L’eczéma chronique des mains (ECM), anciennement dénommé dermatite chronique des mains [1], se définit par la persistance de lésions d’eczéma localisées aux mains pendant plus de 3 mois, ou la récurrence d’épisodes au moins deux fois par an malgré un traitement adapté chez un patient observant [2, 3]. Il s’agit d’un syndrome anatomo-clinique aux facteurs causaux multiples et variés, dont l’identification est en réalité difficile [4, 5]. L’ECM est une pathologie fréquente, représentant 20 à 35% des dermatoses de la main en consultation dermatologique [6]. Sa prévalence dans la population générale varie entre 2 et 8.9% et son incidence entre 4.4 et 7.9 cas pour mille habitants par an [7-13]. Elle représente près de 90% des dermatoses professionnelles dans la majorité des pays européens [14, 15]. L’ECM se présente sous différentes formes, les principales étant l’eczéma de contact irritatif, l’eczéma de contact allergique et l’eczéma atopique [16, 17]. Il est responsable d’un impact significatif sur la qualité de vie des malades, comparable à celui du psoriasis ou de la dermatite atopique sévère [18, 19]. En effet, la symptomatologie faite de prurit, et souvent associée à des fissures douloureuses retentit aussi bien sur la vie professionnelle que celle domestique et affective, occasionnant des arrêts de travail temporaires et définitifs, ainsi que l’arrêt des activités domestiques [20-28]. La main représentant un outil important de communication, et étant une zone généralement exposée, toute pathologie à son niveau peut être responsable de troubles psychosociaux, d’anxiété et de baisse d’estime de soi [4]. L’ECM a été précédemment étudié à Dakar dans le cadre d’un travail centré sur l’impact sur la qualité de vie des patients en 2017 [29] mais les explorations allergologiques n’ont été réalisées que dans 15.3% des cas. Une autre étude concernant les eczémas de contact professionnels a été réalisée à Dakar en 2007, et retrouvait une atteinte des mains dans près de la moitié des cas, et l’allergène le plus fréquemment mis en cause était le bichromate de potassium [30]. Nous avons ainsi envisagé de réaliser notre travail dans le but d’améliorer les connaissances précédemment acquises dans la région de Dakar, avec comme objectif principal d’étayer les caractéristiques épidémiologiques, cliniques, étiologiques et thérapeutiques de l’ECM chez les patients consultant dans les structures hospitalières spécialisées en dermatologie à Dakar, et comme objectif spécifique d’évaluer la place des explorations allergologiques – notamment les patch-tests – dans l’ECM.
DISCUSSION
Nous rapportons sur une période de 6 mois 23 cas d’ECM ayant bénéficié des patch tests dans l’unité d’exploration allergologique. Ceux-ci ont révélé une positivité allergénique dans plus de 69% des cas. Les limites de notre étude étaient la non disponibilité des batteries spécialisées, et l’inaccessibilité à certains des produits personnels manipulés par les patients aussi bien dans l’activité courante que professionnelle. Cependant, l’étude a pu mettre en évidence les particularités épidémio-cliniques, étiologiques et thérapeutiques de l’ECM à Dakar, qui ont été une nette prédominance féminine avec un sexe ratio de 0.53, un terrain atopique présent dans les ¾ des cas, la coexistence de signes d’eczéma chronique et aigu dans près de la moitié des cas (43.5%), et l’association à d’autres topographies dans ¾ des cas (73.91%), la positivité des tests cutanés dans 69.6% des cas mettant en avant le bichromate de potassium, le cobalt et le nickel.
Aspects épidémiologiques
Le nombre de 23 cas recensés ne reflète pas la totalité des cas dans la région de Dakar. Beaucoup d’autres sont vus dans d’autres structures sanitaires ou en médecine traditionnelle, ou alors ne consultent pas du fait de l’absence de prurit ou de douleur. Cependant, la fréquence hospitalière de 0.60% rejoint celle de 0.83% d’une étude réalisée 4 ans auparavant à Dakar sur une période de 6 mois, colligeant 60 malades atteints d’ECM [29]. Des données européennes récentes relèvent des incidences annuelles entre 0.55% et 0.88% [31]. Une incidence de 0.14% sur 10 ans était retrouvée au cours d’une étude réalisée au Royaume Uni à partir du Clinical Practice Research Datalink, un registre médical national contenant 6.9% de la population du pays [32]. En Allemagne, la prévalence dans la population générale sur un an était de 10% [33, 34], alors qu’aux Etats-Unis d’Amérique l’incidence annuelle était de 10.2% dans une étude réalisée sur un échantillon de 27157 personnes en 2013, de 10.7% dans une autre réalisée sur une population de 42249 personnes en 2007, et de 16% dans une troisième concernant une population de 502 mutualistes [35-37]. D’autres travaux faits en Suède, au Danemark et aux Pays-Bas révélaient une prévalence de 2 à 8.9% dans la population générale et une incidence de 0.44 à 0.79% par an [7-13]. Une prédominance féminine nette dans notre série avec un sex-ratio de 0.53, concorde avec ceux de 0.5 à 0.67 rapportés par Apfelbacher en Allemagne, VogelGissinger en France, Veien au Danemark et d’autres [5, 16, 33, 38-49]. La plus grande susceptibilité de la gente féminine à la gêne esthétique occasionnée par l’ECM pourrait être une des explications [50]. Aussi, elles sont plus exposées via les travaux de nettoyage et culinaires domestiques mais aussi professionnels. En France, elles représentent 61% des travailleurs du secteur du nettoyage et de l’entretien, et 75,7% des eczéma des mains rapportés dans le secteur [51]. L’âge moyen dans notre série était de 42.35 ans, la tranche d’âge de 40 à 59 ans était la plus représentée. Ce résultat était similaire à celui de 41 ans trouvé par Hald et al [33] et de 42 ans par Boehm [21]. L’âge moyen était plus élevé chez Halioua et al. en France (44.9 ans) [52], chez Apfelbacher en Allemagne (47 ans) [38] et chez Dibenedetti aux USA (47.1 ans) [49]. Le plus jeune âge a été 10 ans chez deux patients connus atopiques. Chez ces enfants, le terrain atopique explique la précocité d’apparition de l’ECM. L’âge le plus élevé concernait une retraitée de 68 ans également atopique, présentant de nombreuses positivités aux patch-tests et une longue durée d’évolution (10 ans). Le terrain d’atopie et les nombreuses années d’exposition à l’environnement expliquent les nombreuses positivités aux patch-tests.
Aspects cliniques
Les particularités cliniques de nos patients étaient l’âge de survenue adulte (69.6%) et la longue durée d’évolution, un terrain atopique présent dans les ¾ des cas, la longue durée d’évolution, la coexistence de signes d’eczéma chronique et aigu dans près de la moitié des cas (43.5%), et l’association à d’autres topographies dans ¾ des cas (73.91%). Celle-ci était de 7.17 ans en moyenne, nettement supérieure à celle de 4 ans retrouvée par Halioua en France [52]. Le délai de consultation initiale était également long, de 2.7 ans, largement supérieur au délai médian de 3 mois retrouvé dans la littérature [49, 53]. En effet, l’itinéraire thérapeutique s’avérait sinueux, passant souvent par l’absorption et l’application topique de plantes médicinales (56.5% des cas) pour des périodes importantes (4.58 mois en moyenne). Ces dernières peuvent être un facteur aggravant ou déclenchant des poussées. La longue durée d’évolution explique le caractère chronique des lésions retrouvé dans 100% cas, rejoignant les résultats de Halioua qui retrouvait des lésions chroniques dans 65.5% des cas [52]. Le délai au diagnostic initial a retardé l’identification de la cause, la prise en charge spécialisée et la mise en route de méthodes préventives qui auraient pu empêcher la survenue de poussées aigües retrouvées durant l’évolution dans 91.3% des cas. Celles-ci expliquent la coexistence lésions aigües dans la moitié des cas, dont la présence est également rapportée dans la littérature [16, 49]. La bilatéralité des lésions a aussi été observée par Apfelbacher (96.1%) en Allemagne [38] et par Dibenedetti (77%) aux USA [49]. L’atteinte concernait les paumes dans 43.5% des cas (10 cas) et le dos des mains dans 56.5% des cas (13 cas), se rapprochant des données retrouvées dans la littérature [16, 34, 38, 49, 54], notamment des données de Dibenedetti qui retrouvait une atteinte des dos des mains dans 48% des cas [49].
Le dos des pieds et les plantes représentaient les localisations les plus fréquemment associées à l’eczéma chronique des mains, retrouvées dans 47.8% et 21.7% des cas respectivement. Un eczéma concomitant aux pieds n’était présent que chez 27,3% des patients d’une étude en Allemagne [38]. L’atteinte d’autres sites corporels en dehors des mains dans notre étude s’élève à 73.91% des cas, largement au-dessus des 23.6% retrouvés par Apfelbacher et al [38]. Cela s’explique en partie par le grand nombre de sujets atopiques retrouvés dans notre travail et les facteurs d’aggravation tels que la phytothérapie. Une consultation par un dermatologue a été effectuée avant la référence dans 72.72% des cas, avec mise en route d’un traitement à base de dermocorticoïdes dans 72.72% des cas. Dans une étude américaine portant sur 182 cas d’ECM, seuls 39% avaient vu auparavant un dermatologue [49]. La persistance des lésions malgré cela peut être expliquée par l’absence d’explorations allergologiques qui auraient permis l’identification de l’agent causal et la mise en place de mesures d’éviction adéquates. Chez les malades référés en exploration allergologique, une positivité a été notée dans 69.6% des cas.
Aspects étiologiques
L’atopie est un facteur de risque important de survenue d’ECM et parfois la seule étiologie retenue [4, 13, 34, 38, 45, 55-62]. En effet, la mutation non fonctionnelle de la filaggrine induit une fragilisation cutanée réduisant le seuil de sensibilisation [7, 33, 40, 62, 63]. Ainsi, près des ¾ de nos patients présentaient un terrain d’atopie personnelle et familiale, surpassant les taux de 50% retrouvés dans la littérature [64]. Les prick-tests respiratoires, réalisés dans 21.73% des cas, ont pu confirmer l’atopie dans 60% de ceux-ci, et peuvent être positifs jusque dans ⅓ des cas dans la littérature [16].
Les facteurs exogènes jouent cependant un rôle plus important [33, 40]. Il s’agit des agressions externes subies par la peau, et qui peuvent être physiques ou chimiques. Il s’agit des microtraumatismes répétés et des frictions, les températures extrêmes, l’humidité, l’occlusion, la macération et l’exposition non protégée aux détergents et autres corrosifs acides et alcalins [2, 4, 5, 61, 65-68]. Le lavage excessif des mains et l’usage régulier d’antiseptiques en période de pandémie de la COVID en est un exemple pertinent [69-71]. Ces facteurs favorisants sont souvent réunis dans de nombreux métiers tels que dans la métallurgie, le bâtiment, l’agroalimentaire, l’entretien et le nettoyage [48, 61, 65- 68, 71-78]. Dans notre travail, l’exposition à l’eau et aux détergents était retrouvée dans près d’un tiers des cas, se rapprochant des chiffres rapportés par Apfelbach (34.4%) [38]. La dermite de contact allergique est une cause indéniable d’ECM comme l’a prouvé la positivité des patch-tests dans près des ¾ des cas. Apfelbacher retrouvait une positivité dans 48.5% [38]. Elle peut en être la seule cause sans aucune atopie sous-jacente ni facteur irritatif. Les explorations allergologiques sont alors indispensables pour la détermination de la cause précise [5] pouvant faire aboutir à une éviction ciblée, d’autant plus s’il s’agit d’un contexte professionnel où les dermites de contacts sont plus fréquentes qu’ailleurs [18, 79, 80]. Ainsi les tests épicutanés ont été positifs dans plus des ⅔ des cas, et ont pu identifier 18 allergènes différents, parfois plusieurs en concomitance, mettant en tête le bichromate de potassium (30.4%), le cobalt (26.1%), le nickel (21.7%), la néomycine (17.4%) et le fragrance mix I (13%). Apfelbacher retrouvait le plus fréquemment le nickel, le fragrance mix, le cobalt et le chrome [38].
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Table des matières
INTRODUCTION
I. PATIENTS ET MÉTHODES
I.1. Type d’étude
I.2. Durée d’étude
I.3. Cadre d’étude
I.4. Population d’étude
I.5. Critères d’inclusion
I.6. Critères de non inclusion
I.7. Procédure de l’étude
I.7.1 Explorations allergologiques
I.8. Collecte des données
I.9. Considérations éthiques
I.10. Saisie et analyses des données
RESULTATS
I – Etude descriptive
I.1 – Aspects épidémiologiques
I.2 – Répartition des cas selon la présence d’un terrain atopique
I.3 – Répartition des cas selon les habitudes et mode de vie
I.4 – Répartition des cas selon l’itinéraire thérapeutique
I.5 – L’histoire de l’eczéma
I.6 – Les aspects cliniques
I.7 – Explorations allergologiques
I.8 – Retentissement professionnel
I.9 – Prise en charge thérapeutique
I.10 – Répartition des cas selon l’évolution
II – Etude analytique
Corrélation entre usage de traitement traditionnel et extension des lésions
Corrélation entre atopie et extension des lésions
Corrélation entre atopie et résultats des patch-tests
DISCUSSION
CONCLUSION
REFERENCES
ANNEXES