Le Sénégal, à l’instar de tous les pays sahéliens, subit depuis plusieurs décennies, une baisse de sa pluviométrie et des pressions de plus en plus importantes sur les ressources naturelles (Gaye et al., 2000; Diagne, 2001; Batterbury et al., 2001; Hulme, 2001). Cet assèchement, combiné à une action anthropique plutôt néfaste, a conduit à des changements au niveau des écosystèmes, préjudiciables aux systèmes de production. Les effets combinés de la croissance démographique et des perturbations climatiques ont affecté le système productif et induit une forte dégradation des terres qui se manifeste sous différentes formes suivant le milieu physique et les systèmes de production dans les différents zones éco-géographiques.
La lutte contre cette dégradation des terres s’est déroulée suivant un processus comprenant plusieurs étapes, en passant par le traitement symptomatique (reboisements en régie et mesures coercitives contre l’exploitation des ressources forestières), et à la mise en place d’outils devant favoriser une meilleure compréhension du processus de la dégradation des terres et surtout de l’identification des causes (émergence de structures dotées de technologies modernes comme le Centre de Suivi Ecologique, développement des capacités nationales dans le domaine de la lutte contre la désertification et renforcement de la collaboration internationale illustré par la ratification de plusieurs conventions relatives à la préservation de l’environnement et au développement durable). La mise en jachère des sols, pratique traditionnelle pour restaurer le statut organique, est moins fréquente du fait de l’augmentation de la pression anthropique (Floret et Pontanier, 93). Et l’utilisation des engrais artificiels en vue d’augmenter la production présente le désavantage de n’être qu’accessible qu’à une petite classe de producteurs, l’essentiel de la masse paysanne des pays du sud ne disposant pas de ressources financières suffisantes à l’acquisition des fertilisants. De plus, ces fertilisants ont un impact environnemental souvent négatif du fait de leur effet polluant ou de leur nocivité pour certains groupes d’organismes du sol. Certains auteurs ont montré que certaines litières peuvent être utilisées comme intrants (Diallo, 2005). Cette technique présente cependant une limite due à la disponibilité de la ressource litière.
Si de nombreux travaux sur les caractéristiques physico-chimiques des sols dégradés existent, très peu d’études se sont intéressées à la caractérisation de l’activité biologique dans ces sols. Selon Ambouta et al. (1996), les dégradations physiques (encroûtement) et chimiques (appauvrissement en éléments nutritifs) sont de loin les plus importantes au Sahel. Parallèlement, la dégradation biologique constitue également une des formes de dégradation des terres, entraînant, via l’altération des caractéristiques des sols, une baisse des capacités de production. Cette dégradation résulte d’une baisse de l’activité biologique du sol. Cette dernière est entretenue par l’apport de matières organiques et par la présence de divers êtres vivants (faune, microorganismes, racines de plantes, etc.). Ces êtres vivants améliorent la structure du sol, enrichissent la biomasse et parfois permettent la fixation d’azote atmosphérique par les plantes. De ce fait, l’activité biologique reste une composante essentielle de la fertilité du sol. Elle y intervient en agissant d’une part sur le stock d’éléments minéraux assimilables, obtenus par minéralisation de la matière organique et d’autre part sur la structure du sol. En d’autre terme, l’activité biologique transforme les stocks (C, N) en flux (Nminéral, CO2 etc…). Sans elle, il n’existe pas de processus dynamique, processus qu’on regroupe sous le terme de bio-fonctionnement.
Dans ce contexte, certains auteurs pensent que la prise en compte de la composante biotique du sol, notamment la faune, est indispensable (de Goede et Brussard, 2002). En effet, le fonctionnement du sol est le résultat d’interactions complexes entre des facteurs physiques, chimiques et biologiques. Dans les écosystèmes tropicaux où les facteurs abiotiques sont relativement stables, les sols peu structurés, et la matière organique facilement minéralisable, les macro invertébrés du sol (vers de terre et termites) sont la source principale d’hétérogénéité du sol à travers les structures biogéniques (turricules, plaquages, termitières, galeries) qu’ils produisent (Lavelle, 2000). Ces invertébrés qui conditionnent en partie l’activité des autres organismes à travers une modification de leurs environnements sont considérés comme des ingénieurs de l’écosystème (Jones et al., 1994; 1997). Ils produisent des structures organo-minérales qui organisent le sol en compartiments fonctionnels (drilosphère, termitosphère, rhizosphère; Beare et al., 1995) qui peuvent être considérés comme autant “ d’îlots de fertilité ”. Les structures dites “biogéniques” créées par l’activité de la faune du sol, peuvent promouvoir et orienter les processus de minéralisation (micro-site disponible aux microorganismes), la stabilisation de la matière organique (humification) et la protection physique (résistance à l’érosion) (Lavelle, 2000). Au sein de ces structures, les macro invertébrés sont en association avec les microorganismes formant des systèmes biologiques de régulation. Cependant cette relation faune du sol – microorganismes a surtout été étudiée avec le “ modèle vers de terre ” (Lavelle 2000; Lavelle et al., 1989). Il existe très peu de travaux sur les interactions des termites avec les microorganismes du sol.
Les Systèmes biologiques de régulation: Définition et propriétés générales
Les systèmes biologiques de régulation (SBR), sont des systèmes d’interactions basées sur des relations de mutualismes entre les microorganismes et d’autres acteurs du sol (racines, litières, invertébrés). Dans ces entités, des espèces différentes auront un impact différent ainsi qu’une fonction différente sur le sol. D’après Lavelle (1984) 4 majeurs SBR se distinguent dans le sol :
• Le système litière: comprend la litière de feuilles comme source de nourriture, les racines en surface, les invertébrés épigéiques (principalement les arthropodes) et la communauté microbienne dominée par les champignons.
• La rizhosphère, composée de racines souterraines et la microflore qu’elles influencent.
• La drilosphère qui comprend les vers de terre, la matière organique comme source nutritive et la microflore dominée par les bactéries.
Et enfin
• La termitosphère représentée par l’ensemble des ressources organiques et le sol influencés tous les deux par les termites soit directement soit à travers leurs associations mutualistes (obligé ou facultatif) avec les microorganismes.
Les SBR sont caractérisés par de larges domaines fonctionnels ayant des traits communs (Lavelle et Spain 2001):
➤ Leur fonctionnement est largement déterminé par des relations mutualistes dont l’intermédiaire est représenté par des composés assimilables (exsudats racinaires, mucus intestinal, salive) qui peuvent exercer un « priming effect » sur les microorganismes telluriques.
➤ Ils juxtaposent des organismes qui opèrent sur des échelles d’espace et de temps différents. Dans le cas des racines fines, le temps varie d’une semaine à des mois sur un espace de quelques centimètres et pour les bactéries associées l’échelle de temps est de l’ordre de l’heure aux jours sur un espace de l’ordre du micromètre.
➤ Tous les SBR n’ont pas le même niveau d’importance dans tous les écosystèmes. Ils peuvent développer des relations de mutualismes ou d’antagonismes. Par exemple, dans les écosystèmes forestiers où le système litière domine, les termites et les vers de terres anéciques sont absents puisque ces derniers transportent souvent la litière vers leur propre domaine fonctionnel. En revanche, dans les savanes, les drilosphères et les termitosphères sont des composants importants lorsque les conditions du milieu ne les éliment pas (climatiques, anthropogéniques..).
➤ Les organismes de différentes tailles semblent réagir différemment aux changements de la température .
Le fonctionnement des SBR dépend largement de la nature ainsi que des caractéristiques biologiques de leurs trois composants majeurs que sont (i) la source d’énergie (ex: litière, matière organique), (ii) la communauté microbienne responsable de la plupart des transformations chimiques et (iii) celle des invertébrés qui créent des conditions favorables pour les activités microbiennes sur des échelles de temps et d’espace bien déterminées .
L’activité microbienne est limitée par leur immobilité relative et leur forte sensibilité aux contraintes environnementales. Elle est largement déterminée par des processus opérant à une plus grande échelle spatiale, particulièrement, ceux associés aux macroorganismes. Ainsi les macroorganismes comme les vers de terre ou les termites peuvent transporter les microorganismes sur de nouveaux substrats entraînant souvent leur stimulation. Par ailleurs, la production de substances assimilables (exsudats racinaires, mucus intestinal, salive) constitue un « priming effect » de leurs activités. Les macroorganismes agissent comme des catalyseurs de l’activité microbienne.
Les termites du sol
Notion d’ingénieur de l’écosystème
Le terme d’« ingénieurs de l’écosystème » a été utilisé par Jones et al. (1994) pour désigner des organismes qui directement ou indirectement contrôlent la disponibilité des ressources pour d’autres organismes en modifiant physiquement l’état des matériaux biotiques ou abiotiques. Les termites, les vers de terre et les fourmis sont considérés comme les principaux ingénieurs de l’écosystème sol en zone tropicale (Jones et al., 1994; Lavelle 1996). Ces macro-invertébrés qui se déplacent dans le sol en mélangeant les matières organiques et minérales participent à la structuration du sol (échelle de l’agrégat), à la préservation de sa fertilité (échelle de la parcelle) et sont même des architectes du paysage (Martius, 1994; Bignell et Eggleton, 2000).
Généralités sur les termites
Biologie des termites
Les termites sont des insectes appartenant à l’ordre des Isoptères présents sur plus de 75 % de la surface du globe, mais plus spécifiquement dans la zone tropicale et subtropicale (Lee et Wood, 1971; Anderson et Wood, 1984;Wood, 1988). Ils sont caractérisés par une vie sociale d’une grande complexité comprenant à côté des sexués fonctionnels (roi, reine, nymphes), des castes neutres aptères constituées par les ouvriers et les soldats. L’entité termite regroupe une grande diversité d’espèces (environ 2600) classées dans 281 genres (Kambhampati et Eggleton, 2000). Le nombre d’espèces décrites est en augmentation constante, une moyenne de 24 nouvelles espèces de termites étant décrites chaque année (Kambhampati et Eggleton, 2000). Par leur densité, leur importante aire de répartition, leur diversité à la fois phylogénique et fonctionnelle, les termites sont considérés comme une espèce clef de l’écosystème (Wood et Johnson, 1978; Wood et Johnson, 1986).
Densité et Répartition des termites dans le monde
La majorité des termites vivent dans les régions tropicales et sub-tropicales. On les retrouve cependant dans des zones tempérées. Dans les zones tropicales et sub-tropicales, leur densité dépasse 6000 individus par m2 , les densités les plus importantes de termites sont recensées dans les forêts où elles atteignent plus de 10.000 nids / m2 . Malgré leur petite taille (entre 20 et 2 mm), leur biomasse peut atteindre des valeurs importantes (Eggleton et al., 1995); et peut constituer plus de 95 % de la masse totale de la macrofaune du sol (Bignell et Eggleton, 2000). Elle peut varier de 5 à 50g par m2 , dépassant souvent celle des herbivores mammifères (0.01–17.5 g m–2; Lee et Wood, 1971; Collins, 1983). La grande majorité des termites vit dans les grandes forêts et savanes intertropicales mais leur zone de répartition s’étend du 40e parallèle Nord au 40e parallèle Sud. Cette répartition à l’échelle du globe se traduit par une diversité et une abondance des termites qui varient profondément d’un écosystème à un autre en fonction de facteurs historiques, climatiques, pédologiques, mais surtout en fonction de la végétation (Eggleton, 2000). La plus grande diversité est obtenue dans les grandes forêts équatoriales où l’on peut dénombrer de 50 à 80 espèces différentes par hectare. Cette diversité évolue suivant un gradient décroissant de l’équateur aux latitudes tempérées accompagnée souvent d’une baisse de l’abondance. Cette évolution de la diversité générique en fonction de la latitude est cependant asymétrique car, pour une même latitude, la diversité en termites est plus élevée au Sud qu’au Nord de l’équateur (Wood, 1979, 1988). La diversité varie également suivant la longitude. Elle est la plus élevée dans les forêts tropicales africaines, puis diminue dans les forêts Néotropicales qui sont cependant plus riches en espèces que les forêts tropicales orientales (Eggleton, 2000) .
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
I. LES SYSTEMES BIOLOGIQUES DE REGULATION: DEFINITION ET PROPRIETES GENERALES
II. LES TERMITES DU SOL
1. NOTION D’INGENIEUR DE L’ECOSYSTEME
2. GENERALITES SUR LES TERMITES
3. IMPORTANCE ECOLOGIQUE DES TERMITES
4. LES TERMITES HUMIVORES
5. LES TERMITES CHAMPIGNONNISTES
III. LES MICROORGANISMES DU SOL
1. DESCRIPTION
2. ROLES
3. FACTEURS INFLUENÇANT LES ACTIVITES MICROBIENNES
CHAPITRE II MATERIELS ET METHODES
I. SITES D’ETUDE
II. MATERIEL BIOLOGIQUE
1. STRUCTURES BIOGENIQUES
2. ECHANTILLONNAGE
III. ANALYSES
1. STRUCTURE ET DENSITE DE LA COMMUNAUTE MICROBIENNE DANS LE NID DE CUBITERMES NIOKOLOENSIS
2. ACTIVITE DE LA COMMUNAUTE MICROBIENNE DU NID DE CUBITERMES NIOKOLOENSIS
3. ETUDE DE LA COMMUNAUTE D’ACTINOMYCETES CULTIVABLES
4. ETUDE D’UN SOL REMANIE IN VITRO EN PAR LES OUVRIERS DE CUBITERMES NIOKOLOENSIS
5. ETUDE DE LA COMMUNAUTE MICROBIENNE DE PLACAGE DE MACROTERMES SP
CHAPITRE III RESULTATS
I. STRUCTURE, DENSITE ET ACTIVITE DE LA COMMUNAUTE MICROBIENNE DU NID DE CUBITERMES NIOKOLOENSIS
1. STRUCTURE DE LA COMMUNAUTE MICROBIENNE DES TERMITIERES ET DE LEURS SOLS TEMOINS
2. BIOMASSE DE LA COMMUNAUTE MICROBIENNE DES TERMITIERES ET DE LEURS SOLS TEMOINS
3. ACTIVITE DE LA COMMUNAUTE MICROBIENNE DE LA TERMITIERE DE CUBITERMES NIOKOLOENSIS
II. COMMUNAUTE DES ACTINOMYCETES CULTIVABLES DANS LE NID DE CUBITERMES NIOKOLOENSIS : COMPOSITION ET ACTIVITE
1. ISOLEMENT ET IDENTIFICATION DES ACTINOMYCETES
2. CARACTERISATION ENZYMATIQUE
III. IMPACT DES TERMITES HUMIVORES SUR LE SOL: ETUDE IN VITRO
1. QUALITE DU SOL REMANIE
2. STRUCTURE DE LA COMMUNAUTE BACTERIENNE DU SOL REMANIE
3. ACTIVITES ENZYMATIQUES DE LA COMMUNAUTE MICROBIENNE DU SOL REMANIE
IV. COMMUNAUTE MICROBIENNE DE PLACAGES DE MACROTERMES : STRUCTURE, DENSITE ET ACTIVITE
1. EMPREINTES MOLECULAIRES (DGGE)
2. ANALYSE PLFA
3. ACTIVITE DE LA COMMUNAUTE MICROBIENNE
CHAPITRE IV DISCUSSION GENERALE CONCLUSION
I. COMMUNAUTE MICROBIENNE DU NID DE CUBITERMES NIOKOLOENSIS
1. STRUCTURE DE LA COMMUNAUTE MICROBIENNE
2. BIOMASSE DE LA COMMUNAUTE MICROBIENNE
3. ACTIVITE DE LA COMMUNAUTE MICROBIENNE
4. RELATION ACTIVITE – STRUCTURE DE LA COMMUNAUTE MICROBIENNE
II. LES ACTINOMYCETES CULTIVABLES CHEZ CUBITERMES NIOKOLOENSIS
1. LES ACTINOMYCETES DU TUBE DIGESTIF
2. LES ACTINOMYCETES DE LA MURAILLE INTERNE
III. ELEVAGE EN MICROCOSME
IV. STRUCTURE ET DENSITE DE LA COMMUNAUTE MICROBIENNE DES PLACAGES
V. CONCLUSION
VI. PERSPECTIVES
REFERENCES
ANNEXES