L’accompagnement: une reliance sacrée, vers une « maïeutique spirituelle»
Quand, dans ma vie de sage-femme, j’ai vu pour la première fois une mère accueillir son enfant à la naissance, j’ai réalisé que la relation sacrée existait bel et bien. Comme sage-femme accompagnant des femmes qui accouchaient à la maison, j’ai pu vivre une situation privilégiée et rare en Amérique du Nord. En général, les femmes accouchent à l’hôpital ou dans des maisons de naissance, mais dans le travail de sage-femme que j’ai fait, j’accompagnais surtout les naissances à la maison. J’assistais ainsi les jeunes parents dans ce que j’appellerais ici leur intimité sacrée: j’étais souvent avec eux dans leur chambre ou dans les lieux de la maison qui sont ordinairement privés. La femme choisissait souvent d’accoucher directement sur le sol dans un coin tranquille. Et là, au moment de l’arrivée du bébé, on installait une couverture et des piqués stériles pour que le nouveau-né puisse arriver sur une surface douce et chaude. Nous assistions la mère pour cette mise au monde, mais nous laissions faire tous les gestes instinctifs que la Nature lui avait donnés.
La seule chose que je vérifiais, c’était le cœur du bébé et, au moment de la naissance, si le cordon ombilical ne risquait pas d’entraver sa progression. Ensuite la mère accroupie accueillait le bébé qui sortait de son ventre. Régulièrement j’ai pu observer que le premier contact qui se faisait était par la parole. La mère parlait à son enfant parfois avant même de le toucher.
Puis elle le caressait en effleurant sa peau, très doucement, du bout des doigts. Par la suite, elle le plaçait sur son ventre, elle continuait à lui parler en lui chuchotant des mots doux, et parfois même lui chantait une chanson.
Le sacré dans nos liens: une transcendance au cœur de notre humanité
La dimension du sacré est de plus en plus difficile à appréhender dans notre Occident moderne. Les changements sociaux, culturels, historiques, politiques, économiques et technologiques bouleversent totalement toutes nos manières d’être au monde et nous sommes atteints jusque dans notre imaginaire collectif. Les bouleversements vécus ces dernières années dans des institutions familiales et religieuses nous ont projetés dans un monde sans repères. Lenoir (2003) nous parle des conséquences sur le plan religieux de cette pulvérisation de tout ce qui nous tenait traditionnellement ensemble, alors que notre quête de sens et de profondeur, elle, reste intacte: Sur le plan religieux, cela se traduit par la présence d’une pluralité de voies et de modèles qui renvoient à des aires culturelles diverses, à des expressions du sacré remontant à plusieurs millénaires. Le sujet religieux moderne entend inscrire son croire, ses pratiques et son expérience à travers cette multiplicité de modèles et de voix traditionnelles du sacré. (Lenoir, 2003, pp. 387-388) .
Dans le domaine du sacré et du religieux, Lenoir (2003) estime que nous traversons sans doute l’une des plus grandes mutations religieuses et culturelles que l’être humain n’a peut-être jamais connues. C’est pour cela qu’il est important de situer cette recherche, dans son contexte à la fois géographique, culturel et socio-historique.
Comme je l’ai déjà mentionné dans ce mémoire, je suis une praticienne d’expérience en homéopathie et de psychothérapie. J’exerce depuis quelques années à Rimouski. Avant mon installation dans le Bas-Saint-Laurent, j’ai exercé pendant longtemps dans la région montréalaise. Lors de ces longues années de pratique, j’ai pu observer que la plupart des personnes qui viennent me consulter dans ma fonction de thérapeute ont pour premier objectif de se libérer de leurs souffrances. C’est dans ce cadre que j ‘ai pu voir également que lorsque nous cédons à la tentation d’accorder toute notre attention à ce qui est en souffrance dans le client, sans jamais solliciter les parts de lui qui portent son potentiel de guérison, nous risquons fort de rester prisonniers d’un espace réduit et profane qui ne trouve pas facilement ses voies de passage pour plus de sens et de santé. Le client est ainsi privé de ses propres possibilités de dépassement, de guérison et de transcendance.
C’ est pour cette raison qu’il me paraît judicieux de définir, pour les nécessités de ce projet de recherche, les conditions qui favorisent à mon avis l’installation d’un espace relationnel sacré susceptible de faciliter la connexion entre moi et mon client, mais aussi la mise en marche de son processus de guérison.
La conversation: pour un éveil du Soi
Investir notre parole à partir d’un espace qui assume notre lien avec une conscience plus grande que nous permet de converser d’une manière qui pourrait ressembler à un pèlerinage, à un voyage intérieur. Un tel dialogue est une ouverture au mystère de notre existence et de notre essence. C’est un dialogue qui nous relie, une interaction, une communion et un partage qui amènera à affiner l’âme, comme dirait Moore (1998, p. 124). J’expérimente dans ma pratique de thérapeute ce type d’entretien qui consent à entrer dans le monde du sacré. La dimension du sacré dans nos échanges est, d’ une part, facilitée entre autres par notre capacité à ne pas fuir le réel et à avoir l’humilité d ‘être accueilli tel que l’on est. Et d’autre part, elle autorise la création des liens réels pour non seulement briser l’ isolement, mais aussi installer pour un partage qui permettra de contacter le noyau – l’akène, dont parle Hillman (1999). Il s’agit ici de faire en sorte qu’une certaine métamorphose puisse se faire, en trouvant ensemble des paroles, des attitudes et des gestes qui vont ouvrir le cœur et introduire une communion dans le dialogue grâce à la reliance avec notre être essentiel, notre profondeur, qui nous invite à l’union et à la communion, comme le suggère ici Singer (1996, p. 58) : «En allemand, le mot Sünde (péché) et le mot Absonderung (séparation) ont la même étymologie. Être pécheur c’est être séparé. Le péché est la séparation de l’être de sa profondeur. Nous sommes des êtres Séparés.» .
Les moments de partages rares et privilégiés que nous apporte une conversation nous donnent l’accès au-dedans des choses et permettent de cheminer librement vers une réciprocité d’action qui garantit la liberté d’être: L’homme devient un Je au contact du Tu. Le partenaire paraît et s’efface, les phénomènes de relation se condensent ou se dissipent, et c’est dans cette alternance que s’éclaircit et croît de proche en proche la conscience du partenaire qui demeure, la conscience du Je. Sans doute elle apparaît encore engagée dans la trame des relations, dans sa relation avec le Tu sans être le tu, mais elle s’affirme avec une force croissante, jusqu’à ce que le lien se rompe et le Je se trouve, l’espace d’un éclair, en présence de lui-même, détaché de soi, comme s’il s’agissait d’un Tu étranger, mais pour aussitôt reprendre possession de soi et dorénavant s’offrir consciemment à la relation. (Martin Buber, 1969, p. 52) .
Relation thérapeutique: un espace de rencontre
Quand je parle de relation thérapeutique, je suis consciente que j’ouvre un chapitre particulier et délicat. La plupart des thérapeutes parlent plutôt ‘ d’ «entretiens » ou de «consultations». Je dois dire que j’emploie quelques fois cette terminologie dans mes textes, mais il est important que je précise ici que chaque fois que je parle de l’entretien, de la consultation, je parle d’une rencontre ou d’une relation de partage ouvrant sur une conversation intime. Quoi de plus intime, en effet, que de permettre à l’autre d’ouvrir sur sa profondeur et voyager ensemble sur le chemin qui mène à la guérison. Quoi de plus intime que d’accompagner quelqu’un dans le renouveau de son être. Tout le travail de thérapie consiste à établir un lien dans cette «présence de l’Être Essentiel», comme le nomme Dürckheim. (Leloup, 1989, p. 32).
Dans une relation thérapeutique, nous nous retrouvons dans une dynamique interpersonnelle, comme le dit Lama Denys Teundroup (Leloup, Skali, Teundroup, 2001 , p. 49), «dans laquelle l’important est la relation dans l’instant de personne à personne». J’ai pu remarquer dans ma pratique que c’ était autant la qualité de présence qui aidait que la technique employée. Je ne veux pas dire que l’homéopathie, l’acupuncture, la kinésiologie, la fasciathérapie ou d’autres méthodes ne sont pas efficaces, loin de là. Mais ce sont les mots, les gestes, le regard qui parlent à l’âme du consultant, et qui lui font comprendre qu’il n’est pas réduit «à un corps de souffrance» (de Hennezel,1997, p. 31), qu’il y a en lui un espace sacré où nous pouvons nous rencontrer. Le thérapeute ainsi accepte de ne pas tout savoir, l’autre devient ce mystère qui déborde de la perception ordinaire. Dans la rencontre avec le consultant, nous ne parlons pas de spiritualité; ce n’est pas nécessaire, nous la vivons.
Se sentir relier: la reliance comme mode d’accompagnement
Tout le monde a besoin de se sentir relié (au divin, à soi, aux autres et à son environnement) et pour cette raison dans cette recherche je me mets en connexion avec diverses possibilités de reliance pour trouver ma juste place comme femme, comme amie et comme thérapeute.
Pour pouvoir parle; de la reliance, il a fallu que je fasse un petit voyage dans le temps et que je retrouve les moments dans ma vie où je me suis sentie isolée des autres. Je me suis aperçue que le manque de liens n’avait rien à voir avec le sentiment d’être seule. Je m’égarais entre cette impression de vide intérieur et le rapport à la solitude. Quand j ‘étais plus jeune, j’avais un grand besoin d’être vue et reconnue. C’était donc un appétit de reconnaissance qui me tiraillait. Je vivais plus le manque de l’autre que la reliance à l’autre. Plus tard dans ma vie, j ‘ai appris par la force des choses à accepter de reconnaître mon impuissance dans certaines situations et juste rester présente à ce moi souffrant. En reconnaissant les crises et le sentiment d’isolement qui en découle, j ‘ai appris également qu’il y avait toujours quelqu’un pour nous quand nous en avons vraiment besoin. Parfois c’ est quelqu’un qui nous fait du bien par sa présence et son écoute, mais ce n’est pas toujours le cas. Je me souviens d’une situation où je me sentais désespérée, vraiment seule, je venais d’ avoir quarante ans. J’avais l’impression d’être sans amis, sans parents, sans personne pour m’ aimer et je me sentais si misérable.
Ce matin-là, il me semble que je ne pouvais pas me sentir plus victime des drames qui se passaient dans ma vie. Alors je suis sortie avec mon chien et nous avons marché jusqu’à l’église qui était au bout de la rue. J’allais tous les jours promener le chien dans ce beau petit parc. L’aurore pointait à peine et la ville semblait dormir. Tout à coup, je me suis retrouvée face à face avec un homme d’une cinquantaine d’années, sorti de nulle part, qui s’est mis à me crier après. «J’espère que tu vas ramasser les crottes de ton maudit chien!» hurla-t-il. Je me suis sentie complètement paralysée par la peur. Et l’homme disparut comme il était apparu. Médusée, je reprends peu à peu mes esprits et rentre chez moi, accablée. Non seulement je suis misérable, mais maintenant en plus j’ai peur.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 :PROBLÉMATIQUE
1.1 Sujet de recherche: recherche exploratoire de la reliance comme mode d’accompagnement
1.2 Pertinence personnelle: la solitude et le besoin de se relier
1.2.1 Me former à la reliance
1.3 Pertinence sociale et professionnelle: donner et recevoir
1.3.1 La psychothérapie Initiatique
1.4 Interroger mon chemin de formation et de praticienne: en quête de mes savoirs d’expérience
1.4.1 Se relier et écouter le « Maître intérieur »
1.4.2 La connexion d’âme à âme: un moment sacré
1.4.3 Le corps et l’esprit: une unité indivisible
1.5 L’accompagnement: une reliance sacrée, vers une « maïeutique spirituelle»
1.6 Problème de recherche
1.7 Question de recherche
1.8 Objectif de recherche
CHAPITRE 2 :CADRE DE RÉFÉRENCE
2.1 Le sacré dans nos liens : une transcendance au cœur de notre humanité
2.2 La conversation: pour un éveil du Soi
2.3 Relation thérapeutique: un espace de rencontre
2.3.1 Du corps et de l’esprit: une unité à découvrir
2.4 La compassion: l’intelligence du cœur
2.5 Se sentir relier: la reliance comme mode d’accompagnement
2.6 Réflexions sur l’intimité : relation d’âme
CHAPITRE 3 :CADRE ÉPISTÉMOLOGIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE
3 .1 Recherche-formation expérientielle : vers quelle épistémologie?
3.1.1 Apprendre et produire des connaissances à partir de son expérience : un changement de paradigme en formation et en recherche
3.2 Approche qualitative
3.3 Méthode heuristique ou l’art de trouver et de découvrir
3.3.1 La méthode heuristique: un processus biographique de recherche-formation
3.4 Le terrain de recherche: l’autobiographie comme projet de connaissance
3.4.1 Les données biographiques
3.4.2 Les entretiens intimistes: un espace formateur
3.5 Outils de recueils de données : Les journaux de recherche
3.5.1 Le blason
3.5.2 L’ écriture
3.5.3 Les journaux de recherche
3.5.4 Les « je me souviens … »
3.5.5 La lecture
3.5.6 Le dessin de la main gauche
3.5.7 Les dialogues avec mes amis
3.6 L’analyse qualitative des données de recherche
3.6.1 L’analyse qualitative en mode d’écriture
CHAPITRE 4 :LA SOLITUDE EN HÉRITAGE
4.1 Aux sources de mon héritage familial
4.2 De la nécessité d’oublier à la loi du silence
4.3 De la poésie pour se dire adieu
4.4 Beate
4.5 Karl Justus Ganz, mon grand-père
4.6 Omini, ma grand-mère
4.7 Ma tante, Annette Ganz
4.8 Le non-dit en héritage
4.9 Mon père
4.10 Je n’ai pas dit au revoir à mon père
4.11 Ritualiser ces passages pour s’ouvrir au sacré
4.12 Le mystère de l’intimité sacrée
4.13 Reliance : l’autre, moi et le sacré
4.14 L’isolement entre l’ombre et la lumière
4.15 Être mère, être femme
4.16 Une goutte de rosée ou … l’histoire de Charles .
4.17 Initiation à l’amour et à la relation
4.18 Aujourd’hui
4.19 Du privé au professionnel: le sacré dans la relation
CHAPITRE 5 :RÉCITS DES LIENS ET DES TRANSFORMATIONS
5.1 Un secret de famille : notre identité religieuse
5.2 La voie du cœur
5.3 Le plaisir de la solitude
5.4 La Saint-Sylvestre 1998
5.5 La rencontre avec le judaïsme
5.6 Rencontre avec le christianisme
5.7 Bouddhiste, catholique ou juive ?
5.8 L’expérience de la maîtrise
CHAPITRE 6 :ENTRETIENS INTIMES
6.1 Introduction
6.2 Une expérience fondatrice de connexion
6.3 Dialogue avec Jacques: une leçon d’authenticité
6.4 Voyage avec Susha : De la solitude attentive et aimante
6.5 La rencontre avec Danielle: une expérience formatrice
6.5.1 La conversation intime, un lieu de croissance spirituelle
6.5.2 Le sacré dans le dialogue
6.6 La rencontre avec Samuel: un silence intime
6.6.1 Un pèlerinage sur le rang 2 : une aventure à saveur d’archéologie familiale
6.6.2 La géométrie d’une relation intime
6.7 Conclusion: vers un art de la présence
CHAPITRE 7 :RÉCIT DE PRATIQUE
L’ entrevue individuelle: au cœur de la relation thérapeutique en homéopathie
7.1 Introduction
7.2 Les mystères de la manifestation de l’âme
7.2. 1 Je me souviens d’une pratique enseignante
7.2.2 Potentialiser pour restaurer, une voie d’accompagnement qui privilégie le déploiement de l’être
7.2.3 La conversation intime au cœur de ma pratique homéopathique: une quête de globalité
7.2:4 La conversation intime dans ma pratique homéopathique : une rencontre d’âme
7.2.5 Un espace chaleureux pour accueillir des conversations intimes
7.3 Ma rencontre avec l’homéopathie: une médecine biopsychosociale et spirituelle
7.3.1 La santé versus la maladie
7.3.2 La prévention versus le traitement
7.3.3 La stimulation des forces personnelles versus chercher à détruire l’envahisseur
7.4 Le dialogue thérapeutique en homéopathie
CONCLUSION
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