Représentations locales des changements environnementaux

Les manifestations pour le climat se multiplient, la conscience écologique a gagné en importance sur la place publique et les questions autour de l’avenir et des changements environnementaux à venir sont de plus en plus prégnantes. Ce que nous appelons le réchauffement climatique est devenu une des grandes préoccupations du XXIe siècle. Il est actuellement difficile de nier que l’action humaine agit sur son environnement naturel et provoque les dérèglements qu’il rencontre. Les émissions de gaz à effet de serre, la hausse des températures, la fonte des glaciers, ou encore la montée du niveau des océans sont autant d’éléments représentatifs quand on parle de ce phénomène. Au-delà du constat des impacts physiques, il est nécessaire de considérer l’enjeu qui réside dans les effets socio-économiques de ces modifications. Ces changements sont lourds de conséquences sur le mode de vie des êtres humains et varient, dans les effets et leur intensité, en fonction des régions du monde concernées. Les sociétés touchées et leur organisation, qu’elle soit économique, politique ou sociale, se modifient pour faire face aux mouvements des milieux dans lesquels elles évoluent.

Étudier la façon dont ces modifications s’opèrent est un des intérêts de l’approche géographique, considérant les sociétés et les individus qui les composent dans leur interaction avec l’espace. Ce dernier peut être défini comme l’ « ensemble de relations spatiales sous leurs formes matérielles, immatérielles et idéelles, établies par une société en un temps donné entre tous les objets sociétaux distincts » (LÉVY, LUSSAULT 2013 : 357). De ce point de vue, l’environnement et la société sont donc en constante interaction et agissent l’un sur l’autre. « L’espace géographique ne se réduit pas à [la] matérialité située entre nature et société, mais il est, avant tout, cette matérialité » (DI MÉO 1990 : 361) D’un côté, cette influence mutuelle se fait sur le plan physique, les gens façonnant leur habitat tout en étant conditionnés par celui-là, ce plan physique entrainant aussi des modifications d’organisation sociétale. De l’autre, elle agit sur le plan de la pensée, dans les perceptions et représentations. Cet aspect me semble particulièrement intéressant car il permet de poser un certain regard sur les changements environnementaux et la façon dont ils sont vécus et perçus par des personnes dans un contexte donné. En ce sens, le réchauffement climatique peut être vu comme « une réalité “construite” » car, comme le dit Michel-Guillou, « parce qu’elle réfère à des modèles collectifs de pensée, cette réalité n’est pas individuelle mais socialement partagée » (2014 : 652). Ainsi, considérer que la perception d’une réalité est propre à chacun·e ainsi qu’à chaque société et que cela entraîne la création d’imaginaires, de représentations sociales sur cette réalité permet de poser un autre regard sur les phénomènes liés au réchauffement climatique. Cette réflexion autour de la question climatique comme modèle collectif de pensée est partie d’une volonté d’étudier les migrations liées à ce phénomène en contexte insulaire. L’île étant souvent la représentation-même d’un espace en danger vis-à-vis des changements environnementaux, il est devenu courant de visualiser ses habitants comme des réfugiés climatiques en latence et ainsi, d’en faire les visages humains de la crise environnementale actuelle. Tous ces termes faillissent cependant à représenter la complexité et l’hétérogénéité des dynamiques qui les sous-tendent, ces dernières variant en fonction des contextes. Souhaitant comprendre comment la migration jouait un rôle dans les stratégies d’adaptation de la population d’un village appelé Nungwi, au nord de l’île d’Unguja à Zanzibar (Tanzanie), j’ai été très vite confrontée à une réalité perçue et vécue différemment des attentes que j’avais pu en avoir. En me demandant pourquoi je n’observais pas d’émigrations dans un contexte où les effets, autant physiques que socio-économiques, se font largement sentir, j’ai réalisé l’importance de multiples facteurs dans la manière de percevoir, de se représenter et de réagir aux changements environnementaux. Mon idée était que l’explication de la non-migration ne résidait pas dans l’absence des effets nuisibles des changements environnementaux mais plutôt dans le regard qui y était porté par les individus. « Information about climate change does not connect with all cultures and worldviews in the same way » (ADGER ET AL. 2013 : 113). C’est pourquoi, pour saisir les enjeux du phénomène, pour en saisir les effets, il faut adopter une perspective contextualisée. A l’échelle de Nungwi, cela amène à considérer les dimensions politiques, culturelles, économiques, sociales ou encore touristiques dans l’analyse de la façon dont la population vit cette réalité.

La littérature sur les perceptions du changement climatique a tendance à se concentrer sur des populations « occidentales » et plusieurs études s’intéressent à la façon dont les Européens ou les Nord-américains voient le phénomène pour comprendre leur scepticisme ou leur engagement voire leur activisme (e.g. JASPAL ET AL. 2014 ; BONNEMAINS 2016 ; CLAYTON, MANNING 2018). Mon objectif et de partir de leur questionnement, en l’appliquant à une zone géographique différente pour comprendre les enjeux que le contexte local peut soulever. Cependant, sans vouloir analyser une dichotomie entre acceptation et déni du phénomène, mon intérêt est de m’intéresser aux représentations des changements environnementaux pour comprendre en quoi elles peuvent jouer sur la capacité d’adaptation d’une population et, dans ce cas, l’appréhension de la migration. L’objectif de ce travail est ainsi de participer à une réflexion que la littérature scientifique a encore peu abordée.

CHANGEMENTS ENVIRONNEMENTAUX 

On peut définir le changement climatique comme « une variation de l’état du climat que l’on peut déceler (…) par des modifications de la moyenne et/ou de la variabilité de ses propriétés et qui persiste pendant une longue période, généralement pendant des décennies ou plus. Il se rapporte à tout changement du climat dans le temps, qu’il soit dû à la variabilité naturelle ou à l’activité humaine » (GIEC 2007 : 30, in MICHEL-GUILLOU 2014 : 651). Cependant, je privilégierai dans ce travail l’utilisation du terme changements environnementaux. L’idée étant de comprendre le rapport entretenu par la population avec les modifications de son environnement et ce, sans faire l’évaluation des éléments climatiques qui sont liés à l’activité humaine ou à des variations naturelles. Cette considération s’appuie sur le fait que je n’ai, d’une part, pas l’expertise me permettant de définir ce qui est lié à l’un ou l’autre et, d’autre part, ce n’est pas l’optique de ce mémoire. Ainsi, le terme plus général me permettra de considérer le regard porté sur des phénomènes recoupant les effets des humains sur le climat aussi bien que les aléas environnementaux. Je mobiliserai cependant d’autres termes, pour parfois alléger la lecture, mais en les surlignant en italique dans le texte, indiquant ainsi leur caractère plus courant.

De plus, bien que l’attestation des changements environnementaux soit établie dans la communauté scientifique, il s’agit d’un concept qui est sujet à débat au sein de la société, de par son caractère peu perceptible et sa nature de pronostic. Les individus et groupes sociaux portent un regard sur la construction sociale du concept qui varie, dans le sens commun, en fonction de différents critères d’appartenance. La considération du changement climatique en tant que construction sociale induit une notion de croyance en ce que ce concept véhicule. Dans ce cadre, « la dimension spatiale est particulièrement importante dans l’évaluation des problèmes environnementaux » (ibid. : 653). Cet aspect dénote tout l’intérêt d’étudier la façon dont une population, dans un contexte spatial précis, perçoit et se représente le phénomène à la lumière de sa réalité sociale, économique ou encore politique.

PERCEPTIONS ET REPRÉSENTATIONS

Mon intérêt se porte sur la manière dont les individus interprètent leur espace et, dans ce cas ses modifications, pour comprendre quel rôle joue cette dimension dans l’étude des migrations en lien avec l’environnement. Ces interprétations découlent des perceptions et représentations à ce sujet et il est donc central de définir clairement ces concepts et leur utilisation pour aborder mon propos. Dans ce travail, les deux termes seront mobilisés sans faire état d’une distinction prononcée car, comme nous le verrons plus loin, ils sont considérés comme interconnectés et trouvent tout deux fonction, dans le propos de ce mémoire, pour pouvoir rendre compte de l’interprétation locale de la réalité de Nungwi.

La perception est, selon le dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, une « activité à la fois sensorielle et cognitive par laquelle l’individu constitue sa représentation intérieure (son image mentale) du monde de son expérience » (LÉVY, LUSSAULT 2003 : 701). Dupré (2006) nous explique que la perception est une vision partielle du monde réel, du fait des possibilités limitées de l’individu qui ne peut pas le voir dans son entièreté et sa complexité, dans laquelle interviennent le milieu culturel, économique et social du percevant. La perception est donc une vision et une représentation du réel créée par les individus en fonction de leur milieu, de leur espace géographique, mais également culturel et social, ainsi que par leur conscience individuelle. Les messages issus de ce processus agissent sur les actions qui à leur tour, ont des effets sur le monde réel (BAILLY 1977, in DUPRÉ 2006 : 54). La perception est décrite comme la « fonction par laquelle l’esprit se représente des objets en leur présence [alors que la] représentation permet d’évoquer des objets même si ceux-ci ne sont pas directement perceptibles » (AURAY ET AL. 1994 : 13-14, in ibid. : 55). La perception est la manière de voir quelque chose, la représentation est la manière de la concevoir, même en son absence. Et il faut considérer que ces processus, souvent appréhendés de manière individuelle, sont également fondamentalement sociaux. « A social representation is defined as a system of values, ideas, and practices regarding a given social object, as well as the elaboration of that object by a group for the purpose of communicating and behaving. Accordingly, it provides a given group with a shared social “reality” and “common consciousness” vis-à-vis a particular social object » (JASPAL ET AL. 2014 : 111). Ces éléments permettent aux individus de conceptualiser le réel avec des clés de lecture qui sont propres à leurs situations afin de donner du sens à leur réalité. Bien qu’ayant un caractère fortement psycho-social, cette approche n’est pas inconnue à la discipline géographique.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE
INTRODUCTION ET PROBLÉMATIQUE
Introduction
Questions de recherche
DEUXIÈME PARTIE
CONTEXTE THÉORIQUE
Concepts mobilisés
Changements environnementaux
Perceptions et représentations
Géographie des représentations
Représentations et changements environnementaux
Capacité d’adaptation
Migrations environnementales
Perceptions, représentations et migrations environnementales
TROISIÈME PARTIE
MÉTHODOLOGIE
Outils méthodologiques
L’entretien
L’observation
Carnet de terrain
Méthode d’analyse
Terrain et récolte de données
Échantillonnage
Présentation des données
Réflexions éthiques et positionnement
Consentement éclairé et anonymat
Position de chercheuse
Limites méthodologiques
QUATRIÈME PARTIE
PRÉSENTATION DU CONTEXTE : ZANZIBAR
Géographie
Géologie
Climat
Histoire
Empire commercial et sultanat omanais
Période coloniale britannique
Indépendance et Union
Politique
Migration
Nungwi
Labayka
Changements environnementaux
Montée des eaux et salinisation
L’eau douce
Variations des pluies et saisonnalité
Augmentation des températures
Réchauffement des eaux
Augmentation de la force des vents
Densité et déforestation
Effets socio-économiques
Tourisme
Projets d’adaptation
Conclusion intermédiaire
CINQUIÈME PARTIE
REPRÉSENTATIONS DES CHANGEMENTS ENVIRONNEMENTAUX ET MIGRATIONS
Discours et représentations des changements environnementaux
Dissociation entre connaissances générales et expérience personnelle
Dissociation des effets physiques et socio-économiques
Assimilation des changements climatiques et de l’activité humaine
Perception du risque, de l’avenir et des moyens d’adaptation
Conclusion intermédiaire
Nungwi : le contexte local comme élément explicatif
Sensibilisation : le rôle de Labayka
Intangibilité conceptuelle
Transmission des informations
Rapport au gouvernement
Division politique
Vision du développement
Enjeux du tourisme
Caractéristiques sociales
Facteurs culturels, religieux et identitaires
Pauvreté
Rapport à l’environnement
Critères socio-démographiques et activités économiques
Attachement au lieu
Conclusion intermédiaire
Capacité d’adaptation et migrations
Comprendre la capacité d’adaptation locale
Représentations de la mobilité
Migrations environnementales à Nungwi
Conclusion intermédiaire
SIXIÈME PARTIE
CONCLUSION

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