L’anguille d’ Amérique
L’aire de répartition dans les zones d’ eau douce de l’anguille d’Amérique Anguilla rostrata (LeSueur 1817) s’étend sur environ 50° de latitude (figure 1), mais principalement entre 20° et 50° N (Barhin et McClcavc, 1(97). Tout comme l’espèce européenne Anguilla anguilla (Linné 1758), elle est amphihaline, catadrome et sémelpare 1. Son cycle vital est complexe,atypique et ponctué par des passages dans des milieux océaniques, côtiers, estuariens ou encore d ‘eau douce (figure 2). Il est entre autres marqué par une des plus longues migrations reproductrices observées en milieu marin. La reproduction, de type panmictique (Côté cL al., 2(13), a lieu entre la fin de l’ hiver et le printemps en mer des Sargasses et ce aussi bien pour l’ angui lle d’Amérique que celle d’Europe. La ponte de chacune de ces deux espèces se chevauche dans le temps et l’espace bien qu’elle soit en moyenne quelques degrés de longitude plus à l’ouest et environ un mois plus tôt chez l’anguille d’Amérique (van Gill nekcn et Maes, 2(05). La découverte de l’aire de ponte découle de la capture dans cette région de l’océan Atlantique des plus petits individus juvéniles recueillis (Schmidt, J 922). En effet, aucun adulte mature ou embryon n’ont encore été capturés en mer des Sargasses à ce jour (Feunteull, 2002 ;Tesch et 1 lendersoll, J (77). En captivité, Oliveira ct llable (2010) ont rapporté des tailles variant de 0.960 à 1.030 mm chez les œufs d’A. rostrata , un diamètre comparable à ceux des espèces européennes et japonaises (Anguilla japonica). L’évolution dans le temps de l’embryogénèse de l’espèce américaine semble comparable à celle des espèces européennes et japonaises, mais les auteurs ont noté des disparités dans le temps nécessaire aux embryons pour éclore: 38-45 h chez A. japonica, 48-50 h chez A. anguilla et 32-45 h chez A. rostrata (Oliveira ct Ilable , 2(10). Ces disparités pourraient être dues à la qualité des œufsou à la température d’incubation (Olivcira ct 1 bbJc, 2(10). De forme aplatie, le leptocéphale représente la forme larvaire de l’ espèce. Leur corps est transparent, car il est presque entièrement constitué de glycosaminoglycane (GAG) servant au stockage énergétique (Pfciler ctal. , 2002) et exempt de globules rouges (Hulet. ct Robin » , 19R9), ce qui leur procure probablement une protection visuelle contre les prédateurs (Miller, 20(9). À l’ éclosion, le leptocéphale n’est que très peu développé. C’est le stade préleptocéphale : la larve ne présente pas d’ yeux ou bien des yeux très peu développés, pasou peu de dents lorsque la bouche est présente, ainsi qu ‘ une unique gouttelette lipidique servant de ressource énergétique. À l’ éclosion, Oliveira et Hable (2010) ont rapporté une taille égale à 2.7 ± 0.2 mm pour les préletocéphales d’A. rostrata. Le stade leptocéphale commence véritablement lorsque la goutte lette lipidique est totalement résorbée, que les yeux sont fo rmés et la bouche présente (M iller, 20(9). Le leptocéphale requiert alors une source d’alimentation externe pour survivre et se développer. À ce jour, la transition vers ce stade n’a pas été décrite chez A. rostrata, Oliveira et Hable (2010) n’ ayant pas réussi à faire survivre leurs larves au-delà d’un stade où la bouche était encore absente et la gouttelette lipidique presque totalement résorbée.La biologie des leptocéphales est assez peu connue en raison des difficultés rencontrées pour les capturer et les maintenir vivants en captivité, notamment en raison de leur grande fragilité (Miller el TSlIkamoto, 2004, 20(6). Leur régime alimentaire est peu connu. Des études effectuées chez l’anguille japonaise suggèrent que les leptocéphales se nourrissent principalement de neige marine, de matière organique dissoute, de matières fécales de zooplancton ou encore de tests de Larvacés, mais pas directement de phytoplancton ni de zooplancton (Miller, 200l); Miller ct al. , 201]; :’vlochioka Cl lwamiLll, J 996; Olake cl c\J. , J 9(3). Néanmoins, des travaux récents utilisant l’ADN extrait du contenu du système digestif de leptocéphales de l’ anguille européenne indiquent que ces derniers se nourrissent également d’ une large variété de zooplancton gélatineux Alfrcds~on , 2009; Riemann ct al. , 2(10). Les leptocéphales des anguillifonnes grandissent jusqu ‘ à une certaine taille maximale comprise entre 50 et 100 mm avant de se métamorphoser (Miller, 2009). La taille des leptocéphales de l’ anguille japonaise diminue légèrement au cours de la métamorphose (Tsukarnoto ct al. , 20(9), il est possible qu ‘il en soit de même chez l’anguille d ‘Amérique. À l’inverse d ‘ autres larves de poissons, plusieurs études semblent indiquer que les leptocéphales ne consacrent pas l’ essentiel de leurs dépenses énergétiques à leur croissance, mais plutôt à leur locomotion Les leptocéphales observés en aquarium sont de très bons nageurs. Cela peut aisément être déduit de la nécessité pour eux de se rendre aux aires de croissance (bien que les courants marins jouent là aussi un rôle) ainsi que la nécessité de fuir les éventuels prédateurs.
Les dioxines et composés apparentés
Le terme dioxine est un terme général qui désigne plusieurs composés similaires du point de vue de leur structure chimique (Mamlal, 20()S), mais il désigne plus spécifiquement les polychlorodibenzo-p-dioxines (PCDD). Leur structure chimique (figure 5) comprend deux cycles benzènes liés par deux atomes oxygène (0). Chacun des deux cycles peut porter jusqu’à 4 atomes de chlore (Cl), permettant un total de 75 combinaisons uniques communément appelées congénères. On inclut aussi sous le terme de « composés apparentés aux dioxines » , ou encore composés coplanaires, les polychlorodibenzofuranes (PC OF) et certains biphényles polychlorés (BPC). Les PCDF, dont on dénombre 135 congénères différents, sont structurellement très proches des PCDO, mais ne possèdent qu’un seul atome d’oxygène entre les deux cycles benzènes (figure 5). Les BPC sont constitués de deux cycles benzènes liés par une liaison covalente carbone-carbone (figure 5). Seuls un petit nombre des 209 congénères possibles de BPC sont apparentés aux dioxines. Parmi eux, les BPC non-ortho-substitués (qui ne possèdent pas d’ atomes de chlore aux positions 2, 6, 2′ et 6′) sont au nombre de 4 (BPC77, BPC81 , BPC126 et BPC169) et sont également appelés BPC coplanaires. Ce sont les BPC les plus toxiques, car structurellement plus proches des PCDD. On inclut également parmi les composés apparentés aux dioxines les BPC mono-ortho-substitués, au nombre de 8, qui eux possèdent un atome de chlore en position 2. Ils sont néanmoins réputés moi ns toxiquesque les BPC copl anaires, notamment chez les poissons (Van den Berg ct al., 1998). Les PC DO et PC OF sont des sous-produits non désirés introduits accidentellement dans l’environnement et issus principalement de processus de combustion Cl litc~ , 2(10). Identifiées au cours des années 1970 et 1980, les principales sources de contamination de l’environnement par ces composés incluent les incinérateurs municipaux, le traitement du bois au pentachlorophénol, le raffinage du pétrole, l’ industrie des pâtes et papiers ou encore l’utilisation massive de certains herbicides tels que l’Agent Orange (Kull ct al. , 1990; Pirkk ct al., 19~9 ). Parmi les PCDD et PCDF, le composé le plus connu est sans doute la 2,3,7,8- tétrachlorodibenzo-p-dioxine, communément appelée TCDD. Elle est considérée comme le composé le plus toxique parmi tous les PCDD et autres composés apparentés aux dioxines, et est probablement le plus étudié d’ entre eux . Les BPC, en revanche, ont été produits et commercialisés volontairement, principalement par Monsanto (États Unis et Angleterre), Bayer (Allemagne), Prodelec (France), Kanegafuchi (Japon) ou encore Caifaro (Italie), en raison de leur stabilité chimique, résistance au feu et propriétés diélectriques offrant une vaste gamme d’usages à l’ industrie : les BPC ont notamment été utilisés comme fluides thermiques, lubrifiants hydrauliques ou isolants électriques. La production et l’ utilisation des BPC à l’échelle mondi ale couplées à des pratiques d’élimination inadéquates ont conduit à leur introduction massive dans l’environnement (Safc, 1993). Les PCDD, PC OF et BPC sont tous lipophiles et classés comme polluants organiques persistants (POP), car ils sont résistants à la dégradation aussi bien chimique que biologique et sont bioaccumulés au sein de la chaîne alimentaire CI futlingcr Cl al., 1985; Tanabc, 1(88). Cela concerne tout particulièrement le milieu aquatique, le sédiment jouant le rôle de puits pour l’ ensemble des POP (Zoumis et al., 2()()1 ).
Les mélanges techniques de BPC
Les biphényles polychlorés ont été majoritairement produits, commercialisés et utilisés par l’ industrie sous forme de mélanges techniques de plusieurs congénères. Le plus connu d’entre eux est probablement l’Aroclor, produit par Monsanto jusqu’à la fin des années 1970 (Frame, IY9tJ). Le tableau 2 dresse une liste des études récentes (de 2003 à aujourd ‘ hui) en rapport avec les effets embryotoxiques et neurotoxiques de quelques mélanges techniques de BPC chez les jeunes stades de vie (embryons et larves) des poissons. Ces études sont à la fois peu nombreuses, et pour la plupart (4 études sur 6) centrées sur des effets embryotoxiques sévères telles que la mortalité, des malformations ou une réduction du succès d’éclosion. De plus, là aussi la balnéation des embryons dans une solution contenant le mélange technique est le plus souvent utilisée: puisque tous les congénères de BPC n’ont pas le même coefficient de partage octanoljeau (Han et ai., 20(6), la pénétration de chacun d’ entre eux à travers le chorion diffère et l’embryon n’est pas exposé aux différents congénères de BPC dans les mêmes proportions que celle du mélange technique. Puisque le plus souvent le mélange technique n’est pas caractérisé chimiquement et que les concentrations en BPC ne sont pas non plus mesurées dans les tissus des larves ou juvéniles à la fin de l’ exposition, il est difficile de savoir quels congénères (coplanaires ou non) sont responsables des effets embryotoxiques et/ou neurotoxiques observés.La composition d’un mélange technique de BPC peut varier sensiblement d’ un lot de production à l’autre, et pour cette raison la caractérisation chimique d’un mélange technique devrait toujours être réalisée lorsque ce dernier est utilisé au cours d’ expériences de toxicité (B urgi Il ct al., 20(1 ). L’exemple le plus documenté à ce sujet est probablement celui de l’ Aro-clor 1254. En raison d ‘ un changement dans son mode de production de la part de Monsanto, deux types d’Aroclor 1254 ont été historiquement disponibles sur le marché (Frame, 1 99l);Juhnson et al. , 200X). Le second type, appelé production tardive d ‘ Aroclor 1254, a été produit dès 197 1 à partir d ‘ un résidu de production de 1’Aroclor 1016 nommé Montar. Il contenait beaucoup plus de BPC coplanaires, de traces de PCDD et de PCDF que l’Aroclor 1254 typique, ou de production initiale, produit de 1929 à 1970 (Frame, 1999; .1 ohnson el al. , 200X). Cet Aroclor 1254 typique a compté pour plus de 99% de la production totale d ‘ Aroclor 1254 par Monsanto et a donc été vraisemblablement le type le plus introduit dans l’ environnement. Pourtant, étant donné sa disponibilité au cours des dernières années de production, au moment où la communauté scientifique a commencé à s’ intéresser aux effets toxiques des BPC, c ‘ est le type issu de la production tardive d ‘Aroclor 1254, plus toxique (Burgin et al. , 20(1 ), qui a été majoritairement étudié, conduisant à une surévaluation possible des risques environnementaux associés aux mélanges techniques de BPC
Les pesticides organochlorés
Les pesticides organochlorés regroupent de nombreux composés d’origine anthropique introduits volontairement et massivement dans l’ environnement pour é liminer les parasites des cultures, contrôler certaines pandémies véhiculées par dès insectes (malaria, typhus, etc.) ou encore pour certains usages pharmaceutiques. On peut citer par exemple le DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane), le lindane (aussi connu sous le nom d’ hexachlorocyclohexane, ou RCR), le chlordane, la dieldrine ou le mirex. Leurs effetsneurotoxiques, possiblement responsables du déclin de certaines espèces d’oiseaux , sont bien documentés chez ces derniers (Walkcr, 20(3). Ces effets incluent tremblements, convulsion, réduction de la concentration de certains neurotransmetteurs (sérotonine, dopamine, noradrénaline, etc.), ainsi qu’ une variété d ‘altérations comportementales pouvant mener directement ou indirectement à des effets néfastes à l’ échelle de la population, en influençant négativement la capacité de prédation, la capacité d’ échapper aux prédateurs, ou encore la capacité de reproduction des individus.La littérature concernant leurs effets embryotoxiques et neurotoxiques chez les poissons, particulièrement les jeunes stades de vie, est en revanche plus limitée. Quelques études in vivo ou in vitro ont démontré que certains pesticides organochlorés historiques tels que le DDT, le lindane ou le chlordane pouvaient causer des effets neurotoxiques aussi chez des poissons adultes ;-\ndcr~ol1 eL Petcrsol1, 1969; !\nc.kr.\on et Prins, 1970; Bhauélcharjec el Das, 2U J 3; Gooch et ,il., J 9(0). Concernant les jeunes stades de vie, des embryons de dorade royale (Sparus aurata) exposés à du lindane par balnéation (0.1-10 mg-I) ont montré une mortalitéimportante dès 1 mg L1, ainsi que des altérations comportementales telles qu’une diminution de la vitesse de nage, une incapacité à répondre à un stimulus externe, des mouvements non coordonnés et des tremblements (Oliva ct. al. , 2()()8). Des embryons de poisson zèbre exposés à des doses élevées, mais réalistes, de DDT (entre 18.000 et 62.000 ng g-I de poids humide de tissu, des concentrations comparables à celles mesurées chez certains mammifères marins) ont montré des altérations comportementales telles que de l’hyperactivité, des convulsions, des tremblements ou encore une paralysie ou une absence de réponse aux stimuli (Ticdeken ct Ram »dell, 20(9).
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Table des matières
REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
ABSTRACT
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
INTRODUCTION GÉNÉRALE
ARTICLE l RELATIVE POTENCY OF PCB 126 TO TCDD FOR SUBLETHAL EMBRYOTOXICITY IN THE MUMMICHOG (FUNDULUS HETEROCLITUS)
1.1 Résumé
1.2 Abstract
1.3 Introduction
1.4 Materials and methods
1.4.1 Chemicals preparation and analyses
1.4.2 Spawners and eggs handling
1.4.3 Embryos exposure
1.4.4 Locomotor activity
1.4.5 Prey capture ability and efficiency
1.4.6 Morphometry and biochemistry .
1.4.7 Relative quantitative polymerase chain reaction (qPCR)
1.4.8 Statistical analyses
1.5 Results
1.5.1 Chemical analyses
1.5.2 Mortality and hatching success
1.5.3 Deformities and body length
1.5.4 Locomotor activity
1.5.5 Prey capture ability
1.5.6 EROD activity
1.5.7 Genes expression levels
1.5.8 Correlation between different responses
1.6 Discussion
1.6.1 Relative potency of PCB 126 versus TCDD to induce EROD activity
1.6.2 Effect of TCDD and PCB 126 on behavior of mummichog larvae
1.6.3 Effects of TCDD and PCB 126 on gene expression
1.6.4 Relevance of the study
1.7 Acknowledgments
ARTICLE II APPLICABILITY OF THE TCDD-TEQ APPROACH TO PREDICT SUBLETHAL EMBRYOTOXICITY IN FUNDULUS HETEROCLITUS Xl
2.1 Résumé
2.2 Abstract
2.3 Introduction
2.4 Materials and methods
2.4.1 Selection of doses, preparation and characterization of exposure solutions
2.4.2 Fish and egg care
2.4.3 Embryos exposure, incubation and hatching
2.4.4 Locomotor activity
2.4.5 Predatory capacities
2.4.6 Morphometry
2.4.7 EROD activity measurement
2.4.8 Data processing and statistical analyses
2.5 Results
2.5.1 Chemical analyses and Aroc1or 1254 characterization
2.5.2 Mortality and hatching success
2.5.3 Body length and malformations
2.5.4 Locomotor activity and predatory capacity
2.5.5 EROD activity and estimation of relative potencies
2.6 Discussion
2.6.1 Embryotoxicity and relative potencies of dioxin-like compounds
2.6.2 Embryotoxicity of non-dioxin-like PCB congeners
2.6.3 Sublethal embryotoxicity of Aroclor
2.7 Acknowledgments
ARTICLE III TEMPORAL VARIATIONS IN EMBRYOTOXICITY OF LAKE ONTARIO AMERICAN EEL (ANGUILLA ROSTRATA) EXTRACTS TO DEVELOPING FUNDULUS HETEROCLITUS
3.1 Résumé
3.2 Abstract
3.3 Introduction
3.4 Materials and methods
3.4.1 Eel collection
3.4.2 EeI extracts and TCDD solution preparation
3.4.3 Chemical analyses
3.4.4 Model species: spawner and egg care
3.4.5 Embryo exposure, incubation and hatching
3.4.6 Locomotor activity
3.4.7 Prey capture ability and efficiency
3.4.8 Morphometry
3.4.9 EROD activity measurement
3.4.10 Bioassay- and chemically derived TCDD-TEQ calculations
3.4.11 Data processing and statistical analyses
3.5 Results
3.5.1 Eel biological characteristics
3.5 .2 Chemical analyses
3.5.3 Mortality and hatching success
3.5.4 Body length and deformities
3.5.5 Locomotor activity and predatory capacity
3.5.6 EROD activity
3.5 .7 Estimation of bioassay- and chemically derived TCDD-TEQs
3.6 Discussion
3.6.1 Temporal trends in the embryotoxicity of eel ex tracts to F heteroclitus embryos
3.6.2 Predictability of the toxic potency of eel ex tracts
3.6.3 Perspectives
3.7 Acknowledgments
CONCLUSION GÉNÉRALE
RÉFÉRENCES
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