La pré-excitation ventriculaire est définie par l’activation prématurée de l’ensemble ou d’une partie du myocarde ventriculaire à partir d’un signal auriculaire. Cette prématurité est en rapport avec la présence de voies de conduction dites accessoires. Les syndromes de pré-excitation ventriculaire regroupent tous les aspects électrocardiographiques comportant un intervalle PR court < 0,12 s, ce qui implique un court-circuit atrio-ventriculaire [76]. Il s’agit d’anomalies congénitales.
Selon la Société française de Cardiologie [76], on distingue :
– Les connexions auriculo-ventriculaires responsables du syndrome de WolffParkinson-White (W.P.W.) ;
– Les connexions nodo-ventriculaires anciennement nommées fibres de Mahaïm et fasciculo-ventriculaires ;
– Les connexions atrio-hisiennes responsables du syndrome de Lown GanongLevine.
Ces syndromes ne seraient qu’une simple curiosité électrocardiographique s’ils ne représentaient parfois de véritables pièges diagnostiques et thérapeutiques, en particulier lors des troubles du rythme dont la méconnaissance et la prise en charge inadaptée pourrait mettre en jeu le pronostic vital. Le syndrome de W.P.W. représente la forme la plus courante et la plus caractéristique de la pré-excitation ventriculaire [80]. Il est caractérisé par l’existence d’un faisceau accessoire, en parallèle des voies normales de conduction : le faisceau de Kent qui peut être unique ou multiple. Il s’agit d’une connexion atrio-ventriculaire qui peut être, par rapport au plan des anneaux atrio-ventriculaires, à droite comme à gauche. La conduction atrio ventriculaire peut donc se faire par la voie normale et/ou par le faisceau de Kent, ceci explique le caractère électrocardiographique intermittent chez certains sujets. Historiquement, le terme de « syndrome de W.P.W. » désigne des patients qui présentent des crises de tachycardies paroxystiques et des modifications de l’électrocardiogramme (E.C.G.) avec un intervalle PR court et empâtement du pied du QRS (onde delta) [4]. Il peut être isolé ou associé à des cardiopathies acquises ou congénitales (le plus souvent à la maladie d’Ebstein).
En réalité, la traduction clinique du syndrome de W.P.W. est très variable. Dans la plupart des cas, il s’agit d’une entité rythmologique bénigne, asymptomatique [80]. Mais parfois, il peut se manifester par des accès de tachycardies paroxystiques pouvant être responsables de syncopes ou d’un état de choc. En France, la prévalence des anomalies électriques est estimée autour de 0,15 à 0,3% avec un risque associé de mort subite de 0,5 à 4% [89]. La mort subite est donc assez rare mais elle peut en être le premier évènement révélateur. Elle est plus fréquente dans l’enfance et l’adolescence. Son incidence décroit avec l’âge [74]. Elle est liée à une fibrillation auriculaire, conduite rapidement au ventricule par un faisceau accessoire à période réfractaire antérograde courte, provoquant ainsi une fibrillation ventriculaire (F.V.). La mort subite survient, dans 25 à 56 % des cas, chez des patients qui étaient préalablement asymptomatiques [75]. Les études électrophysiologiques ont montré que le rythme ventriculaire au cours d’une F.V. sur syndrome de W.P.W., responsable de mort subite, est clairement corrélé à la durée de la période réfractaire antérograde de la voie accessoire [48]. Certaines formes, en raison de leurs caractéristiques électrophysiologiques et/ou du terrain, peuvent également être très mal tolérées.
Ceci justifie qu’une évaluation pronostique systématique aussi précise que possible soit effectuée devant tout syndrome de W.P.W., même asymptomatique, car le premier symptôme peut être la mort subite. Cette évaluation passe par deux examens en particulier dont l’un non invasif, l’E.C.G. d’effort, et l’autre invasif, l’exploration électrophysiologique (E.E.P.), ayant l’avantage de fournir des informations beaucoup plus précises et qui représente la méthode de référence [66]. Une fois le diagnostic du syndrome de W.P.W. posé par l’E.C.G. de repos et/ou un Holter E.C.G. il faut dans un premier temps rechercher une cardiopathie associée par l’échocardiographie puis évaluer le pronostic afin de stratifier le risque et décider de la modalité thérapeutique. Les patients identifiés comme à « haut risque » de mort subite pourront bénéficier d’un traitement invasif que constitue l’ablation du ou des faisceaux de Kent par radiofréquence (R.F.) [66]. Depuis environ 15 ans, il s’agit d’une modalité thérapeutique largement pratiquée dans les pays du Nord [17] surtout chez les enfants (69 % dans la série de Kubuš) [49]. Cependant il s’agit d’un traitement invasif, coûteux, non dénué de risque notamment celui d’un bloc auriculo ventriculaire (B.A.V.) iatrogène.
En Afrique, bien qu’il existe peu de données sur le syndrome de W.P.W., deux précédentes études s’intéressant principalement à son évaluation pronostique ont été réalisées au Sénégal dans le service de cardiologie du CHU Aristide Le Dantec. L’ablation par radiofréquence y est également pratiquée depuis le mois de Décembre 2014. Il s’agit du premier travail dans la sous-région consacré à ce volet thérapeutique.
RAPPELS SUR LE SYNDROME DE W.P.W.
HISTORIQUE
Les syndromes de pré-excitation ventriculaire fascinent les électrophysiologistes depuis des décennies [69]. Au début du XXe siècle, plusieurs d’entre eux se sont intéressés à cette « curiosité » électrocardiographique. Ce sera le début d’un long cheminement concernant les pré-excitations ventriculaires, leur complexité, leur manifestation et leur traitement (figure 1). En 1914, l’un de ces investigateurs, Stanley Kent, a rapporté pour la première fois, dans une série d’articles, ses observations à propos de la présence d’une voie de conduction anormale atrio ventriculaire dans le cœur de certains mammifères. Cette connexion anormale portera son nom : « faisceau de Kent ». Cependant, cette découverte ne fit pas l’unanimité et fut contestée par certains de ses pairs, Becker et Sir Thomas Lewis [69]. Le premier exemple électrocardiographique d’une pré-excitation ventriculaire est rapporté la même année par Cohn et Fraser. Mines reconnut que cette voie accessoire pourrait être impliquée dans un circuit de réentrée. Wilson, toujours la même année, fut le premier à évoquer une pré-excitation intermittente. Le mécanisme de la dépolarisation ventriculaire anormale fut incertain pendant des années et certains évoquèrent des causes mécaniques, chimiques ou électriques. Holzmann et Wood ont suggéré que celle-ci serait en rapport avec la conduction par la connexion atrio-ventriculaire anormale. Les variations morphologiques de la partie initiale des complexes QRS étaient « considérées » représenter des variations dans la localisation anatomique des voies accessoires. Ce concept est développé par Rosenbaum qui classe les préexcitations en sous-groupes A et B [72]. En 1930, Wolff, Parkinson et White affirment : « l’association d’un bloc de branche, d’un intervalle PR anormalement court et de crises de tachycardie paroxystiques (fibrillation auriculaire et parfois flutter) chez des jeunes patients en bonne santé avec des cœurs normaux est distinctif et digne de reconnaissance comme un mécanisme jusqu’ici non décrit comme tel ». Ce syndrome portera leur nom : « syndrome de W.P.W. » [98]. Ce sont finalement Wood et Ohnell qui, en 1943, soit 29 ans plus tard, confirment histologiquement la présence de ces connexions musculaires atrioventriculaires. Ohnell a également été le premier à véritablement utiliser le terme « pré-excitation » tandis que Segers décrivait l’empâtement initial du complexe QRS comme une onde delta (onde de Segers). Sa complication, la mort subite par fibrillation ventriculaire, a été suspectée dès 1971. Les premières études électrophysiologiques de ce syndrome chez l’homme datent de la fin des années 1960, établissant le mode de début et de fin des tachycardies paroxystiques ainsi que le circuit de réentrée. Le traitement consistait initialement en une section chirurgicale de la voie accessoire dont le premier succès a été décrit le 2 Mai 1968 par Dr Will C. Scaly [69]. Dans les années 1980, il y a eu plusieurs tentatives d’ablation du faisceau de Kent par voie endocavitaire, d’abord par choc électrique à haute énergie, puis par radiofréquence (R.F.) à la fin de ces mêmes années.
EPIDEMIOLOGIE
La prévalence du syndrome de W.P.W. dans la population générale est difficile à apprécier avec certitude et elle est probablement sous-évaluée. En effet, la plupart des études épidémiologiques ne prennent en compte que les sujets symptomatiques. De plus, les anomalies électrocardiographiques sont parfois intermittentes et il existe des voies accessoires masquées ou cachées, qui ne seront diagnostiquées que lors d’une E.E.P. [71]. Le syndrome de W.P.W. a une incidence de 4 pour 100 000 habitants (respectivement 5,5 chez les hommes et 2,5 chez les femmes) [44] ; celle-ci diminue avec l’âge. Deux pics sont constatés : avant l’âge de 10 ans puis entre la troisième et la quatrième décennie. Sa prévalence se situe aux environs de 1 ‰ mais varie entre 0,2 et 4 ‰ suivant l’âge de la population et le milieu de recrutement (hôpital, population générale) [60]. Dans la majorité des cas, il touche le sexe masculin avec un sexe ratio homme/femme entre 1,5 et 2. Soria avait retrouvé une prévalence de 0,014 ‰ chez les hommes et 0,009 ‰ chez les femmes [83]. Elle touche également des sujets plutôt jeunes, voire des enfants. La prévalence est plus élevée chez les enfants et les adolescents de moins de 16 ans que chez les sujets âgés de plus de 60 ans où elle n’est que de 0,4 ‰. Entre les deux tranches d’âge, elle varie de 0,55 ‰ entre 20 et 39 ans à 0,96 ‰ entre 40 et 59 ans [76]. La fréquence est moindre au-delà de 50 ans, soit par involution spontanée du faisceau avec l’âge, soit par décès prématuré des patients du fait de troubles du rythme graves [16]. Le syndrome de W.P.W. est la deuxième cause de tachycardie supraventriculaire paroxystique dans le monde [75]. La prévalence des anomalies électriques est estimée autour de 0,15 à 0,3 % avec un risque associé de mort subite de 0,5 à 4 % [44]. Celle des formes intermittentes est de 7 % chez les hommes et 16 % chez les femmes. D’après les études épidémiologiques réalisées majoritairement entre les années 1980 et 1990, on estime que 1,5 à 3 % des patients sont symptomatiques. Les tachycardies paroxystiques surviennent à un âge variable et dès la vie intrautérine [75]. L’âge de début des accès de fibrillation atriale est également très variable. Dans 65 à 85 % des cas, le début se fait avant 30 ans mais aussi après 60 ans [77]. La fibrillation atriale « primaire » inaugure la maladie rythmique auriculaire du syndrome de W.P.W. dans 13 % des cas [32].
L’étiologie reste inconnue dans 95 % des cas. Des formes familiales ont été décrites [16] mais non identifiables constamment à cause de la traduction clinique et électrique intermittente de ce syndrome. Elles suggèrent une origine génétique [23], une transmission autosomique dominante [92] ainsi qu’une incidence augmentée chez les apparentés de patients ayant un syndrome de W.P.W. par rapport à l’incidence générale. Dans 20 % des cas, une cardiopathie congénitale est associée [82] et il peut exister des faisceaux multiples dans 10 % des cas [35].
CLASSIFICATIONS
Le point commun entre les différentes classifications est la difficulté de localisation des voies accessoires à partir de l’E.C.G. de surface. Ceci peut être dû à leur nombre, aux insertions atypiques, aux localisations plus sousépicardiques que sous endocardiques et à la conduction antérograde intermittente ou rétrograde exclusive. Ainsi l’ E.E.P. endocavitaire permet de préciser les localisations exactes. Plusieurs classifications, basées sur la polarité de l’onde delta, l’axe du complexe QRS et la transition R/S sont utilisées. Par ordre chronologique, nous distinguons :
Classification de Rosenbaum (1945)
Il s’agit de la première classification ayant été utilisée [72]. Elle est basée sur la morphologie des QRS dans les dérivations précordiales droites et individualise deux types : A et B . Dans le type A : la pré-excitation est ventriculaire gauche. Le faisceau de Kent s’oriente en avant, en bas et à droite avec des déflexions positives dans les dérivations précordiales surtout droites. Une déflexion négative en V6 peut également s’observer.
Dans le type B : la pré-excitation est ventriculaire droite. Le faisceau de Kent s’oriente en arrière et à gauche avec des déflexions négatives dans les dérivations précordiales droites.
Classification de Puech (1955)
Elle identifie deux groupes selon l’exploration endocavitaire et l’orientation de l’onde delta [39], mais reste difficile à appliquer vu l’existence des formes intermédiaires. Dans le groupe A, le ventricule gauche (V.G.) est activé avant le ventricule droit (V.D.). Dans le groupe B, l’activation débute dans le V.D. avant le V.G.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. HISTORIQUE
II. EPIDEMIOLOGIE
III. CLASSIFICATIONS
III.1. Classification de Rosenbaum (1945)
III.2. Classification de Puech (1955)
III.3. Classification de Boineau (1973)
III.4. Classification de Frank et Fontaine (1976)
III.5. Classification de Gallagher (1978)
III.6. Classification de Reddy-Schamroth (1987)
III.7. Classification de Lindsay-Cain (1987)
III.8. Synthèse
IV. ANATOMO-HISTOLOGIE
V. EMBRYOLOGIE
VI. ANATOMO-PATHOLOGIE
VI.1. Le faisceau auriculo-ventriculaire : le faisceau de Kent
VI.2. Les autres connexions
VII. ELECTROPHYSIOLOGIE
VII.1. Voies de conduction normales
VII.2. Caractéristiques électrophysiologiques des voies accessoires
VIII. PHYSIOPATHOLOGIE
IX. ETIOPATHOGENIE ET HISTOIRE NATURELLE
X. SIGNES
X.1. Tableau clinique
X.2. Signes E.C.G du syndrome de W.P.W
X.2.1. L’aspect typique
X.2.2. Variantes électrocardiographiques du syndrome de W.P.W
X.2.3. Localisation du faisceau de Kent grâce à l’E.C.G
XI. PRINCIPAUX TROUBLES DU RYTHME DANS LE SYNDROME DE W.P.W
XI.1. Tachycardie réciproque
XI.1.1. Forme commune ou orthodromique (90%)
XI.1.2. Forme antidromique
XI.2. Fibrillation atriale
XI.3. Flutter atrial
XI.4. Fibrillation ventriculaire (F.V)
XI.5. Tachycardie ventriculaire (T.V)
XII. EVOLUTION – PRONOSTIC
XII.1. Méthode d’évaluation du risque évolutif du syndrome de W.P.W.
XII.1.1. La clinique
XII.1.2. Les méthodes d’exploration non invasives
XII.1.2.1.HOLTER E.C.G des 24 heures
XII.1.2.2.Epreuve d’effort
XII.1.2.3.Les tests pharmacologiques
XII.1.3. Méthode semi-invasive : la stimulation œsophagienne
XII.1.4. Méthode invasive : exploration électrophysiologique (E.E.P)
XII.1.4.1.Principe
XII.1.4.2.Technique
XII.1.4.3.Résultats
XII.1.4.4.Incidents et accidents
XII.2. Modalités évolutives
XII.3. Pronostic
XIII. DIAGNOSTIC
XIII.1. Positif
XIII.2. Différentiel
XIII.3. Diagnostic d’association : cardiopathies associées au syndrome de W.P.W.
XIII.3.1.Cardiopathies congénitales
XIII.3.2.Cardiopathies acquises
XIII.4. Diagnostic étiologique
XIV. TRAITEMENT
XIV.1. Buts
XIV.2. Moyens
XIV.2.1.Les anti-arythmiques
XIV.2.2.L’ablation
XIV.2.3.L’abstention thérapeutique
XIV.2.4.Autres
XIV.3. Indications
XIV.3.1.Traitement de la crise
XIV.3.2.Traitement de fond
XV. BILAN A FAIRE DEVANT UN PATIENT PORTEUR DE SYNDROME DE W.P.W
XV.1. Bilan systématique
XV.2. Indications des explorations invasives
XV.2.1. Patients asymptomatiques
XV.2.2. Patients symptomatiques
CONCLUSION