Arvicanthis. niloticus, Mastomys erythroleucus, M. huberti et M. natalensis hébergent différentes espèces de cestodes. Cependant la diversité des cestodes n’est pas significativement différente entre les espèces hôtes et entre les domaines biogéographiques. Mais chez A. niloticus des différences très significatives ont été notées aussi bien sur la diversité que sur la richesse spécifique des cestodes entre les domaines biogéographiques. Bien que certaines espèces de cestode parasitent à la fois plusieurs hôtes, leur fréquence et leur abondance varient fortement selon l’espèce hôte et selon le domaine biogéographique. Ces résultats montrent aussi qu’il est difficile de démêler l’effet des facteurs intrinsèques (sexe, âge) de l’hôte et des facteurs extrinsèques (saison, type de domaine biogéographique) sur la structure de la communauté de cestodes dans l’hôte.
Spécificité hôte-parasite et compétition interspécique chez les cestodes
Généralement, la spécificité est le résultat d’un processus adaptatif (Brooks & McLennan, 1991). Une espèce parasitant les individus d’une seule espèce hôte est habituellement décrite comme un spécialiste, tandis que si elle parasite plusieurs espèces hôtes elle serait un généraliste (Combes, 1995). Nous avons noté que Hymenolepis uranomidis, Raillietina baeri, Skrjabinotaenia occidentalis et Sudarikovina monodi semblent être spécifiques au genre Mastomys, contrairement à Hymenlepis nana, Hymenlepis straminea, Inermicapsifer madagascariensis et Raillietina trapezoïdes qui semblent être généralistes. Dans le cas de R. trapezoïdes, c’est une espèce très répandue dans toute l’Afrique et elle a été décrite chez différentes espèces de rongeurs dont Lemniscomys striatus striatus, Meriones shawi, Mus variegatus, Arvicanthis niloticus, A. pumilio, A. mordax et Psammomys obesus (Joyeux & Baer, 1936 ; Hunkeler, 1974 ; Bâ, 1995). Au cours de cette étude, nous l’avons récoltée à nouveau chez Arvicanthis niloticus mais aussi pour la première fois chez Mastomys erythroleucus, M. huberti et M. natalensis en Guinée, au Mali, au Sénégal et au Bénin. I. madagascariensis semble montrer un certain caractère généraliste au cours de cette étude : elle a été retrouvée chez A. niloticus et les rongeurs du genre Mastomys. Cependant dans les Niayes, elle n’a été récoltée que chez A. niloticus, ce qui confirme les travaux antérieurs de Paperna et al. (1970), Hunkeler (1974) et Bâ (1995). Une espèce parasite peut être spécifique à un genre comme c’est le cas de certaines espèces de cestodes citées précédemment ou à une famille (Ludwig, 1982).
La spécificité ou non des cestodes pour leur hôte peut être liée à la compétition interspécifique (Holmes, 1973). Certaines espèces de parasites spécifique à un hôte peuvent être successivement éliminées, au travers de filtres écologiques (habitat de l’hôte) et éthologiques (régime alimentaire, comportement) (Price, 1986), mais par la compétition interspécifique qui peuvent se manifester pour des parasites occupant une même niche écologique. Une espèce dominante peut ainsi éliminer une espèce satellite (Price, 1986). Cette dernière hypothèse peut expliquer la faible fréquence de I. madagascariensis chez A. niloticus où elle pourrait occuper les niches parasitaires laissées libres par l’espèce dominante R. trapezoïdes récoltée avec des densités plus élevées. La spécificité limite la compétition entre parasites, en effet les espèces spécialistes sont désavantagées par rapport aux espèces généralistes lorsqu’il se produit des sélections d’hôtes (Combes, 2001). Dans les niayes du Lac Retba, ce caractère généraliste de R. trapezoïdes n’a pas été mis en évidence car elle n’a été récoltée que chez A. niloticus où elle peut coexister avec I. madagascariensis. De même, seule R. baeri a été récoltée chez M. erythroleucus. Ces deux espèces de cestodes semblent donc montrer une certaine préférence envers ces deux hôtes (R. trapezoïdes chez A. niloticus et R. baeri chez M. erythroleucus).
Répartition biogéographique des cestodes : relations hôte-climat sur le parasitisme
Suivant les localités, les mêmes espèces d’hôtes ne sont pas toujours parasitées par les mêmes communautés de parasites (Norton & Carpenter, 1998). Ainsi chez un même hôte, nous avons constaté que les espèces de cestode différent d’un domaine biogéographique à l’autre. En effet, certaines espèces persistent, d’autres disparaissent, tandis que de nouvelles espèces apparaissent. Cette variation a conduit à une spécificité de certaines espèces de cestodes pour certains domaines biogéographiques. Des études ont montré, que certains organismes sont inféodés à un type de ressource et/ou d’habitat, alors que d’autres semblent être capables de s’adapter à une grande variété de conditions. Nous notons, ainsi, que H. nana, H. straminea et I. madagascariensis sont spécifiques des domaines sahélien et soudanien ; H. uranomidis et R. baeri des domaines soudanien et subguinéen ; et S. monodi est uniquement présent dans le domaine subguinéen. Par contre d’autres espèces telles que R. trapezoïdes et Skrjabinotaenia occidentalis sont récoltées dans tous les domaines. En effet les espèces généralistes (R. trapezoïdes et S. occidentalis) ont plus de possibilités de conquérir de nouvelles aires géographiques que les espèces spécialistes (Combes, 1995). Le stade de dispersion des cestodes de l’ordre des Cyclophyllidea dans le milieu naturel est tributaire des conditions du milieu (Houin, 2000). Les zones biogéographiques sont déterminées par leur couvert végétal qui est fortement influencé par la pluviométrie, la température et le sol (Traoré, 2006). Nous pensons donc que les différences climatiques et floristiques entre les domaines sont à l’origine de la différence de répartition des cestodes dans les hôtes et selon les domaines.
La diversité de la communauté de cestodes n’est pas significativement différente selon les domaines biogéographiques étudiés, et selon les hôtes. Des études menées par Krasnov et al. (2006) ont montré que la diversité des parasites récoltés chez les petits mammifères hôtes peut être affectée par différents facteurs dont la taille de la population hôte, l’environnement abiotique et biotique de l’hôte, la structure de la communauté de parasites et le nombre d’espèces hôtes sympatriques (Combes, 2001). Les relations hôte-climat joue un rôle important sur la biogéographie des hôtes (Luoto et al. (2005). Ainsi nous pensons que sous l’influence de ces relations, les hôtes peuvent être differemmment distribués dans différents habitats et parasités différemment. Cette hypothése pourrait expliquer le fait que la richesse spécifique en cestodes de A. niloticus soit significativement plus importante dans le domaine sahélien que dans les domaines soudanien et subguinéen. Par contre chez M. erythroleucus, elle est significativement plus élevée dans le domaine subguinéen que dans les domaines sahélien et soudanien. L’étude des infracommunautés a montré que selon le domaine biogéographique, le nombre moyen de cestodes peut différer chez une même espèce hôte : c’est le cas de M. erythroleucus dont les individus du domaine subguinéen compte le plus grand nombre de cestodes. La distribution géographique des hôtes également un rôle important sur le degré d’infestation des hôtes. Ces conclusions pourraient donc expliquer le fait que le domaine sahélien regroupe les A. niloticus et les M. huberti les plus parasités. A une échelle plus fine que celle de l’Afrique de l’Ouest, nous avons noté que la densité de l’hôte original d’un parasite semble jouer un rôle important dans la répartition biogéographique de ce dernier. Ainsi nous avons observé qu’au Sénégal, R. trapezoïdes est la plus abondante dans tous les domaines et chez A. niloticus sauf dans la partie guinéenne où cette espèce de cestode est hébergée par d’autres hôtes du genre Mastomys avec une prédominance chez M. natalensis suite à la disparition de son hôte original. En effet dans le domaine guinéen, A. niloticus est remplacé par son espèce jumelle A. ansorgei moins adaptée à l’aridité que son prédécesseur et qui y vit en sympatrie avec M. natalensis, M. erythroleucus et M. huberti (Ag’Attheynine et al., 2006). Certains parasites semblent être capables d’utiliser un seul hôte si celui-ci est suffisamment abondant, ou plusieurs lorsque l’hôte original voit ses effectifs diminuer (Norton & Carpenter, 1998).
Effet des facteurs externes sur la distribution biogéographique des parasites
Dans les domaines biogéographiques, la température est très variables globalement, régionalement et localement (L’Hôte & Mahé, 1996 ; GRAIN , 2002 ; CILSS , 2005 ; Encarta, 2006 ; Traoré, 2006). Cependant, elle connaît de très faibles variations saisonnières en Afrique occidentale (<4°C). La température, la pluviométrie et la nature des sols peuvent affecter géographiquement la distribution des animaux, des plantes, des réservoirs, des vecteurs et aussi l’aptitude compétitive entre prédateur et proie (Morand et al., 2006). La température constitue l’un des paramètres abiotiques les plus importants qui peuvent affecter les parasites dans leur cycle. En effet, elle agit sur la libération des œufs et des larves, le développement embryonnaire et le pourcentage des éclosions (Marcogliese, 2001 ; Poulin et al., 2006). Or les cycles dépendent de la distribution des hôtes, notamment des hôtes intermédiaires (Combes, 1995). Celle-ci pourrait expliquer les différences de répartition des cestodes dans leurs hôtes et les variations très significative de leur abondance dans les domaines sahélien, soudanien et subguinéen. Nous avons également observé que dans les zones de transition ; en particulier dans le domaine sahélo-soudanienne, la prévalence de R. trapezoïdes est plus élevée chez A. niloticus ; par contre R. baeri est plus abondante chez M. erythroleucus. Outre l’influence directe de la température sur la biologie des vecteurs et des parasites, les modifications du régime des précipitations peuvent également avoir des effets à court et à long terme sur les habitats vectoriels. Une augmentation des précipitations peut augmenter le nombre et la qualité des gîtes larvaires de vecteurs comme les tiques et les gastéropodes, ainsi que la densité de la végétation, avec une influence sur les gîtes de repos. Chez les rongeurs, les réservoirs de maladies peuvent s’accroître lorsque des abris favorables et l’abondance de l’alimentation conduisent à une augmentation de la population, avec pour conséquence l’importance du parasitisme (Githeko et al., 2000).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : CARACTERISTIQUES BIOCLIMATIQUES DES MILIEUX ETUDIES
INTRODUCTION
I. LES PAYS CONCERNES
II. LES DOMAINES BIOGEOGRAPHIQUES
II. 1. Domaine saharien
II. 2. Domaine sahélien
II. 3. Domaine soudanien
II. 4. Domaine guinéen
II. 5. Zones de transition entre les principaux domaines biogéographiques au Sénégal
II. 5. 1. Domaine sahélo-soudanien
II. 5. 2. Domaine soudano-guinéen
III. CAS PARTICULIER DES NIAYES
IV. LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES EN AFRIQUE DE L’OUEST
CONCLUSION
CHAPITRE II : SYSTEMATIQUE ET DESCRIPTION DES RONGEURS CAPTURES
INTRODUCTION
I. MATERIELS ET METHODE D’ETUDE DES RONGEURS
I. 1. Sites de piégeages
I. 2. Piégeage et capture des rongeurs
I. 3. Classification par âge
II. RESULTATS ET DISCUSSIONS
II. 1. Genre Mastomys ou « rat à mamelles multiples »
II. 1. 1. Mastomys erythroleucus Temminck, 1853
II. 1. 2. Mastomys huberti Wroughton, 1908
II. 1. 3. Mastomys natalensis Smith, 1834
II. 2. Genre Arvicanthis
II. 2. 1. Arvicanthis niloticus Desmarest, 1822
CONCLUSION
CHAPITRE III : ETUDE MORPHO-ANATOMIQUE DES CESTODES RECOLTES
INTRODUCTION
I. MATERIEL ET METHODES
I. 1. Recherche et dénombrement des cestodes
I. 2. Identification des cestodes collectés par l’étude de leurs caractéristiques morpho-anotomiques
I. 2. 1. Etude par la microscopie photonique
I. 2. 2. Etude par la microscopie électronique à balayage
II. RESULTATS
II. 1. Famille des Anoplocephalidae
II. 1. 1. Skrjabinotaenia occidentalis occidentalis Hunkeler, 1972
II. 1. 2. Sudarikovina monodi Hunkeler, 1972
II. 1. 3. Inermicapsifer madagascariensis Davaine, 1870
II. 2. Famille des Hymenolepididae
II. 2. 1. Hymenolepis uranomidis Hunkeler, 1972
II. 2. 2. Hymenolepis nana Von Siebold, 1852
II. 2. 3. Hymenolepis straminea Goeze, 1782
II. 3. Famille des Davaineidae
II. 3. 1. Raillietina baeri Meggitt et Subramanian, 1927
II. 3. 2. Raillietina trapezoïdes Janicki, 1904
III. DISCUSSION
CONCLUSION
CHAPITRE IV : ECOLOGIE DES CESTODES PARASITES DES RONGEURS DES GENRES MASTOMYS ET ARVICANTHIS
INTRODUCTION
II. MATERIEL ET METHODES
II. 1. Analyses statistiques
III. RESULTATS
III. 1. Biogéographie et structure des communautés de cestodes parasites des genres Mastomys et Arvicanthis en Afrique occidentale
III. 2. Communauté de cestodes chez Arvicanthis niloticus, Mastomys erythroleucus, Mastomys natalensis et Mastomys huberti (Rongeurs, Muridae) au Sénégal
III. 3. Suivi bimestriel des cestodes parasites des genres Mastomys et Arvicanthis dans la région des Niayes au Sénégal
IV. DISCUSSION
IV. 1. Spécificité hôte-parasite et compétition interspécique chez les cestodes
IV. 2. Répartition biogéographique des cestodes : relations hôte-climat sur le parasitisme
IV. 3. Effet des facteurs externes sur la distribution biogéographique des parasites
IV. 4. Effet de l’habitat de l’hôte et de son alimentation sur le parasitisme
IV. 5. Effet du mode de vie, de la densité et de l’abondance de l’hôte sur la richesse spécifique et la charge en cestode
IV. 6. Effet sexe de l’hôte sur le parasitisme
IV. 7. Effet âge de l’hôte sur le parasitisme
IV. 8. Agrégation : Distribution des cestodes chez l’hôte
IV. 9. Saisonnalité du parasitisme
CONCLUSION
CONCLUSIONS