Représentations des médecins autour des violences conjugales

La violence à l’égard des femmes est l’une des violations des droits fondamentaux les plus fréquentes dans le monde (1). Elle est présente dans toutes les régions et tous les milieux sociaux (2). L’OMS définit la violence conjugale (VC) comme « tout comportement qui, dans le cadre d’une relation intime, cause un préjudice d’ordre physique, sexuel ou psychologique, notamment les actes d’agression physique, les relations sexuelles forcées, la violence psychologique et tout autre acte de domination » (3). Elle se déroule selon un cycle (tension, agression, rémission, lune de miel) et se distingue du simple conflit par le caractère inégalitaire de la violence exercée par l’un des deux partenaires qui veut dominer, asservir, humilier l’autre (4). Les violences sexuelles (VS) sont définies par l’OMS comme : « tout acte sexuel, tentative pour obtenir un acte sexuel, commentaires ou avances de nature sexuelle, ou actes visant à un trafic ou autrement dirigés contre la sexualité d’une personne en utilisant la coercition, commis par une personne indépendamment de sa relation avec la victime, dans tout contexte, y compris, mais sans s’y limiter, le foyer et le travail ». Les violences sexuelles en contexte conjugal (VSC) n’ont pas de définition consensuelle. Elles couvrent un large domaine, allant du harcèlement verbal à la pénétration forcée (5), dans le cadre de la relation intime (partenaire ou ex partenaire). Le terme VS n’apparaît pas dans le Code Pénal (CP), qui définit l’agression sexuelle comme : « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » (articles 222.22 et 222.27 du CP). La loi distingue le viol des autres agressions sexuelles, comme étant un « acte de pénétration sexuelle », « de quelque nature qu’il soit » (vaginale, anale ou orale, par le sexe, la main ou des objets) (article 222.23 du CP). La notion de consentement est fondamentale dans les violences sexuelles, d’autant plus dans les VSC où prévalait jusqu’en 2010 la notion de « consentement d’office » dans le mariage.

Représentations des médecins autour des violences conjugales 

Les médecins identifiaient plusieurs types de violences : « on peut imaginer beaucoup de choses » (MG6).

La violence physique a été citée par tous les médecins interrogés : « généralement quand on parle de violence conjugale il y a la violence physique » (MG3). Les violences psychologiques et comportementales ont aussi été citées par tous les médecins mais ils insistaient sur le fait qu’elles étaient invisibles et sournoises, elles « sont tout aussi importantes, mais c’est un iceberg, on n’en voit pas grand-chose » (MG4). Spontanément, 5 des médecins interrogés évoquaient la notion de VS : « il y a les rapports non consentis, dans le physique ou le psychologique, ou à la lisière des deux » (MG4).

Puis ont été citées les violences verbales, économiques, et la cyber-violence. Dès la première question, les médecins introduisaient les notions de :
– « conjugopathie » (MG11) : « c’est une maladie de la relation » (MG11),
– « maltraitance » (MG10) : « c’est tout ce qui peut traumatiser » (MG3),
– volonté de domination : « c’est tout fait qui est mis en place pour contraindre l’autre» (MG4).

Les médecins identifiaient les femmes comme étant les principales victimes des VC et des VSC. Certains soulignaient que les hommes pouvaient l’être également : «c’est plutôt contre les femmes, même si les deux existent, et je ne veux pas faire un sexisme à l’envers » (MG9). Les participants rejetaient l’idée qu’il existe un profil type de victimes ou d’auteurs : « c’est vraiment toutes catégories socio-professionnelles confondues » (MG2) mais pour certains un caractère passif les rendait plus vulnérables : « c’était plutôt des femmes qui étaient passives, qui courbaient l’échine, qui ne se rebellaient pas » (MG5). Les médecins interrogés montraient leur intolérance totale envers les VC. Ils s’accordaient sur le fait que des antécédents de maltraitance et l’éducation reçue, tant de la victime que de l’auteur, pouvaient influencer les comportements et le seuil de tolérance de la violence : « il y a l’éducation qui joue […] comment il perçoit les femmes » (MG5). La violence pouvait devenir un moyen de communication : « quelqu’un qui n’a pas les mots pour exprimer ce qu’il ressent, peut parfois être amené à s’exprimer par son corps, et peut-être amené à taper plutôt que de parler » (MG8). Si les médecins refusaient d’attribuer la responsabilité des violences aux victimes, ils évoquaient une implication « indirecte, inconsciente » (MG10) : « la part de responsabilité c’est de rien dire, d’accepter la situation » (MG1). Ils précisaient que tout n’était pas toujours « blanc ou noir » (MG5) et que certaines attitudes pouvaient pousser à la violence : « Il y a de la provocation des fois, elles poussent leur mari et elles le testent. Il y a des manipulatrices qui sont prises parfois à leur propre jeu. Et le jeu les dépasse » (MG5).

Représentations des médecins autour des violences sexuelles 

La limite de la VS en contexte conjugal était difficilement définie par les médecins : «C’est difficile de savoir où commence la violence […] si le critère c’est : « j’ai envie, j’ai pas envie », dès qu’il y a un rapport fait à une femme sans qu’elle en ait envie, on pourrait dire qu’il y a violence » (MG4). Ils se rejoignaient sur le fait que tout comportement non consenti, atteignant la sexualité, était une VS. Ils insistaient sur les notions de non-respect, de maltraitance et de contrainte qui représentaient les rapports de force existant dans la relation : « le problème des violences sexuelles, c’est la relation à l’autre, donc à l’autre sexe » (MG9). Plusieurs participants rappelaient que les VSC demeurent encore aujourd’hui taboues et propres au couple. Certains médecins ont préféré ne pas s’étendre sur cette notion : « Ça ne me parait pas intéressant de rentrer dans les détails sur ça. C’est à l’autre de dire ce qu’il perçoit comme de la violence ou pas, mais pas à moi » (MG7). Pour la majorité des médecins, les VSC étaient encore plus difficiles à caractériser dans le cadre du couple car dépendaient du contexte, de l’histoire du couple, de la sensibilité de chaque personne. Le seuil était subjectif et les limites de la violence dépendaient de chacun. Un participant résumait la notion de VS au travers de la notion de souffrance: « Je pense que ce qui définit la violence, c’est la souffrance en fait. Si il y en a un des deux qui est en souffrance par rapport à ça, là on peut parler de souffrance et de pathologie. Si la pratique, même si elle est un peu bizarre, un peu perverse, un peu sado maso, un peu… Mais qu’au bout du compte, personne n’est en souffrance, je pense que ça appartient vraiment à l’intimité du couple » (MG11). Pour certains médecins, l’abus sexuel était plus représentatif de la violence sexuelle en contexte conjugal que le viol : « au sein d’un couple j’aurais plus parlé d’abus sexuel que de viol » (MG1). Le viol était davantage visualisé comme impliquant deux personnes sans lien affectif, tout en ayant parfaitement conscience de l’existence du viol entre époux. La notion d’acte violent important était soulignée.

L’agression sexuelle était plutôt perçue comme émanant de deux personnes qui ne se connaissent pas, touchant tout ce qui fait référence à la sexualité sans consentement. Hors consentement, les rapports vaginaux, anaux ou buccaux, le chantage, les promesses de nature sexuelle, le fait de forcer sa compagne à poser en lingerie ou à regarder un film pornographique, et le proxénétisme ont été identifiés par les médecins comme des VS. L’avis des médecins concernant l’acceptation d’un rapport non consenti a été recueilli. Ils pensaient que les femmes acceptant un rapport contre leur gré, le font pour un bénéfice secondaire, soit pour ne pas rentrer dans un conflit soit pour apaiser des tensions déjà présentes.

Les conséquences gynécologiques identifiées des VS étaient essentiellement les dyspareunies, les IST et la grossesse. Au niveau psychologique, le fait de subir des VS en plus des autres formes de VC était considéré par les médecins comme plus délétère, plus humiliant : « ça touche une sphère qui est plus destructrice » (MG4). Pour les médecins interrogés, les sentiments de honte et de culpabilité étaient décuplés. Le rapport à la sexualité était modifié : « c’est plus difficile de reconstruire une sexualité harmonieuse après avoir subi des violences sexuelles » (MG4). La dignité était plus profondément atteinte, la VS ayant été considérée par un des médecins comme « le pire des châtiments que peut subir un individu » (MG6). Pour le reste, la VS était généralement mise au même niveau que les autres formes de violences : « pour moi c’est la même. Je ne vois pas ce que ça cristallise de plus que ce soit sexuel ou pas » (MG2). Elle était surtout considérée comme un outil de plus pour l’agresseur dans l’arsenal de prise du pouvoir : « vous avez la triplette violence verbale, violence psychologique, violence physique et violence sexuelle. Vous pouvez cumulez les trois c’est encore pire que deux qui est pire que un » (MG3).

Expériences des médecins autour des violences conjuguales et des violences sexuelles en contexte conjugual

Interrogés sur leurs expériences professionnelles, tous les médecins indiquaient avoir déjà rencontré une patiente concerné par une situation de VC. Alors que la violence physique était la première forme évoquée de VC, lorsqu’ils se remémoraient une consultation, c’était majoritairement sous forme de violence verbale, psychologique ou comportementale que la violence s’exprimait. Le motif de consultation était rare : « Dieu merci, moi je suis dans un monde plus calme » (MG3) mais ils reconnaissaient méconnaître de nombreux cas de patientes : « chaque fois que je me dis qu’il y a dix pour cent des femmes qui vivent des violences conjugales, moi je ne les vois pas. Donc je ne sais pas comment les dépister, ou je ne sais pas comment aborder le sujet, mais en tout cas je ne les vois pas » (MG12). Comparativement, les participants se sont révélés moins nombreux à avoir rencontré un(e) patient(e) concerné par une situation de VSC. Sept médecins se sont remémoré au moins une consultation en rapport (figure 3). Les 5 autres n’y avaient jamais été confrontés dans leurs consultations.

La majorité des médecins estimait que la situation était difficile à gérer, allant du repérage à la prise en charge globale des victimes : « ça vient pas facilement à la connaissance, c’est rarement dit, déjà que la violence conjugale est rarement exprimée » (MG4). Parfois, la VS était révélée devant des symptômes « écrans », de type « dyspareunies » ou « troubles anxio-dépressifs ». Les médecins pratiquant la gynécologie semblaient plus souvent informés des VS subies par leurs patientes que les autres.

Les médecins ne posaient pas la question des VS dans le couple même après révélation de VC. Ils attendaient d’avoir un signe d’appel pour explorer ce versant : « à ce moment-là, on peut plus largement demander : « est-ce qu’il y a des problèmes de sexualité, est-ce qu’il y a des problèmes dans votre couple, est-ce qu’il y a de la violence ? » (MG4). Aucun des médecins n’avait évoqué spontanément le dépistage systématique des VC et VSC. Ils considéraient celui-ci comme trop intrusif, peu pertinent. Certains considéraient que ce n’était pas leur rôle. Ils se sentiraient gênés de poser la question à titre systématique. Ils avaient peur que les victimes se braquent. Ils redoutaient au pire de s’aliéner d’une partie de leur patientèle. Ils craignaient un échec de la prise en charge des victimes par manque de ressources : « « je ne vais jamais m’en sortir », ça c’est parce que tu n’as pas les outils. Quand tu les as, c’est plus facile » (MG2). Certains décidaient de rester volontairement passifs vis-à-vis des violences, ne s’estimant pas suffisamment armés pour aborder le sujet : « les problèmes sexuels, il faut trouver les mots, les façons de leur parler. C’est difficile à mon avis. Ça ne s’improvise pas » (MG5). Mais certains se disaient prêts à être plus attentifs, voir à changer leurs habitudes.

L’aspect de proximité du MG était controversé. Pour certains, la proximité avec les patients et la famille permettait plus de confidence et de confiance lorsque la question des VC était posée. Pour d’autres, la proximité était un frein, par crainte que la situation soit dévoilée aux membres de la famille ou au conjoint. Ils pensaient que les victimes consultaient plus facilement un autre médecin afin de ne pas être jugées. Les médecins étaient unanimes sur leur rôle d’aide aux victimes et leur devoir de faire prendre conscience de l’aberration des actes subis.

Les médecins décrivaient parfois un sentiment de solitude dans leur prise en charge et ne savaient pas toujours vers qui orienter. Les gynécologues étaient facilement sollicités en cas de VS. Les autres professionnels impliqués étaient majoritairement la police, les assistantes sociales, les psychiatres et psychologues, les urgentistes, les associations de victimes. Le conseil de l’ordre pouvait être interrogé pour demander conseil dans des histoires de violences familiales surtout lorsqu’il y avait notion de VS. Les numéros verts étaient connus de certains participants et facilement communiqués. Des médecins considéraient que la prise en charge d’une victime de VSC était différente de celle d’une victime de VC : « ça augmente certainement davantage la prise en charge. Si c’est qu’une gifle ou un hématome, ou une plaie, ou je ne sais pas, c’est différent. Mais dès qu’il y a violence sexuelle, je pense que la problématique est ailleurs » (MG6). Certains médecins se sentaient plus à l’aise dans la prise en charge des VS, car ils se sentaient plus formés à la partie gynécologie qu’à la partie psycho-sociale : « là je suis très à l’aise par contre. Niveau sexuel, périnéal, tout ça, j’explique, je montre, je redonne confiance ça c’est mon truc, ça me dérange pas d’en parler, et au contraire je me sens presque plus armée » (MG2). Ils considéraient que la prise en charge d’une violence de nature sexuelle est davantage codifiée.

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Table des matières

I. INTRODUCTION
II. MATERIEL ET METHODES
III. RESULTATS
Représentations des médecins autour des violences conjugales
Représentations des médecins autour des violences sexuelles
Expériences des médecins autour des violences conjuguales et des violences sexuelles en contexte conjugual
IV. DISCUSSION
V. CONCLUSION
VI. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
VII. ANNEXES
Annexe n°1 – Guide d’entretien
Annexe n°2 – Entretiens
Entretien n°1
Entretien n°2
Entretien n°3
Entretien n°4
Entretien n°5
Entretien n°6
Entretien n°7
Entretien n°8
Entretien n°9
Entretien n°10
Entretien n°11
Entretien n°12
Annexe n°3 – Code book
Annexe n°4 – Ressources et outils

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