Réponses des bivalves aux dinoflagellés toxiques

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Système immunitaire

Chez les bivalves, la défense contre les pathogènes s’effectue via un système immunitaire qualifié d’inné, c’est-à-dire non spécifique, non-adaptatif et sans phénomène de mémoire, contrairement à l’immunité acquise rencontrée chez les vertébrés.
La reconnaissance du non-soi est la première étape de l’activation des réponses immunitaires. L’hôte possède des récepteurs spécialisés, solubles ou fixés sur la membrane des hémocytes, nommés « Pattern-Recognition Receptors » (PRRs), qui reconnaissent des composants microbiens, les « Pathogen-Associated Molecular Patterns » (PAMPs). Les lipopolysaccharides des bactéries à Gram-négatif (tels que les vibrions), ou des glycanes particuliers portés par un parasite de la palourde, Perkinsus olseni, constituent ainsi des PAMPs. Les PAMPs sont reconnus par des PRRs, tels que les protéines de reconnaissance des peptidoglycanes (« Peptidoglycan Recognition Protein », PGRPs), des lectines de type C, des galectines ou des récepteurs de type Toll. Les PRRs activent ainsi des voies de signalisation telles que la NF-kB, la MAPK, la JAK-STAT ou la voie des récepteurs Toll-like (Song et al., 2010).
Ainsi, lorsqu’une particule du non-soi (agent pathogène notamment) est reconnue, ces cascades de réactions aboutissent à l’activation de la réponse immunitaire, via des facteurs humoraux et des mécanismes cellulaires assurés par les hémocytes.
Facteur humoraux
La défense humorale repose sur des molécules solubles présentes dans le plasma. Les facteurs humoraux peuvent être constitutifs ou inductibles, et une partie d’entre eux sont produits par les hémocytes.
Les lectines sont des protéines qui peuvent être produites par les hémocytes, et qui interviennent dans le chimiotactisme et l’attraction des pathogènes grâce à des fonctions d’opsonines et d’agglutinines (Pruzzo et al., 2005). Les lectines immobilisent et agglutinent les bactéries, activent et facilitent l’attachement entre les hémocytes et les pathogènes pendant la phagocytose en reconnaissant les composés glucidiques des pathogènes et en s’y liant (Chu, 2000). Cette reconnaissance de motifs moléculaires caractéristiques des pathogènes (PAMPs) participe au déclenchement de la réponse immunitaire innée (Medzhitov and Janeway, 2000). Récemment, Soudant et al. (2013) ont recensé les dernières lectines découvertes chez les bivalves et leurs caractéristiques.
Les peptides antimicrobiens (« antimicrobial peptides », AMPs), dont font partie les défensines, sont en général produits et stockés dans les hémocytes, et excrétés en réponse à la présence de pathogènes (Bachère et al., 2004; Mitta et al., 1999b; Zhao et al., 2007). Leur action entraîne la destruction de la membrane des micro-organismes ainsi que la lyse cellulaire (Li et al., 2009). La production d’AMPs a été documentée chez différents bivalves marins, dont les moules Mytilus edulis et M. galloprovincialis (Charlet et al., 1996; Mitta et al., 1999a, 1999b), l’huître C. gigas (Gonzalez et al., 2007; Gueguen et al., 2006), le pétoncle Argopecten irradians (Zhao et al., 2007), et la palourde R. philippinarum (Adhya et al., 2012).
Les lysosymes sont des enzymes qui interviennent dans la défense immunitaire mais aussi dans la digestion grâce à leur capacité à dégrader la paroi cellulaire des bactéries (Itoh et al., 2007; McHenery et al., 1979; Xue et al., 2004; Zhao et al., 2010).
Des protéines majeures du plasma, présentant une homologie de séquences importante d’une espèce de bivalve à l’autre seraient des protéines multifonctionnelles ayant un rôle dans la défense immunitaire (Gonzalez et al., 2005; Green et al., 2009; Huvet et al., 2004; Simonian et al., 2009; Tanguy et al., 2004; Taris et al., 2009). Par exemple, la dominine, isolée chez C. virginica, pourrait contribuer à la défense contre des pathogènes comme les parasites Perkinsus spp. en limitant la disponibilité en fer (Itoh et al., 2011), lequel est indispensable à leur propagation in vitro (Gauthier and Vasta, 2002, 1994).
Les inhibiteurs de protéases participeraient également à la défense immunitaire chez les bivalves en inactivant les protéases des pathogènes, comme le suggèrent la caractérisation et l’expression de gènes codant pour ces protéines (Montagnani et al., 2001; Wang et al., 2008; Xue et al., 2006; Zhu et al., 2006).
Les cytokines, comme les interleukines (IL) et les « Tumor Necrosis Factor » (TNF), sont des molécules de régulation agissant sur l’activité et la fonction d’autres cellules, comme la motilité, le chimiotactisme, la phagocytose ou encore la cytotoxicité (Beschin et al., 2001; Hughes et al., 1990; Ottaviani et al., 2004; Roberts et al., 2008).
Le système des phénoloxydases (POs) est constitué d’enzymes stockées sous forme inactive (prophénoloxydases, ProPOs) dans les hémocytes et sont activées lorsqu’elles sont libérées dans le plasma (Johansson and Söderrhäll, 1985). Elles jouent un rôle dans la destruction des agents pathogènes de par la toxicité et les propriétés bactéricides, fongicides et antivirales de leurs produits d’oxydation, ainsi que dans la reconnaissance du non-soi, l’encapsulation et la réparation tissulaires (Söderrhäll and Cerenius, 1998; Söderrhäll et al., 1994). La caractérisation et le rôle de ces enzymes dans les fonctions immunitaires des bivalves marins ont fait l’objet d’études récentes (Butt and Raftos, 2008; Hellio et al., 2007; Le Bris et al., 2014, 2013; Luna-Acosta et al., 2011, 2010) ont montré que chez certains bivalves, le système PO pouvait aussi être actif dans les hémocytes, et être impliqué dans la phagocytose.
Facteurs cellulaires
Bien que les hémocytes soient également impliqués dans plusieurs autres fonctions (nutrition, biominéralisation, réparation tissulaire…), ils assurent l’immunité cellulaire. Les hémocytes sont chémotactiques, mobiles, phagocytiques et capables de s’agréger (Canesi et al., 2002; Hine, 1999). Ils peuvent proliférer et pourraient se différencier (Hine, 1999; Rebelo et al., 2013).
Trois sous-populations d’hémocytes sont habituellement distingués d’après des critères morphologiques : les cellules de type souche ou « blast-like cells » quui sont de petite taille et non granuleux, lees hyalinocytes, pas ou peu granuleux et les granulocytes, fortement granuleux (Figgure 2) (Cheng, 1996; Hine, 1999). Ces différences morphologiques traduisent des différences fonctionnelles. Les graanulocytes, sont davantage impliqués danns l’immunité, du fait d’une plus grande capacité de phagocytose et à un contenu important en enzymes lysosomales (Cajaraville and Pal, 1995; Chu, 2000). Les hyyalinocytes, en revanche, seraient plus spéécialisés dans la réparation tissulaire et l’agrégation (Chu, 2000; Ruddell, 1971). Ces différences fonctionnelles associées à chaque type cellulaire suggèrent un lien entree morphologie et fonction. Les hémocytes soont capables d’infiltrer les tissus afin de se rendre sur les sites infectés ou endommagés. De par leur rôle dans la réparation des tissus, les hémocytes peuvent aussi s’y infiltrer en réponse à des lésions.
Figure 2. Microphotograpphie d’hemocytes de bivalves. (A) exemple chez l’huître Crassostrea rhizophorae après coloration de May-Grünwald Giemsa. Les cellules de type souche (« blast-like ceells ») sont indiquées par des flèches noires, les hyalinocytes par des flèches blanches, et les granulocytes par des pointe de flèches noires (d’après Rebelo et al., 2013) ; (B) granulocytes et (C) hyalinocytes observés en microscopie à contraste d’interférence diffférentielle (d’après Aladaileh et al., 2007). Barre d’échelle : 10 µm.
Mécanismes de défense immunitaire
La phagocytose, considérée comme le mécanisme principal de l’immunité cellulaire innée (Feng, 1988), consiste en quatre grandes étapes qui font intervenir les facteurs humoraux et cellulaires (Figure 3) : (1) le chimiotactisme et l’attraction; (2) la reconnaissance et l’adhésion, qui est facilitée par l’opsonisation des particules étrangères, (i.e. la sécrétion par les hémocytes d’opsonines qui vont se fixer sur les particules étrangères afin de faciliter l’adhésion du phagocyte); (3) l’internalisation, au cours de laquelle l’hémocyte se transforme, en remaniant son cytosquelette, pour créer des pseudopodes afin d’englober la particule étrangère dans une vacuole : le phagosome (Cheng, 1981); et enfin (4) la destruction intracellulaire via l’action des lysosomes et des espèces réactives de l’oxygène (ou « Reactive Oxygen Species », ROS) (Cheng, 1996; Janeway and Medzhitov, 2002; Song et al., 2010; Soudant et al., 2013).
Des réactions d’encapsulation peuvent aussi être observées en réponse aux agents pathogènes trop volumineux pour être phagocytés. Elles consistent, après les deux premières étapes communes à la phagocytose décrites précédemment, en (3’) leur isolement par de multiples couches d’hémocytes formant une capsule, aboutissant (4’) à la dégradation extracellulaire des pathogènes (Figure 3) (Cheng, 1981; Feng, 1988; Fisher, 1988, 1986; Soudant et al., 2013).
Les ROS produites par les hémocytes lors de la destruction intra- (phagocytose) ou extra-cellulaire (encapsulation) sont des molécules oxygénées (radicalaires pour la plupart) très instables et réactives, au pouvoir hautement microbicide (Bogdan et al., 2000). Bien qu’essentiels car impliqués dans de nombreux processus cellulaires, les ROS en concentration élevée sont également toxiques pour les cellules de l’hôte (Bartosz, 2009; Stowe and Camara, 2009). Afin de se protéger du stress oxydant (i.e. des dommages que les ROS pourraient occasionner) l’hôte possède des systèmes antioxydants, non-enzymatiques tels que le glutathion, les vitamines E et C, les caroténoïdes, l’acide urique (Cadenas, 1989), et enzymatiques, tels que la superoxyde dismutase (SOD), la glutathion peroxydase (GPX), la catalase (CAT), la glutathion réductase (GR) et la glutathion S-transférase (GST) (Bogdan et al., 2000) ou encore d’autres protéines telles que les transferrines, les ferritines, les métallothionéines, qui se complexent aux métaux afin d’en limiter la disponibilité lors du processus de génération des radicaux libres (Regoli and Giuliani, 2014). De plus, la production d’espèces réactives de l’azote, très instables, comme l’oxyde nitrique, peut également participer à la destruction des particules étrangères grâce à leurs propriétés microbicides (Bogdan et al., 2000; Rivero, 2006).

Maladies

Les populations de bivalves subissent régulièrement des épizooties qui déciment ou affaiblissent les stocks exploités et limitent donc l’aquaculture. L’importance des échanges commerciaux entre les différentes régions du monde contribue à l’apparition et la propagation de maladies infectieuses. Ces maladies sont principalement dues à des virus, des bactéries ou des parasites.
Par exemple, en France, entre 1966 et 1973, la « maladie des branchies », associée à un iridovirus, a totalement décimé les populations d’huîtres creuses portugaises Crassostrea angulata (Comps, 1988), ce qui a motivé l’introduction des huîtres du Pacifique C. gigas, dont la résistance à ce virus a permis de relancer l’économie ostréicole. Des mortalités d’huîtres plates Ostrea edulis, engendrées par la marteiliose et la bonamiose, deux maladies parasitaires causées respectivement par les protozoaires Marteilia refringens et Bonamia ostrea, ont également affaibli la production ostréicole française (Renault, 1996). Au début des années 1990, l’huître creuse C. gigas a été touchée par des épisodes de surmortalités estivales associées à une maladie multifactorielle, fruit d’une interaction complexe entre la température, le statut physiologique de l’huître (période de reproduction), la présence d’agents infectieux opportunistes (ostreid herpesvirus-1 OsHV-1 et bactéries du genre Vibrio, notamment V. aesturianus et V. splendidus), et la génétique de l’hôte (Samain and McCombie, 2007).
Plus récemment, depuis 2008, le phénomène annuel de mortalités massives s’est amplifié et décime le naissain et les juvéniles d’huîtres C. gigas au printemps et en été, lorsque la température de l’eau excède 16°C, touchant 40 à 100% des lots français selon les localisations (Cochennec-Laureau et al., 2011; EFSA Panel on Animal Health and Welfare, 2010; Fleury and Bédier, 2013; Fleury, 2014). Ce phénomène a été associé à un microvariant de l’herpesvirus, OsHV-1µVar (Segarra et al., 2010). D’autres pays, notamment en Europe (Irlande, Royaume-Uni) et en Océanie (Australie), observent ce phénomène de mortalités massives du naissain et de juvéniles, associé à OsHV-1 µVar (EFSA Panel on Animal Health and Welfare, 2010; Jenkins et al., 2013; Paul-Pont et al., 2014; Renault et al., 2012; Segarra et al., 2010). Bien que OsHV-1µVar soit impliqué dans ces mortalités (Schikorski et al., 2011a, 2011b), d’autres agents pathogènes, notamment des souches bactériennes du genre Vibrio, pourraient également jouer un rôle (EFSA Panel on Animal Health and Welfare, 2010; Garnier et al., 2007; Gay et al., 2004). Les suivis opérés par le REPAMO (REseau de PAthologie des Mollusques), qui assure la surveillance de l’état de santé des mollusques du littoral français métropolitain, suggère l’implication récente de Vibrio aesturianus dans les mortalités de C. gigas. Entre 2001 et 2011, V. aesturianus fut détecté dans près de 15% des cas de mortalité, généralement chez les adultes. Cette fréquence de détection a augmenté à 30% en 2011, 60% en 2012 et a atteint 77% en 2013 et incluait de plus en plus de naissain et juvéniles (Garcia et al., 2014).
En France, les palourdes R. philippinarum sont touchées par plusieurs maladies létales. La « maladie de l’anneau brun » (« Brown Ring Disease » – BRD), causée par la bactérie Vibrio tapetis, entraîne un dépôt de conchioline sur la face interne des valves, formant ainsi un anneau brun symptomatique de la maladie. Après son entrée dans l’organisme, V. tapetis peut, en cas de stades avancés de la maladie, pénétrer dans le système circulatoire et dans les tissus et finalement engendrer la mort par septicémie (Allam et al., 2002). D’autre part, une maladie émergente a récemment été décrite dans le bassin d’Arcachon : la « maladie du muscle marron » ou « Brown Muscle Disease » (BMD), dont l’agent étiologique, potentiellement un virus, n’a pas encore été caractérisé (Dang et al., 2008). Enfin, la prévalence de Perkinsus olseni, un parasite protozoaire responsable de la perkinsose, est élevée dans les populations de palourdes en France, atteignant régulièrement 100% dans certains sites comme le bassin d’Arcachon (Dang et al., 2010). La prolifération du parasite, en revanche, reste limitée à des intensités sub-létales dans les populations françaises (Binias et al., 2014, 2013; da Silva et al., 2008; Dang et al., 2013; de Montaudouin et al., 2010; Hégaret et al., 2007a), sans présenter de variation saisonnière (Binias et al., 2014; Dang et al., 2013, 2010). Cependant, l’infection par P. olseni des populations de palourdes R. philippinarum en Corée du Sud provoque des mortalités massives, en partie dues à des conditions environnementales plus favorables pour le parasite (Choi and Park, 2010, 1997; Park and Choi, 2001).
Le long de la côte est des Etats-Unis, les parasites protozoaires, Perkinsus marinus, Haplosporidium nelsoni et Haplosporidium costale entraînent les maladies les plus conséquentes sur l’industrie des huîtres américaines C. virginica (Ford and Tripp, 1996). La principale cause de mortalité des huîtres C. virginica cultivées le long de la côte Est l’infection par P. marinus (Ford and Smolowitz, 2007), couramment désignée par l’appellation « Dermo » en référence à Dermocystidium marinum, nom donné au parasite lors de sa première identification (Mackin, 1951). Les mortalités associées à ce parasite ont d’abord été caractérisées dans le Golfe du Mexique (Mackin, 1951), mais depuis une vingtaine d’années, la maladie a progressé vers le nord, infectant désormais les populations d’huîtres du nord-est des Etats-Unis (Ford and Smolowitz, 2007). La prévalence et la charge en P. marinus dans les populations de C. virginica du nord-est des Etats-Unis présente une dynamique saisonnière plus ou moins marquée selon les sites, qui est fortement liée à la température. Les maxima de prévalence et d’intensité sont atteints en fin d’été – début d’automne, et les minima en fin d’hiver – début de printemps (Ford and Smolowitz, 2007). Ces variations sont moins marquées au sud-est des Etats-Unis (Ford and Tripp, 1996). Malgré ces fluctuations, le parasite persiste tout au long de l’année dans les populations (Ford and Smolowitz, 2007).
Les parasites H. nelsoni et H. costale sont les agents étiologiques des maladies désignées « MSX » (« Multinucleate Sphere X ») ou « Delaware Bay disease » et SSO (« Seaside organism »). Alors que H. nelsoni a été rapporté dans les populations d’huîtres américaines distribuées de la Nouvelle-Ecosse (Canada) à la Floride (Etats-Unis), H. costale possède une aire de répartition plus restreinte qui s’étend de la Nouvelle-Ecosse (Canada) à la Virginie (Etats-Unis) (Couch and Rosenfield, 1968; Ford and Tripp, 1996).
D’autres parasites, comme des trématodes digènes du genre Bucephalus peuvent impacter la reproduction de C. viriginica, sans pour autant engendrer de mortalités notables (Cheng and Burton, 1965; Tripp, 1973). Les bivalves sont des hôtes intermédiaires pour ces parasites, dont les hôtes définitifs sont des poissons. Les larves de Bucephalus sp. observées dans les tissus d’huîtres peuvent se présenter sous les stades de sporocystes et métacercaires.
Les travaux présentés dans cette thèse portent sur certaines de ces relations hôte – pathogène, dont les caractéristiques sont présentées dans le Tableau 1.
L’interaction de naissain de C. gigas et herpesvirus, agent étiologique principal associé aux mortalités estivales, a été étudiée sur le mécanisme de primo-infection, qui a été induit par cohabitation avec des huîtres porteuses et entraîne une infection détectable en quelques jours (Petton et al., 2013).
L’interaction R. philippinarum – P. olseni a été étudiée chez des palourdes prélevées dans le bassin d’Arcachon, naturellement infectées par P. olseni avec une prévalence de 100%.
L’interaction C. virginica – P. marinus & Bucephalus sp. a été étudiée chez une population d’huîtres au sein de laquelle l’infection présente des fluctuations saisonnières faibles (Milford, CT ; Ford and Smolowitz, 2007).

Efflorescences de dinoflagellés toxiques

Les bivalves, en tant qu’organismes filtreurs suspensivores sessiles, peuvent être exposés à des efflorescences de micro-algues toxiques qui se produisent régulièrement le long des côtes littorales, et qui sont à l’origine de problèmes socio-économiques et écologiques majeurs (Burkholder, 1998; Landsberg, 2002). En accumulant les toxines produites par ces algues, les bivalves deviennent impropres à la consommation humaine. En outre, ces efflorescences toxiques affectent également les populations naturelles ou cultivées. En effet, l’exposition à certaines de ces micro-algues et aux composés toxiques qu’elles produisent peut avoir des effets toxiques chez l’Homme (pouvant être létaux), mais peuvent aussi affecter la survie et la physiologie des organismes marins, à différents stades de vie (Landsberg, 2002; Shumway, 1990). Or, la fréquence de ces efflorescences toxiques apparait en augmentation au cours de ces dernières décennies (Figure 5) et semblerait en partie liée à l’augmentation des apports d’origine anthropique (Anderson et al., 2008).
Parmi ces micro-algues toxiques, les dinoflagellés (Dinophyceae) représentent 75 à 80% des espèces toxiques (Hallegraeff et al., 2003; Smayda, 1997). Ces algues unicellulaires sont protégées par une thèque formée par des plaques cellulosiques rigides. Le cycle de vie des dinoflagellés inclue un stade végétatif haploïde, au cours duquel la cellule peut se diviser et être mobile dans la colonne d’eau grâce à des flagelles ; et un stade diploïde associé à la reproduction sexuée (Figure 6).
Les efflorescences de dinoflagellés toxiques en zone tempérée sont généralement des phénomènes ponctuels et saisonniers. Leur apparition est majoritairement influencée par les conditions physico-chimiques du milieu (Sellner et al., 2003), bien que des facteurs biotiques puissent aussi réguler la dynamique des efflorescences (e.g. parasites ou prédateurs, Chambouvet et al., 2008; Turner and Granéli, 2006). Certaines espèces de dinoflagellés comme Alexandrium sp. ont adopté une stratégie d’enkystement qui leur confère une résistance aux conditions environnementales défavorables. Les kystes, qui ont une morphologie différente des cellules végétatives, perdent leur mobilité et sédimentent. Deux types de kystes se distinguent : le kyste de résistance et le kyste temporaire. Les kystes de résistance sont associés à la reproduction sexuée, suite à la fusion de deux gamètes, notamment à la fin d’une efflorescence. Ces kystes correspondent à une phase de dormance, et permettent aux dinoflagellés de résister aux conditions hivernales. La présence de ces kystes dans les sédiments (« banques » de kystes), favorise la réapparition des efflorescences l’année suivante lorsque les conditions environnementales redeviennent favorables. L’enkystement temporaire (ou pelliculé) peut survenir en quelques minutes en cas de stress (carence en nutriments, choc thermique , etc) (Doucette et al., 1989; Grzebyk and Berland, 1995). L’ingestion de cellules végétatives par des bivalves, ou le passage dans le tractus digestif, entraîne en grande partie la formation de kystes temporaires, qui résistent à la digestion. Ceux-ci ont notamment été observés intacts et viables dans les faeces de bivalves (Hégaret et al., 2008; Laabir et al., 2007). L’enkystement provoque aussi, des changements de composition toxinique (Persson et al., 2012, 2006; Smith et al., 2011). Ainsi, Persson et al. (2006) ont observé chez A. fundyense une toxicité totale environ deux fois plus faible dans les kystes temporaires que dans les cellules végétatives.
Les dinoflagellés du genre Alexandrium, qui font partie des plus importants en termes de toxicité, de diversité, et de distribution, comptent plus de 30 espèces connues, dont près de la moitié produisent des toxines (Anderson et al., 2012). Au cours de ce travail de thèse, trois espèces du genre Alexandrium, qui interagissent régulièrement avec des bivalves d’intérêt commercial, ont été étudiées (Tableau 2). En France, les palourdes japonaises Ruditapes philippinarum, sont régulièrement exposées à des efflorescences d’Alexandrium ostenfeldii (REPHY). Les huîtres Crassostrea gigas qui sont produites le long de toutes les côtes françaises sont exposées à des efflorescences d’Alexandrium minutum et d’Alexandrium catenella, respectivement sur les côtes Atlantique et Méditerranée (REPHY). La côte est des Etats-Unis, où l’huître américaine Crassostrea virginica est fortement exploitée, est régulièrement soumise à des efflorescences d’Alexandrium fundyense (Anderson et al., 2005; Hattenrath et al., 2010; Lopez et al., 2014).
Les dinoflagellés Alexandrium catenella et A. fundyense produisent des PSTs, comme d’autres espèces du genre Alexandrium, mais également des genres Pyrodinium et Gymnodinium (Van Dolah, 2000). La quantité de PSTs dans la chair des bivalves destinés à l’alimentation humaine est soumise à réglementation (800 µg éq. STX kg-1 de chair) du fait de leurs caractères neurotoxiques avérés pour l’Homme. Ces toxines hydrosolubles sont composées de saxitoxine (STX) et de dérivés de la saxitoxine : carbamates (STX, NéoSTX, les GTX1-GTX4), N-sulfocarbamoyles (B1, B2, C1-C4) et dérivés décarbomoyl (dcGTX1-dcGTX4). Le mode d’action des PSTs consiste à bloquer la conduction de l’influx nerveux en se fixant sur les canaux sodium voltage dépendants ; le flux de Na+, qui génère le potentiel dans les nerfs et fibres musculaires, est inhibé, entraînant la paralysie neuromusculaire. Chez les bivalves, les PSTs peuvent aussi se fixer sur les canaux sodium voltage dépendants (Catterall, 2000, 1980).
Les dinoflagellés Alexandrium ostenfeldii peuvent produire des PSTs et des spirolides. Les spirolides (SPXs), produits également par A. peruvianum (Touzet et al., 2008), sont des molécules lipophiles du groupe des imines cycliques composées de plusieurs analogues. Les principaux analogues accumulés par les bivalves sont les spirolides 13, 19-didesmethyl-C, 13-desmethyl-C et 13-desmethyl-D. Leur quantité dans la chair de bivalve n’est pas réglementée car leur caractère toxique pour l’Homme n’est à ce jour pas avéré. Elles sont en revanche surveillées, car elles entraînent la mort rapide de souris injectées par voie intra-péritonéale, d’où leur qualification de « Fast Acting Toxins » (Munday et al., 2012). Des études sur cultures cellulaires ont montré une action antagoniste des spirolides sur les récepteurs cholinergiques nicotiniques (Bourne et al., 2010; Gill et al., 2003; Hauser et al., 2012; Wandscheer et al., 2010), leur conférant des propriétés neurotoxiques (Gill et al., 2003; Munday et al., 2012; Otero et al., 2012; Richard et al., 2001).
En plus de ces toxines, produites intracellulairement et contenues dans les cellules algales mais également en partie excrétées (Lefebvre et al., 2008; Persson et al., 2012), d’autres composés extracellulaires de nature inconnue, toxiques pour différents types cellulaires de par leurs propriétés allélopathiques, hémolytiques, ichtyotoxiques et oxydatives peuvent être produites par différentes espèces de dinoflagellés (Arzul et al., 1999; Flores et al., 2012; Lelong et al., 2011).

Réponses des bivalves aux dinoflagellés toxiques

Les bivalves peuvent être exposés aux toxines extracellulaires (PSTs ou spirolides et autres composés) d’Alexandrium sp. lors de la filtration dès la mise en contact avec le manteau, les branchies, les palpes labiaux et les siphons (si présents). La première ligne de défense des bivalves face à une perturbation extérieure consiste à fermer leurs valves afin d’éviter le contact avec ces micro-algues, comme cela est observé chez certains bivalves, telles la mye Mya arenaria, la moule Mytilus edulis et l’huître Geukensia demissa, exposés à Alexandrium tamarense (Shumway and Cucci, 1987).
Une autre façon, pour le bivalve, de limiter le contact avec l’algue est de réduire le taux de filtration, c’est-à-dire le volume d’eau filtrée, le taux de rétention, c’est-à-dire le nombre de cellules retenues par le mucus branchial, ou le taux d’ingestion, c’est-à-dire la fraction ingérée après le tri opéré au niveau des palpes labiaux et pendant lequel sont formés les pseudofaeces qui seront rejetés vers le milieu extérieur. La réduction de la filtration et des taux de rétention et d’ingestion constituent une réponse classiquement observée chez plusieurs espèces de bivalves (moules, huîtres, myes,…) exposées à différentes espèces du genre Alexandrium (Cucci et al., 1985; Lassus et al., 1999; Shumway and Cucci, 1987). De plus, Haberkorn et al. (2011) et Tran et al. (2010) ont observé l’augmentation de la fréquence de micro-fermetures valvaires de C. gigas exposée à A. minutum. Cependant, des compromis existent entre la limitation du contact avec Alexandrium sp. et ses toxines et les besoins en oxygène et en nourriture. Ainsi, une partie de ces algues au moins est le plus souvent ingérée. Les cellules algales sont alors observables en coupes histologiques dans la lumière de l’intestin. Le passage dans le tube digestif où le contact avec les enzymes digestives du bivalve peut entraîner l’enkystement des cellules algales pour augmenter leur résistance à la digestion. Elles peuvent ainsi être éliminées intactes dans le milieu via les faeces (Hégaret et al., 2008; Laabir et al., 2007; Persson et al., 2006).
Lorsque la digestion entraîne la lyse des cellules pour l’absorption des nutriments, le contenu toxinique intracellulaire est libéré et accumulé dans les tissus, majoritairement dans la glande digestive (Bricelj and Shumway, 1998; Guéguen et al., 2008; Lassus et al., 2007; Medhioub et al., 2012).
L’observation d’hémocytes en diapédèse (i.e. migrant entre les cellules de l’épithélium) mais aussi autour des cellules algales dans la lumière de l’intestin et dans les faeces a soulevé l’hypothèse d’un mécanisme similaire à l’encapsulation afin de protéger les organes internes en isolant les algues et leurs composés toxiques (Galimany et al., 2008b). Ces hémocytes infiltrés dans les tissus digestifs et observés en diapédèse pourraient aussi avoir une fonction de détoxication, via un transport des toxines ou de leur produits vers la lumière du tractus digestif afin de les éliminer, comme cela a été suggéré par Galimany et al. (2008b) et Haberkorn et al. (2010).
En effet, l’exposition à Alexandrium sp. est fréquemment associée à des lésions des tissus digestifs (Haberkorn et al., 2010b; Medhioub et al., 2012) qui traduisent le caractère toxique pour les bivalves des composés produits par Alexandrium sp. Ces lésions peuvent dès lors être responsables d’altération des fonctions digestives (Fernández-Reiriz et al., 2008; Li et al., 2002). Des infiltrations hémocytaires associées à ces lésions pourraient également indiquer un rôle des hémocytes dans la réparation tissulaire (Estrada et al., 2007; Galimany et al., 2008a, 2008b, 2008c; Haberkorn et al., 2010b). Des modifications hématologiques dans l’hémolymphe (concentration en hémocytes circulants, différenciations morphologiques…) suggèrent effectivement des réponses fonctionnelles des hémocytes (da Silva et al., 2008; Galimany et al., 2008c; Haberkorn et al., 2010a; Hégaret and Wikfors, 2005; Hégaret et al., 2007a).
Les modifications des variables hémocytaires pourraient aussi résulter d’effets cytotoxiques des composés produits par les dinoflagellés. En effet, les études de Hégaret et al. (2007b) et Mello et al. (2012) font état d’une augmentation du pourcentage d’hémocytes circulants morts, ou encore de la réduction de la capacité de phagocytose, associée à l’exposition ou aux PSTs accumulées. Ces effets, suggèrent des altérations fonctionnelles des hémocytes, qui pourraient avoir des conséquences sur la défense immunitaire des bivalves.
Finalement, bien que le système immunitaire semble modulé par l’exposition, il est difficile d’en estimer des effets immuno-stimulants ou immuno-suppresseurs ; d’une part, en raison de la grande spécificité des effets d’exposition en fonction du couple bivalve – dinoflagellé ; et d’autre part, en raison des effets observés sur les autres variables physiologiques qui peuvent également impliquer les hémocytes (de par leurs multiples fonctions), ou rendre l’organisme plus vulnérable à des infections par des agents pathogènes.

Interactions bivalve – pathogène – dinoflagellé toxique

Les impacts des dinoflagellés toxiques sur les hémocytes et plus généralement sur la physiologie des bivalves suggèrent que les efflorescences d’Alexandrium sp. pourraient augmenter la susceptibilité aux maladies, comme l’avait suggéré Harvell et al. (1999). Ainsi, leurs effets pourraient interférer avec les fonctions immunitaires, et donc moduler les interactions hôtes-pathogènes. Lorsque l’on considère également les atteintes physiologiques induites par les dinoflagellés toxiques, de nouvelles questions se posent : la combinaison de l’exposition aux dinoflagellés toxiques et de l’infection par des pathogènes entraîne-t-elle chez le bivalve des dommages physiologiques synergiques, c’est-à-dire propres à leur interaction ? Ces interactions peuvent-elles conduire à l’émergence de maladies ?
Conceptuellement, les effets combinés des dinoflagellés toxiques et des agents pathogènes sur l’état physiologique du bivalve, autour duquel cette étude est centrée, pourraient aboutir à trois types de scénarios différents :
– « Négatif » : les effets combinés du dinoflagellé toxique et de l’agent pathogène sont davantage délétères pour le bivalve que l’effet de l’un ou l’autre des facteurs individuellement.
– « Positif » : les effets combinés du dinoflagellé toxique et de l’agent pathogène ont des conséquences moins délétères pour le bivalve que l’un ou l’autre des facteurs individuellement.
– « Neutre » : les effets combinés du dinoflagellé toxique et de l’agent pathogène n’entraînent pas d’effet spécifique, par rapport à l’effet individuel de chacun des facteurs.
A ce jour, peu d’études ont porté sur les effets de l’interaction tripartite bivalve – micro-algue toxique – agent pathogène. Cependant, des effets potentiels de leur interaction sur l’immunité du bivalve ont été mis en évidence. Ainsi, une réduction de la capacité de phagocytose des hemocytes a été observée chez la palourde américaine Mercenaria mercenaria infectée par le parasite QPX (« Quahog Parasite X »), et chez la palourde japonaise R. philippinarum infectée par P. olseni, lors d’une exposition aux dinoflagellés toxiques Prorocentrum minimum et Karenia selliformis, respectivement (Hégaret et al., 2010, 2007a).
D’autre part, l’exposition de la palourde R. philippinarum au dinoflagellé P. minimum et au parasite P. olseni a provoqué des effets synergiques altérant la structure musculaire du pied et provoquant des dégénérescences des ovocytes (Hégaret et al., 2009).
En outre, l’exposition à Alexandrium tamarense chez des palourdes juvéniles R. philippinarum infectées expérimentalement par la bactérie V. tapetis (l’agent étiologique de la BRD) a réduit l’évolution de la BRD (i.e. l’intensité du dépôt de conchyoline), mais augmenté le taux de mortalité (Bricelj et al., 2011). Les auteurs de cette étude proposaient trois scénarios possibles. Le premier scénario consistait en une diminution de la défense contre V. tapetis par une inhibition de la capacité à produire la conchyoline, dont le rôle serait d’isoler les bactéries. Le deuxième scénario consistait en une immuno-activation via l’augmentation de la capacité phagocytaire (décrite dans cette même étude chez des adultes exposés à la même algue) qui aurait au contraire amélioré la lutte contre la bactérie. La dernière hypothèse reposait sur d’éventuels effets toxiques d’A. tamarense sur la bactérie.
En effet, ce type d’interaction directe entre agent pathogène et dinoflagellé toxique peut moduler l’interaction hôte – pathogène. Ainsi, une diminution de la prévalence et de l’intensité de la perkinsose a été rapportée chez des palourdes R. philippinarum exposées pendant trois semaines au dinoflagellé toxique K. selliformis (da Silva et al., 2008). Cette réduction de la charge parasitaire dans l’organisme a été attribuée aux
effets toxiques des composés extracellulaires produits par cette algue envers le parasite P. olseni mesurés in vitro (da Silva et al., 2008).
Ces différentes études soulignent la complexité de ces interactions et l’importance de leurs conséquences sur les bivalves, ainsi que la nécessité d’étudier chaque cas individuellement étant donné leur caractère espèce-spécifique.
Les efflorescences d’Alexandrium sp. se produisent principalement au printemps et en été, dans les régions tempérées. Cette période de l’année offre également des conditions propices à l’infection et la prolifération d’agents pathogènes chez les bivalves. Ainsi, le risque de co-occurrences d’efflorescences toxiques et de maladies est élevé.
En France, sur la côte méditerranéenne, les épisodes de mortalités massives de naissain d’huîtres creuses C. gigas, associées principalement à l’herpesvirus OsHV-1µVar, peuvent se produire aux mêmes périodes que des efflorescences d’A. catenella.
Dans le bassin d’Arcachon, les populations de palourdes, naturellement infectées par le parasite P. olseni¸ sont soumises régulièrement à des efflorescences d’A. ostenfeldii.
Le long de la côte nord-est des Etats-Unis, des efflorescences d’A. fundyense se produisent régulièrement, exposant les huîtres C. virginica qui sont naturellement infectées par des trématodes Bucephalus sp. et par le protozoaire P. marinus.

Les facteurs qui modulent l’interaction tripartite

Interactions directes entre Alexandrium sp. et agents pathogènes ?

Bien qu’au cours de cette thèse l’intérêt ait été porté sur le compartiment « bivalve » de l’interaction tripartite, les résultats obtenus soulignent la nécessité de considérer les interactions directes entre Alexandrium sp. et les pathogènes, qui sont susceptiblesd’avoir des conséquences pour le bivalve (Figure 7).
Ainsi, le dinoflagellé K. selliformis produit des composés extracellulaires toxiques pour le parasite P. olseni, qui peuvent conduire à une diminution du taux d’infection chez les palourdes R. philippinarum (da Silva et al., 2008). D’autres études ont mis en évidence que les composés extracellulaires d’Alexandrium spp., ont des effets cytotoxiques: allélopathiques, hémolytiques, ichtyotoxiques et oxydatifs sur divers organismes unicellulaires (Arzul et al., 1999; Flores et al., 2012; Lelong et al., 2011a). De plus, les PSTs, en partie extracellulaires (Lefebvre et al., 2008; Persson et al., 2012), peuvent modifier les flux de sodium et de potassium de différents prokaryotes tels que les bactéries à Gram négatif (Pomati et al., 2003), dont font partie les vibrions, et qui sont les bactéries les plus impliquées dans les maladies de bivalves (Paillard et al., 2004). Dans l’article 1 (chapitre 1, Lassudrie et al., subm.), nous proposons que ces composés extracellulaires puissent également avoir des effets toxiques sur l’herpesvirus. L’enveloppe lipidique du virus pourrait par exemple avoir été altérée par des espèces réactives de l’oxygène (Reactive Oxygen Species ; ROS) provenant de ces composés extracellulaires (Flores et al., 2012).
Des travaux visant à caractériser les composés extracellulaires des dinoflagellés toxiques et leurs effets in vitro sur d’autres micro-organismes ont été initiés au LEMAR et dans d’autres laboratoires (da Silva et al., 2008; Flores et al., 2012; Lelong et al., 2011a). Ces tests in vitro pourraient être appliqués à d’autres micro-organismes pathogènes affectant les bivalves afin d’améliorer la compréhension des mécanismes impliqués dans les interactions tripartites bivalve – pathogène – dinoflagellé toxique.
Inversement, des micro-organismes pathogènes tels que les bactéries peuvent impacter les micro-algues toxiques, dont Alexandrium sp., notamment lorsque leur proximité physique est favorisée par chimiotactisme positif ou par adhérence à la paroi des cellules algales (voir revue de Doucette, 1995). Les bactéries peuvent produire des composés bioactifs qui peuvent interférer avec la physiologie de l’algue. Ainsi, un métabolite capable d’inhiber la croissance, voire d’être létal pour plusieurs espèces de micro-algues toxiques a été isolé par Ishio et al. (1989). Plus récemment, une souche bactérienne d’actinomycète possédant des effet algicides envers A. tamarense a été isolée (Bai et al., 2011). Des exopolymères peuvent aussi être produits par les bactéries, et modifier la dynamique d’une efflorescence, notamment en favorisant la formation d’agrégats qui conduisent à la sédimentation des cellules algales (Kirchman, 1993). Par ailleurs, la communauté bactérienne associée aux micro-algues toxiques peut avoir un effet sur la production de toxines (Doucette et al., 1998; Hold et al., 2001; Lelong et al., 2014), et donc potentiellement sur leur accumulation par les bivalves.
La nécessité de comprendre ces effets est d’autant plus pertinente que, comme d’autres micro-algues, les dinoflagellés toxiques peuvent être vecteurs de micro-organismes pathogènes lorsque ces derniers se fixent sur les cellules algales (Doucette, 1995; Rivera et al., 2012).
La poursuite des recherches sur ces interactions serait pertinente pour mieux les comprendre, bien qu’en pratique des limitations techniques existent, notamment l’incapacité de cultiver l’herpesvirus ou certaines bactéries. Cependant, le suivi de la dynamique et de la physiologie des algues dans de l’eau contenant ces virus, ou en présence de bivalves infectés pourrait être envisagé. L’utilisation de marqueurs
fluorescents permettant d’estimer l’état physiologique de l’algue, à travers la viabilité, le métabolisme associé à la production de chlorophylle, ou encore les métabolismes primaire ou secondaire (activité des estérases, quantité de lipides intracellulaires, etc.) associé aux techniques de microscopie de fluorescence et de cytométrie en flux (Lelong et al., 2011b) permettrait d’explorer les effets de ces micro-organismes pathogènes sur les dinoflagellés toxiques.

Implication des réponses physiologiques des bivalves

L’état physiologique initial du bivalve est l’un des paramètres qui module le résultat de l’interaction tripartite (Samain and McCombie, 2007). Ainsi, les variables physiologiques du bivalve mesurées à l’issue d’une interaction bivalve – pathogène – Alexandrium sp. sont la résultante (i) de l’état physiologique initial du bivalve, et de (ii) l’effet d’Alexandrium sp. et du pathogène. Finalement, ces modifications physiologiques peuvent traduire leurs rôles dans les modulations ou la stabilité de l’interaction tripartite, ou au contraire en être la conséquence (altérations par exemple) (Figure 7). Les hémocytes sont des cellules circulantes impliquées dans de multiples fonctions physiologiques chez les bivalves, notamment l’immunité, la nutrition, la minéralisation coquillère et la réparation tissulaire. Cependant, les mécanismes opérant lors de leur implication dans ces différentes fonctions sont très peu connus chez les bivalves, notamment en raison du manque de connaissances sur les différenciations fonctionnelles et surtout sur l’hématopoïèse (i.e. la production de novo d’hémocytes) (cf Donaghy et al 2009 ; Hine 1999). Les hypothèses les plus récentes concernant leur différenciation fonctionnelle proposent que les sous-populations d’hémocytes circulants distinguées par critères morphologiques (cellules de type souche ou « blast-like cells », hyalinocytes, granulocytes) correspondent à différentes phases d’un seul type cellulaire. Ces différentes phases seraient liées à différents stades de maturité ou à différentes fonctions. La différentiations pourrait intervenir entre sous-populations mais aussi au sein d’une même sous-population (Rebelo et al., 2013; Wikfors and Alix, 2014)
Ainsi, les variables hémocytaires mesurées chez les bivalves au cours de ce travail de thèse suggèrent que ces cellules assurent plusieurs fonctions en réponse à l’interaction tripartite bivalve – pathogène – Alexandrium sp. Ces observations permettent d’émettre des hypothèses sur le rôle des hémocytes dans ces interactions, et plus généralement d’améliorer l’état actuel des connaissances sur le lien entre hématologie, morphologie et fonctions, encore mal compris.

Immunité, réparation tissulaire, détoxication : rôle des hémocytes ?

L’exposition à des micro-organismes potentiellement pathogènes, ou leur présence dans l’organisme des bivalves infectés, a entraîné en général, des infiltrations dans les tissus, une augmentation de la concentration en hémocytes dans l’hémolymphe, et une augmentation de leur taille et de leur complexité interne (articles 2 et 3, chapitre 2, Lassudrie et al., 2014, in rev. ; article 4, chapitre 3, Lassudrie et al., in prep.). Ces réponses hématologiques et morphologiques suggèrent qu’une augmentation de la production d’hémocytes et une différenciation sont probablement associées à la réponse immunitaire (phagocytose, encapsulation), à leur migration sur le lieu d’infection, mais aussi éventuellement à la réparation des lésions provoquées par l’infection (Cheng, 1996; Hine, 1999; Soudant et al., 2013).
D’une façon générale, au cours de ces travaux de thèse, l’exposition à Alexandrium sp. a activé la production d’hémocytes circulants chez les bivalves, augmenté leur taille et leur complexité et provoqué leur infiltration dans les tissus (article 2 et 3, chapitre 2, Lassudrie et al., 2014 ; Lassudrie et al., in rev.; article 4, chapitre 3, Lassudrie et al., in prep.). Les hyalinocytes semblent jouer un rôle particulier dans la réponse à Alexandrium sp. En effet, leurs modifications morphologiques corrélées aux quantités de PSTs accumulées dans la glande digestive et à la production de ROS, peuvent traduire une activité métabolique accrue (Donaghy et al., 2012). Cela suggère une différenciation fonctionnelle, soit pour la réparation des lésions provoquées par les PSTs, soit pour l’isolement des cellules algales présentes dans la lumière de l’intestin, ou encore pour la détoxication des tissus.
Plusieurs auteurs ont suggéré que des hémocytes observés en diapédèse dans l’épithélium digestif et autour des cellules algales dans la lumière de l’intestin ou encore dans les faeces utiliseraient un mécanisme comparable à l’encapsulation afin de protéger les tissus internes des composés toxiques excrétés par ces algues (Galimany et al., 2008b; Hégaret et al., 2009). Cependant, l’observation d’hémocytes autour des cellules algales n’a pas été fréquente au cours de ces travaux de thèse (articles 2 et 3, chapitre 2, Lassudrie et al., 2014 ; Lassudrie et al., in rev).
Les observations d’infiltrations et de diapédèses et les modifications morphologiques ont également été rapportées chez des bivalves exposés à des xénobiotiques (Farley, 1988; Sunila, 1984), ce qui, dans le cas d’une exposition à un dinoflagellé toxique, suggère un rôle des hémocytes dans la détoxication en transportant les toxines ou leur produits à l’extérieur des tissus (Galimany et al., 2008a, 2008b; Hégaret et al., 2009).Franchini et al. (2003) ont détecté des yessotoxines (toxines lipophiles) dans les hémocytes de moules, soutenant cette hypothèse.
Par ailleurs, Wikfors et Alix (2014) suggèrent l’existence d’un lien entre les modifications morphologiques et l’apoptose des hémocytes. Ce phénomène de mort cellulaire programmée, impliqué particulièrement dans la défense immunitaire contre les pathogènes intracellulaires (Sokolova, 2009), peut être stimulé par l’exposition aux dinoflagellés toxiques (Hégaret et al., 2009; Medhioub et al., 2013).
Enfin, la présence des toxines dans les hémocytes pourrait également impacter leur osmolarité, et être à l’origine des changements morphologiques détectés (Franchini et al., 2003; Malagoli and Ottaviani, 2004).
Cependant, la nature des différenciations morphologiques des hémocytes de bivalves en réponse à Alexandrium sp. diffère en fonction des études (Galimany et al., 2008a; Haberkorn et al., 2010a; Hégaret et al., 2007b). Ces différences intrinsèques sont liées aux modèles étudiés, comme précédemment évoqué, mais aussi probablement à l’état physiologique du bivalve, entraînant l’implication simultanée des hémocytes dans plusieurs fonctions qui pourraient interférer entre elles, indépendamment de la réponse à Alexandrium sp.

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Table des matières

Contexte scientifique
1 Bivalves
2 Système immunitaire
3 Maladies
4 Efflorescences de dinoflagellés toxiques
5 Réponses des bivalves aux dinoflagellés toxiques
6 Interactions bivalve – pathogène – dinoflagellé toxique
Objectifs
Chapitre 1 : Une exposition à Alexandrium peut-elle moduler l’interaction hôte – pathogène, et à l’inverse, un agent pathogène peut-il moduler l’interaction bivalve – Alexandrium sp.?
Article 1 : Interaction between toxic dinoflagellate Alexandrium catenella exposure and disease associated with herpesvirus OsHV-1 in Pacific oyster spat Crassostrea gigas
Chapitre 2 : Quelles sont les effets combinés d’une exposition à Alexandrium sp. et de parasites sur des bivalves naturellement infectés, ainsi que leurs implications physiologiques ?
Article 2 : Physiological responses of Manila clams Venerupis (=Ruditapes) philippinarum with varying parasite Perkinsus olseni burden to toxic algal Alexandrium ostenfeldii exposure
Article 3 : Physiological and pathological changes in the eastern oyster Crassostrea virginica infested with the trematode Bucephalus sp. and exposed to the toxic dinoflagellate Alexandrium fundyense
Chapitre 3 : Les effets d’Alexandrium sp. sur la physiologie du bivalve peuvent-ilsfavoriser des infections opportunistes lors de l’exposition du bivalve à un nouvel environnement microbien ?
Article 4 : Exposure to the toxic dinoflagellate Alexandrium catenella modulates juvenile oysters Crassostrea gigas hemocyte variables: possible involvement in susceptibility to opportunistic infections
Discussion générale et perspectives
1 Modulation espèces-spécifique des interactions biotiques bivalve – pathogène – Alexandrium sp.
2 Les facteurs qui modulent l’interaction tripartite
2.1 Interactions directes entre Alexandrium sp. et agents pathogènes ?
2.2 Implication des réponses physiologiques des bivalves
2.2.1 Immunité, réparation tissulaire, détoxication : rôle des hémocytes ?
2.2.2 Perturbation de l’homéostasie cellulaire et de l’intégrité tissulaire
2.2.3 Filtration, ingestion et digestion : étapes clés dans la modulation de ces interactions ?
3 Des interactions à intégrer dans un environnement global
4 Evolution de l’interaction : quelques considérations temporelles
Conclusion
Références bibliographiques (hors articles)

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