Remembrement des terres aménagées et questionnement sur l’accès au foncier agricole

L’HISTORIQUE DE LA PROPRIETE FONCIERE A NDIAWARA

   Pour saisir la réalité de la maîtrise de la terre au Fouta, il est important de faire un rappel de l’histoire socioculturelle. En effet, dans le fonctionnement des sociétés de la vallée, les droits fonciers et les règles d’accès à la terre sont parties intégrantes des rapports sociaux et politiques (Seck. S.M, 1998). Nous connaissons à travers l’histoire de la vallée l’origine de ces formes d’appropriation « dont les plus anciennes sont antérieures à l’avènement du royaume Futanke au XVIIème siècle, donation de chefs locaux au XV et XVIème siècles. Les donations des Satigi au XVIIème siècle, puis les attributions « à titre précaire » des Almamy à partir de la fin du XVIIIème siècle, ont ensuite modelé le système foncier impliquant le versement de certains impôts et de tributs (assakal, ndioldi, etc.) qui en sont la sanction » (Boutillier J.L, 1989). L’agriculture dans les terres de décrue reflète la stricte hiérarchie sociale de la société toucouleur, qui se stratifie, depuis la classe dominante et majoritaire des Toroodo, jusqu’aux descendants de captifs (Maccudo), en passant par les hommes libres de statut inférieur, généralement regroupés en castes. L’accès aux cuvettes de décantation, dans le terroir, révèle l’inégalité sociale et économique de la population, avec une rude disparité dans les droits fonciers. Ainsi, les grands bénéficiaires de grandes étendues dans le lit majeur ne font que confirmer cette inégalité dans la répartition des ressources foncières. Et nous pouvons citer les familles attributaires comme :
– les hannambé, les ly lybé, les sy-sybé, les thiello et les diakbé
– les catégories du bas de l’échelle sociale (les Maccudo et les Galounké) ne peuvent y accéder qu’à travers le rempecen, une forme de métayage ou par un emprunt.
Dans le terroir, les terres appartiennent à ceux qui les avaient défrichées. En effet lors de l’arrivée des ndiawarnabé sur les terres qu’ils occupent actuellement, ils commencèrent à procéder au léwal (coupe d’arbres) sur ces terres nouvellement occupées. Chaque individu ou chaque famille était propriétaire de toute la terre qu’il défrichait au vue et au su de tout le monde. Les propriétaires terriens ndiawarnabé sont issus de trois familles lignagères que sont : Les ly lybé, les hannambé et les thiello.
– Les ly lybé sont les maitres de terre et portent le titre de chef de village,
– Les thiello sont les théologiens et les maitres coraniques, ils portent le titre d’Imam mais aussi éligible au titre de chef de village.
– Les hannambé constituent, la troisième famille des propriétaires terriens et sont plus effacés de la vie politique mais ils jouent souvent le rôle d’arbitre ou de consultant dans certains litiges de par leur appartenance aux instances de décisions.
La spécificité à Ndiawara est le fait que toutes les familles issues de la classe des nobles ont des terres à l’opposé des Ñeeñebe. « En tant que possession sans droit de posséder, un esclave ne pouvait pas accéder à la propriété de terres inondables. La terre qu’ils travaillaient pour leur compte restait la propriété de leur maître » (Geert Diemer et Ellen Van Der Laan, 1987). Le contrôle exercé par le chef de territoire n’est pas assimilable à une simple relation d’appropriation de la terre : celui-ci exerce plutôt un pouvoir d’affectation des lieux de cultures aux autochtones, de répartition de l’espace agro-halio-pastoral entre les différentes communautés qui composent le territoire. Par contre lui-même ainsi que les membres de son lignage entretiennent une relation patrimoniale avec les champs qu’ils ont reçus en héritage le plus souvent du côté de l’homme, quelquefois du côté des ascendants maternels. En outre, nous allons mettre en exergue, comment les propriétaires terriens s’accommodent pour la gestion de la ressource foncière.

L’accès à la terre selon le sexe dans les PIP de Ndiawara

   L’étude de la notion de sexe dans l’accès à la terre permettra de mesurer la place du genre dans la société et la perception de celle-ci dans l’accès au foncier. En lisant les données du tableau 6 également, le constat qui se dégage, est que le nombre d’hommes disposant de terre est plus élevé (33 propriétés) contre seulement (08 propriétés) pour les femmes. Cette situation est liée à un fait remarquable à savoir que les femmes n’ont pas un accès direct à la terre au même titre que les hommes. En effet, les critères relatifs à l’accès au foncier sont très discriminatoires envers les femmes. L’exclusion de ces dernières de l’accès à la terre, s’explique, dans une certaine mesure, par leurs conditions de dépendantes vis-à-vis de leurs époux, en particulier. Et les propos de Billal Sylla, entretien du 25 février ciaprès sont illustratifs de la sociologie paysanne. La femme est sous la responsabilité de l’homme (mari ou frère). La plupart des lopins de terres détenus par les femmes sont soit par héritage, dons ou achat. Il y a le fait que la femme peut se marier dans une autre famille. Ce qui fait, que les hommes par peur que les ressources foncières laissées par leurs aïeux se retrouvent entre les mains d’une autre famille font tous pour que la femme n’ait qu’un droit d’usage et qu’en se mariant, elle leur laisse la terre. C’est ce qui explique le fait que la femme n’hérite pas la terre. Néanmoins, on peut lui accorder une parcelle où elle pourrait cultiver si elle est nécessiteuse. Qu’est ce que la femme ferait avec la terre, si son marie en détient, elle doit s’occuper du ménage ? Cela, démontre de la marginalisation et du non prise en compte de la femme haalpular dans la mise en valeur de la terre. Ce qui accentue leur dépendance en les rendant plus vulnérables et soumises. Et, après ce fléau discriminatoire touchant le genre, il serait important d’étudier, l’accès à la terre selon l’âge

Les modalités d’accès à une parcelle dans les PIV de Ndiawara

   Contrairement à la stricte gestion traditionnelle ou certaines grandes familles ou castes s’arrogeaient le monopole de la ressource foncière (cas des PIP), les terres aménagées dans le cadre de l’introduction de la culture irriguée font l’objet d’une gestion relativement transparente et « démocratique » au sein de la communauté villageoise. A ce propos, parlant des terres aménagées, A.H.Diack (59ans, Ndiawara) dit qu’il s’agit d’un « jambere tuubac ». Selon cette enquête, « une terre aménagée n’est plus sous la responsabilité d’un quelconque jom leydi. Elle devient une propriété collective à laquelle tout le monde peut prétendre. En effet, l’attribution de parcelles est désormais subordonnée à un certain nombre de critères très sélectifs et caractéristiques du droit de hache. Ainsi, au niveau des P.I.V de Ndiawara, les critères particulièrement établis sont :
– Etre chef de ménage « fooyré » ;
– Le sexe : être de sexe masculin ;
– La situation résidentielle : être autochtone, domicilié ou originaire du village
– Et le plus important : avoir participé au défrichement « droit de hache » des terres au moment de l’aménagement ou, le cas échéant, s’acquitter d’une redevance de 50000cfa l’équivalent de 10 jours de travail et enfin pour les femmes sans enfants actifs, ravitailler les hommes en eau durant le défrichement.
En principe les divers critères ne sont exclusifs d’aucune catégorie sociale particulière. Le but est de généraliser l’accès à la ressource foncière selon des règles définies par les villageois. Par rapport aux années 1990, la procédure de distribution des terres a nettement évoluée. La législation foncière traditionnelle est dans l’ensemble, admise comme équilibrée, respectueuse et socialiste. Elle est marquée par une gestion consensuelle et collective. Dans ce cas, elle a permis de régler la question hiérarchique (justice sociale) mais la marginalisation des femmes restent toujours ancrées (sur les 652 attributions y’a que 13 femmes) qui ont eu une attribution directe et 8 femmes par héritage. Cependant, l’attribution et la mise en valeur directe ne saurait être en corrélation. Dans le terroir, on retrouve différents modes de faire valoir développés par les paysans.

La procédure d’affectation des terres par le conseil rural

   La demande d’affectation doit être formulée par écrit, adressée au président du conseil rural : elle est consignée dans un registre des demandes tenu par ordre d’arrivée au niveau de la communauté rurale. Le président du conseil rural communique le dossier à la commission domaniale. La commission domaniale composée de conseillers, a un rôle de prospection avant toute affectation. Elle doit se déplacer sur les lieux pour faire les vérifications et enquêtes (situation de la parcelle demandée, capacité de mise en valeur du demandeur, propriété coutumière) avec l’appui des techniciens du centre d’appui au développement local (CADL). Toutefois, la commission domaniale peut faire appel à toute personne dont la compétence ou l’expérience peut aider à éclairer ses travaux. Ce préalable permet d’éviter d’affecter une superficie supérieure à celle réellement existante à un requérant et de vérifier si la terre en question n’a pas déjà fait l’objet d’une affection antérieure (cas inexistence et dossier foncier). Depuis 1996, les chefs de village sont membre d’office de la commission domaniale. En visite dans un village la commission domaniale doit obligatoirement faire tout son travail de prospection avec le chef de village et même s’entourer d’autres notables puisque à défaut de cadastre rural fonctionnel, ces notables restent encore des cadastres vivants parce qu’ayant une parfaite maitrise de la ressource foncière. C’est au cours des réunions du conseil rural que les délibérations en matière foncière sont prises. C’est le président du conseil qui convoque les conseillers en réunion. Le conseil rural ne peut délibérer que lorsque la majorité de ses membres en exercice assiste à la séance. Cette majorité est la moitie plus une voix selon le nombre de conseillers en exercice. Les pouvoirs et les procurations essentiels n’entrent pas en ligne de compte dans le calcul du quorum. Si après deux convocations successives régulièrement faites, le quorum n’est pas atteint, toute délibération prise avec la troisième convocation à trois jours d’intervalle est au moins valable si le quart au moins des membres du conseil est présent. La demande d’affectation n’est examinée que quand le quorum est atteint. Les conseillers empêchés peuvent donner à un collègue de leur choix, une procuration écrite et légalisée de voter en leur nom. Un conseiller rural ne peut être porteur que d’une seule procuration et celle-ci est toujours révocable. Au cours de la réunion, le conseil rural examine les deux conditions essentielles pour l’attribution d’une parcelle. La condition relative à l’appartenance à la collectivité, critère de résidence (condition d’existence des individus sur la terre) La condition portant exigence d’une capacité de mise en valeur directe ou avec l’aide de sa famille Les délibérations sont adoptées à la majorité simple des votants. Le président du conseil rural doit élaborer le procès-verbal de délibération qui doit être signé par le président, le secrétaire et tous les membres présents à défaut, un compte rendu est établi et signé par le président, le secrétaire de séance et éventuellement les conseillers disponibles. Le procès-verbal est envoyé par carnet de transmission au représentant de l’Etat contre remise d’une accusée de réception pour approbation. La transmission des actes des autorités locales au représentant de l’Etat est bien une condition de leur caractère exécutoire. Le sous préfet dispose d’un délai d’un mois pour donner ou refuser l’approbation de la délibération. L’approbation du sous préfet est réputée tacite si elle n’a pas été donnée dans le délai d’un mois à compter de la date de la remise de l’accusée de réception du sous préfet au président du conseil rural. Le président du conseil rural peut déférer au Conseil d’Etat pour excès de pouvoir la décision de refus d’approbation du représentant de l’Etat. Le délai de recours de deux mois court à partir de la date notification de la décision de refus d’approbation. L’annulation de la décision de refus par le Conseil d’Etat équivaut à une approbation dés notification de l’arrêt au président du conseil rural. Le président du conseil rural doit procéder à l’affichage des extraits du procès-verbal de la réunion dans les huit jours suivants la date de la réunion, à la porte de la maison communautaire. La certification de l’affichage du procès-verbal de la réunion est faite par le président du conseil rural et mentionnée au registre des délibérations. L’approbation du sous préfet est notifiée aux intéressés par le président du conseil rural. Il est aussi chargé de l’exécution effective de toutes les décisions du conseil rural à qui il doit rendre compte. En outre, si une parcelle est affectée et que le requérant ne respecte pas les conditions établîtes de mise en valeur, la parcelle peut lui être retirée.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
PROBLEMATIQUE
METHODOLOGIE de RECHERCHE
PREMIERE : PRESENTATION DE LA ZONE D’ETUDE
CHAPITRE I: SITUATION ET CADRE PHYSIQUE
I. Situation géographique de la zone d’étude
II. Les caractéristiques physiques de la zone
II. 1. Le climat
II.1.1. Les éléments du climat
II.1.1.1. Les vents
II.1.1.2. Les précipitations
II.1.1.3. Les températures
II.1.1.4. L’humidité relative
II.1.1.5. L’évaporation
II.1.1.6. L’insolation
II.2. L’hydrographie
II.2.1. Les eaux de surface
II.2.1.1. Les cours d’eau temporaire
II.2.2. Les eaux souterraines
II.2.2.1. La nappe subaffleurante
II.2.2.2 La nappe profonde
II.3. La géologie et le relief
II.3.1. La géologie
II.3.2. Le relief
II.4. Les sols
II.5. La végétation
II.6. La faune
CHAPITRE II : LE CADRE HUMAIN
I. L’étude démographique de la population
I.1. L’évolution démographique
I.2. La répartition de la population selon le sexe et l’âge
I.3. La répartition spatiale de la population
I.4. La répartition socioprofessionnelle de la population
I.5. La population active du terroir de Ndiawara
I.6. La composition ethnique de la population
I.7. L’émigration dans le terroir de Ndiawara
II. l’organisation sociale de la population
III. les activités socio-économiques
III.1. L’agriculture
III.1.1. L’agriculture sous pluies
III.1.2. Les cultures de décrues
III.1.3. Les cultures irriguées
III. 2. L’élevage
III.3. La pêche
III.4. Le commerce
III.5. L’artisanat
DEUXIEME PARTIE : STRATEGIES DE GESTION ET D’ATTRIBUTION DES TERRES
CHAPITRE I : LE REGIME FONCIER TRADITIONEL
I. L’historique de la propriété foncière a ndiawara
II. La gestion coutumière des terres a ndiawara
II.1. L’accès à la terre dans les périmètres irrigués privés de Ndiawara
II.1.1. L’accès à la terre selon les castes dans les PIP de Ndiawara
II.1.2. L’accès à la terre selon le sexe dans les PIP de Ndiawara
II.1.3. L’accès à la terre selon l’âge dans les PIP de Ndiawara
II.2. L’accès à la terre dans les périmètres irrigués villageois de Ndiawara
II.2.1. Les modalités d’accès à une parcelle dans les PIV de Ndiawara
III. Les modes d’exploitation des périmètres irrigues à Ndiawara
III.1. Le faire-valoir direct
III.2. Le fermage
III.3. Le métayage ou rempecen
III.4. Le prêt ou luubal
CHAPITRE II : L’ACCES MODERNE AU FONCIER ET LA REPARTITION DES TERRES AMENAGEES
I. La structure foncière
I.1. Le domaine national
II. définition du droit d’affectation
II.1. Les affectations foncières
II.2. Conditions de l’affectation
II.3.La procédure d’affectation des terres par le conseil rural
II.4. La fin du droit d’affectation
II.5. Les outils de gestion foncière
III. la gestion des terres dans le nouvel aménagement de ndiawara
III.1. La répartition des terres de l’aménagement entre les villages
III.2. Les critères d’attribution des parcelles au sein des villages
III.3. L’accès à une parcelle dans le nouvel aménagement de Ndiawara
IV. Les impactes sociaux de la nouvelle formule d’attribution des parcelles
IV.1. La situation des femmes selon la nouvelle répartition des parcelles
IV.2. La situation des jeunes selon la nouvelle répartition des parcelles
IV.3. La situation des castes selon la nouvelle répartition des parcelles
V. L’exclusion des femmes et des jeunes
VI. La gestion des conflits
TROISIEME PARTIE : L’ORGANISATION DES AMENAGEMENTS EXPLOITES A NDIAWARA
CHAPITR I: L’EVOLUTION DES AMENAGEMENTS ET REMEMBREMENT DES TERRES A NDIAWARA
I. La dynamique des aménagements hydro-agricole a ndiawara
II. Le remembrement des PIV de ndiawara
II.1. Présentation du site
II.2. Les facteurs du remembrement
II.3. L’organisation du travail
III. Les impacts du remembrement
III.1. La modification des rapports sociaux de voisinage et d’entraide et de fermage
III.2. L’amélioration de la production agricole
III.3. Les impacts environnementaux
CHAPITRE II : LES DIFFERENTES PHASES DE LA PRODUCTION ET LE FINANCEMENT DE LA CAMPAGNE
I. Les différentes phases de la production
I.1 La préparation du terrain
I.2. Des pépinières au repiquage des plantules
I.3 De l’entretien à la récolte du paddy
I.4 Du battage au transport de la récolte
II. Le financement de la campagne
CONCLUSION GENERALE
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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