Représentations générales
1. De l’allaitement Globalement, l’étude a montré que les médecins avaient une vision plutôt positive de l’allaitement. Cette vision s’explique par les nombreux avantages que procure l’allaitement pour l’enfant et la mère. Les principaux avantages évoqués par les médecins sont : un renforcement de l’immunité, un apport nutritionnel optimal et parfaitement adapté, une digestion facilitée, une prévention des maladies métaboliques, et une relation privilégiée pour le couple mère enfant. Le renforcement de l’immunité est le bénéfice le plus cité par les médecins. Ce bénéfice, connu depuis plusieurs années, est repris par une revue de la littérature récente de 2015 (14) qui montre que l’allaitement est associé à une diminution de l’incidence des infections gastro-intestinales, ORL et respiratoires. En revanche, quelques médecins font le lien entre allaitement et allergies mais il n’est pas clairement établi (1) (2) (14). Aussi, un médecin a cité comme bénéfice la réduction du risque de survenue de diabète de type 1 chez les enfants allaités au moins 6 mois. Des études « suggèrent que l’allaitement, sous réserve d’une durée d’au moins 3 mois, est associé à une réduction du risque de diabète insulinodépendant ». (1) Pour autant, l’effet protecteur de l’allaitement semble d’autant plus probable chez les enfants ayant un risque génétique de DID élevé (1). Certains médecins ont cité les avantages de l’allaitement pour la mère. L’allaitement est une pratique tout aussi bénéfique pour l’enfant que la mère : il « contribue à faciliter les suites de couches […] diminue le risque d’infection puerpérale et aide l’utérus à reprendre plus vite sa taille, sa forme et sa tonicité […] La perte de poids et de masse grasse est plus rapide dans les 6 premiers mois du post-partum » […]. Il « diminue l’incidence des cancers du sein et de l’ovaire avant la ménopause, du diabète de type 2 et de la dépression du post-partum » (1). Toutefois, l’allaitement ne fait pas l’unanimité. Pour plusieurs médecins, il présente également des inconvénients, non négligeables et à prendre en compte. En effet, certains médecins ont parfois d’abord détaillé les inconvénients de l’allaitement. Outre les complications locales et les douleurs, l’allaitement reste selon certains une pratique contraignante et fatigante pour la mère. Pourtant, plusieurs études réalisées montrent que l’allaitement est source de bien-être et d’une diminution du stress. Des études ont démontré que les mères qui allaitent produisent moins d’hormones de stress que celles qui n’allaitent pas, et sont moins exposées au risque de dépression post-natale (15) (16). Une étude réalisée en 2002 montre que les femmes allaitantes ont un temps de sommeil profond plus long et donc un meilleur sommeil (16). De plus, le sevrage de l’enfant ne modifierait pas le niveau de fatigue des mères (17). Néanmoins, quelques médecins n’ont vu aucun inconvénient à la pratique de l’allaitement maternel. Cette vision est peut être liée à une expérience très positive de l’allaitement pour laquelle ils n’ont connu aucune complication ou difficulté. Les médecins se sont tout de même accordés à dire que l’allaitement doit avant tout rester un plaisir pour la mère. Aussi, la durée de l’allaitement a été un thème très discuté. La plupart des médecins se sont accordés pour dire qu’il n’y a pas de durée idéale d’allaitement. Toutefois, s’ils devaient en conseiller une, ce serait six mois d’allaitement maternel exclusif recommandés par l’OMS (6). Pour certains, la durée idéale est surtout une durée « qui satisfait l’un et l’autre » comme l’a précisé le Médecin A. Pour d’autres, la durée de 6 mois recommandée par l’OMS est à encourager le plus possible, certains médecins expliquant même qu’il faut « pousser pour ce que l’OMS reconnait comme utile » (Médecin C). En s’appuyant sur plusieurs études récentes, l’OMS a montré que la poursuite de l’allaitement exclusif présente un avantage pour la santé de l’enfant pendant 6 mois (6). Au-delà de six mois, les bénéfices n’ont pas clairement été démontrés. Pour que l’effet préventif de l’allaitement soit significatif, l’allaitement doit être exclusif et durer plus de 3 mois ; et il est moindre après l’âge de 6 mois (18). Aussi, il a été montré que la connaissance préalable par la mère de la durée optimale d’allaitement exclusif de six mois est significativement associée à un allaitement maternel plus long (supérieure à 4 mois) (19).
2. De la relation mère-enfant et de l’allaitement long Le deuxième avantage retrouvé dans les entretiens est le lien mère-enfant favorisé. L’étude a montré que les médecins considéraient l’allaitement à la source d’un contact unique et privilégié entre la mère et son enfant. L’allaitement favorise une intimité étroite, propice à des échanges mutuels uniques, et inégalables. Ainsi, comme l’écrit Marie Thirion (20), l’allaitement s’inscrit dans la continuité de la grossesse en permettant à la mère de « poursuivre une relation unique et privilégiée au-delà des gestes, au-delà des mots […] » ; c’est un « échange vrai où le don de lait de la mère à l’enfant s’accompagne du don de l’enfant vers sa mère d’un équilibre hormonal neuro-endocrinien précieux ». Pour le médecin C, l’allaitement est même un « don au niveau affectif et au niveau de l’amour ». Les médecins parlent également de ce pouvoir que possède la mère de procurer un apaisement et une quiétude chez l’enfant. Une étude menée en 1993 sur plusieurs dyades mère-enfants filmées pendant une tétée montre la complexité, l’intensité et la singularité des échanges lors des tétées de chaque couple (21). Cependant, même si les médecins s’accordent à dire que plus longtemps l’enfant est allaité, plus c’est bénéfique pour lui, l’allaitement prolongé est plutôt mal perçu et choque certains médecins. L’ambiguïté de cette relation, soulevée par plusieurs médecins, est parfois même considérée comme pathologique. Certains craignent que cette relation trop fusionnelle engendre des rapports trop exclusifs n’aidant pas l’enfant à prendre son autonomie. Mais autant les études sont nombreuses sur l’impact de l’allaitement sur la santé physique de l’enfant et de la mère, autant celles sur les effets psychologiques de l’allaitement sont assez rares. Selon une étude prospective néo-zélandaise de 1999, l’allaitement long ne semble pas être corrélé à un risque majoré de pathologie psychiatrique pour l’enfant plus tard, mais semble plutôt favoriser des rapports parents-enfants de meilleure qualité (22). Le médecin C adopte une vision de l’allaitement long plutôt dans ce sens en pensant que « les enfants allaités longtemps sont des enfants qui prendront plus vite leur autonomie ». Ce dernier ajoute également que la décision d’allaitement prolongé est liée au vécu dans l’enfance. Un article publié en 2005 (23) aborde la question de l’allaitement prolongé en révélant que l’histoire vécue de la mère allaitante influence son choix d’une prolongation ou non de l’allaitement : « un plaisir oral de succion vécu de manière prolongée et trop intense dans l’histoire infantile de la mère » ou « un sevrage brutal chez la jeune femme alors qu’elle était enfant, voire l’absence d’allaitement au sein » sont deux éléments qui peuvent inscrire la mère dans une répétition inconsciente du schéma avec son propre enfant.
3. Du lait artificiel S’intéresser à la question sur l’allaitement nécessitait également de s’attarder sur la question de l’alimentation par des préparations pour nourrisson. En effet, les laits maternisés ont pris une place importante dans notre société depuis le début du XXième siècle (8) (9) (24). Le médecin A souligne d’ailleurs la multitude des marques et formules des laits artificiels commercialisés de nos jours. Différents aspects de l’alimentation au biberon ont été abordés par les médecins. Dans l’ensemble, ces derniers voient comme principal avantage de ces préparations la possibilité pour le père de participer. Le père, plutôt exclu dans l’allaitement, verrait sa place revalorisée, et serait, avec le biberon de lait artificiel, plus actif dans la fonction nutritive. Il permettrait ainsi de soulager la mère et d’être moins dépendante de son enfant. Une étude qualitative menée en 2008 (25) auprès de 38 pères montre que l’utilisation du biberon permet au père de partager la fonction nutritive avec la mère et d’établir un nouveau rapport au corps de l’enfant, à travers l’alimentation. D’autres médecins n’ont pas abordé l’aspect pratique et le lien que le père peut créer grâce au biberon de lait artificiel, mais ont parlé d’un tout autre versant : les alternatives au lait de vache et les laits végétaux maternisés. En effet, quelques médecins ont évoqué qu’ils conseillaient facilement les laits de chèvre et laits de riz. Un médecin a confié que si l’enfant n’était pas allaité, étant contre le lait de vache, il orientait les parents vers des laits de riz. Une étude montre que les préparations infantiles à base d’hydrolysat de protéine de riz permettent une croissance normale chez des nourrissons sains à risque allergique ou présentant des troubles digestifs mineurs et confirme que ces préparations peuvent aussi convenir à l’alimentation quotidienne de nourrissons sains (26). L’orientation parfois systématique vers ces laits résulterait peut-être d’une conviction personnelle, étant donné la place accordée de plus en plus importante à l’alimentation exclusivement végétale dans notre société. Tous les laits ne sont pas adaptés à l’alimentation du nourrisson. Une étude menée en 2004 rappelle qu’il est préférable d’éviter d’utiliser des laits à base de protéine de soja avant 6 mois dans la mesure où des doutes persistent quant à l’innocuité des préparations à base de protéines de soja (27). Pour d’autres médecins, ces laits sont à utiliser avec beaucoup de prudence et doivent faire l’objet d’une prescription spécialisée pédiatrique, et ne relèvent donc pas du rôle du médecin généraliste.
Représentations socio-culturelles de l’allaitement
L’étude a montré que l’allaitement était une pratique encore fortement ancrée dans une dimension socioculturelle. En effet, l’allaitement créé une triade entre le père, la mère et l’enfant qui va s’inscrire dans leur histoire, leur culture et leurs traditions familiales. Comme le rappelle Séverine Gojard (28), l’allaitement est une norme sociale, et relève d’une « décision individuelle, mais qui ne s’effectue pas indépendamment d’un ensemble de prescriptions ou de représentations morales et symboliques ». C’est ce qu’ont exprimé plusieurs médecins en expliquant qu’aujourd’hui encore, les femmes allaitantes sont influencées par leurs pairs et leur entourage familial. Cet entourage peut être une source de motivation et d’encouragement à l’allaitement ou au contraire véhiculer des idées reçues et inciter à un passage au biberon de lait artificiel. Aussi, pour des médecins, il y a une reproduction des schémas familiaux dans l’allaitement. Les petites filles qui ont vu ou connu l’allaitement dans leur sphère familiale, notamment l’allaitement de leur frères ou sœurs, seraient plus enclines à allaiter ensuite leurs enfants. Séverine Gojard (29) met d’ailleurs en avant l’existence de deux modèles dans la transmission du savoir autour de l’allaitement : un modèle populaire dont la transmission est familiale, qui s’oppose à un modèle savant dont la transmission est médicale, sanitaire ou psychologique. Pour le médecin F, la transmission du savoir se fait via ces deux modèles : « il y a la moitié c’est le monde médical paramédical, l’autre moitié c’est la famille et l’entourage ». Pourtant, après des années de pratiques inappropriées et fausses croyances populaires et profanes, on ne peut que constater que la tradition d’allaitement s’est perdue comme le souligne Marie Thirion : « Les femmes, les mères et donc aussi le personnel soignant des hôpitaux ont désappris, oublié l’allaitement. Les mères, les grands-mères ne l’ont pas vécu, ne savent plus et racontent les échecs qu’on leur a fait subir. Qui d’entre nous a vu dans son enfance sa mère ou une autre femme allaiter ? Toutes les petites filles donnent le biberon à leurs poupées… » (20). Cette valeur importante donnée aux traditions culturelles et familiales semble plutôt garder sa place dans d’autres pays. Une étude menée au Maroc a montré que chez 211 femmes interrogées, la source d’information concernant l’allaitement à la maternité était représentée essentiellement par l’entourage immédiat (mère, belle-mère, sœur, voisine…) dans 83 % des cas, alors que les professionnels de santé n’y ont contribué que dans 2 % des cas (30). Dans son article sur les pères et l’allaitement, Jean-Marie Mirion rappelle que l’arrivée d’un enfant est « une expérience complexe, multidimensionnelle, impliquant non seulement la mère, mais le couple et son entourage » (25). Pour les médecins, le père, vivant déjà la grossesse « par procuration » (Médecin A), peut voir sa place bouleversée pendant l’allaitement. En effet, l’allaitement est souvent perçu comme source d’exclusion de ce dernier. En effet, même s’il est impliqué dans d’autres tâches faisant partie de la vie quotidienne de l’enfant comme le bain, le coucher et diverses activités permettant aussi de soulager la mère, il reste exclu d’une dimension importante, celle de nourrir son enfant. Cette exclusion est d’autant plus ressentie comme importante si l’allaitement se prolonge dans le temps. Des études ont déjà souligné qu’il était assez fréquent pour les pères de ressentir un sentiment de rejet et d’exclusion du couple mère-enfant pendant cette période (25) (31) (32). Toutefois des médecins remarquent aussi que c’est un acteur essentiel dans le soutien de la mère allaitante et qu’il participe à son bon déroulement. Pour eux, sa place est avant tout dans l’encouragement. Dans plusieurs études, le père est déjà reconnu comme un acteur influant sur la décision de la mère d’allaiter et sur sa persistance à poursuivre l’allaitement (31) (32) (33) (34) (35). Dans une recherche menée en Australie, 59 % des femmes qui percevaient que leur partenaire était favorable à l’allaitement ont poursuivi l’allaitement jusqu’à six mois, contre 30 % pour celles qui percevaient que leur partenaire était plus favorable au biberon (36). Pour le médecin A, il y a, depuis quelques années, une évolution des mœurs et de la classe sociale et familiale qui amène le père à être beaucoup plus actif qu’avant dans son rôle de soutien à l’allaitement. La place de la mère est fortement remaniée avec l’allaitement. Comme l’ont souligné plusieurs médecins, l’allaitement offre à la mère un rôle unique et valorisant qui est celui de nourrir son enfant. Comme l’a dit le médecin D, « il n’y a qu’elle qui peut donner le sein ». Les psychanalystes parlent de l’allaitement comme « une situation qui l’implique, elle, profondément, dans son corps et dans sa vie psychique […]» (37). Toutefois, ce sentiment de rôle essentiel que va ressentir la mère envers son enfant est parfois ambivalent. Il est en effet marqué par une volonté de retrouver la place qu’elle avait auparavant : celle de femme et d’épouse. Dans la société occidentale où la femme doit mener des combats sur tous les fronts, celui de mère, de femme et d’épouse, l’allaitement, notamment s’il est à la demande, peut être perçu comme aliénant. Dans son avant-propos (38), Elizabeth Badinter relate le fait que certaines femmes « trouvent leur pleine réalisation dans la maternité » mais « d’autres s’interrogent sur la possibilité de concilier leurs désirs de femme et leurs devoirs de mère ». Ainsi, comme l’ont exprimé plusieurs médecins, c’est ce conflit femmemère qui peut parfois lourdement peser dans l’allaitement. De plus, l’étude a permis de montrer qu’au regard des médecins, l’allaitement semble une pratique revalorisée et de nouveau plébiscitée par les mères et les professionnels de santé dans la société depuis ces dernières décennies. Ce regain d’intérêt pourrait s’expliquer par une méfiance concernant la sécurité sanitaire des préparations pour nourrissons, avec une volonté de revenir au naturel sans doute alimentée par les scandales sanitaires récents ; ou simplement par le fait que le lait maternel est aujourd’hui reconnu comme le moyen d’alimentation le plus adapté au nourrisson. Pour autant, l’allaitement au sein n’est pas encore toujours bien perçu au regard de la société. En effet, les médecins ont souvent mis en avant l’importance de la pudeur encore très présente aujourd’hui. Même s’il n’est pas censé y avoir une représentation érotique dans l’allaitement comme l’a souligné le médecin D, le sein reste dans la société, un symbole de féminité et de séduction à forte connotation sexuelle (39). Cette image du sein, très présente dans les médias, est donc ancrée dans l’imaginaire collectif. Ainsi, l’allaitement n’étant « pas très naturel dans le regard de la société » comme l’a précisé le médecin F, les mères sont souvent gênées de devoir nourrir leur enfant en public, et d’autant plus en présence de l’entourage proche. Une étude française rapporte que 40% des mères ressentent de la pudeur et de la gêne, et cette gêne est associée à une durée d’allaitement moindre (40). En 2009, une revue de la littérature montre que le regard de certains hommes est jugé gênant par certaines mères (41). Enfin, la pratique de l’allaitement semble liée au milieu socio-professionnel auquel appartient la mère. En effet, les médecins ont avancé l’idée que ce serait les femmes issues de catégories socio-professionnelles favorisées qui allaiteraient le plus. Dans son article, S. Gojard explique que l’allaitement est une pratique socialement différenciée et que les femmes diplômées de l’enseignement supérieur allaitent beaucoup plus que la moyenne. Toutefois, les femmes les moins diplômées allaiteraient autant que la moyenne, et celles d’un niveau moyen allaiteraient moins. Elle note également l’importance de la transmission familiale dans les classes populaires et du recours aux normes savantes dans les classes supérieures (28) (29).
Représentations des difficultés rencontrées par les mères dans le suivi d’allaitement
Les médecins mettent avant tout en avant un manque d’information des mères de la part des professionnels de santé quant aux difficultés possibles de l’allaitement. En effet, ils pensent que l’allaitement serait trop idéalisé ce qui pourrait engendrer un désarroi des mères lorsqu’elles sont confrontées à des problèmes. En premier lieu, ce sont le plus souvent des questions de rythmes et de tétées qui vont amener les mères à consulter le médecin généraliste, et non pas les douleurs. Pour les médecins, les difficultés, plus au sens de complications médicales, sont finalement assez peu rencontrées en consultation. Pourtant, des études montrent que les difficultés durant le premier mois sont fréquentes (50 % des femmes), avec le plus souvent des douleurs mammaires, mastites, crevasses, retard de montée de lait ou de fatigue (42) (43). Une autre étude rapporte que le motif des plaintes évolue avec la durée de l’allaitement. Les femmes consulteraient le premier mois en premier lieu pour des soucis de fatigue suite au rythme de vie, mais aussi pour des préoccupations concernant le nombre de tétée, puis enfin les crevasses (44). Les médecins sont d’ailleurs assez unanimes pour dire que les complications médicales sont faciles à résoudre, mais qu’il est plus difficile de gérer les « petits soucis pratiques d’allaitement ». Concernant les difficultés et les solutions apportées aux mères allaitantes, les médecins ont essentiellement abordé les sujets concernant l’inquiétude des mères face à l’insuffisance pondérale et l’impossibilité de quantifier, la fatigue maternelle, et l’arrêt de l’allaitement. L’étude a montré que différentes solutions sont abordées par les médecins, plus ou moins en adéquation avec les recommandations actuelles. Des médecins conseillent de peser l’enfant avant et après une tétée, tandis que d’autres proposent à la mère de tirer le lait afin de vérifier les quantités prises par l’enfant. Certains déconseillent l’allaitement à la demande de l’enfant lorsque l’asthénie maternelle est trop importante et instaurent des tétées à heures fixes. Ces résultats peuvent être mis en lien avec une étude de 2011, dans laquelle il est montré que les médecins généralistes suivent peu les recommandations pour la prise en charge des complications maternelles malgré leur intérêt pour l’allaitement maternel (45). Par ailleurs, la reprise du travail de la mère a été citée par les médecins comme une difficulté importante lors de l’allaitement. Ce moment « d’échéance » souvent suivi d’un arrêt de l’allaitement, est vécu comme un « déchirement » par de nombreuses femmes. D’ailleurs, l’étude précédente cite la reprise du travail comme deuxième cause principale d’arrêt de l’allaitement (45). En effet, il est difficile pour les femmes en France de mener un projet d’allaitement exclusif avec la reprise du travail. La loi française (cf annexe 6)stipule que les femmes peuvent disposer d’un local et d’une heure pour tirer leur lait, mais cette disposition est rarement respectée et appliquée par les entreprises (46) (47). Plusieurs médecins ont dénoncé cette incohérence entre l’enjeu de santé publique de promouvoir un allaitement exclusif pendant six mois, et l’absence de disposition favorisant l’allaitement dans les entreprises. Plusieurs études montrent que malgré l’intention de nombreuses femmes de continuer d’allaiter après le retour au travail, l’emploi de la mère reste un facteur significativement associé à un sevrage précoce (42) (48). Comme l’ont déjà révélé ces études, il semble donc difficile pour les médecins de concilier les deux.
Représentations des politiques actuelles de promotion de l’allaitement
D’abord, l’étude a montré que pour les médecins, il y avait un retour à l’allaitement maternel depuis quelques années. Comme l’a indiqué une étude récente, depuis une vingtaine d’années, la fréquence d’initiation et la durée de l’allaitement maternel ont doublé (14). Dans l’ensemble, les recommandations actuelles sur l’allaitement sont assez méconnues des médecins. Même si certains s’en soucient et tentent d’y être fidèles, d’autres avouent ne pas se tenir informés ou ne pas en tenir compte. Le médecin A pense ainsi que les conduites à tenir sont celles que la mère ressent par rapport à l’enfant et que l’enfant ressent par rapport à la mère. Ceci pourrait expliquer que certains tiennent finalement peu compte des recommandations. Des études montrent en effet que les recommandations des experts concernant l’allaitement maternel sont méconnues par beaucoup de soignants de périnatalité et que les connaissances médicales des médecins sur le sujet sont insuffisantes (55) (56). Concernant la promotion de l’allaitement actuellement en France, l’étude a montré que les représentations des médecins étaient très ambivalentes. Alors que certains praticiens soulignent le manque de promotion et de valorisation de l’allaitement, d’autres insistent sur la qualité de cette promotion qu’ils jugent certes suffisante mais souvent culpabilisante. Le médecin G a en effet signalé les risques de cette promotion de l’allaitement avec notamment les certifications IHAB de certaines maternités qui font ressentir de la culpabilité aux mères qui ne souhaitent pas allaiter. Les résultats d’une étude Suisse (57) ont montré que la proportion d’allaitement maternel exclusif des enfants de cinq mois était significativement supérieure pour les enfants nés dans des hôpitaux « amis des bébés » comparé aux bébés nés ailleurs. Même si le label IHAB promeut l’allaitement (cf Annexe 5), il est important de ne pas culpabiliser les mères et garder un discours adapté à chaque patiente. Comme l’a souligné une étude, (58) les compétences des médecins généralistes impliquent une approche « centrée patient », c’est-à-dire une décision adaptée à la situation et partagée avec le patient.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : PRESENTATION DE L’ETUDE
I. QUESTION CENTRALE DE RECHERCHE
A. Objectifs de l’étude
B. Problématique
C. Axes de recherche
II. METHODOLOGIE
A. Constitution de l’échantillon
1. Taille de l’échantillon
2. Critères d’inclusion et d’exclusion
3. Recrutement de la population
B. Type et lieu d’étude
C. Outils et modalité de l’enquête
1. Choix de la méthode qualitative par entretien
2. Constitution de la grille d’entretien
3. Réalisation des entretiens
4. Modalités d’analyse des entretiens
DEUXIEME PARTIE : PRESENTATION DES RESULTATS
I. PORTRAIT DES MEDECINS
II. REPRESENTATIONS GENERALES SUR L’ALLAITEMENT MATERNEL
A. La pratique de l’allaitement
1. Une vision globalement très favorable
2. Des représentations ambivalentes
a. De nombreux avantages incontestables pour l’enfant et la mère
b. Une pratique qui présente aussi des inconvénients
B. La durée de l’allaitement maternel
1. Des représentations différentes de la durée idéale d’allaitement
2. Représentations des allaitements longs
a. Différentes durées définissent l’allaitement long
b. Un lien trop fusionnel qui impacte sur la triade parents/enfant
c. Une pratique parfois dérangeante voire choquante
C. Représentations du tire-allaitement
III. REPRESENTATIONS SOCIO-CULTURELLES DE L’ALLAITEMENT MATERNEL
A. L’allaitement, encore une histoire de famille
B. L’allaitement et le milieu socio-professionnel
C. Les médias et réseaux sociaux, de plus en plus présents
D. Représentations de la place du père : des conceptions très différentes
1. Une place difficile à trouver
2. Une place surtout remise en cause dans les allaitements longs ou trop fusionnels
3. Un père satisfait de sa place
4. Un père soutenant et aidant
E. Représentations de la place de la mère
F. L’impact sur la vie de couple et la sexualité
G. Représentations de l’allaitement dans la société telle qu’elle est perçue par les médecins
IV. DIFFICULTES RENCONTREES PAR LES PATIENTES PENDANT L’ALLAITEMENT
A. Les idées reçues et les croyances des patientes
1. L’image du lait pas assez nourrissant
2. L’image du corps abîmé
3. L’image de l’allaitement aliénant
B. Les difficultés et complications rencontrées en consultations
V. REPRESENTATIONS DE L’ALLAITEMENT ARTIFICIEL
A. Représentations générales sur le lait maternisé
B. Une possibilité pour le père de participer
C. Les laits végétaux maternisés
VI. REPRESENTATIONS DE LA PLACE DU MEDECIN GENERALISTE ET DES AUTRES PROFESSIONNELS DE SANTE
A. Un praticien de premier recours
B. Accompagner, soutenir, écouter et conseiller
C. Mais aussi savoir passer la main
D. Ressenti des médecins
E. Abord du sujet en consultation
F. Les autres acteurs
G. Un manque de communication des autres professionnels envers le médecin
VII. L’ALLAITEMENT AUJOURD’HUI EN FRANCE
A. Evolution de l’allaitement en France
B. L’ambivalence des représentations autour de la promotion de l’allaitement en France
C. Les recommandations actuelles de promotion de l’allaitement
VIII. EXPERIENCE PERSONNELLE D’ALLAITEMENT
A. Un vécu très différent
B. L’avantage d’être une femme dans l’accompagnement à l’allaitement
C. Une volonté d’allaiter aussi liée au statut de médecin
D. Une influence sur leur pratique professionnelle
TROISIEME PARTIE : ANALYSE ET DISCUSSION
I. ANALYSE DE LA DEMARCHE DE RECHERCHE : LIMITES ET FORCES DE L’ETUDE
A. L’échantillon
B. L’environnement
C. L’enquête et l’enquêteur
II. ANALYSE DES RESULTATS
A. Représentations générales
1. De l’allaitement
2. De la relation mère-enfant et de l’allaitement long
3. Du lait artificiel
B. Représentations socio-culturelles de l’allaitement
C. Représentations des difficultés rencontrées par les mères dans le suivi d’allaitement
D. Représentations de leur rôle perçu dans le suivi d’allaitement
E. Représentations des politiques actuelles de promotion de l’allaitement
F. Expérience personnelle et influence sur la pratique
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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