Dans les régions semi-arides (zones recevant moins de 600 mm de pluies en moins de 3 mois ; Carrière, 1996), la population locale est généralement dépendante des ressources naturelles et notamment des ressources forestières (Pote et al., 2006). Dans ces régions, la végétation fournit à l‘homme une variété de biens et de services (Op. cit.), notamment du fourrage pour les petits ruminants (Rabeniala et al., 2009), du bois de feu et de la matière première pour la fabrication de charbon de bois (Abule, Snyman et Smit, 2007). Dans ces régions, les petits ruminants dont les caprins dominent le secteur de l‘élevage (Landau et al., 2000). Ils constituent la principale source de viande rouge pour de nombreux paysans (Op. cit.). À ce titre, ils contribuent à l‘amélioration du niveau de vie du ménage et occupent une place importante dans l‘économie régionale (voire mondiale ; Mahieu et al., 2008).
Quant au charbon de bois, il constitue l‘une des principales sources d‘énergie domestique dans les pays sous-développés et principalement en Afrique (Ramamonjisoa, 1993 ; Mahiri et Howorth, 2001 ; Oduori et al., 2011). Il est le plus souvent consommé localement. Toutefois des pays comme la Somalie en exportent (Oduori et al., 2011). La pratique du charbonnage peut entraîner la dégradation et l‘épuisement des ressources végétales. Dans certaines zones semi-arides, la coupe de bois pour la production de charbon de bois ou de bois de chauffe vient en seconde place, derrière le surpâturage, en ce qui concerne les causes de la dégradation des terres (Wezel et Bender, 2004). Les fourrés xérophiles présents au niveau de la Commune rurale de Soalara-Sud (Région AtsimoAndrefana, Madagascar) font également face au pâturage des petits ruminants (PR) et à la fabrication de charbon de bois (CB) qui constituent les principaux moyens d‘existence de la population locale. Le fonctionnement de ces écosystèmes forestiers est peu connu, en particulier leur interaction avec les pratiques humaines que sont le pâturage des PR et la fabrication de CB. Ce travail contribue à combler cette lacune en analysant les impacts de la fabrication de CB et du pâturage des PR sur le fonctionnement des écosystèmes de fourré xérophile (diversité, régénération naturelle et production).
Hormis l‘introduction et la conclusion, ce travail comporte cinq parties : (1) l‘état de l‘art, problématique et hypothèses, (2) le site d‘étude, (3) les matériels et méthode, (4) les résultats et (5) la discussion qui en découle. La problématique tourne autour de l‘interaction entre la population locale et les fourrés xérophiles de la Commune rurale de Soalara-sud qui est le site d‘étude. La méthode adoptée se base sur l‘inventaire floristique et l‘estimation de la biomasse par coupe systématique suivie d‘un pesage direct pour étudier les impacts de la fabrication de CB et le pâturage des PR sur les fourrés xérophiles. Les résultats obtenus font état des individus matures (plante dont la hauteur totale est supérieure à 1,30 m) des fourrés xérophiles et de la régénération naturelle (plante dont la hauteur totale est inférieure à 1,30 m). Enfin, la discussion porte sur la résilience des fourrés xérophiles face à ces deux principales activités (fabrication de CB et pâturage des PR) notamment à travers l‘analyse de la régénération naturelle.
Notions se rapportant à l’étude : Perturbation et résilience
Dans cette étude la définition du terme perturbation rejoindra celle de Cordonnier (2004) qui l‘entend comme tout événement discret dans le temps et dans l‘espace provoquant une réduction de la biomasse ou une mortalité des entités fondamentales du système, par exemple les arbres du peuplement forestier ou bien les espèces représentatives de l‘écosystème en question. De cette définition, il ressort que les perturbations peuvent être caractérisées par leur nature : d‘origine naturelle ou anthropique, leur intensité : faible ou élevée et leur fréquence. Les perturbations se présentent comme des éléments nécessaires à la dynamique des écosystèmes en général et des écosystèmes forestiers en particulier, notamment en termes de biodiversité (Buma et Wessman, 2012). En effet, d‘après la théorie de la perturbation intermédiaire (Intermediate Disturbance Hypothesis ou IDH ; Connell, 1978), la richesse spécifique est reliée à la perturbation et son absence conduirait au développement de formations végétales mono ou pauci spécifiques (Sheil et Burslem, 2003).
Le concept de perturbation est également lié à la notion de résilience. Si l‘intensité des perturbations affectant l‘écosystème dépasse un certain seuil, l‘ensemble des facteurs et des processus contrôlant son intégrité et son fonctionnement peut être altéré de façon significative (Holling, 1973). Dans le cas des perturbations d‘origine anthropiques, au moins deux types de seuils peuvent être différenciés : les seuils inhérents aux facteurs biotiques, à l‘exemple de la disponibilité en stock de graines viables, et ceux liés aux facteurs abiotiques dont la réduction de la disponibilité en eau, la dégradation des propriétés physico-chimique du sol… et au-delà desquels la régénération spontanée de l‘écosystème sera très difficile voire impossible (Mora et al., 2012). La résilience peut être définie de deux manières : la résilience au sens de l‘ingénierie et la résilience au sens de l‘écologie (Cordonnier, 2004 ; Martin, 2005). La résilience en ingénierie se définit comme le temps que met un système soumis à une perturbation à reprendre son état antérieur une fois que cette dernière n‘agit plus (Pimm, 1984). Tandis que la résilience écologique est la capacité d’un écosystème, d’un habitat, d’une population ou d’une espèce à retrouver un fonctionnement et un développement normal après avoir subi une perturbation importante (facteur écologique ; Holling, 1973). Cette seconde définition est celle qui est adoptée dans cette étude.
La disposition de connaissance et/ou de données sur la couverture végétale et sa composition sont nécessaire pour étudier la structure et le fonctionnement de l‘écosystème considéré (Munson, Webb et Hubbard, 2011). Aussi, la résilience de l‘écosystème des fourrés xérophiles aux perturbations que sont le pâturage des PR et la fabrication de charbon de bois peut être évaluée par l‘observation des variations des paramètres (diversité, structure, régénération et production primaire) de fonctionnement de l‘écosystème le long de gradients d‘intensité de ces perturbations. Une différence significative entre ses paramètres indiquerait une faible résilience et le contraire (absence de variation) démontrerait la résilience face aux perturbations considérées.
État de l’art
De nombreuses études ont été réalisées sur l‘impact du pâturage des petits ruminants sur les écosystèmes en zone aride et semi-aride et particulièrement les fourrés xérophiles (Archer, 2004 ; Peco, Sánchez et Azcárate, 2006 ; Pueyo, Alados et Ferrer-Benimeli, 2006 ; Anderson et Hoffman, 2007 ; Mahieu et al., 2008 ; Angassa et Oba, 2010 ; Louhaichi et al., 2012). Il a été notamment démontré qu‘un pâturage peu soutenu stimulait la dynamique végétale où un accroissement de la diversité était constaté (Peco et al., 2006). En effet, la prédation des herbivores affecte surtout les espèces dominantes, équilibrant ainsi le phénomène de compétition en atténuant l‘exclusion des espèces minoritaires (Smith et Rushton, 1994). Les animaux jouent également des rôles importants dans la dispersion des graines viables pour bon nombre de plantes (phénomène d‘endozoochorie ; Malo et Suarez, 1995 ; Fischer, Poschlod et Beinlich, 1996). En outre, l‘effet mécanique du broutage crée des troués favorables aux individus de régénération (Heady et Child, 1994).
À contrario, lorsque le pâturage est trop soutenu, il peut induire des impacts allant de la baisse du taux de recouvrement de la végétation à des pertes considérables en biodiversité : disparation de certaines espèces voire de l‘écosystème même (McIvor, 2001). La baisse du recouvrement végétal rend le sol vulnérable à l‘érosion notamment l‘érosion éolienne (Whitford et al., 1995 ; Okin, Murray et Schlesinger, 2001) qui entraîne une baisse de la fertilité et une destruction de la structure du sol (Faraggitaki, 1985 ; Scholl et Kinucan, 1996). La perte en biodiversité s‘opère principalement lorsque la consommation des PR dépasse la capacité régénérative des espèces arbustives (Faraggitaki, 1985 ; Manzano et Navar, 2000). La disparition de ces dernières va, à leur tour, avoir des conséquences néfastes sur la faune notamment les insectes (Molina et al., 1999), les oiseaux (Thiele, Jeltsch et Blaum, 2008) et favorisera l‘invasion biologique par des espèces exotiques (Moleele et Perkins, 1998 ; Abule et al., 2007).
Végétation et sols
La zone d‘étude appartient à la zone éco-floristique semi-aride de basse altitude (Cornet et Guillomet, 1976). Une grande partie du site est occupée par des fourrés xérophytiques à Didiereaceae et à Euphorbiaceae (Op. cit.). La famille endémique des Didiereaceae est représentée par 4 genres (Didierea, Alluaudia, Alluaudiopsis et Decaryia) et 11 espèces (WWF, 2008). En se référant à Razanaka (1996), deux types de fourrés peuvent y être distingués : des hauts fourrés xérophiles arbustifs sur la partie orientale et des bas fourrés xérophiles arbustifs sur la partie occidentale longeant la mer. Pour les hauts fourrés dominés par Didierea madagascariensis Baillon (Didiereaceae), la hauteur de la strate supérieure varie de 4 à 6 m avec des émergeants pouvant atteindre 10 m ou plus. La strate inférieure de nature discontinue est composée de Commiphora humbertii H. Perrier (Burseraceae), Commiphora lamii H. Perrier, et par Croton spp. (Euphorbiaceae). Ces formations se développent sur les séries dunaires sub-littorales constituées de sables roux à roux rouge (Razanaka, 1996).
Quant aux bas fourrés, leur hauteur moyenne dépasse rarement les 4 m. Ils sont essentiellement caractérisés par Euphorbia stenoclada Baillon (Euphorbiaceae), Euphorbia laro Drake, Grewia grevei Baillon (Malvaceae) et Albizia sp. Durazz. (Fabaceae). La strate inférieure fermée est surtout caractérisée par Cordyla madagascariensis R. Viguier (Fabaceae), Cordyla humbertii et Cordyla simplicifolia. Ces formations occupent des stations exceptionnellement sèches, situées sur des sols très filtrants (sable beige) ou des lithosols de dalles calcaires marneuses ou gréseuses (Razanaka, 1996).
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Table des matières
Introduction
I État de l‘art, problématique et hypothèses
I.1 Notions se rapportant à l‘étude : Perturbation et résilience
I.2 État de l‘art
I.3 Problématique
I.4 Hypothèses et question de recherche
II Site d‘étude
II.1 Localisation
II.2 Climat
II.3 Végétation et sols
II.4 Milieu humain
II.4.1 Démographie
II.4.2 Activités économiques
II.4.2.1 Élevage des petits ruminants
II.4.2.2 Fabrication de charbon
III Matériels et méthode
III.1 Relevés floristiques
III.1.1 Méthodes de relevé
III.1.1.1 Type et forme des unités d‘échantillonnage
III.1.1.2 Type d‘échantillonnage
III.1.2 Inventaire floristique par échantillonnage probabiliste stratifié
III.1.2.1 Échantillonnage et stratification
III.1.2.2 Dispositif d‘échantillonnage et taille des placeaux
III.1.2.3 Paramètres à relever
III.2 Production : estimation de la biomasse
III.2.1 Méthodes d’estimation de la biomasse
III.2.1.1 Les méthodes indirectes
III.2.1.2 Les méthodes directes
III.2.2 Pesage de la biomasse
III.2.2.1 Mesure de la biomasse fraîche par coupe systématique
III.2.2.2 Mesure de la matière sèche en laboratoire
III.3 Analyse des données
III.3.1 Analyse floristique
III.3.1.1 Indices de diversité
III.3.1.2 Structure spatiale
III.3.1.3 Analyse de la régénération naturelle
III.3.2 Analyse statistique
III.3.2.1 Vérification de la normalité
III.3.2.2 Vérification de l‘égalité des variances
III.3.2.3 Comparaison des moyennes des indices de diversité et de structure
III.3.2.4 Comparaison des médianes des taux de régénération
III.3.2.5 Comparaison des proportions des espèces sans régénération et des espèces sans individus matures
III.3.2.6 Analyse factorielle de la composition floristique
IV Résultats
IV.1 État de la végétation mature
IV.1.1 Composition floristique des arbustes et des lianes
IV.1.2 Diversité et structure
IV.1.3 Biomasse aérienne
IV.2 État de la régénération naturelle
IV.2.1 Composition floristique
IV.2.2 Diversité et structure
IV.2.3 Taux de régénération
IV.2.4 Étude de la régénération des principales espèces fourragères et charbonnières
V Discussion
V.1 Discussion de la méthodologie
V.1.1 Échantillonnage
V.1.2 Méthode d‘estimation de la biomasse fiable mais coûteuse
V.2 Discussion des résultats
V.2.1 Sol : principal facteur conditionnant la composition floristique arbustive
V.2.2 Indices de diversité et de structure des individus semenciers peu affectés par les pratiques humaines
V.2.3 Réduction de la biomasse ligneuse suite à la fabrication de charbon de bois
V.2.4 Diversité et structure des individus de régénération, peu affectées par les perturbations d‘origine anthropique
V.2.5 Mauvaise régénération des fourrés xérophiles
Conclusion
Bibliographie