L’organisation des lipides de la membrane et leur interaction avec des peptides vecteurs est d’un grand intérêt pour la pharmacologie. L’objectif thérapeutique étant d’optimiser le passage à travers la membrane cellulaire de molécules bioactives associées aux peptides vecteurs d’internalisation cellulaire, nous cherchons à mieux comprendre les interactions entre les peptides et les membranes. Les lipides membranaires sont impliqués dans plusieurs fonctions cellulaires comme la motilité cellulaire ou encore la régulation de l’activité de certaines protéines. Les membranes naturelles ont une organisation complexe et sont composées de très nombreuses molécules. Pour effectuer nos études, nous avons utilisé des membranes modèles qui miment certains aspects des membranes cellulaires et qui sont plus simples à appréhender : des vésicules uni-lamellaires ou multi-lamellaires. Les CCP (cell-penetrating peptides) ont la capacité de traverser les membranes et d’atteindre l’intérieur de la cellule. Les premières études ont caractérisé les CPP comme des petits peptides, de moins de 30 résidus d’acides aminés, avec une capacité d’internalisation cellulaire indépendante de l’énergie et sans nécessiter de récepteurs. L’internalisation avait lieu même à 4°C et permettait de distribuer des cargos à l’intérieur de la cellule (Ü. Langel 2007). Ceci était basé sur le fait que les premières études concernant l’internalisation des CPP suggéraient qu’elle n’était pas empêchée par la réduction de la quantité d’ATP, la basse température, ou par des inhibiteurs d’endocytose (Ü. Langel 2007). De nombreuses modifications des séquences ont également montré leur capacité d’internalisation ce qui a suggéré que les récepteurs sélectifs à la surface des cellules ne sont pas impliqués dans l’internalisation. Tout cela a amené à penser que l’internalisation ne se faisait que par un mécanisme de transfert direct à travers la bicouche lipidique de la membrane. Ceci est toujours suggéré par le modèle d’internalisation par micelle inverse (Berlose et al. 1996) qui semblerait se produire pour plusieurs peptides tels que la pénétratine. Plus tard cette vision a évolué et les mécanismes d’entrée des peptides ont été réévalués. Aujourd’hui, un CPP peut être défini comme un peptide composé de 5 à 40 résidus d’acides aminés, avec généralement des résidus basiques, capable de traverser la membrane cellulaire grâce à différents mécanismes, incluant l’endocytose, et de transporter un cargo bioactif lié de façon covalente ou non covalente. Des études récentes montrent que pour certains peptides, l’internalisation peut se faire par un mécanisme dépendant d’énergie impliquant une liaison avec l’héparane sulfate extracellulaire et par différents types d’endocytose comme la macropynocytose ou l’endocytose dépendante de la clathrine. De plus il semble que les mécanismes d’endocytose sont plus courants pour les CPP liés à un cargo que pour les CPP seuls (Sebastien Deshayes et al. 2004; Thorén et al. 2003; Troeira Henriques, Costa, and Castanho 2005). Depuis les travaux du groupe d’Alain Prochiantz en 1994, de nombreux peptides capables de traverser les membranes ont été découverts. On peut citer le peptide TAT, les peptides modèles amphipatiques, le transportan et la pénétratine. La pénétratine, que nous étudions dans un premier temps, est dérivée de la troisième hélice de l’homeodomaine de la protéine Antennapedia. Ce peptide a déjà permis de véhiculer des inhibiteurs d’interactions protéine-protéine ou de traduction d’ARN messager. Afin d’améliorer l’efficacité des peptides vecteurs, il est donc primordial de comprendre avec précision les interactions qui ont lieu avec les membranes.
Membranes cellulaires
Les membranes biologiques délimitent les cellules ainsi que les organites intracellulaires et les protègent de l’extérieur. Ainsi la membrane plasmique qui sépare les milieux intracellulaire et extracellulaire permet de maintenir des compositions chimiques différentes entre le cytosol et le milieu externe (Figure 1). Les membranes sont composées principalement de deux espèces moléculaires : les lipides et les protéines. Dans les membranes se trouvent également des glucides associés de manière covalente aux lipides et aux protéines sous forme de glycolipides et de glycoprotéines. Les lipides membranaires exercent un rôle primordial par leur capacité à former seuls, une structure en bicouche stable. Les lipides constituant les membranes sont des molécules amphiphiles, c’est-à-dire possédant une partie polaire et une partie apolaire. En milieu aqueux, ils peuvent s’organiser en bicouche. Cette organisation en bicouche a été modélisée pour la première fois par Danielli et Davson en 1935 (Danielli and Davson 1935). Leur modèle proposait une membrane statique, avec une distribution de lipides symétrique, sans protéines intégrées à l’intérieur de la membrane. En 1960, Robertson établit que la membrane était effectivement composée d’une bicouche dont l’épaisseur était d’environ 75 angströms (Robertson 1960). Aujourd’hui, le modèle adopté est celui qui a été proposé par Singer et Nicolson (1972) (Singer and Nicolson 1972). Ce modèle, appelé modèle de la mosaïque fluide, apporte l’idée que les protéines peuvent être intégrales ou périphériques et qu’elles sont distribuées de manière asymétrique à la surface des membranes. Il apporte aussi la notion essentielle de fluidité membranaire en suggérant une diffusion permanente des protéines et des lipides au sein de la membrane. La structure en bicouche lipidique minimise les interactions entre les parties hydrophobes, donc apolaires, et les molécules d’eau. La partie apolaire est située au centre de la bicouche où l’eau n’a pas accès alors que la partie polaire est exposée au milieu aqueux de part et d’autre de la bicouche. En se refermant sur elle-même, une structure en bicouche peut créer une vésicule. Celle-ci sépare un compartiment interne aqueux du milieu externe aqueux.
La membrane cellulaire a aussi pour rôle d’empêcher le libre passage de macromolécules d’un compartiment à un autre. La partie apolaire, située au centre de la bicouche, interdit presque toute diffusion d’ions inorganiques tels que les ions potassium, calcium, sodium et ralentit celle de petits solutés organiques polaires (sucres, acides aminés). Seuls certains solutés hydrophobes ont la possibilité de diffuser dans la bicouche, comme par exemple les hormones stéroïdes. Les échanges entre les cellules et le milieu extracellulaire sont nécessaires à la survie de la cellule et ont donc lieu en permanence. Ils sont rendus possibles grâce à l’action de diverses protéines. On distingue deux grandes catégories de protéines membranaires : les protéines extrinsèques, dites également périphériques, et les intrinsèques ou intégrales. Les protéines extrinsèques sont des chaines polypeptidiques associées à la membrane par des interactions principalement électrostatiques avec les parties polaires des lipides. En contact avec le milieu aqueux, elles prennent part à des réactions ayant lieu à l’interface entre la membrane et les compartiments. Les protéines intrinsèques sont associées à la membrane grâce à des interactions hydrophobes avec les parties apolaires des lipides. Certaines protéines peuvent être transmembranaires et ainsi accessibles des deux côtés de la membrane. Elles participent alors à des réactions qui s’effectuent de part et d’autre de la membrane et ont une fonction de transport de matière et/ou de transduction de signaux (Schechter 1990).
C’est dans la membrane plasmique que se font les échanges entre les milieux extra et intra cellulaires, puisqu’elle les sépare. Le transfert de matériel est permis par des récepteurs, fixant des messagers extracellulaires comme des hormones, des neurotransmetteurs ou des facteurs de croissance. Le transfert de matière (solutés organiques, ions organiques) est effectué par des transporteurs et/ou des canaux ioniques. Les membranes sont également le lieu de production d’énergie, comme par exemple la membrane interne des mitochondries. Transport de matière, transfert d’information et production d’énergie sont ainsi les trois fonctions principales des protéines membranaires.
La majorité des interactions entre les différents constituants d’une membrane (lipides, protéines) ne sont pas covalentes. Les interactions hydrophobes se matérialisent au centre de la membrane et les interactions polaires aux interfaces. Grand nombre d’interactions entre les constituants de la membrane sont dynamiques, et se font et se défont continuellement. Ce sont des interactions dynamiques car les liaisons physiques dans l’eau sont de l’ordre de quelques kT (où k est la constante de Boltzman et T la température absolue) ce qui entraîne beaucoup de fluctuations. La membrane a aussi un caractère dynamique dû aux mouvements propres des lipides et des protéines.
Les lipides membranaires
Le rôle principal des lipides est d’abord structural. Leur organisation en bicouche lipidique est à la base de la structure membranaire. Certains lipides ont également des propriétés fonctionnelles importantes et peuvent notamment avoir un rôle de seconds messagers intracellulaires, comme les phosphatidylinositols. Dans lessections suivantes nous présentons quelques-unes des différentes familles de lipides membranaires.
Diacylphosphoglycérides (phospholipides)
Les diacylphosphoglycérides, appelés généralement phospholipides, sont les lipides les plus répandus dans les membranes biologiques. La partie hydrophobe est formée d’acides gras associés au glycérol par des liaisons esters sur ses fonctions alcool en positions 1 et 2. Les têtes polaires des phospholipides contiennent un groupement glycérol estérifié par un acide phosphorique en position 3. Ce groupe acide phosphorique peut former une liaison avec différents groupements chimiques et ainsi participer à la formation de diverses têtes polaires. C’est donc la nature du substituant fixé sur l’acide phosphorique qui détermine la nature du phosphoglycéride. L’acide phosphatidique est le phospholipide le plus simple dans lequel l’acide phosphorique n’est estérifié qu’une fois sur le glycèrol. Il ne s’agit pas d’un phospholipide membranaire mais d’un intermédiaire dans la biosynthèse d’autres phospholipides possédant un substituant sur l’acide phosphorique. Les plus fréquents sont : la phosphatidylcholine (PC), la phosphatidyléthalonamine (PE), la phosphatidylsérine (PS), le phosphatidylglycérol (PG), et le phosphatidyllinositol (PI) (Figure 2). La nature du substituant détermine la charge globale du phospholipide à pH physiologique.
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Table des matières
Introduction générale
Introduction
1. Les lipides membranaires
1.1 Diacylphosphoglycérides (phospholipides)
1.2 Diacylglycoglycérides (glycolipides)
1.3 Sphingolipides
Sphingophospholipides
Sphingoglycolipides
1.4 Stérols
1.5 Composition lipidique des membranes : l’asymétrie
1.6 L’Hétérogénéité membranaire
2. Systèmes modèle des membranes biologiques
2.1 Liposomes
2.1.1 Vésicules multilamellaires (MLV)
2.1.2 Vésicules unilamellaires de petite taille (SUV)
2.1.3 Vésicules unilamellaires de taille moyenne (LUV)
2.1.4 Vésicules géantes unilamellaires (GUV)
3. Les géométries membranaires possibles
4. Fluidité membranaire
4.1 Fluidité et conformation des chaînes hydrocarbonées
5. Les phases lamellaires dans les membranes : gel, liquide et gel-ondulée
5.1 Phase lamellaire gel Lβ
5.2 Phases lamellaires liquides
5.3 Passage d’une phase gel à la phase liquide
5.4 Phase ondulée
6. Cholestérol
6.1 Cholestérol : influence sur l’organisation des phospholipides
6.2 Rôle du cholestérol dans la formation de phase liquide ordonnée au sein des membranes lipidiques
7. Nanodomaines des membranes
7.1 Les domaines radeaux
7.2 Radeaux et pathologies
Références
Conclusion générale
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