La problématique du comportement effectif des assemblages de fibres a été abondamment étudiée dans la communauté scientifique. Le travail précurseur de Cox (1952) a permis d’établir un comportement effectif d’un réseau de ressorts à partir d’une hypothèse de déformation homogène du milieu. Par la suite, des systèmes plus riches constitués d’un assemblage de poutres ont suscités un intérêt collectif grandissant compte tenu de la place centrale qu’ils occupent dans le domaine de la mécanique des matériaux cellulaires et des tissus biologiques. A ce sujet, on peut distinguer au moins deux communautés scientifiques qui proposent chacune des approches différentes du calcul du comportement effectif. La communauté des chercheurs en mécanique des matériaux cellulaires emploie couramment l’analyse structurelle en association avec le développement asymptotique des champs cinématiques (Gibson et Ashby, 1997; Tollenaere et Caillerie, 1998; Pradel et Sab, 1998). Dans le cas des milieux périodiques, cette approche aboutit à une loi de comportement effective explicite dont on peut extraire les modules élastiques. Arabnejad et Pasini (2013) présente un tableau résumé des modules élastiques pour quelques assemblages périodiques communs.
La communauté des (bio)physiciens s’intéresse principalement au comportement effectif des tissus biologiques et des matériaux polymères. Les difficultés supplémentaires induites par la microstructure désordonnée et le comportement potentiellement non linéaire des fibres suggèrent l’utilisation de la simulation discrète (Huisman et al., 2007) pour déterminer le comportement effectif en fonction des paramètres tels que la densité (Head et al., 2003b; Heussinger et Frey, 2007), la courbure des fibres (Onck et al., 2005) ou la distribution des raideurs élastiques (Bai et al., 2011).
Energie élastique du réseau de fibres de Navier-Bernoulli
On considère un réseau de fibres élastiques initialement rectilignes en déformation dans le plan (O, e1, e2). Les fibres ne sont chargées qu’à leurs extrémités que constituent les jonctions nodales du réseau . On suppose par ailleurs que les jonctions sont indéformables (les fibres sont encastrées à leurs extrémités) de sorte que seules les fibres contribuent à l’énergie élastique de déformation. On suppose que les fibres se comportent selon un modèle de poutre de Navier-Bernoulli en élasticité linéaire. On note n = {i, j} la fibre d’indice n reliant les nœuds numérotés i etj du réseau. Par ailleurs, on note `n sa longueur initiale et tn (resp. qn) le vecteur unitaire tangent orienté de i vers j (resp. orthogonal à la fibre). La cinématique d’un tel réseau est décrite par les champs de déplacement nodaux ui et de rotation i (voir figure 1.1.b). Ainsi, chaque nœud possède 3 degrés de liberté (deux déplacements et une rotation).
Localisation de la cinématique continu
La localisation des champs cinématiques continus dépend principalement de la microstructure du milieu. Par exemple, dans le cas d’un réseau aléatoire de fibres de NavierBernoulli, des études numériques ont montrées que la déformation moyenne à l’échelle du volume élémentaire représentatif dépend de la densité de fibre : la déformation moyenne d’un milieu fibreux très dense est quasi-homogène alors que celle d’un milieu dilué est hétérogène (Head et al., 2003b; Huisman et al., 2007). Cette différence s’explique par les modes de déformation de fibres. L’élancement des fibres étant plus grand dans le milieu dilué, leurs énergies de déformation seront principalement dominées par les changements de courbures. Dans le cas d’un réseau dense, c’est la déformation longitudinale des fibres qui est prépondérante (Head et al., 2003a).
On adopte ici une procédure de localisation classique qui suppose que l’échelle de variation des champs continus est plus grande que l’échelle de la microstructure (caractérisée ici par la longueur moyenne des fibres du réseau).
Effet d’échelle et solutions évanescentes
Le milieu homogène équivalent présenté dans la section précédente a été obtenu avec l’hypothèse de localisation (1.7) qui suppose que la longueur moyenne des hétérogénéités est petite devant l’échelle de longueur caractéristique de la déformation sur le VER. En pratique, l’hypothèse précédente se justifie lorsque la moyenne des petites perturbations du champ de déformation dues à la microstructure s’annule sur le VER. Dans le cas d’un milieu périodique, la pertinence de l’expression (1.11) dépend de l’écart entre le champ de déformation réel et sa moyenne. Cependant, dans le cas d’un milieu désordonné, nous avons supposé implicitement que l’échelle des hétérogénéités est négligeable devant l’échelle macroscopique d’étude (le VER du réseau discret étant l’équivalent d’un point matériel dans le milieu continu, nous avons implicitement séparé ces deux échelles). Par conséquent, on peut s’interroger sur la nécessité d’utiliser une description de Cosserat pour le milieu équivalent effectif. En effet, dans le cadre de l’homogénéisation des milieux de Cosserat périodiques hétérogènes, Forest et al. (2001) ont employé les développements asymptotiques double échelle afin de déterminer le milieu homogène équivalent. Ils ont montré que la nature du milieu homogène équivalent dépend de la hiérarchie des échelles de longueur du problème.
Simulation discrète de réseaux fibreux
Pour confronter la raideur exacte d’un milieu fibreux à la raideur homogénéisée présentée au chapitre précédent, on souhaite se munir d’un outil de simulation discrète du réseau fibreux. La littérature dédiée à ce sujet est abondante et propose plusieurs variantes des méthodes couramment utilisées en dynamique moléculaire (Allen et Tildesley, 1989) et adaptées à la simulation des matériaux polymères. Par exemple, les travaux de Head et al. (2003b) sur le comportement mécanique des réseaux de cytosquelettes reposent largement sur la simulation discrète. Leur méthode est basée sur la minimisation d’une fonctionnelle d’énergie hamiltonienne qui dépend d’un vecteur d’état du réseau. La déformation longitudinale d’une fibre dépend de la distance des deux noeuds aux extrémités de la fibre. Pour calculer la déformation de flexion, une articulation est ajoutée au centre de chaque fibre auquel on associe une raideur angulaire. Ainsi, l’énergie est une fonction hamiltonienne qui dépend des déplacements nodaux et des rotations aux centres de chaque fibre. Cette approche a été reprise par Onck et al. (2005) et étendue au cas des fibres avec courbure initiale au repos.
Méthode de minimisation de l’énergie élastique
Le minimum de l’énergie potentielle est atteint à l’équilibre, lorsque le gradient de l’énergie s’annule. Pour atteindre ce minimum, on utilise une méthode itérative de descente, dont le principe est d’effectuer une minimisation dans cette direction de descente estimée à partir du gradient de l’énergie (Avriel, 2003). Le processus est répété à chaque itération (nouvelle estimation de la direction de descente, puis nouvelle minimisation) jusqu’à atteindre un seuil de tolérance défini sur la norme du gradient de l’énergie. En pratique, on utilise la méthode de Broyden-Fletcher Goldfarb-Shanno (BFGS) dont le principe est de construire une approximation de l’inverse de la dérivée seconde de l’énergie (Avriel, 2003). Cet inverse est utilisé pour appliquer une méthode de Quasi-Newton où la raideur tangente est utilisée à chaque itération pour résoudre un problème linéaire et mettre à jour la position du minimum. L’algorithme suppose que la fonction d’énergie peut être approchée localement par un développement limité quadratique autour de l’optimum. Dans ce chapitre, nous avons présenté la résolution d’un problème générique qui ne dépend pas de la topologie du réseau. En effet, cette dernière est utilisée comme donnée d’entrée au solveur numérique et devra être créée au préalable par un module externe que l’on décrit brièvement ici. Le module de génération du réseau permet de positionner et d’orienter des fibres dans le plan selon une loi de probabilité donnée par l’utilisateur. A chaque positionnement d’une nouvelle fibre, on recherche ses intersections potentielles avec les autres fibres déjà en place. Les intersections détectées constituent les nouvelles jonctions nodales du réseau et auront pour effet de segmenter la fibre en plusieurs tronçons. Remarquons que seuls les tronçons de fibre situés entre deux nœuds participent à la raideur mécanique du réseau. Les extrémités des fibres (tronçons reliés à un seul nœud) peuvent donc être supprimées. Le réseau est ensuite exporté dans deux fichiers ASCII contenant les informations sur la topologie : liste des nœuds avec leurs positions, liste des fibres avec leurs modules élastiques et les indices des deux nœuds aux extrémités de chaque fibre (une fibre correspond à un tronçon situé entre deux nœuds).
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Table des matières
Introduction
I Introduction au comportement élastique des réseaux de fibres
1 Réseau fibreux désordonné : du discret au continu
1.1 Introduction
1.2 Energie élastique du réseau de fibres de Navier-Bernoulli
1.3 Milieu continu équivalent micropolaire
1.3.1 Localisation de la cinématique continu
1.4 Modules élastiques des assemblages périodiques et désordonnés
1.4.1 Cas des réseaux périodiques
1.4.2 Cas du réseau aléatoire
1.5 Effet d’échelle et solutions évanescentes
1.5.1 Longueur d’onde des solutions
1.6 Milieu continu équivalent au réseau de ressorts
2 Simulation discrète de réseaux fibreux
2.1 Introduction
2.2 Réseau de ressorts
2.2.1 Problème aux limites en déplacement
2.2.2 Conditions périodiques en déformation imposée
2.3 Réseau de poutres de Navier-Bernoulli
2.3.1 Problème aux limites en déplacement
2.3.2 Conditions périodiques en déformation imposée
2.4 Méthode de minimisation de l’énergie élastique
3 Application aux assemblages périodiques et désordonnés
3.1 Introduction
3.2 Elasticité des réseaux périodiques
3.2.1 Modules élastiques homogènes équivalents
3.2.2 Effet d’échelle
3.3 Elasticité du réseau désordonné de Poisson
3.3.1 Module élastique homogène équivalent
3.3.2 Comportement mécanique du voile de fibre de verre ADFORS
II Milieux continus unilatéraux
4 Milieu continu unilatéral
4.1 Introduction
4.2 Milieu continu bi-module
4.2.1 Ressorts à raideurs asymétriques
4.2.2 Directions en compression
4.2.3 Energie potentielle élastique
4.2.4 Loi de comportement
5 Outil numérique de simulation d’un milieu bi-module
5.1 Introduction
5.2 Formulation forte continue
5.3 Formulation faible continue
5.4 Forme matricielle du problème (P2)
5.4.1 Forme discrète de la densité d’énergie potentielle wˆ
5.4.2 Forme discrète du travail des efforts donnés
5.4.3 Forme discrète du potentiel de pénalité
5.4.4 Système matriciel complet et schéma de résolution
5.5 Méthode de continuation numérique
5.6 Densité d’énergie potentielle du milieu bi-module
5.7 Validations
5.7.1 Traction uniaxiale en grande déformation
5.7.2 Singularité de contrainte en pointe de fissure
6 Etude numérique de l’interaction de fissures en milieux unilatéraux
6.1 Déformation uniaxiale sur une éprouvette non fissurée
6.2 Eprouvette fissurée
6.2.1 Localisation de la contrainte
6.2.2 Analyse en pointe de fissure
6.2.2.1 Singularité de la contrainte
6.2.2.2 Répartition angulaire de l’anisotropie de la déformation
6.3 Eprouvette avec deux fissures débouchantes
6.3.1 Géométrie et conditions aux limites
6.3.2 Solutions numériques
6.4 Eprouvette multi-fissurée
6.4.1 Géométrie et conditions aux limites
6.4.2 Solutions numériques
6.5 Approche théorique des régions auto-équilibrés libres de contrainte
6.5.1 Régions auto-équilibrées et libres de contrainte
6.5.2 Cas de l’éprouvette avec fissures « balistiques »
6.5.3 Cas de l’éprouvette multi-fissurée
6.6 Application : encadrement énergétique de la solution
6.6.1 Approche en contrainte
6.6.2 Approche en déformation
7 Identification du comportement bi-module du voile de fibres de verre par mesures de corrélation d’images
7.1 Introduction
7.2 Identification expérimentale de loi de comportement
7.2.1 Mesures de champs par corrélation d’images
7.2.2 Identification du paramètre ⌘ par la méthode FEMU-U
7.3 Installation expérimentale
7.3.1 Dispositif d’Arcan
7.3.2 Montage général
7.4 Résultats (préliminaires)
Conclusion
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