Ressenti des enseignants au moment d’orienter

Ressenti des enseignants au moment d’orienter

Introduction

  L’orientation scolaire n’a pas toujours existé. Pendant de nombreuses années, l’hérédité sociale, les hasards de la vie sociale ou encore les vocations décidaient de la répartition des individus (Bruno & Guinchard, 1996, p.18). Elle fait sa première apparition au 19ème siècle.Elle ne concernait alors que les futurs ouvriers, les travailleurs manuels ou les exécutants.Autrement dit, que ce soit en France ou en Suisse, les lycées et les collèges où se trouvaient majoritairement des enfants de la bourgeoisie échappaient à l’orientation. Cette dernière dépendait presque exclusivement des considérations d’argent, sans vraiment prendre en compte la capacité de l’individu (Bruno & Guinchard, 1996, p.18).Aujourd’hui, l’orientation scolaire, qu’elle soit vaudoise ou non, subit constamment des changements et se trouve généralement au centre des préoccupations politiques. Elle est pourtant trop souvent appliquée comme une procédure. Elle ne tient pas toujours compte des perspectives qui aboutissent à l’insertion professionnelle. De plus elle se décide presque uniquement à partir des résultats de l’élève. (Andreani & Lartigue, 2006, p.9). Dans le canton de Vaud, la votation populaire de 2011 marque, avec l’acceptation de la LEO (Loi sur l’Enseignement Obligatoire), un tournant décisif dans l’histoire du système scolaire.Depuis son entrée en vigueur en 2013, cette nouvelle loi scolaire a engendré de nombreux changements, permettant notamment l’application des dispositions de l’accord intercantonal sur l’harmonisation de la scolarité obligatoire suisse (Accord HarmoS) et de la convention scolaire romande (CSR). La nouvelle loi sur l’enseignement obligatoire propose 150 articles pour remplacer la Loi scolaire de 1984 et ses adaptations liées à la réforme EVM (Ecole Vaudoise en Mutation). La LEO a donc notamment l’avantage de permettre l’harmonisation de l’école vaudoise avec celles des autres cantons. Ce nouveau texte législatif maintient certains points de l’ancienne loi scolaire (missions des directeurs d’établissement, devoirs des enseignants et des élèves, etc.) mais corrige d’autres aspects importants du système comme le nombre de filières au secondaire I (la voie secondaire à options – VSO est regroupée avec la voie secondaire générale – VSG pour former la voie générale – VG ; la voie secondaire baccalauréat – VSB perdure sous le nom de voie prégymnasiale – VP). De plus, avec l’harmonisation intercantonle, l’école devient obligatoire pour tous les enfants dès l’âge de 4 ans révolus au 31 juillet.

Processus d’orientation

  Lors de nos entretiens, il est apparu que 5 enseignants sur 8 trouvent le nouveau processus d’orientation de la LEO plus simple et plus facile en tant qu’enseignant. Mais lors de la question « Dans quel système te sens-tu le mieux ? », nous nous retrouvons avec une égalité de 4 enseignants pour le système de la LEO et 4 pour celui d’EVM. Nous ne pouvons pas dire pour autant que nous nous trouvons face à une égalité de points de vue, car une grande partie des partisans du système LEO le choisissent pour sa simplicité, mais relèvent et déplorent la disparition de la prise en compte du facteur humain. Cette première prise de température montre que les enseignants ne sont pas totalement convaincus par la LEO et certaines remarques font penser que le facteur humain y est pour quelque chose. Par exemple, les enseignants interviewés déplorent l’automatisme de l’orientation :«  J’attends que l’ordinateur me donne les moyennes  » (Entretien 2, L.99), «  Y’a plus que les notes qui comptent  » (Entretien 4. L. 65). Selon l’une de nos hypothèses de départ, l’introduction du nouveau système d’orientation de la LEO déresponsabilise les enseignants vis-à-vis de l’orientation de leurs élèves. Les enseignants nous ont parlé du changement du processus holistique au processus procédurier.Avant, les enseignants étaient mis à contribution dans le processus d’orientation : «  Alors il y avait les notes qui, évidemment, entraient pour une bonne part quand même dans la décision, mais il y avait également la façon de travailler, l’autonomie, le ressenti par rapport à ce que l’élève pouvait faire  » (Entretien 6, L. 15.18). «  On avait des grilles d’évaluation avec en fait quatre parties.

  Les résultats de l’élève, la progression de l’élève, le comportement et l’attitude face aux nouveautés  » (Entretien 1, L. 14-16). Lors du changement de système, la place des enseignants et le poids de leurs observations dans la décision d’orientation a diminué.L’orientation se base sur les résultats obtenus par l’élève. Aucun autre facteur n’est pris en compte. Nous observons que certains enseignants sont déçus et contrariés par le nouveau système : «  T’as pas les points tant pis « (Entretien 1, L.96) « Je trouve ça assez lamentable que ce soit les notes qui décident » (Entretien 1, L. 108-109). Les enseignants déplorent de n’être devenus que de simples spectateurs de l’orientation. Certains culpabilisent, comme s’ils étaient l’élément déclencheur de l’orientation : « Je suis plus stressée parce qu’on plus de pression sur les notes qu’on met. » (Entretien 4, L. 101-102). Bien que l’on observe que les enseignants n’apprécient pas tous les aspects du système d’orientation de la LEO, cela ne signifie pas que l’orientation sous EVM était appréciée par  les enseignants : « Beaucoup de pression » (Entretien 1, L. 50), « Je trouve que c’était un moment difficile parce que tu avais ce poids sur tes épaules » (Entretien 5, L.41-42). Aucun des deux systèmes ne convient à tous les enseignants.Ce sont deux systèmes différents qui ont tous les deux des partisans et des détracteurs. Le fait même d’orienter est un moment délicat : « Pour moi, ça a toujours été très pénible, parce que j’avais quelque part l’impression de catégoriser les élèves » (Entretien 7, L.47-48).

Les pratiques évaluatives

  L’évaluation est au centre de toutes les préoccupations durant la scolarité. Les parents veulent voir de bonnes notes de la part de leurs enfants qui, eux, angoissent à l’idée d’être évalués.Les notes sont omniprésentes et font partie intégrante du système scolaire vaudois. Les pratiques évaluatives entre EVM et LEO ont-elles changé ? C’est à cette question que nous aimerions répondre dans les paragraphes suivants en nous basant sur les différents entretiens que nous avons menés.Hormis les notes, la progression de l’élève, son comportement, son autonomie, ou alors son attitude face à la nouveauté, étaient aussi pris en compte avec EVM. Nous nous attarderons ici uniquement aux évaluations et non pas aux autres critères d’EVM. Avant tout, il nous paraît évident d’expliciter le terme évaluation. En premier lieu, les évaluations permettent d’élaborer un bilan des connaissances et des compétences acquises par les élèves. Ces bilans, exprimés sous forme de notes sont à la base des décisions d’orientation en 8ème Harmos par exemple.Cette décision repose sur les résultats des évaluations sommatives des élèves, appelée aussi évaluation certificative. Tout au long de l’année, les enseignants évaluent au moyen de travaux significatifs qui constituent les éléments essentiels de l’évaluation sommative (DFJC, Cadre général de l’évaluation, 2015, p.6). D’une manière générale, on constate, dans nos différents entretiens, qu’avec EVM la majorité des enseignants n’avaient pas de directives concernant l’évaluation. Selon leurs dires, ils pouvaient s’adapter et construisaient leurs évaluations en fonctions du Plan d’études vaudois (PEV). Avec la LEO, sur les huit enseignants, tous ont déclaré qu’ils construisaient l’évaluation avec des directives émises dans leurs établissements.

  Deux enseignants doivent préparer des tests en commun et la majorité doivent mettre les objectifs sur la page de garde des évaluations. Ils déclarent tous que les objectifs sont désormais plus explicites et sont plus détaillés. Trois enseignants affirment qu’ils doivent adopter une échelle régulière mais qu’ils peuvent l’élargir en dessous de 4 afin d’éviter de trop mauvaises notes et ainsi éviter les redoublements. Concernant le seuil de réussite, deux enseignants reçoivent l’injonction de le fixer obligatoirement à 60% alors qu’une autre enseignante doit le faire à 65%. Un quatrième dit devoir utiliser la même échelle pour tous les tests, tandis que les derniers n’ont pas de directives internes pour la fixation des seuils. Cela montre d’ores et déjà que les pratiques évaluatives sont différentes dans un établissement à l’autre malgré des directives détaillées du Département.

Ressenti des enseignants au moment d’orienter

  Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser aux ressentis des enseignants au moment d’orienter ainsi qu’aux changements qu’ils perçoivent entre EVM et la LEO. Dans nos hypothèses, nous pensions que les enseignants sont désormais plus stressés avec le système LEO à cause de l’importance des notes. Nous pensions également qu’ils sont désormais moins proches de leurs élèves et les poussent moins à progresser ou fournir un travail plus conséquent. Avec la LEO, nous imaginions que les enseignants seraient déresponsabilisés et seraient moins attentifs à leurs élèves à cause notamment du fait que seules les notes sont prises en compte et que la progression ou l’autonomie des élèves n’était plus des composantes du processus d’orientation.Nous avons donc demandé aux enseignants comment ils se sentaient au moment d’orienter avec le système EVM. Dans nos entretiens, six enseignants ont déclaré être mis sous pression au moment d’orienter avec EVM tandis que deux enseignants étaient à l’aise. Leur pression était due principalement aux attentes des parents. La plupart trouvaient très pénible les entretiens avec ces derniers à cause des critères d’orientation jugés alors comme trop subjectifs. Avec la LEO, cinq enseignants ont déclaré être plus à l’aise et disent avoir vu leur travail diminuer. Un enseignant affirme même ne plus être concerné par l’orientation. La majorité déclare que les objectifs sont plus clairs. Cependant, trois enseignants disent être désormais mis sous pression en permanence à cause des notes des élèves. Nos hypothèses se confirment et nous constatons que, pour la plupart des enseignants, ce sont principalement les discussions avec les parents qui provoquent du stress : « Beaucoup de pression, des parents qui en général ne donnaient pas signe durant toute l’année et tout d’un coup se réveillaient et disaient « non, mais moi je veux que mon enfant soit orienté comme ci, comme ça etc. » alors que y’avait pas eu de suivi auparavant. Donc énormément de pression de la part des parents sur les enseignants et sur les enfants » (entretien 1, l. 50-54). Le fait que les enseignants soient déresponsabilisés à présent se confirme également avec l’entretien : « Je trouve que c’était un moment difficile parce que tu avais ce poids sur tes épaules » (entretien 5, l. 41-42). De plus, comme mentionné, avec EVM on appliquait un traitement holistique en prenant l’entier de l’élève ce qui pouvait parfois être subjectif pour trois enseignants. Avec EVM, c’était à l’enseignant de décider du sort de ses élèves. C’était à lui de juger et parfois les jugements pouvaient être difficiles à émettre: « Il y a quand même un peu de pression parce qu’il y a des élèves pour lesquels on est pas sûr et certain » (entretien 6, l. 34-35).

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Table des matières

1. Remerciements
2. Introduction
3. Question de recherche 
4. Hypothèses
5. Concepts de référence
6. Méthodologie
7. Contexte : le système EVM versus le système LEO
8. Analyse des entretiens
8.1 Processus d’orientation
8.2 Les pratiques évaluatives
8.3 La collaboration
8.4 Ressenti des enseignants au moment d’orienter
9. Conclusion
10.Bibliographie 
11.Annexes
11.1 Questionnaire
11.2 Entretiens
11.3 Tableau de synthèse
Résumé

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