Polymères thermodurcissables époxy-amines
Introduction aux polymères thermodurcissables
On définit par polymère une macromolécule constituée d’unités moléculaires répétitives arrangées de sorte à former des chaînes covalentes plus ou moins longues. La grande variabilité de la longueur et de la nature de ces chaînes peut ainsi conduire à différents assemblages, ce qui en fait des matériaux aux propriétés modulables et de grand intérêt industriel. On peut ainsi chercher à former des polymères tant pour leur grande déformabilité à température ambiante, que pour leur résistance aux hautes températures, ou leur rigidité. Tout dépend finalement de la structure étudiée et du procédé de mise en œuvre entrepris.
Parmi les grandes familles de polymères, on distingue notamment les polymères thermodurcissables des polymères thermoplastiques par leur structure moléculaire réticulée, à savoir que l’intégralité des chaînes polymères forme un réseau chimique covalent par l’intermédiaires de nœuds de réticulation, et on traite alors avec des macromolécules de tailles virtuellement « infinies ».
Ces polymères sont souvent amorphes (à savoir qu’ils ne sont pas susceptibles de former des structures cristallines arrangées) et ne sont pas définis par la longueur de leur chaînes (et donc leur masse molaire moyenne), mais plutôt par la longueur de ces chaînes entre chaq ue nœud (mesurée par la masse molaire entre nœuds) et par la concentration en nœuds dans le réseau (donnée par la densité de réticulation). Comme les unités sont toutes reliées par des liaisons covalentes, il est impossible que les chaînes polymères s’écoulent et glissent les unes contre les autres : on n’observera alors ni fusion ni ramollissement conséquent de la structure en élevant la température. Les matériaux thermodurcissables sont ainsi généralement plus résistants aux hautes températures, mais il est impossible de les recycler en les chauffant et de leur faire recouvrer leurs propriétés sous une nouvelle forme.
Dans cette étude, nous nous concentrerons sur les « résines époxy-amines » qui, par la réaction entre leurs deux constituants, forment un réseau tridimensionnel thermodurcissable, dont la facilité de mise en œuvre eu égard à la rigidité atteinte en fait un matériau particulièrement intéressant pour l’industrie.
Le diglycidyléther de bisphénol A : DGEBA
Quelques époxydes usuels sont représentés en Figure 1. Bien que cette liste ne soit pas exhaustive, les époxydes présentés ici se retrouvent dans de nombreuses publications portant sur le vieillissement d’époxy-amines. Elles sont ici classées en deux catégories : les diglycidyl éthers – présentant un atome d’oxygène sur lequel est lié un groupement 2,3-époxypropane – et les diglycidyl anilines – présentant un atome d’azote sur lequel sont liés deux groupements 2,3époxypropane.
Parmi ces diglycidyl éthers, on retrouve trois types formés à partir de bisphénols avec des fonctionnalités différentes entre les cycles aromatiques : un simple groupement méthylène −CH2− pour le bisphénol F, un carbone portant deux groupements méthyles pour le bisphénol A, et un groupement sulfone pour le bisphénol S. Les réseaux formés à partir de ces époxydes présentent des températures de transition vitreuse (Tg) – qui permettent notamment de rendre compte de la stabilité des réseaux aux plus hautes températures – croissantes avec la fonctionnalité et l’encombrement du groupement (la Tg étant égale, par exemple, à 163°C pour DGEBF-DDS , à 183°C pour DGEBA-DDS à 183 °C et à 201 °C DGEBS-DDS ). De la même façon, la température de transition vitreuse des réseaux formés à partir de ces molécules aromatiques est bien supérieure à celle obtenue avec un diglycidyl éther aliphatique comme la DGEBU.
De la même façon, on peut souligner que la position des substituants des dérivés benzéniques entraîne une légère variation de la Tg. Par exemple, TGPAP-DDS (dont les substituants du seul cycle benzénique de l’époxyde sont en position para) présente une Tg à 270 °C, contre 237 °C pour TGMAP (substituants en position meta).
Propriétés des thermodurcissables à l’état neuf
Détermination semi-empirique de la température de transition vitreuse Tg
Les réseaux thermodurcissables époxy-amines auxquels nous nous intéressons étant complètement amorphes, la principale transition impactant le comportement thermomécanique et limitant les conditions d’utilisation est la transition vitreuse.
La température de transition vitreuse atteint la valeur de Tg∞ pour un réseau entièrement réticulé.
La connaissance de cette température est nécessaire pour garantir l’obtention d’un réseau idéal à l’état neuf, état qu’il nous est nécessaire d’atteindre pour être ensuite capable de caractériser un quelconque vieillissement (et éviter d’observer des phénomènes parasites de post-cuisson par exemple).
Bellenger et al. ont calculé en 1987 des températures de transition vitreuse d’une multitude de réseaux époxy-amines complètement réticulés grâce à la méthode semi-empirique développée par DiMarzio en 1964 . Elle est applicable aux thermodurcissables en prenant en compte la nature chimique des différents segments entre les nœuds de réticulation.
Partant de l’hypothèse de DiMarzio qui corrèle la température de transition vitreuse du réseau avec celle d’un polymère linéaire équivalent et avec la densité de réticulation (Équation 2), ont été mesurées K DM F pour différents thermodurcissables époxy-amines, déterminant ainsi la constante de DiMarzio K DM égale à 2,91.
Réponse mécanique des réseaux époxy-amines
Lors d’une sollicitation mécanique, un polymère présentera à la fois un comportement associé à un solide élastique (réponse en déformation directe lors de l’application d’une contrainte et recouvrance totale de l’énergie emmagasinée lorsque cette contrainte est désappliquée) et à un liquide visqueux (réponse en déformation dépendante du temps d’application et énergie dissipée au cours de la sollicitation). On parlera alors de viscoélasticité pour décrire le comportement général des polymères, qui est fortement dépendant de la température et de l’échelle de temps (vitesse, fréquence, etc.) de la sollicitation.
De ce fait, en conditions standards d’utilisation, on trouve dans la grande famille des polymères non seulement une grande diversité des structures moléculaires et macromoléculaires, mais également des comportements mécaniques. La Figure 11 à gauche présente assez synthétiquement quelques types de comportement mécanique qu’il est possible d’observer sur une courbe contrainte-déformation.
La Figure 11 à droite introduit quelques grandeurs que nous utiliserons par la suite. Le module E se définit ici comme la pente maximale (généralement à l’origine) de la courbe dans le domaine élastique quasi-linéaire (tel qu’il est décrit en tant que module de Young par la loi de Hooke : σ = Eε).
On définit la limite d’élasticité comme la fin du domaine élastique linéaire, qui est décrite par le seuil d’écoulement, à savoir la contrainte maximale σy. On s’intéressera plus particulièrement à la rupture comme critère du vieillissement, décrite par l’allongement à rupture εr (et la contrainte à rupture correspondante σr).
Durabilité des matériaux polymères
Différents types de vieillissement : chimique, physique, humide, etc
On décrit ici par « vieillissement » tout phénomène induisant un changement réversible ou irréversible de la structure, de la morphologie et donc des propriétés d’un matériau au cours du temps. De ce fait, le terme de vieillissement ici utilisé n’implique pas que les propriétés initiales du matériau ne peuvent pas être recouvrées, mais permet de classifier et de dissocier l’évolution des propriétés d’un polymère sous des conditions connues. Ce vieillissement peut alors être provoqué par l’interaction directe de celui-ci avec son environnement, tout comme il peut simplement résulter d’une évolution de la structure du polymère vers un état plus stable.
Parmi les vieillissements irréversibles les plus couramment étudiés, on peut notamment traiter de différents phénomènes d’oxydation qui peuvent affecter la structure organique d’un polymère − l’oxydation désignant la réaction chimique de cette structure avec le dioxygène, notamment présent dans l’air – laquelle peut être simultanément couplée et/ou provoquée par d’autres conditions aggravantes. La radio-oxydation traite par exemple de l’étude de matériaux soumis à des radiations lesquels peuvent altérer directement la structure moléculaire du matériau ou initier des réactions chimiques conduisant à l’oxydation . La photo-oxydation quant à elle s’intéresse à l’influence de la lumière qui, par excitation de la structure moléculaire, peut induire la photodissociation de liaisons du réseau, créant ainsi des radicaux susceptibles de réagir et d’initier l’oxydation.
Contrairement à ce que son usage dans le langage courant laisserait à penser, on parlera également de « vieillissement » lorsque l’on traite de l’évolution des propriétés du matériau provoquée par des phénomènes physiques complètement réversibles. Le vieillissement physique désigne ainsi très largement les processus et effets altérant les propriétés du polymère sans en modifier la structure chimique, avec ou sans transfert de masse : perte d’adjuvants, absorption ou désorption d’espèces, post-cristallisation par réorganisation des chaînes, etc.
Le terme « vieillissement physique » est cependant bien plus régulièrement utilisé pour désigner le vieillissement par relaxation structurale (VRS). Celui-ci se caractérise par l’évolution lente de la structure amorphe du polymère à l’état vitreux vers un état thermodynamiquement plus stable (plus rapide à proximité de la Tg), induisant une légère variation de la mobilité des chaînes du polymère, et par conséquent des propriétés – notamment mécaniques – associées (on dit d’ailleurs couramment et de manière informelle qu’il faut « effacer l’histoire thermique du matériau » pour pouvoir caractériser ses propriétés intrinsèques, ce qui revient finalement à devoir annuler l’effet de la relaxation structurale). La relaxation structurale peut se quantifier par des techniques calorimétriques, par la présence d’un pic de relaxation endothermique superposé au saut sigmoïdal du flux de chaleur caractéristique de la transition vitreuse.
Approche mécanistique de l’oxydation par voie radicalaire
Le schéma mécanistique d’auto-oxydation (Mécanisme 1), proposé originellement en 1946 pour les caoutchoucs et lipides par Bolland et Gee , a très largement été utilisé comme base par la communauté scientifique pour décrire la dégradation de polymères en tous genres. Il se compose d’étapes d’initiation, de propagation, et de terminaison formant des produits stables quantifiables par caractérisation expérimentale du polymère. Ce mécanisme a fait l’objet de nombreuses études pour comprendre la prépondérance de certaines réactions par rapport à d’autres, et a depuis été adapté pour l’implémentation de modèles cinétiques par la considération de produits stables oxydés, traceurs de cette dégradation thermo-oxydante.
Stratégie d’étude et verrous scientifiques
L’objectif principal de cette thèse est d’approfondir, par l’approche multi-échelle employée, la compréhension des phénomènes chimiques et physiques observés au cours de la thermooxydation de réseaux époxy-amines et d’identifier leurs différentes interactions.
La thermo-oxydation des « résines époxy » industrielles n’est pas inconnue de la communauté scientifique qui s’intéresse au vieillissement des polymères. De nombreuses études, notamment internes au laboratoire PIMM, ont permis de rendre compte des cinétiques de l’oxydation, des phénomènes prédominants au cours du vieillissement pour chaque système étudié (plus particulièrement scissions ou réticulations) et de la difficulté d’identifier proprement les produits d’oxydation, leur localisation et leur impact sur la structure moléculaire macromoléculaire des réseaux.
Par l’usage de trois réseaux à la structure très similaire, à savoir la même résine époxyde DGEBA associée à trois durcisseurs éthylamines (EDA, DETA, TETA) répétant le même motif éthylène, on se concentrera sur la structure moléculaire locale du polymère pour en identifier les sites les plus sensibles. Cette approche nous permettra de comprendre exactement l’origine des changements chimiques observés, et leur impact sur le comportement macromoléculaire et mécanique des matériaux formés.
Une structure moléculaire similaire devrait donc impliquer une sensitivité à l’oxydation similaire et donc des réactions similaires, mais dont la prédominance pourra varier selon le durcisseur utilisé.
Confirmer ou infirmer cette théorie nous permettra de rendre compte quelles réactions chimiques et donc quels phénomènes dirigent l’oxydation. Réactivité ou mobilité ?
Dans un premier lieu, nous tâcherons de caractériser et d’approfondir la compréhension de la sélectivité de l’oxydation dans les réseaux époxy-amines. La littérature a permis de montrer que l’on est capable de déterminer grossièrement quels produits sont formés au cours du vieillissement: amides, cétones, esters, etc. mais il est parfois difficile de comprendre plus exactement où sont formés ces produits quand plusieurs sites d’oxydation sont envisagés. Pour cela, par l’usage de nos trois réseaux aux proportions de motifs chimiques issus de la résine équivalentes mais de proportions de motifs issus du durcisseurs différentes (DGEBA-EDA, DGEBADETA et DGEBA-TETA), nous identifierons les sites oxydables du réseau et déterminerons si une oxydation préférentielle est observée. Cette étude expérimentale quelque peu qualitative sera appuyée par des calculs théoriques d’énergie de dissociation des liaisons C−H pour comprendre lesquelles sont plus fragiles et donc plus enclines à l’abstraction.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 : Étude bibliographique
1. Polymères thermodurcissables époxy-amines
1.1. Introduction aux polymères thermodurcissables
1.2. Réseaux époxy-amines
1.2.1. Principe des époxy-amines et réaction de polyaddition
1.2.2. Le diglycidyléther de bisphénol A : DGEBA
1.2.3. Différentes familles de durcisseurs aminés
1.2.4. Mise en œuvre des thermodurcissables
1.3. Propriétés des thermodurcissables à l’état neuf
1.3.1. Détermination semi-empirique de la température de transition vitreuse Tg∞
1.3.2. Étude bibliographique des cycles de cuisson et des Tg mesurées
1.3.3. Réponse viscoélastique des réseaux époxy-amines
1.3.4. Réponse mécanique des réseaux époxy-amines
2. Durabilité des matériaux polymères
2.1. Différents types de vieillissement : chimique, physique, humide, etc
2.2. Fragilisation et perte de propriétés mécaniques
2.3. Changements de mobilités observés au cours du vieillissement
2.4. Modifications de la structure moléculaire au cours du vieillissement
2.4.1. Consommation des groupements >CH−, −CH2− et −CH3
2.4.2. Identification et quantification des produits oxydés formés
2.5. Développement d’une couche oxydée
2.6. Stratégie pour l’étude multi-échelles de l’oxydation
3. Approche mécanistique de l’oxydation par voie radicalaire
3.1. Initiation du mécanisme d’oxydation
3.1.1. Amorçage du mécanisme : formations des premiers radicaux
3.1.2. Décomposition des hydroperoxydes
3.2. Étapes de propagation
3.2.1. Addition du dioxygène
3.2.2. Propagation par abstraction des hydrogènes
3.3. Formation de produits oxydés stables
3.3.1. Terminaison des radicaux par combinaison
3.3.2. Terminaison des radicaux alkoxy ? Compétition entre β-scission unimoléculaire et combinaison radicalaire bimoléculaire
3.4. Mécanisme réactionnel choisi pour ces travaux
3.5. Stratégie d’étude et verrous scientifiques
Chapitre 2 : Élaboration des matériaux
1. Présentation des monomères
2. Formation des systèmes époxy-amines
2.1. Composition des mélanges stœchiométriques
2.2. Optimisation du cycle de cuisson
2.3. Géométries réalisées
3. Unités constitutives répétitives du réseau
Chapitre 3 : Oxydation de la structure moléculaire
1. Introduction
2. Materials and methods
2.1. Epoxy-amine thermoset materials
2.2. Thermal ageing protocol
2.3. Experimental measurements
3. Results
3.1. Evolution of oxidized products
3.2. C-H bonds disappearance during oxidation
4. Discussion
4.1. On the use of machine learning approach for BDE calculations
4.2. On the oxidizability of networks under study
4.3. On the link between CH2 consumption and carbonyl build up
5. Conclusion
1. Analysis of initial glass transition
2. Overlapping of C=O products
3. Identification of CH groups
4. Deconvolution strategy of CH FTIR range and Python script
5. Beer-Lambert law and comparison of C=O production and CH consumption
6. Simple molecules database for the machine-learning BDE estimations
Chapitre 4 : Relaxations vitreuse et sous-vitreuses du réseau et évolution avec l’oxydation
1. Introduction
2. Materials and methods
2.1. Curing and ageing procedure
2.2. Characterization methods
3. Results
3.1. Unaged samples characterization
3.2. Characterization of aged epoxy-amine systems
4. Discussion
4.1. On the nature of relaxations in unaged systems
4.2. On the effect of ageing
5. Conclusion
Chapitre 5 : Évolution des propriétés mécaniques au cours de l’oxydation
1. Introduction
2. Experimental
2.1. Materials
2.2. Exposure conditions
3. Characterization
3.1. Fourier Transform InfraRed spectroscopy
3.2. Differential scanning calorimetry
3.3. Mechanical testing
4. Results and discussion
4.1. Accumulation of stable oxidation products
4.2. Changes in mechanical properties
4.3. Correlation between chemical and mechanical changes
5. Conclusions
Conclusion générale et perspectives
Bibliographie