Le rôle du ménisque dans la biomécanique du genou est bien connu (1) ainsi que la corrélation entre le capital méniscal et la survenue de l’arthrose (2). Les lésions méniscales sont des motifs de consultation et d’intervention fréquents. Avec le développement de l’arthroscopie et l’arrivée de nouveaux dispositifs, la réparation méniscale s’est développée. Elle est maintenant largement reconnue comme la solution thérapeutique, surtout chez les patients jeunes et sportifs. C’est une alternative qui prend le pas sur la méniscectomie (3) Chez les patients plus âgés, à partir de 40ans, l’abstention chirurgicale ou la méniscectomie ont longtemps été considérées comme la norme, du fait du caractère potentiellement dégénératif du ménisque concerné. En effet, à partir de 40ans, 63% de sujets asymptomatiques et sans arthrose radiologique présentent des lésions méniscales dégénératives, cette prévalence augmente avec l’âge (4)(5). Depuis 2016, l’’ESSKA préconise l’abstention chirurgicale plutôt que la méniscectomie comme traitement de première intention des lésions méniscales dégénératives (6). En même temps, des études ont nettement montré la progression arthrosique après méniscectomie même partielle, surtout après 40ans (7)(8). Pour Paradowski, 3 sujets sur 4 présentaient une gonarthrose fémoro-tibiale (sans arthrose fémoropatellaire) 20 ans après une méniscectomie (9). Des cas de chondrolyse rapide après méniscectomie ont également été décrits : par Charrois chez 2 patients dans les 12 mois après une méniscectomie (10) ainsi que par Alford chez 4 patients entre 5 et 8 mois après méniscectomie (11). Une meilleure connaissance de la physiologie du ménisque ainsi que du développement arthrosique a ainsi conduit à envisager de nouvelles pratiques. Les indications et contre-indications aux réparations méniscales sont de nouveau décrites en 2016 : les réparations sont possibles jusqu’à l’âge de 60ans y compris pour les lésions complexes où la réparation est préférable à l’excision. La réparation est contreindiquée pour les patients de plus de 60ans ou très sédentaires ainsi que pour les lésions du bord libre (zone blanche-blanche) ou longitudinales trop étendues (12). Entre 2005 et 2017, en France, 1564461 méniscectomies et 63142 réparations méniscales isolées ont été réalisées ; soit une diminution de 21,4% des méniscectomies au cours du temps contre une augmentation de 320% des réparations. Le ratio réparations/méniscectomies est ainsi passé de 2,1 à 8,6 (13). En 2011, une série de 295 réparations méniscales (avec ou sans ligamentoplastie du LCA associée) montre que le volume de la méniscectomie secondaire en cas d’échec de suture n’est pas supérieur au volume d’une méniscectomie de première intention, voire qu’il peut être inférieur en cas de cicatrisation partielle. Il ne semble pas exister de risque d’aggravation des lésions suite à un échec et la réparation doit donc être tentée lorsqu’elle est possible (14). Paxton a mis en évidence que même si le taux de réintervention était supérieur pour les réparations méniscales, les résultats fonctionnels étaient meilleurs à long terme qu’après les méniscectomies (15). De même, la série de 112 genoux de Lee avec une moyenne de 42 ans comparait les résultats à 18 mois pour les 2 techniques et se montrait en faveur de la réparation méniscale à long-terme, bien que les scores fonctionnels soient comparables initialement (16). En 2019, une nouvelle publication de l’ESSKA dans le cadre du consensus multicentrique européen se montre en faveur de la réparation méniscale, y compris pour des lésions auparavant considérées comme non réparables (17). Aujourd’hui le message est clair, il faut préserver le capital méniscal : « Save the meniscus ! » .
MATERIEL ET METHODE
Il s’agit d’une étude rétrospective, monocentrique conduite dans le département d’Orthopédie et Traumatologie au CHU de Caen entre 2008 et 2019.
REGLEMENTATION
S’agissant d’une étude non RIPH au sens de la loi Jardé (Articles R1121-1 à R1121- 2 ; Décret numéro 2017-884 du 9 mai 2017), l’accord du CPP n’a pas été demandé. La non-opposition des patients à l’exploitation de leurs données a été recueillie. Le CHU de Caen répond à la méthodologie de référence pour l’enregistrement et le traitement des données médicales (MR-004 ; Délibération numéro 2018-155 du 3 mai 2018) de la CNIL.
CRITERES D’INCLUSION
Les patients éligibles étaient ceux ayant été opérés d’une réparation méniscale depuis 2008 sur genou stable et âgés de 40ans ou plus au moment de l’intervention ; ont été sélectionnés ceux ayant été opérés avant mars 2019 afin d’avoir un recul minimal d’un an lors du recueil. Les interventions ont été faites par plusieurs opérateurs différents (séniors et juniors). Les patients ayant été opéré d’une ligamentoplastie du LCA dans le même temps étaient exclus alors que les genoux ayant eu une ligamentoplastie ancienne et sans signe d’instabilité clinique au moment de l’intervention étaient éligibles. Avant l’intervention, tous les patients ont été examinés cliniquement et ont eu un bilan radiographique standard en charge (Face profil schuss, DFP). La lésion méniscale a été confirmée par une IRM. Dans les suites opératoires, l’appui complet était autorisé, sous couvert d’une attelle jusqu’à récupération du verrouillage quadricipital. La flexion était limitée à 90° pendant les 6 premières semaines pour protéger la réparation méniscale. La rééducation était débutée d’emblée avec renforcement musculaire isométrique, entretien des mobilités et travail proprioceptif.
Le suivi post-opératoire était fait en consultation par leur opérateur pendant les premiers mois (6 semaines, 3 mois, 6 mois et 1an) avec une évaluation clinique des mobilités, de la douleur ainsi qu’un contrôle radiologique. Tous les patients ont été évalués au dernier recul par un examinateur indépendant : une reprise chirurgicale depuis leur intervention initiale a été recherchée, que celle-ci ait eu lieu au CHU de Caen ou dans un autre centre. Le délai de reprise du sport ou de l’activité professionnelle a été recherché, ainsi que la possibilité d’un retour au niveau sportif antérieur et la possibilité de reprise du travail antérieur en fonction de son niveau physique. Des scores fonctionnels ont été réalisés : Tegner, Lysholm et IKDC subjectif (21)(22)(23). Les données per opératoires ont été recueillies dans les compte-rendus opératoires telles que la présence d’une chondropathie du compartiment fémoro-tibial constatée lors de l’arthroscopie, le type et le nombre de suture utilisée, le type de lésion méniscale et son siège . ou la nécessité d’une résection méniscale partielle associée au geste de réparation. En post-opératoire la survenue de complication post-opératoire ou la nécessité de réaliser une imagerie de contrôle pendant le suivi ont été recherchées.
Le critère principal était la survie des réparations méniscales, l’échec étant défini par une reprise chirurgicale quelle qu’elle soit : méniscectomie, nouvelle réparation méniscale, ostéotomie tibiale, arthroplastie de genou. Les critères secondaires étaient les scores fonctionnels au dernier recul, le délai de reprise des activités physiques dans le cadre du sport et du travail, l’évolution arthrosique sur les radiographies selon la classification Ahlbäck (25).
ANALYSES STATISTIQUES
Il n’y avait pas de calcul a priori du nombre de patients à inclure. Les patients ont été inclus de façon consécutive pour avoir le plus grand effectif possible. Les groupes à comparer ont ensuite été définis entre les patients ayant eu un échec (nouvelle intervention chirurgicale) et ceux n’ayant pas nécessité de reprise chirurgicale après la réparation méniscale initiale. Des sous-groupes ont été faits selon l’âge ou le type d’atteinte et ont été comparés sur la survenue de l’échec ou son délai. Les données qualitatives étaient données en effectif ou en pourcentage. Les données quantitatives étaient exprimées en moyenne et écart-type ou en médiane et intervalle interquantile. Une analyse univariée a été faite pour chaque variable indépendante. Les données quantitatives ont été comparées soit par un test t de Student soit par un test non paramétrique de Mann-Whitney selon leur distribution, selon les effectifs et selon l’égalité ou non des variances. Les données qualitatives ont été comparées par le test exact de Fisher ou le test du Khi2 en fonction des effectifs. Les corrélations ont été calculées par un test de corrélation de Pearson. Une valeur de p<0,05 a été choisie pour rejeter l’hypothèse nulle. L’analyse du critère principal a été faite par une courbe de survie de type Kaplan Meier ainsi que les autres analyses de survie. La médiane de survie et son intervalle de confiance à 95% sont donnés pour chaque analyse. Les courbes de survies ont été comparées par le test du log-rank. Les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel XLStat version 2020.4.1 (Addinsoft (2020). XLSTAT statistical and data analysis solution. Paris, France).
RESULTATS
COMPLICATIONS POST-OPERATOIRES
7 patients (12%) ont présenté un syndrome fémoro-patellaire, 3 (5,1%) ont développé un SDRC et 1 a présenté une hémarthrose sans séquelle dans les suites. Enfin, 2 ont présenté une décompensation des douleurs arthrosiques :
– Un patient de 50 ans avec une lésion en anse de seau du ménisque interne, sans arthrose radiologique et une chondropathie stade 2 observée lors de l’arthroscopie. Lors de l’examen à 3 mois, l’examen méniscal était sans particularité mais il présentait des douleurs mécaniques du compartiment interne et une arthrose Ahlbäck 1. Il s’agit donc d’un échec de réparation méniscale au vu de la progression arthrosique, cependant il ne rentre pas dans les critères d’échec définis pour cette étude.
– Une patiente de 42 ans avec une lésion horizontale du ménisque interne et sans arthrose radiologique pré-opératoire. L’examen à 1 an mettait en évidence des douleurs fémoro-tibiales internes avec un examen méniscal sans particularité mais l’IRM réalisée était en faveur d’une extrusion méniscale avec ostéophytose sans majoration franche du score radiologique. Il s’agit d’un échec relatif au vu des douleurs et de l’absence de progression de l’arthrose, bien que ce cas ne rentre pas dans les critères d’échec définis pour cette étude.
ANALYSE DE LA SURVIE
Concernant le critère de jugement principal, 9 patients soit 15,8% ont eu un échec et ont été réopérés dont 8 méniscectomies et 1 ostéotomie tibiale de valgisation pour arthrose ; aucun n’a été opéré pour une arthroplastie. Tous les échecs sont survenus suite à des réparations du ménisque médial, aucun n’est survenu sur le ménisque latéral.
Le délai moyen de reprise chirurgicale est de 11,56 (± 17,24) mois soit environ 1 an.
La survie de l’ensemble de la série à 143 mois (soit 12 ans) est de 83,4%.
Parmi les méniscectomies, 4 ont été réalisées dans les 6 premiers mois :
– Un homme de 40 ans avec une lésion en anse de seau du ménisque médial sans lésion dégénérative initiale et sans arthrose radiologique. Lors de la reprise à 3 mois, la lésion est non réparable.
– Un homme de 42 ans avec une lésion verticale du segment postérieur du ménisque médial avec une lésion d’aspect dégénératif mais sans arthrose radiologique. Lors de la reprise à 3 mois, la lésion n’est pas cicatrisée et non réparable.
– Une femme de 48 ans avec une lésion en anse de seau des segments moyen et postérieur du ménisque médial sans caractère dégénératif du ménisque et avec une gonarthrose Ahlbäck 1. Du fait de persistances de douleurs, une nouvelle arthroscopie est réalisée à 4 mois pour méniscectomie.
– Un homme de 42 ans avec une lésion verticale du segment postérieur du ménisque médial, une chondropathie stade 2 lors de l’arthroscopie et une gonarthrose Ahlbäck 1. Il a été réopéré à 6 mois pour raideur articulaire : lors de l’arthrolyse, le ménisque n’est pas cicatrisé et une méniscectomie est réalisée.
3 autres patients ont été réopérés dans les 12 premiers mois :
– Un homme de 43 ans avec une lésion en anse de seau du segment moyen du ménisque médial, une chondropathie stade 2 et une gonarthrose Ahlbäck 1. Du fait de persistances de douleurs, une méniscectomie partielle est réalisée à 8 mois.
– Un homme de 42 ans avec une lésion verticale du segment postérieur du ménisque médial, une chondropathie stade 2 et une gonarthrose Ahlbäck 2. La méniscectomie est effectuée à 9 mois de l’intervention initiale.
– Un homme de 45ans avec une lésion verticale des segments moyen et postérieur du ménisque médial, une chondropathie stade 3 et une gonarthrose Ahlbäck 2. La méniscectomie est réalisée à 10 mois. Il s’agit donc d’échecs précoces pour ces 7 patients.
|
Table des matières
INTRODUCTION
MATERIEL ET METHODE
REGLEMENTATION
CRITERES D’INCLUSION
ANALYSES STATISTIQUES
DESCRIPTION DE LA SERIE
RESULTATS
COMPLICATIONS POST-OPERATOIRES
ANALYSE DE LA SURVIE
RESULTATS CLINIQUES
RESULTATS RADIOLOGIQUES
RESULTATS FONCTIONNELS
DISCUSSION
RESULTATS ET LA LITTERATURE
AVANTAGES ET LIMITES DE L’ETUDE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES