Repérage des indices d’énonciation

Réflexions énonciative et pragmatique

Le besoin de se détacher de l’immanentisme et de la formule saussurienne qui stipule : l’étude de la langue en elle-même et pour elle-même » a incité de nombreux linguistes, qui malgré leurs querelles et divergences à s’orienter vers l’étude de l’usage qu’en font les interlocuteurs de cette langue dans une situation d’énonciation. Ils ont de ce fait, tous admis largement l’idée d’une étude du discours comme énonciation, ce qui a donné naissance à ce que l’on appelle les théories énonciatives. Ces dernières constituent aujourd’hui l’une des dimensions fondamentales de toute étude de discours. Ainsi, les théories de l’énonciation s’accordent aujourd’hui pour considérer la langue Saussurienne, le code structuraliste et la compétence chomskyenne comme des définitions de l’objet de la linguistique réductrices à l’excès1. La linguistique énonciative a donc pour mission d’aborder la langue non plus en tant que système et code mais dans sa mise en fonctionnement et son usage dans un discours.

Toute énonciation dans un discours sera également envisagé dans sa dimension pragmatique c’est-à-dire comme instrument d’action. Rappelons que ce premier chapitre s’organisera autour de deux notions fondamentales dans notre travail de recherche à savoir ; les approches énonciatives ainsi que les actes du langage. Nous allons d’abord aborder les différentes approches énonciatives des différents linguistes. Ainsi seront mis en exergue les concepts linguistiques proprement dit du sujet parlant, modalisation (Charles Bally), d’ancrage énonciatifs et déictiques (Benveniste, Kerbrat-Orecchioni) de polyphonie, présupposé (Ducrot), du genre du discours, contexte (Maingueneau),de la Coénonciation (Culioli) ainsi que les définitions variés de l’énonciation. En partant de ces théories, notre contribution s’articulera sur l’analyse énonciative et conversationnelle, tout en mettant en lumière les deux concepts indispensables à savoir la conversation et l’interaction. Puis sur la pragmatique dans laquelle nous mettrons en lumière la notion d’actes du langage abordés par Austin et Searle et enfin sur les deux notions de sous-entendu et présupposé.

L’approche de Charles Bally Bien que les théories d’énonciation aient vu des noms de linguistes comme Benveniste et tant d’autres qui lui ont succédés, cité régulièrement comme une référence en ce domaine, en laissant présager que cette notion a vu le jour avec la linguistique moderne , il n’en demeure pas moins que le concept d’énonciation n’est pas aussi récent qu’il parait. En effet, Charles Bally qui est un adapte du structuralisme comme en témoigne ses travaux et publication avec son prédécesseur et maitre ; Ferdinand De Saussure, s’est distingué par ses réflexions en traçant les contours d’une théorie de l’énonciation et en étant l’un des premiers à y faire référence dans son oeuvre linguistique générale et linguistique française à travers ces propos : « J’ai préféré traiter avec quelques détails, deux sujet fondamentaux qui en réalité amorcent tout le reste : la théorie de l’énonciation et la technique des signe matériels (ou signifiant) dans le rapport avec les valeurs (ou signifié) ».

Par « Énonciation », Bally entend ; l’énonciation d’une pensée, qu’il définit ainsi : « la pensée qu’on veut faire connaitre » et « le but, la fin de l’énoncé, ce qu’on se propose, en un mot : le propos ; on l’énonce à l’occasion d’une autre chose qui en forme la base, le substrat, le motif : c’est le thème ».3Il résulte de ces quelques lignes que Bally conçoit l’énoncé comme résultant de l’énonciation de quelque chose sur quelque chose d’autre. Bally amorce la théorie de l’énonciation en la soumettant à une représentation qui est conditionnée par trois points principaux : « Toute énonciation de la pensée par la langue est conditionnée logiquement, psychologiquement et linguistiquement »4 . On pourrait en déduire également selon les dires de l’auteur que l’énonciation est « toutes ces manières dont la langue donne forme à la pensée communiqué »5 Cette conception du linguiste constitue un élargissement de l’approche saussurienne sur la langue en tant que système en y rajoutant celle de l’activité du sujet parlant. Ce concept central est en effet omniprésent dans la théorie de Bally qui l’affirme clairement dans ces propos : « L’étude de la langue n’est pas seulement l’observation des rapports existant entre des symboles linguistique, mais aussi des relations qui unissent la parole à la pensée (…) c’est une étude en partie psychologique, en tant qu’elle est basé sur l’observation de ce qui se passe dans l’esprit du sujet parlant au moment où il exprime ce qu’il pense » .

L’auteur souligne également l’importance du rôle du sujet parlant dans l’interprétation du sens d’un énoncé dans une situation concrète de communication, il dira dans ce sens : « Il est difficile d’admettre qu’on fasse dépendre un rapport créé par l’acte de communication, d’une qualité qui serait inhérente aux idées, prises en dehors de l’intervention du sujet parlant. Il est beaucoup plus normal de renverser les termes et de déduire les qualités logiques des idées, du rôle que la volonté leur assigne dans un acte de communication »7 Plus important encore, le linguiste propose« d’annexer au domaine de la langue une province qu’on a beaucoup de peine à lui attribuer : la langue parlée envisagée dans son contenu affectif et subjectif »8. En énonçant : « la modalité est l’âme de la phrase ; de même que la pensée »,9 Bally introduit l’un des concepts fondamentaux dans les théories énonciatives qui sera repris ultérieurement par de nombreux linguistes, celui de la modalité.

Cette modalité suppose que tout énoncé soit porteur des choix opérés par son auteur dans une situation d’interlocution, ces choix sont introduits dans la conception du linguiste comme des jugements intellectuel, affectif ou d’une volonté qu’un sujet pensant énonce à propos d’une perception ou d’une représentation de son esprit. Ainsi ; « on peut appeler sujet modal celui à qui incombe, ou est censé incombé, la modalisation de l’assertion10, c’est-à-dire la façon dont elle est présenté11 », ce « sujet modal peut être le plus souvent en même temps le sujet parlant »12 La théorie de la modalité chez Bally, postule que tout énoncé comporte deux parties dont l’une est le dictum, « la représentation reçue par les sens, la mémoire ou l’imagination », et l’autre, le modus « l’opération psychique du sujet pensant »13. En effet, pour que la modalité se manifeste dans un énoncé, il doit y avoir, d’abord, une présence active d’un sujet parlant, qui utilise la langue à son compte pour moduler son discours, puisque c’est à lui qu’incombe la manière avec laquelle il doit procéder dans la transmission du contenu de sa parole, et qui donne le sens essentiel à son discours.

Les déictiques personnels

On fait entrer dans la classe de ces déictiques: les pronoms personnels de première et deuxième personnes, singulier et pluriel; les possessifs, prédéterminant et substituts, se rapportant aux personnes du dialogue, locuteur et allocutaire, certains emplois de l’indéfini « on », désignant les indices de l’énonciation, certains appellatifs, noms communs ou propres, quand ils désignent le destinataire du message (l’allocutaire). Ces indices de personne renvoient à l’instance du discours où ils sont produits. Benveniste a mis particulièrement l’accent sur le couple « je-tu », opposé à « il » qui est la marque de la nonpersonne (qui s’identifie à la personne dont les interlocuteurs parlent, elle est définie par son absence dans la situation d’énonciation). Ce pronom prend sa valeur dans sa relation avec d’autres composants d’un texte en recevant une valeur anaphorique, qu’on peut illustrer dans l’exemple suivant : J’ai vu pierre. Il m’a promis de venir. Quant au pronom « Je », il désigne selon l’auteur «l’individu qui énonce la présente instance du discours contenant l’instance linguistique « je» et le« Tu » désignant à son tour « l’individu allocuté dans la présente instance de discours contenant l’instance linguistique tu ».

Ces deux pronoms n’ont d’existence que dans le discours qui les profère. Leurs relations est également illustrées par le linguiste dans ces propos : « dans la situation d’interlocution, « je » et « tu » peuvent s’inverser : celui que « je » définis par « tu » se pense et peut s’inverser en « je » et « je » (moi) deviens un « tu ». Aucune relation pareille n’est possible entre ces deux personnes et « il » puisque « il » en soi ne désigne spécifiquement rien ni personne »22 Cette forme de 3ème personne qui prête à confusion chez l’auteur « comporte bien une indication d’énoncé sur quelqu’un ou quelque chose, mais non rapporté à une «personne » spécifique »23Benveniste s’inspire des grammairiens arabes qui adoptent l’appellation « absent » pour affirmer : « la 3è personne n’est pas une « personne » ; c’est même la forme verbale qui apour fonction d’exprimer la non-personne »24cette dernière a donc pour unique fonction la prédication.

Cette dialectique pronominale signifie l’expérience subjective des sujets parlants qui se posent et se situent dans le langage. Benveniste annonce que « La « subjectivité » dont nous traitons ici est la capacité du locuteur à se poser comme « sujet ».25Il insiste sur le fait que «les pronoms personnels sont le premier point d’appui pour cette mise au jour de la subjectivité dans le langage».26 Les deux pronoms « je, tu » représentent la forme la plus explicite de la subjectivité, puisque « c’est dans une réalité dialectique, englobant les deux termes et les définissant par relation mutuelle qu’on découvre le fondement linguistique de la subjectivité. Cette argumentation aboutit au concept d’intersubjectivité, la seule qui rend possible la communication linguistique »27 Selon le linguiste, cette subjectivité est la condition d’existence même du langage car ce dernier « n’est possible que parce que chaque locuteur se pose comme sujet en renvoyant à luimême comme je dans son discours »28. Elle est de ce fait omniprésente dans la mesure où elle permet au locuteur de devenir sujet et d’utiliser la langue sous divers formes : « Une langue sans expression de la personne ne se conçoit pas. […] Le langage est marqué si profondément par l’expression de la subjectivité qu’on se demande si, autrement construit, il pourrait fonctionner et s’appeler langage »29

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Table des matières

Introduction générale
Présentation du sujet
Corpus, choix et motivation
Problématique
Hypothèse
Méthodologie
Chapitre I : Réflexion énonciative et pragmatique
1. L’approche de Charles Bally
2. L’approche d’Emile Benveniste
2.1 Les déictiques personnels
2.2 les déictiques spatio-temporels (ostension
3. L’approche d’Antoine Culioli
3.1 Enoncé-énonciation
3.2 Enonciateur- co-énonciateur
3.3 Notion-occurrence
3.4 Opération- repérage
4. L’approche d’Oswald Ducrot
4.1 Locuteur
5. L’approche de Catherine Kerbrat Orecchioni
5.1 Enonciation étendue
5.2 Enonciation restreinte
6. L’approche de Dominique Maingueneau
7. Aperçu sur la pragmatique
7.1 Dire c’est faire
Chapitre II : organisation des tours de paroles, analyse énonciative et pragmatique
1. L’énonciation dans un cadre interactionnel
2. Analyse du corpus
2.1 Repérage des indices d’énonciation
2.1.1 Déictiques personnels
2.1.1.1 Analyse énonciatives des pronoms personnels et possessifs
2.1.2 Déictiques spatio-temporels
2.1.2.1 Déictique spatiaux (Briefing
2.1.2.2 Déictique temporels (Briefing
2.1.2.3 Déictique spatiaux (conférence
2.1.2.4 Déictique temporels (conférence
2.1.3 Subjectivité évaluative et affective
2.1.4 La modalité
2.1.5 Enonciation historique
2.1.6 Fréquence d’utilisation des langues en présence
2.2 Analyse de l’organisation des tours de paroles
2.2.1 Situation de communication (briefing
2.2.2 Situation de communication (conférence
2.3 Identification des actes de langage
Conclusion générale
Bibliographie
Annexe
Index

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