Le Trouble Développemental du Langage (TDL) compromet l’acquisition du langage et la communication en réduisant les compétences phonologiques et morphosyntaxiques (Bishop et al., 2017). Sa prise en charge orthophonique est déterminante pour le devenir scolaire, social et psychologique de l’enfant. Les enfants avec TDL synchroniseraient peu leur attention au rythme de la parole, ce qui les empêcherait d’extraire les unités linguistiques et d’anticiper l’instant où surviendra une prochaine information. D’après la théorie de l’Attention Dynamique (Jones, 1976), l’attention se déploierait de manière cyclique, selon un rythme déterminé par les oscillations cérébrales endogènes, qui tendrait à se synchroniser au rythme du signal. Cela permettrait de le segmenter (séquenciation), de prédire l’instant où devrait survenir une information importante et de diffuser alors suffisamment de ressources pour un traitement approfondi. L’une des hypothèses explicatives du TDL évoque une altération du traitement temporel du signal de parole, attribuée à une faible perception du rythme (Corriveau et Goswami, 2009). Le fait que le rythme du signal de parole ne soit que partiellement régulier accentue vraisemblablement la difficulté de ces enfants à ajuster leurs oscillations cérébrales et leur attention au langage, ce que soutient le Modèle Temporal Sampling Framework de Goswami (2011).
C’est pourquoi l’utilisation de la musique, dont le rythme est régulier, souvent saillant et facile à extraire, est une piste pour tenter de remédier aux difficultés de langage des enfants atteints de TDL. Des données récentes montrent que des amorces musicales rythmiques ont un impact positif sur le traitement grammatical de phrases entendues immédiatement après, alors qu’elles n’ont pas d’effet sur la richesse de l’évocation lexicale ; des amorces musicales (sans rythme) favorisent quant à elles l’évocation lexicale mais pas le traitement grammatical (Canette et al., 2019). Nous chercherons donc au travers d’une étude en cross-over, à tester l’hypothèse selon laquelle une remédiation basée sur l’éveil au rythme et à la mélodie (variations de hauteur) en musique améliorerait, à plus long terme que dans un contexte d’amorçage, les compétences langagières d’enfants de 7 à 12 ans avec TDL, et à comparer l’effet spécifique de l’éveil à ces dimensions à travers deux ateliers (rythme vs. hauteur).
MÉTHODE
Participants
Douze enfants atteints de TDL ont participé (deux filles, dix garçons). Ils avaient entre 8 ans 10 mois (106 mois) et 11 ans 4 mois (136 mois) (M = 10 ans 1 mois), critère d’âge permettant d’utiliser des tests de même niveau de difficulté pour tous. Tous les enfants ont été recrutés au Centre Franchemont de Champigny (Val-de Marne). Le diagnostic de TDL avait été posé par des orthophonistes et l’inclusion dans l’étude ne tenait pas compte du degré de sévérité. Un déficit en morphosyntaxe les plaçant au-dessous de -1.65 écart-type de la norme était un critère d’inclusion, ainsi que le français pour langue maternelle. L’échantillon était construit en respectant les critères d’exclusion suivants : handicap auditif associé diagnostiqué, déficit visuel non corrigé, Trouble Déficitaire de l’Attention, Trouble Oppositionnel avec Provocation, activité musicale ou danse extra-scolaire. Les parents avaient lu une note d’information sur l’étude et signé un formulaire de consentement. Les données identifiantes ont été anonymisées par un code alphanumérique.
Schéma expérimental et procédure
Cette étude expérimentale et prospective, portait sur deux groupes d’un même nombre d’enfants porteurs de TDL répartis de sorte à les équilibrer pour le sexe (une fille par groupe), l’âge, le niveau scolaire et le niveau en morphosyntaxe. La procédure en crossover (Figure 1) a permis à chaque groupe de suivre les deux sessions du programme, dans des ordres différents pour contrebalancer l’effet d’ordre : le groupe RH suivait les ateliers Rythme puis les ateliers Hauteur ; le groupe HR suivait les mêmes ateliers en ordre inverse. Cette procédure a permis de comparer l’effet des deux types d’ateliers de façon intra-individuelle à partir de l’effectif total de douze patients. Le programme comportait deux sessions de six ateliers musicaux répartis sur trois semaines, séparées par une période de repos (wash-out) de deux semaines. Les ateliers ont été proposés à raison de deux séances de 45 minutes par semaine, animés conjointement par les deux expérimentatrices. Trois évaluations d’1h30 ont permis de tester les capacités musicales, phonologiques et morphosyntaxiques en réception et en production, ainsi que les compétences en lecture et en attention. Chaque évaluation a été réalisée en deux séances de 35 à 45 minutes pour respecter la fatigabilité des enfants. Elles étaient menées avant le début de l’entraînement (T1), dans la semaine suivant la première session (T2) et la semaine suivant la deuxième session (T3). Aucun retour n’était donné à l’enfant sur ses performances ni sur le contenu des bonnes réponses pour limiter les effets test-retest. Tous les tests étaient effectués par l’une ou l’autre des examinatrices selon une répartition aléatoire.
Matériel de l’évaluation
Épreuves de phonologie
En perception
La discrimination de phonèmes est évaluée avec l’Épreuve Lilloise de Discrimination Phonologique (ELDP ; Macchi et al., 2013). L’enfant entend en champ libre deux logatomes et juge s’ils sont identiques ou différents (réponse donnée à l’oral). Les 36 couples de logatomes sont produits à débit rapide, contiennent 3 à 4 syllabes et un seul phonème diffère pour les couples différents. Le score est la réussite sur 36 items. De plus, une épreuve d’épiphonologie extraite de la batterie d’évaluation du langage écrit et du langage oral 6-15 ans (EVALEO 6-15) (Launay et al., 2018) teste la détection de phonèmes dans un mot. L’enfant, après avoir entendu un phonème cible, indique s’il l’entend dans au moins un des trois mots diffusés ensuite. Le score est le nombre de phonèmes cibles correctement détectés et la durée de réalisation du test est mesurée.
En production
Pour les épreuves de phonologie en production, l’examinatrice produit le modèle et l’enfant réalise la tâche immédiatement. Trois épreuves de la batterie Nouvelles Épreuves pour l’Examen du Langage (N-EEL ; Chevrie-Muller, 2001) ont été choisies: l’inversion syllabique (épiphonologie), l’élision de phonème initial et l’élision de phonème final (métaphonologie). Elles permettent d’évaluer la perception par les enfants des logatomes, mais aussi de plus petites unités (syllabes, phonèmes). Dix logatomes dissyllabiques (9 de type Consonne/Voyelle/Consonne/Voyelle (CV.CV) et 1 CCV.CV) sont proposés pour la tâche d’inversion syllabique. Les tâches d’élision de phonème initial et final portent chacune sur 12 logatomes d’une à deux syllabes avec un cluster consonantique par liste. Pour compléter ces épreuves, une tâche de répétition de pseudo-mots (PSM), extraite de la batterie EVALEO 6-15 est proposée. Chacun des 20 pseudo-mots pré enregistrés est écouté, l’enfant doit immédiatement le répéter à haute voix. Cette fois, les pseudo-mots sont plus longs − jusqu’à cinq syllabes − et de formes plus ou moins complexes. Un score de réussite est calculé pour chaque épreuve, sans mesure de vitesse.
Épreuves de morphosyntaxe
En perception
La morphosyntaxe en perception est évaluée grâce à l’épreuve de jugement de grammaticalité de la batterie EVALEO 6-15. Une série de 16 phrases pré enregistrées est diffusée à l’enfant. Pour chacune, ils doivent tout d’abord dire s’ils estiment qu’elle est correcte ou non, puis la corriger si nécessaire. Les phrases sont de difficulté croissante et comportent des erreurs sur les flexions verbales, les formes passives, les pronoms relatifs, la concordance des temps ou les pronoms personnels compléments .
En production
La morphosyntaxe en production est évaluée avec la répétition de phrases complexes de la batterie EVALEO 6-15. Les 15 phrases cibles de longueur croissante sont proposées et l’enfant les répète à haute voix au fur et à mesure. La cotation porte sur des éléments précis de morphosyntaxe (pronoms personnels sujets ou compléments, pronoms relatifs, adjectifs possessifs ou démonstratifs, verbes pronominaux, tournures négatives, flexions nominales ou verbales, prépositions, locutions suivies du subjonctif) et permet également de comptabiliser les erreurs produites.
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Table des matières
I Introduction
II Méthode
2.1 Participants
2.2 Schéma expérimental et procédure
2.3 Matériel de l’évaluation
2.3.1 Épreuves de phonologie
2.3.2 Épreuves de morphosyntaxe
2.3.3 Épreuve de lecture
2.3.4 Épreuve de perception musicale
2.3.5 Épreuve d’attention visuelle
2.4 Procédure de l’évaluation
2.5 Matériel pour les entraînements musicaux
2.6 Procédure pour les entraînements musicaux
2.7 Analyse des données
III Résultats
IV Discussion
4.1 Effets d’un entraînement musical sur les compétences langagières
4.2 Effets spécifiques des dimensions rythmique et mélodique des ateliers musicaux.
4.2.1 Ateliers Rythme
4.2.2 Ateliers Hauteur
4.3 Extension des bénéfices à des traitements attentionnels non linguistiques
4.4 Effets modérés des entraînements sur les compétences musicales
4.5 Limites et perspectives
Conclusion
Références bibliographiques
Annexes
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