Relire un recueil de poèmes vieux de deux siècles, pour s’interroger sur une entité de toujours qu’est l’« art » et sur une instance si problématique qu’est le « moi », sur deux éléments toujours aussi controversés semble, a priori, dénué de sens.
Nous avons opté de travailler dans le domaine de la poésie. Ce domaine tient une place importante dans la Littérature et dans l’art en général ainsi que dans les formes possibles de l’expression du « moi ». Notre choix de ce domaine est dû à la particularité de la poésie, à la différence de la prose et du théâtre comme forme d’expression littéraire, par la faculté de la poésie à contenir une utilisation harmonieuse des sons et des rythmes du langage et à produire une grande richesse d’images.
RELECTURE DES FEUILLES D’AUTOMNE
L’hétérogénéité des thèmes
Dès la préface, HUGO déclare son intention de livrer au lecteur des vers de la vie intime, du foyer domestique- et il tient parole-, en dépit de la gravité des événements politiques. Mais la lecture du premier poème du recueil nous montre déjà qu’il n’en est rien et que certains poèmes divergent en sujets comme en tons qui expliqueraient l’hétérogénéité des thèmes. La pièce liminaire « Ce siècle avait deux ans… » commence par quatre vers d’épopée – pour retracer l’enfance et l’adolescence de l’auteur. Non sans quelque arbitraire, on peut cependant tenter de classer les pièces du recueil par thèmes, étant bien entendu qu’on ne considère alors que le thème dominant.
– La poésie personnelle et intime est représentée par les pièces I (« Ce siècle avait deux ans… »), XII (« Ô toi qui si longtemps… »), XIV (« Ô mes lettres d’amour…»), XVII (« Ô pourquoi te cacher… »), XXIII (« Oh ! qui que vous soyez… »), XXVI (« Vois, cette branche…), XXXIX (« Avant que mes chansons aimées… »).
– La poésie de l’enfance, par la pièce XV (« Laissez- tous ces enfants… »), XIX (« Lorsque l’enfant paraît »), XX (« Dans l’alcôve sombre »).
– La poésie politique, par les pièces III (Rêverie d’un passant…), IV (Que t’importe mon cœur …), XXX (Souvenir d’enfance), et XL (Amis, un dernier mot…).
– Philosophie et religion apparaissent dans les poèmes V (« Ce qu’on entend sur la montagne »), VI (« A un voyageur »), VII (« Dicté en présence du glacier de Rhône»), XIII (« C’est une chose grande… »), XVIII (« Où donc est le bonheur»…), XXIX (« La pente de la rêverie »), XXXVI (« Un jour où soudain »), XXXVII (« La prière pour tous »), XXXVIII (« Pan ») .
– Enfin le groupe des « Soleils couchants » (poème XXXV) est surtout consacré au pittoresque et « Bièvre » peint des paysages.
Ce classement n’est pas exempt d’artifice. Par exemple, « La prière pour tous » est autant un hymne à l’enfance qu’un poème religieux. Et tout classement devient impossible lorsqu’il s’agit du reste des pièces : « Pour les pauvres » est- il un poème social, à rattacher au groupe politique ? Ou une œuvre religieuse, puisqu’il n’y est question que de charité, de l’aumône, « sœur de la prière » ?
Une lecture attentive du texte met en évidence un fait : certains thèmes se trouvent concentrés dans un ou plusieurs poèmes ; d’autres au contraire, apparaissent en ordre dispersé, et parfois de façon assez inattendue. Il conviendrait donc d’examiner la composition des pièces pour voir comment la forme épouse ou repousse cette hétérogénéité et entrelacement des thèmes.
L’hétérogénéité de la composition
Nous ne donnerons ici que des données quantitatives sur quelques éléments de versification car la forme ne nous intéresse que pour expliquer les thèmes or il n’est pas question ici d’envisager une classification par rapport à la composition, sous prétexte de ne pas pouvoir le faire non sans artifice avec les thèmes. Nous nous concentrons à prouver l’hétérogénéité de la composition renchérissant l’hétérogénéité du recueil et le nombre nous semble de ce côté plus évocateur.
Les pièces des Feuilles d’automne sont de longueur inégale : « La prière pour tous» compte plus de 400 vers, « A une femme » seulement 10 vers. Quatre types de vers s’y rencontrent : l’alexandrin qui domine l’œuvre en nombre, l’octosyllabe, l’hexasyllabe et le pentasyllabe. Ces mètres peuvent être utilisés de manière homogène « Ce siècle avait deux ans », ou en combinaisons strophiques (« Un jour au mont Atlas. ») Les Feuilles d’automne comptent 2913 vers dont 1962 alexandrins, 644 octosyllabes, 165 hexasyllabes, 142 pentasyllabes.
Il nous incombe de voir au cours de notre analyse quel rapport peut avoir le thème traité avec cette hétérogénéité de la composition. Mettons- nous à présent à peindre la tonalité générale de l’œuvre qui s’annonce elle aussi hétérogène.
L’hétérogénéité de la tonalité
La tonalité sombre
C’est l’impression de mélancolie qui règne dans le texte. Nous la prenons comme un fait dans l’ouvrage, c’est-à-dire sans nous demander pourquoi, ni chercher à faire la correspondance avec la biographie de l’auteur. Cette tonalité est avouée par l’auteur dès la préface et est effectivement présente dans l’œuvre. Après une lecture du texte, il paraît indéniable que la mélancolie teinte l’ensemble du livre, à tel titre même qu’elle contribue à son unité. Nous nous proposons donc de l’étudier, car le terme de mélancolie est très général, et englobe plusieurs éléments que nous allons nous efforcer de discerner. Nous procéderons par relever l’élément qui marque la mélancolie et citer des références dans le texte qui, à notre avis le soutient.
|
Table des matières
INTRODUCTION
RELECTURE DES FEUILLES D’AUTOMNE
Chapitre I- L’hétérogénéité des thèmes
Chapitre II- L’hétérogénéité de la composition
Chapitre III- L’hétérogénéité de la tonalité
1- La tonalité sombre
a- Le vieillissement
b- La venue de malheur
c- Le goût des larmes
d- Le deuil
e- L’inquiétude métaphysique
2- La tonalité claire
a- L’amour
b- L’empereur et la général Hugo
c- Le spectacle de la nature
d- Les causes à défendre
e- La foi dans son art et son génie
f- L’élan vers la vie
PREMIERE PARTIE : LES THEMES RECCURRENTS SUR LA QUETE DANS LE RECUEIL
Chapitre I- Remarques préliminaires
Chapitre II- Thématique des Feuilles d’automne
1- Autour de la politique
a- La quête du monde
b- La quête mystique
c- La quête des correspondances
2- Autour de l’amour
a- La quête du monde
b- La quête mystique
c- La quête des correspondances
3- Autour de l’enfance
a- La quête du monde
b- La quête mystique
c- La quête des correspondances
DEUXIEME PARTIE : L’ART ET LE MOI
Chapitre I- Classification des poèmes
Chapitre II- La mise en forme poétique des pièces
1- La composition stricte
2- La composition libre
3- La composition relâchée
Chapitre III- Les multiples dimensions de l’« art » et du « moi »
1- Le « moi » prophète et l’« art » sacerdoce
2- Le « moi » politique et l’« art » libérateur
3- Le « moi » intime et l’« art » : ce qu’il y a d’intime dans tout
a- Généralités
b- Quelle est la place de l’intimisme dans la préface ?
c- Qu’en est-il du contenu des poèmes ?
TROISIEME PARTIE : L’ORIGINALITE DE L’ŒUVRE
Chapitre I- Rapport avec les Méditations
Chapitre II- Rapport avec Les Consolations
Chapitre III- Rapport avec Les Poésies de Joseph Delorme
1- Généralités
2- L’intimisme de Joseph Delorme
3- Hugo et l’intimisme
4- L’intimisme dans Les Feuilles d’automne
CONCLUSION
NOTES
BIBLIOGRAPHIE