L’interférométrie astronomique a déjà une longue histoire derrière elle. Et pourtant, il s’agit encore d’un domaine à la pointe de la recherche en instrumentation. La raison en est simple: l’interférométrie a besoin d’une technologie très originale et exigeante pour fonctionner. Les outils et les méthodes d’observation interférométriques en sont encore aujourd’hui au stade de la recherche, alors même que de très grands interféromètres terrestres et spatiaux sont appelés à enrichir les moyens d’observation astronomiques dans les années à venir.
Même après des siècles, la mesure des distances dans l’Univers est toujours un problème fondamental de l’Astronomie. Pour une bonne part, notre connaissance de l’Univers à l’échelle intergalactique et cosmologique est due à une classe d’étoiles variables très importante, les Céphéides. Elles possèdent la particularité d’être d’autant plus brillantes que leur période de pulsation est longue. Et la relation logarithmique entre ces deux paramètres est très bien établie et fiable… sauf pour un seul paramètre, l’ordonnée à l’origine, aussi appelée point zéro. Dans la Section 3, je décris le travail que j’ai mené sur la Céphéide z de la constellation des Gémeaux en utilisant l’interféromètre FLUOR/IOTA. L’enjeu de ces observations est la détermination de la distance à laquelle se trouve cette étoile, grandeur indispensable pour étalonner la relation période-luminosité qui rend les Céphéides si irremplaçables.
Cependant, FLUOR/IOTA n’est pas assez performant pour mesurer les variations de taille des Céphéides. Un pouvoir de résolution plus élevé, et une précision de mesure plus grande sont indispensables pour étudier ces étoiles minuscules. Dans la Section 4 je décris en détails l’instrument interférométrique de recombinaison VINCI, à la conception et à la réalisation duquel j’ai participé activement. Cet instrument est installé au coeur du plus grand interféromètre optique du monde, le Very Large Telescope Interferometer (VLTI), situé au sommet du Cerro Paranal, au nord du Chili. Les moyens mis en oeuvre sont impressionnants: quatre télescopes géants de 8 mètres de diamètre, plusieurs télescopes de 1,8 m et trois instruments de recombinaison. Lorsque l’observatoire tout entier se tournera vers une source unique, quel potentiel de découverte!
Résolution angulaire d’un télescope monolithique
Les interféromètres sont des systèmes complexes, délicats, et à la sensibilité relativement limitée. Pourquoi donc construit-on actuellement des interféromètres géants en plusieurs endroits de la planète? La réponse tient en un mot: leur résolution.
Expression théorique
En fait de résolution, il faudrait plutôt parler de pouvoir de résolution angulaire, mais le terme précédent est une abréviation passée dans le langage courant de l’astronome. Le pouvoir de résolution angulaire d’un instrument optique est sa capacité à séparer deux points (on dit aussi résoudre deux points) situés à une faible distance angulaire l’un de l’autre. L’angle de séparation en dessous duquel les deux points apparaissent confondus est la limite de résolution encore appelée résolution de l’instrument. Elle est souvent exprimée en secondes d’angle (dont l’abréviation est « , et qui vaut 4,848 10⁻⁶ radians) pour les télescopes classiques et en millisecondes d’angle pour les interféromètres astronomiques (aussi appelées milliarcsecondes par abus de langage, dont l’abréviation est mas). On commence à entrevoir dans ce terme tout l’intérêt de l’interférométrie, mais j’y reviendrai un peu plus loin. Une parenthèse pour compliquer un peu les choses, un télescope est d’autant plus résolvant que la valeur numérique de son pouvoir de résolution est basse. Un télescope de 50 centimètres de diamètre, qui a un pouvoir de résolution de 0,3″, est plus résolvant qu’une lunette astronomique de 10 centimètres, de pouvoir de résolution 1,6 » (ces valeurs sont données aux longueurs d’onde visibles).
Et si maintenant on veut atteindre une résolution d’un centimètre sur la Lune (ou bien faire une image d’une autre Terre située à environ 20 années lumière) alors on doit simplement construire un télescope de 28 kilomètres de diamètre… Outre que mécaniquement et optiquement un tel télescope est totalement impossible à réaliser (une focale de plusieurs dizaines de kilomètres…), il ne permettrait jamais, installé au sol, d’atteindre sa résolution théorique. La raison en est simple: la Terre possède une atmosphère (et c’est fort heureux…).
Atmosphère
La traversée de l’atmosphère ne se passe jamais sans quelques incidents pour une onde lumineuse en provenance d’une étoile… Le front d’onde est la surface imaginaire où la phase d’une onde, lumineuse dans notre cas, est constante. Le front d’onde émis par une source ponctuelle est sphérique, mais pour une source stellaire située à une très grande distance, il est extrêmement proche d’un plan. L’effet destructeur de l’atmosphère sur le front d’onde provient de l’inhomogénéité thermique de l’air. Des bulles d’air plus chaud (et donc moins dense) sont en permanence en mouvement, entraînées par la poussée d’Archimède ou bien brassées dans des vortex de turbulence. Tout irait pourtant bien si l’indice de réfraction de l’air était parfaitement constant. Mais il ne l’est pas malheureusement, et sa dépendance en fonction de la température est la source de tous les problèmes de résolution à partir des observatoires au sol. Le changement d’indice à l’interface entre une bulle d’air chaud et un milieu environnant d’air froid par exemple produit une variation de phase locale du front d’onde (Figure 1). En termes moins techniques, l’image de l’étoile sera floue pour un télescope d’un diamètre D plus grand que la taille r0 de la bulle.
En réalité, les cellules turbulentes (les « bulles ») se succèdent à une fréquence très élevée devant le télescope et ont des formes variées. Le résultat est une dégradation globale de la qualité de l’image fournie par le télescope. Pour évaluer l’étendue du problème, on peut adopter le modèle de Taylor. Ce modèle postule que les cellules influençant la phase du front d’onde sont figées sur une surface en deux dimension, qui se déplace devant l’ouverture du télescope avec une vitesse v. On définit de plus une grandeur caractéristique de la dimension de ces cellules: le paramètre de Fried, noté r0 et défini comme la longueur sur le front d’onde pour laquelle on observe un écart-type de 1 radian sur la phase. En plus de dépendre de la température, l’indice de réfraction de l’air dépend aussi de la longueur d’onde. De ce fait, les cellules n’ont pas la même taille pour toutes les longueurs d’onde, ce qui indique que r0 dépend de la longueur d’onde. La dépendance est précisément en r0 µ l 6/5 ce qui signifie que pour les longueurs d’onde infrarouges par exemple, la phase du front d’onde sera moins affectée que dans le visible.
Optique adaptative
Une fois l’atmosphère franchie, le front d’onde est déformé aléatoirement autour de sa surface moyenne. L’idée de base de l’optique adaptative est de mesurer les variations de phase Dj sur le front d’onde déformé, et de lui additionner en temps réel un déphasage -Dj. De cette manière, le front d’onde retrouve sa planéité et l’image redevient nette. Pour mesurer le déphasage, la pupille du télescope est découpée en petits éléments d’une taille comparable au paramètre de Fried r0 sur lesquels on mesure la dérivée première du front d’onde (senseur Shack-Hartmann) ou sa dérivée seconde (senseur de courbure). Dans le premier cas, on mesure simplement le déplacement latéral de l’image de l’étoile formée par la sous-pupille, et dans le second cas on observe la défocalisation de l’image de l’étoile. Une fois la forme du front d’onde mesurée, on effectue la correction nécessaire pour rectifier le front d’onde -Dj grâce à un miroir déformable. Il peut être commandé par exemple par des translateurs piezo-électriques.
Ouvrages de base
Les principes généraux de l’interférométrie sont simples, mais leur mise en oeuvre pratique en astronomie atteint un haut niveau de complexité. La brève introduction donnée ici ne vise pas du tout à l’exhaustivité, et je conseille vivement au lecteur souhaitant approfondir ses connaissances de se référer aux ouvrages suivants:
Introduction to Fourier Optics and Coherence de J.-M. Mariotti, publié dans Diffraction- Limited Imaging with Very Large Telescopes, p. 3-31 (1989). Un excellent article pédagogique qui présente une démonstration rigoureuse des concepts mathématiques liés à la formation des images et à l’interférométrie. La présentation simplifiée donnée ici est inspirée de la démarche de cet article.
Principles of Long Baseline Stellar Interferometry, ouvrage collectif sous la direction de Peter R. Lawson, Michelson Fellowship Program, publication NASA-JPL 00-009 (2000). Cet excellent ouvrage rassemble les notes de cours de l’école d’interférométrie Michelson du JPL qui a lieu annuellement. Les articles ont été rédigés par les meilleurs spécialistes mondiaux, et couvrent tous les aspects de l’interférométrie optique d’une manière particulièrement didactique. Cet ouvrage est disponible en téléchargement libre à l’adresse internet suivante: http://sim.jpl.nasa.gov/library/coursenotes.html
Astrophysique – Méthodes physiques de l’observation, de Pierre Léna, éditions InterEditions/CNRS Editions (1996). D’un abord facile, cet ouvrage de référence en langue française donne les connaissances de base sur toutes les techniques d’observation astronomiques. Il présente notamment de manière synthétique les propriétés de l’atmosphère ainsi que les principes de l’interférométrie et de l’optique de Fourier.
Selected Papers on Long Baseline Stellar Interferometry, de Peter R. Lawson, SPIE Press, MS 139 (1997). Tous les articles fondateurs de l’interférométrie sont reproduits dans cet ouvrage de référence, depuis les papiers originaux de Fizeau et Michelson jusqu’aux années 1990. Ce livre donne une vision d’ensemble passionnante de la génèse d’un domaine nouveau de l’astronomie, avec ses échecs et ses réussites.
Millimeter Interferometry, ouvrage collectif sous la direction de S. Guilloteau, école d’été de l’Institut de Radio-Astronomie Millimétrique (1999). Bien que les longueurs d’ondes ne soient pas les mêmes, les principes fondamentaux restent les mêmes que dans le domaine optique. Les techniques de reconstruction d’images et de mosaïques d’images font l’objet d’une partie très intéressante, en préparation à l’utilisation du mode PRIMA du VLTI. Cet ouvrage est disponible librement à l’adresse internet: http://iram.fr/IS/imiss.html
Principles of Optics, de Max Born et Emil Wolf, 6ème édition, Cambridge Univ. Press (1997). Le livre d’optique. Tous les concepts fondamentaux sont décrits avec une rigueur inégalée, même si la formulation est parfois un peu ardue. Peut-être difficile à aborder comme livre d’introduction, il est irremplaçable comme référence sur les concepts mathématiques à la base de l’interférométrie.
Optics, de Eugene Hecht, 3ème édition, Addison-Wesley (1998). Cet ouvrage est certainement l’un des best sellers des livres universitaires d’optique. Il présente, sous une forme claire, une grande variété de concepts d’optique, avec de nombreuses illustrations et figures. Les parties sur l’optique de Fourier et la théorie de la cohérence sont de bonnes introductions à ces sujets parfois un peu abstraits.
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Table des matières
1. Introduction
2. Principes de l’interférométrie stellaire
2.1. Résolution angulaire d’un télescope monolithique
2.1.1. Expression théorique
2.1.2. Atmosphère
2.1.3. Temps de cohérence
2.1.4. Optique adaptative
2.2. Cohérence de la lumière et interférométrie
2.2.1. Introduction
2.2.2. Pupille
2.2.3. Diffraction et image
2.2.4. Théorème de Zernike-Van Cittert
2.2.5. Résolution en interférométrie
2.3. Mesure du facteur de cohérence
2.3.1. Estimateur utilisé sur l’instrument VINCI
2.3.2. Etalonnage des mesures
2.3.3. Modèle stellaire de disque uniforme
2.3.4. Fibres monomodes et piston atmosphérique
2.4. Imagerie interférométrique
2.5. Ouvrages de base
3. Zeta Geminorum et l’étude des Céphéides par interférométrie
3.1. Le problème de l’estimation des distances dans l’Univers
3.1.1. Introduction
3.1.2. Les barreaux de l’échelle des distances cosmologiques
3.1.3. La loi période-luminosité des Céphéides
3.1.4. Méthodes de mesure des distances aux Céphéides
3.2. Etude de la Céphéide z Geminorum avec FLUOR
3.2.1. L’instrument FLUOR/IOTA
3.2.2. Article z Gem (A&A 2001)
3.2.3. Relation période-luminosité semi-empirique
3.3. Limitations de FLUOR/IOTA
3.3.1. Longueur de la base
3.3.2. Limitations opérationnelles et répétabilité
4. VINCI et le VLTI: un accès à la très haute résolution angulaire
4.1. L’interféromètre du Very Large Telescope (VLT)
4.1.1. Présentation générale
4.1.2. Article de présentation du VLTI (SPIE 2000)
4.2. L’instrument VINCI
4.2.1. Introduction et historique
4.2.2. Philosophie
4.2.3. Présentation générale de VINCI
4.2.4. Le corrélateur optique fibré MONA
4.2.5. Sensibilité à l’environnement du coupleur triple
4.2.6. Stabilité opto-mécanique
4.2.7. Système logiciel
4.2.8. Aspects opérationnels
4.3. La caméra LISA
4.3.1. Principe de fonctionnement
4.3.2. Focalisation du doublet
4.3.3. Image de la sortie du toron
4.3.4. Fréquences utilisables
4.3.5. Gain et bruit de lecture
4.3.6. Densité spectrale de puissance du bruit
4.3.7. Effet de mémoire et fonction de transfert de modulation
4.3.8. Améliorations prévues
4.4. Précision théorique et outils de simulation
4.4.1. Sources de bruit
4.4.2. Calcul du temps d’exposition
4.4.3. Biais de centrage
5. Premières Franges à Paranal !
5.1. Installation de VINCI
5.1.1. Autotest
5.1.2. Autocollimation
5.2. Premières observations stellaires avec les sidérostats
5.2.1. Qualité des données
5.2.2. Les TROBs
5.2.3. Alpha Hydrae, le premier diamètre
5.2.4. Sirius, première étoile de référence
5.2.5. R Leonis, un bel effet de supersynthèse
5.2.6. Alpha Centauri A et B, la séquence principale
5.2.7. Alpha1 Herculis, faible visiblité
5.2.8. V806 Centauri, bonne précision de mesure
5.2.9. Alpha Scorpii, premier zéro de la fonction de visibilité
5.2.10. Gamma Crucis, une « étoile ESO »
5.2.11. Autres étoiles
5.3. Couplage des télescopes de 8 mètres Antu (UT1) et Melipal (UT3)
5.3.1. Premières franges avec les grands télescopes !
5.3.2. Galerie de portraits
6. Tests du VLTI
6.1. Stabilité du laboratoire
6.1.1. Modalités des tests
6.1.2. Tilt des faisceaux
6.1.3. Stabilité de la différence de marche
6.2. Autocollimation, performances des lignes à retard
6.2.1. Turbulence dans le tunnel
6.2.2. Stabilité de la différence de marche dans le tunnel
6.2.3. Régularité du mouvement des lignes à retard
6.2.4. Boucle de métrologie des lignes à retard
6.3. Comportement des sidérostats
6.3.1. Guidage
6.3.2. Différence de marche
6.4. Performances de VINCI sur le ciel
6.4.1. Précision statistique
6.4.2. Efficacité interférométrique
6.4.3. Productivité, fiabilité
6.5. Evolutions possibles
6.5.1. Suivi des franges à haute fréquence
6.5.2. Dispersion spectrale
6.5.3. Mise à jour du détecteur
6.5.4. Bandes spectrales H et L
6.5.5. Interférométrie double champ
6.5.6. Extension à quatre faisceaux
7. Conclusion