Restauration de la dent dépulpée : vers de nouveaux paradigmes
Biomécanique de la dent dépulpée : est-elle plus fragile ?
Une dent dépulpée a longtemps été considérée comme étant plus fragile, car déshydratée et ayant perdu ses propriétés neurosensorielles. Cela impliquait qu’une dent dévitalisée devait être couronnée, peu importe son délabrement initial. Cependant, de nos jours, de nombreuses études ont montré que ces deux paramètres ont des conséquences cliniques négligeables. En effet, une déshydratation de la dentine après dépulpation a bien été démontrée, mais cette perte en eau ne concerne que l’eau libre et non l’eau liée au collagène. Elle est inférieure à 9% de l’eau totale, ce qui ne représente pas un déficit significatif. De ce fait, la résistance mécanique en tension ou en compression de la dentine canalaire reste inchangée. Ainsi, cinq à dix ans après le traitement endodontique, la dureté de la dentine de la dent pulpée est comparable à celle de la dent dépulpée. Seule une légère diminution du module d’élasticité est observée.
En revanche, les produits utilisés pour l’irrigation et la désinfection canalaires, tels que l’hypochlorite de sodium, l’acide éthylène diamine tétraacétique (EDTA), ou l’hydroxyde de calcium, interagissent avec le contenu minéral et organique de la dentine. Ils réduisent de manière significative son module d’élasticité, sa résistance à la traction ainsi que sa micro-dureté. En effet, les chélateurs comme l’EDTA diminuent la quantité de calcium contenue dans l’hydroxyapatite dentinaire, par la formation de complexes. Ils affectent également les propriétés non collagéniques de la dentine, aboutissant à une érosion et un ramollissement de la dentine, à l’exception du citrate de sodium. L’hypochlorite de sodium, solution la plus couramment utilisée, a une action protéolytique en fragmentant les longs peptides du collagène dentinaire responsables d’une diminution de la microdureté . Des effets similaires ont également été rapportés suite à l’application prolongée d’hydroxyde de calcium. Cependant les effets des produits endodontiques sont trop faibles pour expliquer une plus forte susceptibilité aux fractures des dents dévitalisées. Toutefois, ces différentes interactions chimiques sont toutes susceptibles d’altérer la qualité des collages intracanalaires.
L’absence d’étanchéité, à la fois de l’obturation endodontique et de la reconstitution coronaire, provoque des phénomènes de corrosion intracanalaire, ce qui explique en partie la fragilité des dents anciennement traitées et souvent dyschromiées. L’augmentation de la déshydratation de la dentine au fil des années est un préjugé, que l’on ne peut pas incriminer dans une éventuelle perte de résistance de la dent. En ce qui concerne les conséquences cliniques des modifications neurosensorielles d’une dent dévitalisée, ces dernières restent négligeables. Le facteur le plus important dans l’affaiblissement mécanique de la dent après traitement endodontique est la perte tissulaire résultant de l’évolution des pathologies carieuses, des tailles cavitaires et des préparations canalaires en vue de l’insertion d’un ancrage radiculaire.
En effet, « la fragilité de la dent dépulpée est proportionnelle à la disparition des tissus cariés ayant conduit à la nécessité du traitement endodontique, et n’est pas imputable à la pulpectomie elle-même. » .
Une étude de Reeh E., Messer H. et Douglas W. a montré que la mutilation liée au traitement endodontique (préparation de la cavité d’accès, préparation canalaire et obturation endodontique) ne modifie que très peu le comportement élastique de 42 prémolaires extraites, soumises à une force occlusale maximale de 111 Newtons. Pour une contrainte constante, la déformation des dents après dépulpation n’augmente en moyenne que de 20% pour la préparation occlusale et de 4 à 6% pour la préparation canalaire par rapport à une dent saine. Cependant, sur ces mêmes prémolaires, la réalisation d’une cavité mésio-occluso-distale, provoque une augmentation de la déformation de plus de 60%. Dietschi a montré que ce type de cavité d’accès combinée à une autre cavité mésio-occluso-distale (MOD), aboutirait à une fragilité dentaire maximale. La réalisation de cavité coronaire supprimant les crêtes marginales a des effets négatifs sur la résistance de la dent. En effet, celles-ci s’apparentent à des poutres de résistance qui s’opposent à la flexion cuspidienne. Elles jouent donc un rôle fondamental dans la résistance de la dent.
Restauration corono-radiculaire RCR
La réalisation d’une RCR foulée ou coulée est un acte quotidien, dont le choix est basé sur le nombre de parois résiduelles, leur hauteur et leur épaisseur après préparation périphérique. Ce choix constitue une grande difficulté à laquelle est confronté chaque praticien, car chaque situation clinique présente ses caractéristiques biomécaniques propres.
On les indique souvent au niveau du secteur antérieur, où les dents présentent un volume coronaire faible (en comparaison avec les molaires), notamment en épaisseur vestibulopalatine. Nous pouvons également avoir recours aux Reconstitutions CoronoRadiculaires (RCR) en secteur postérieur, dans le cas où la perte de substance est trop volumineuse pour une reconstitution partielle collée, ou lorsque nous voulons corriger un axe (nécessité d’axes parallèles dans une restauration plurale par exemple). Les tenons radiculaires ne doivent donc être utilisés qu’en cas d’extrême nécessité, car ils n’amènent aucun renforcement des structures dentaires, mais peuvent au contraire les fragiliser. En effet, lorsqu’un logement pour ancrage radiculaire est réalisé, la déformabilité de la racine est augmentée de 180 %. Le forage pour la réalisation d’une RCR est dangereux pour l’intégrité de la dent ; il présente un risque de perforation de la racine ou du plancher de la dent, et augmente considérablement le risque de fractures radiculaires, car il peut aboutir à un amincissement des parois radiculaires. Si l’axe de réalisation du forage est déjeté, les contraintes occlusales vont s’exercer sur une zone affaiblie (parois radiculaires affinées), réalisant un effet de coin compromettant dramatiquement l’intégrité de la racine.
Des situations cliniques particulières, rendent les tenons radiculaires dangereux.
● Les racines courbes : L’extrémité du tenon ne doit pas dépasser la zone de courbure, ce qui rend certaines racines difficiles à utiliser de façon efficace.
● Les canaux de section ovalaire ou aplatie : la mise en place de tenons préfabriqués dans ces canaux, conduit soit à l’affaiblissement de la racine (si une adaptation précise du tenon est recherchée), soit à une diminution considérable de la rétention du tenon.
● Un danger existe aussi lorsque la dent nécessite une ré-intervention. En effet, la dépose d’un ancrage accentue le risque de fêlures et de fractures.
L’indication d’une reconstitution corono-radiculaire et d’une couronne périphérique est fonction du degré de délabrement de la dent et des limites d’indication des reconstitutions partielles collées. Le choix entre RCR coulée ou foulée est principalement fonction de la quantité de dentine résiduelle.
L’effet de cerclage
L’effet de cerclage représente une bague circonférentielle avec une hauteur minimum de 1.5-2 mm au-delà du joint moignon-dent et ceci sur 360°. En 2002, une étude mesure les contraintes cervicales sur les dents présentant ou non un effet de cerclage. La méthode utilisée est celle de l’analyse numérique par éléments finis. La situation clinique est modélisée, puis le logiciel est configuré selon les propriétés mécaniques des matériaux, leurs conditions de contact et les efforts subits. Le programme permet alors de déterminer comment se propagent les contraintes dans le modèle. On en retire que les contraintes cervicales sont fortement augmentées en l’absence d’effet de cerclage : 230Pa contre 140Pa lorsqu’un effet de cerclage de 2 mm minimum est possible. Une seconde étude en 2006, montre que le cerclage associé à la quantité de tissu résiduel majore la résistance mécanique de la dent soumise à une force à 45° par rapport à son grand axe.
L’effet de cerclage permet la stabilité de la réhabilitation prothétique de toute dent restaurée par un acte endodontique impliquant le système à tenon, car en effet la stabilité de la couronne prothétique dépend de la méthode de préparation de la dent avec la préservation de la structure dentaire circonférentielle, pour éviter des concentrations de contrainte au niveau de la jonction cémento amélaire de la dent restaurée. Elle permet également d’accroître la résistance à la fracture dentaire. Cela est surtout vérifié au niveau des dents antérieures, où les forces transversales sont importantes. À la fin du traitement, la couronne prothétique doit encercler le complexe dentreconstitution corono-radiculaire, préparé selon un modèle de férule adéquat. Cet effet férule au niveau cervical crée une caractéristique antirotationnelle qui assure la stabilité de la couronne. Dans une situation de collage on ne recherche pas le cerclage car la réalisation d’un cerclage périphérique, participe de façon importante à l’élimination de l’émail périphérique et donc à la fragilisation de la dent.
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Table des matières
I. Introduction
II. Restauration de la dent dépulpée : vers de nouveaux paradigmes
1. Biomécanique de la dent dépulpée : est-elle plus fragile ?
2. Restauration corono-radiculaire RCR
3. L’effet de cerclage
4. Le recouvrement cuspidien
III. Endocouronnes
1. Définition
2. Avantages
3. Les matériaux
3.1. Métal
3.2. Composite
3.3. Céramiques
3.4. Les matériaux hybrides
4. Critères décisionnels
5. Préparation
5.1. La préparation occlusale
5.2. La préparation de la chambre pulpaire
5.3. Le polissage
6. Empreinte
6.1. L’empreinte classique
6.2. Les empreintes optiques
7. Temporisation
8. Essayage
9. Collage
9.1. Protocole de collage
9.2. Traitement prothétique
9.3. Traitement dentaire
IV. Place de l’endocouronne parmi les nouveaux concepts de restauration des dents dépulpées
1. L’inlay
2. L’onlay
3. Indications inlay/onlay
4. L’overlay
5. Pour une dent dévitalisée
V. Tableau récapitulatif des critères décisionnels de restauration des dents postérieures dépulpées
Conclusion
Bibliographie