Les représentations du médicament
3.1.2) Des prises de position divergentes de la part des institutions
3.1.2.1) Une évaluation européenne en 2001
3.1.2.2) L’évaluation française de 2002
3.1.2.3) 2007-2009: Les EP3G en deuxième intention, mais remboursables
3.1.2.4) 2009-2011: EP3G et EP4G: des risques comparables
3.1.2.5) La remise en question de la place des EP3G dans la stratégie thérapeutique
3.1.3) Taux de prescription important des EP3G/EP4G
3.2) Le facteur précipitant: le cas de Marion Larat
3.3) Le cœur de l’affaire
3.3.1) Les volets judiciaire et médiatique de la crise
3.3.1.1) La plainte de Marion Larat
3.3.1.2) L’article du Monde : « Alerte sur la pilule de 3ème et 4ème génération »
3.3.1.3) La médiatisation de l’affaire
3.3.2) Des experts publiquement suspectés de conflits d’intérêts
3.3.3) La réplique institutionnelle
3.3.3.1) Le communiqué de presse du Ministère
3.3.3.2) Les actions de l’ANSM auprès de ses partenaires
3.3.3.2.1) Les prescripteurs
3.3.3.2.2) Le public
3.3.3.2.3) Les industriels
3.4) Prise en charge des EP3G par l’Assurance maladie
3.4.1) Pas d’évaluation « médico-économique » du médicament en France ?
3.4.2) Quelles ont-été les raisons du déremboursement des EP3G ?
3.5) Les répercussions commerciales sur l’année 2013
3.5.1) Les ventes
3.5.2) Les perspectives commerciales
3.6) L’enquête Fecond 2013 : « Vers un nouveau modèle contraceptif ? »
3.7) La veille sanitaire
3.7.1) Les données de la pharmaco-épidémiologie
3.7.2) La sous-notification des effets indésirables
3.7.2.1) Des réformes insuffisantes ?
3.7.2.1.1) La directive européenne du 15 décembre 2010
3.7.2.1.2) La loi française du 29 décembre 2011
3.7.2.2) Les notificateurs
3.7.2.3) Les freins à la notification
3.8) Le cas de DIANE 35® et de ses génériques
3.8.1) Un cadre de prescription bien défini par les autorités sanitaires
3.8.2) Des produits massivement vendus et prescrits hors autorisation de mise sur le marché
3.8.3) La procédure de suspension de l’autorisation de mise sur le marché
4) Discussion
4.1) Une dilution des responsabilités
4.2) Le déremboursement des EP3G
4.3) Les échecs de la pharmacovigilance
4.4) Quelles sont les conséquences de l’affaire sur le modèle contraceptif français?
DEUXIEME PARTIE
Introduction
Matériel et Méthodes
Résultats
Discussion
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ABREVIATIONS
ANNEXES