Mécanisme et cinétique de lacatalyse enzymatique
L’enzyme, lors de son interaction avec le substrat, modifie la réactivité moléculaire en formant un complexe enzyme-substrat, elle forme un état intermédiaire. Elle facilite la réaction du substrat par une nette accélération et ce sans modifier les fonctions thermodynamiques de celle-ci, en abaissant, ainsi, la barrière de l’énergie d’activation de la réaction et d’augmenter le nombre de molécules susceptibles de réagir (Figure 10). La plupart des réactions catalysées par les enzymes répondent à un mécanisme réactionnel de type Michaelis et Menten (1913). Ce modèle est basé sur la formation du complexe EnzymeSubstrat qui se forme rapidement, ensuite il est lentement converti en produit (Schéma 2). Où: Enz : Enzyme, S : Substrat, P : Produit. [Enz.S] : Complexe Enzyme-Substrat. k+1 et k-1 : Constantes de vitesses de la réaction de formation du complexe enzyme-substrat qui est un équilibre rapide. kcat: Constante de vitesse de l’étape la plus lente ; c’est la constante de vitesse de l’enzyme. Cette constante est appelée aussi TON (turnover) par le fait qu’elle représente le nombre de molécules converties en produit par le site actif enzymatique par unités de temps. La vitesse initiale d’une réaction biocatalysée (V0) croit avec la concentration initiale en substrat [S]0jusqu’à un maximum Vmax(Figure 11). Les paramètres cinétiques vmaxet Km sont importants pour la caractérisation et l’évaluation de l’activité d’une enzyme, puisque cette dernière est nettement dépendante de paramètres décisifs pour la catalyse enzymatique à l’instar de la température, le pH, la présence d’un cofacteur, d’un activateur ou d’un inhibiteur qui peuvent affecter son bon fonctionnement en la dénaturant.
DCL couplée à une stéréoinversion chimique
Cette technique de déracémisation des alcools secondaires et des amines se déroule « in situ » sans faire appel à une étape de racémisation. Elle consiste en deux étapes consécutives, la première est un dédoublement cinétique biocatalysé hautement énantiosélectif (hydrolyse ou transestérification) suivi d’une réaction chimique dans laquelle interviendra une inversion de la configuration de l’un des énantiomères. Parmi les réactions chimiques les plus utilisées lors de ce processus, nous citons la réaction de Mitsunobu, qui est largement utilisée avec succès pour la déracémisation des acétates et des alcools secondaires. Ce processus de déracémisation a été étudié au sein de notre laboratoire, par l’association du protocole de Mitsunobu à la réaction de dédoublement cinétique par transestérification et par hydrolyse lipasique d’une série d’alcools benzyliques secondaires chiraux et leurs acétates correspondants. Nous citons l’exemple de la déracémisation de l’indanol, où l’acétate correspondant de configuration (R), est obtenu énantiopur via l’acylation lipasique67et son antipode optique est obtenu énantiomériquement enrichi via une hydrolyse alcaline.
Influence de la nature de la lipase
La nature de la lipase est un des facteurs déterminants pour élaborer des réactions de DCL. Ce paramètre consiste, dans les pluparts des études décrites, comme la première étape déterminante, de la réactivité et de la sélectivité des lipases étudiées vis-à-vis un substrat sélectionné. Dans ce contexte, d’innombrables exemples sont disponibles dans la littérature. A titre d’exemple nous citons l’acylation énantiosélective lipasique du rac-N-Boc-1,2,3,4- tetrahedroquinolin-4-ol, en utilisant l’acétate de vinyle comme donneur d’acyle dans le tertiobutylméthyléther. Afin de trouver la lipase adéquate pour dédoubler cet arylalkylcarbinol, les auteurs ont examiné plusieurs lipases84 (Schéma 25). L’utilisation de la Novozyme 435, a donné lieu au deux énantiomères, acétate (R) produit et alcool (S) résiduel énantiomèriquement purs, à une conversion de 50%, et un facteur de sélectivité E > 200, en faveur de l’énantiomère (R). L’utilisation de la CAL-A n’a montré aucune sélectivité, les deux énantiomères de l’alcool racémique ont transformés totalement avec les mêmes vitesses en l’ester racémique correspondant (C=100%). Tandis qu’avec la lipase TL IM, le produit est obtenu avec un excès énantiomèrique modéré (48%) à une conversion de 67%, alors que l’énantiomère résiduel est obtenu énantiopur. De même pour les amines, la lipase de CAL-B a montré sa performance lors du DCL d’une amine primaire avec l’acétate d’éthyle avec un avancement de 19%, en faveur de l’énantiomère acétamide (R)-, par contre la PCL était totalement inactive, et ce, après cinq jours de réaction.
Alcools secondaires et leurs acétates correspondants
Cette catégorie de substrats est amplement étudiée en dédoublement cinétique lipasique, soit par transestérification et par estérification dans les milieux organiques soit par hydrolyse dans les milieux aqueux ou biphasiques, mais le nombre de publications concernant la transestérification et plus important que l’hydrolyse, et ce par le bien des avantages lies a la manipulation dans les milieux organiques. Ils donnent souvent d’excellentes énantiosélectivités par rapport aux alcools primaires et tertiaires qui sont plus délicats à résoudre, et généralement, les alcools benzyliques et cycliques sont les bons candidats pour un dédoublement cinétique lipasique, par rapport aux aliphatiques, cela dû principalement au formes des sites actifs lipasiques et leurs reconnaissance chirale. Il existe une large variété d’exemples de dédoublement des alcools secondaires fournis par la littérature. Nous en choisissons ici quelques-uns pour démontrer la facilité d’accès de cette catégorie de substrats énantiomériquement enrichis. Dans ce contexte, nous citons l’acylation lipasique des analogues du chroman-4-ol et du thiochroman-4-ol, qui a été établi par le biais de la lipase de Burholderia cepacia (BCL), en utilisant l’acétate de vinyle comme donneur d’acyle dans le TBME.90 (Schéma 29). Les résultats obtenus montrent que la nature de l’hétéroatome adjacent du noyau aromatique affecte considérablement l’énantiosélection lipasique.
Influence du solvant (co-solvant)
Le solvant joue un rôle important dans les réactions de dédoublement cinétique enzymatique. Plusieurs travaux ont démontré l’utilité de choisir des solvants qui contiennent un minimum d’eau pour que l’enzyme fonctionne dans les milieux organiques. La présence d’un excès de molécules d’eau (wa) autour du site actif lipasique peut, soit réduire l’énantiosélectivité enzymatique, soit engendrer une modification de la conformation de la lipase ce qui induit un inversement de l’énantiosélection. Généralement, en catalyse enzymatique, la polarité des solvants organique est désignée par une corrélation entre l’hydrophobicité d’un solvant organique et le facteur LogP, le logarithme du coefficient de partition entre le n-octanol et l’eau. Les solvants non-polaires avec un LogP>2 sont les plus sollicités pour les réactions de transestérification enzymatique. Cette règle reste empirique. Des tests préalables doivent être effectués sur une gamme de solvants pour chaque réaction de dédoublement enzymatique.
Influence de la nature du nucléophile en fonction de l’hydrophobicité du solvant
Deux paramètres essentiels peuvent intervenir directement sur le processus catalytique enzymatique d’un dédoublement cinétique : la nature du nucléophile et celle du solvant organique, nous les avons étudiés dans la réaction d’alcoolyse du phényléthyl acétate 1a. Nous avons choisis sept alcools de différentes structures, primaires, secondaires et tertiaires (linéaires et substitués): Méthanol, Ethanol, n-propanol, n-butanol, 2-propanol, 2-butanol, tbutanol utilisés avec deux solvants organiques d’hydrophobicité différente : le di-isopropyl éther et le toluène. L’alcoolyse du phényléthyl acétate racémique 1a est effectuée par 2 équivalents d’alcools de différentes structures (primaire, secondaire et tertiaire)en présence d’une quantité catalytique de 12 mg de CAL-B dans 2 ml de solvant organique. La réaction est menée sous agitation magnétique thermostatée à 40°C durant 24 heures (Schéma 60).L’évolution de la réaction est suivie par chromatographie sur couche mince. Les mélanges réactionnels sont filtrés sur célite puis évaporés sous vide. L’avancement et les rendements des alcools obtenus sont évalués par GC. Les excès énantiomériques des acétates résiduels et les alcools obtenus sont déterminés par chromatographie en phase gazeuse chirale. Les résultats obtenus sont réunis dans le Tableau4ci-après. Les résultats du Tableau 4, montrent une haute sélectivité de la CAL-B lors de la déacylation du 1a avec un facteur de sélectivité E >500 en faveur de l’énantiomère (R)-alcool, quelque soit les nucléophiles testés, et ce, dans les deux solvants utilisés. Par contre, la réactivité lipasique est modulée selon la nature et de la longueur de la chaîne carbonée du nucléophile mis en jeu que ce soit dans le DIPE ou le toluène, la conversion varie entre 15%<C<44%. On constate un taux d’avancement maximal de la déacylation à C = 44%, qui est probablement due à une concurrence entre les deux nucléophiles présents dans le milieu réactionnel que sont l’alcool, nucléophile introduit lors de l’alcoolyse enzymatique (entrées 1 et 9) et l’eau de l’enzyme.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIÈRE PARTIE : REVUE DE LA LITTERATURE
INTRODUCTION DE LA PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE I : LES ENZYMES ET LEURS APPLICATIONS
I-1-INTRODUCTION
I-2-Généralités sur les enzymes
I-2-1-Définition
I-2-2-Structure des enzymes
I-2-3- Fonctionnement des enzymes
I-2-4 -Classification des enzymes
I-2-5 -Avantages et inconvénients des enzymes
I-3-Mécanisme et cinétique de la catalyse enzymatique
I-4-Application industrielles des enzymes
I-5-Les lipases
I-5-1-Définitions et origines
I-5-2-Réactions catalysées par les lipases
I-5-3-Moded’action des lipases
I-5-4-Avantages de l’emploi des lipases dans un milieu organique
I-5-5- Les règles empiriques de Kazlauskas sur l’énantiopréférence lipasique
I-6-Mode d’accès aux molécules énantiomériquement enrichies par les lipases
I-6-1- Par dédoublement cinétique lipasique
I-6-2 – Par un Processus de déracémisation
I-6-2-a – DCL couplée à une stéréoinversion chimique
I-6-2-b – Par dédoublement cinétique dynamique
I-6-3- Par désymétrisation lipasique
I-7- Application des lipases dans la synthèse des molécules à visée thérapeutiques
I-7-1- Synthèse du Crizotinob
I-7-2- L’Ibuprofène
I-7-3- Synthèse de Rivastigmine
I-7-4- Synthèse du mèsylate Rasagiline
I-8-CONCLUSION
CHAPITRE II : Dédoublement cinétique lipasique
II-1-INTRODUCTION
II-2- Le dédoublement cinétique lipasique
II-2-1- Principe
II-2-2- Paramètres d’évaluation d’un DCL irréversible
II-2-3- Les réactions menées par un DCL
II-3- Facteurs influent un dédoublement cinétique lipasique
II-3-1- Influence de la nature de la lipase
II-3-2- Influence de la structure du substrat à dédoubler
II-3-3- Influence de la nature du donneur /accepteur d’acyle
II-3-4- Influence du solvant (co-solvant)
II-3-5- Influence de la température
II-4- Travaux antérieurs du laboratoire
II-5-CONCLUSION
CONCLUSION DE LA PREMIÉRE PARTIE
OBJECTIFS DE LA THÈSE
DEUXIEME PARTIE : RESULTATS ET DISCUSSIONS
INTRODUCTION DE LA DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE III : ALCOOLYSE ÉNANTIOSÉLECTIVE D’ACÉTATES BENZYLIQUES CHIRAUX CATALYSÉE PAR LA CAL-B
III-1-INTRODUCTION
III-2-Problématique posée
III-3-Mise au point bibliographique
III-4-choix des modèles d’étude
III-4-1-choix des substrats
III-4-2-choix des nucléophiles
III-4-3-Choix de l’enzyme
III-5-Etude de l’alcoolyse lipasique des acétates benzyliques choisis
III-5-1-Influence de la nature du nucléophile en fonction de l’hydrophobicité du solvant
III-5-2-Influence de l’addition du tamis moléculaire lors de l’alcoolyse du 1a
III-5-3-Effet de la nature du nucléophile lors de l’alcoolyse des acétates [2a3a]
III-5-4-Validation des conditions de la déacylation par alcoolyse enzymatique
avec des acétates d’intérêt pharmacologique [1a-7a]
III-6-CONCLUSION
CHAPITRE IV : DÉACYLATION PAR AMINOLYSE LIPASIQUE D’ARYLALKYL ACÉTATES
IV-1-INTRODUCTION
IV-2- Objectifs de l’étude
IV-3- Aperçu bibliographique
IV-4- Etude de la déacylation par aminolyse catalysée par la CAL-B des acétates [1a-7a]
IV-4-1- Mise au point de la réaction de Déacylation par aminolyse du 1- phényléthyl acétate 1a
IV-4-2- Déacylation des acétates [1a-7a] en présence de l’Et3N: Impact de la quantité de la CAL-B
IV-4-3- Explications et hypothèses
IV-4-4-Déacylation versus acylation du 1-phenyléthyléthanol : Profil Cinétique des déacylation de l’acétate 1a
IV-5-CONCLUSION
CHAPITRE V: AMINOLYSE LIPASIQUE DE QUELQUES ACIDES CARBOXYLIQUES ET DE LEURS DÉRIVÉS
V-1-INTRODUCTION
V-2-Objectifs de l’étude
V-3- DC par aminolyse lipasique d’acides carboxyliques chiraux et dérivés
V-3-1-Aperçu bibliographique
V-3-2- Les modèles de l’étude
V-3-3- Synthèse des racémiques
V-3-3-a- Synthèse des esters d’Ibuprofène racémiques (Estérification de Fischer)
V-3-3-b- Synthèse des amidoprofènes racémiques
V-3-4- Mise au point de la réaction de DC par aminolyse lipasique des acides chiraux
V-3-5- Scope de la réaction d’aminolyse sur quelques acides et dérivés esters
V-3-6- Aminolyse de l’ibuprofène par différentes amines
V-4- DC par amidification lipasique d’amines chirales
V-4-1- Aperçu bibliographique
V-4-1- a- Influence de la nature de l’enzyme
V-4-1- b- Influence de la nature du solvant
V-4-1- c- Influence de la nature du substrat
V-4-1- d- Influence de la nature du donneur d’acyle
V-4-2- Choix des modèles de l’étude
V-4-3-Synthèse des amides racémiques
V-4-4- Dédoublement par amidification lipasique d’amines primaires
V-5-CONCLUSION
CONCLUSION GÉNÉRALE
PARTIE EXPÉRIMENTALE
ANNEXES
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