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Modèle biologique : La communauté végétale steppique
La pseudo-steppe de la plaine de la Crau présente une végétation herbacée rase, sans aucune espèce arborée, laissant apparaître de nombreux espaces de sols nus. Appelée localement Coussouls ou Coussous (terres de parcours), cette association unique en France est dénommée par les phytosociologues Asphodeletum fistulosi (Molinier & Tallon 1950). Elle se compose de plus de 50% d‟espèces annuelles et est dominée par quelques espèces pérennes notamment Brachypodium retusum (représentant 50% de la biomasse végétale), Asphodelus ayardii, Thymus vulgaris, Stipa capillata, Lavandula latifolia. Ce type de formation végétale est semblable aux steppes semi-arides d‟Afrique du Nord (e.g. pelouses à stipes) et de la composante herbacée de quelques formations steppiques du Sud de l‟Europe occidentale telles que la « Dehesas » en Espagne ou le « Montado » au Portugal. Ces différentes formations se distinguent les unes des autres par leur composition floristique (San Miguel Ayanz 2008).
Histoire et dynamique
La végétation de la plaine de la Crau, et en particulier l‟absence d‟espèces arborées, est le résultat d‟une combinaison de facteurs climatiques, édaphiques et anthropiques ; ces deux derniers étant directement liés à l‟histoire de cet environnement (Henry 2009).
Nous l‟avons vu précédemment, cette plaine s‟est formée au cours des temps géologiques sur l‟ancien delta de la Durance. La présence passée de cette rivière est ainsi responsable de la topographie plane de la Crau et des particularités de son sol. Le sol est caractérisé par la présence d‟un poudingue qui empêche les espèces végétales d‟accéder à la nappe phréatique sous-jacente (Devaux et al. 1983). Cette contrainte combinée aux conditions climatiques méditerranéennes à caractère aride en période estivale, pourraient expliquer à elles seules le fait que seules les espèces herbacées accompagnées de quelques petits chamaephytes (lavande, thym, germandrée) ont colonisé cet espace. Mais une contrainte supplémentaire apparaît dès le Néolithique : la pratique du pâturage ovin itinérant. Cette activité pastorale multiséculaire a ainsi participé à la formation de ce paysage ouvert. Aujourd‟hui environ 100000 brebis continuent à parcourir cet espace (Gonzalez Pech 2010) de la fin du mois de février au début du mois de juin (parfois également quelques semaines en automne), et maintiennent ainsi ce faciès de pelouse rase (Henry 2009).
Même si la gestion de la communauté steppique a été conservée pour ces formations végétales, on ne peut pas en dire autant de l‟intégralité de l‟écosystème. En effet, dès le 16ème siècle, l‟Homme a commencé à transformer ces terres considérées comme pauvres et arides en terres fertiles grâce à l‟installation d‟un réseau de canaux d‟irrigation acheminant l‟eau de la Durance (Rainaud 1893 ; Molinier & Tallon 1950). Cet apport d‟eau et de limons a permis la mise en place d‟un système agricole plus productif : les prairies de fauche. De nouveaux systèmes de cultures ont pris place au cours des siècles, notamment le maraîchage, la céréaliculture et l‟arboriculture. A ces changements d‟usage agricole, se sont rajoutées des installations militaires et industrielles en lien avec la faible démographie de cet espace. L‟ensemble de ces aménagements est à l‟origine de la destruction de plus de 80% de la pseudo-steppe avec une accélération marquée aux 19ème et 20ème siècles (Dutoit et al. 2011). Aujourd‟hui, cet écosystème steppique ne couvre plus que 10500 ha agencés sous la forme d‟une quinzaine de fragments dont le plus grand s‟étend sur une surface de 6500 ha (Gaignard 2003). La création en 2001 de la Réserve naturelle nationale des Coussouls de Crau a offert à cette communauté steppique un statut de protection fort. Même si elle a permis de mettre un frein à sa destruction cette dernière décennie, de nombreuses pressions anthropiques subsistent : canalisations pétrolières, carrières, développement urbain et industriel, etc.
Du point de vue de la communauté végétale, ces différentes perturbations ont entrainé des déviations des series successionnelles, ne permettant pas à la communauté steppique de se rétablir plusieurs décennies après l‟abandon de la perturbation malgré la remise en place de sa gestion par le pâturage itinérant traditionnel.
Face à ce constat, il était donc important de comprendre quels processus régissent l‟assemblage de cette communauté afin d‟améliorer sa restauration. Depuis 2001, les espaces relictuels de cet écosystème steppique et les zones dégradées sont donc devenus un véritable site atelier pour des recherches en écologie de la restauration.
L’Analyse Factorielle des Correspondances (AFC)
L’analyse factorielle des correspondances, ou analyse des correspondances simples, est une méthode exploratoire d’analyse des tableaux de contingence (ou tableau croisé de co-occurrence). Cette technique a été créée et essentiellement développée par Jean-Paul Benzécri. Elle est essentiellement utilisée pour de grands tableaux de données toutes comparables entre elles (e.g. fréquence, abondance des espèces en fonction des sites). Elle sert à déterminer et à hiérarchiser toutes les dépendances entre les lignes et les colonnes du tableau. En écologie végétale, cette analyse permet d‟examiner les variations de composition spécifique entre les différents sites et met en évidence des associations d’espèces indépendamment de leur abondance. Alors que certaines méthodes éliminent, ou minorent de l‟analyse, les espèces rares, l‟AFC les valorise. Les phénomènes de distorsion dans le diagramme d‟ordination que l‟on nomme « effet d‟arche » (aussi appelé « effet fer à cheval » ou « effet Guttman » (Lobry 2009) peuvent être un frein à l‟utilisation de cette analyse. Nous avons donc également testé la DCA qui fait « éclater » le gradient en nuage de points sur le plan factoriel et évite ainsi de voir figurer cet effet d‟arche sur deux dimensions. Les résultats de la DCA étant semblables à l‟AFC mais la lecture du graphique étant plus fastideuse car les points étaient plus proches les uns des autres, j‟ai donc opté d‟utiliser des AFC.
L’Analyse en Composantes Principales (ACP)
L‟analyse en composante principale est une analyse multivariée qui évalue les corrélations entre des variables descriptives interdépendantes d‟un même jeu de données. Elle est couramment utilisée pour exploiter des données de variables mésologiques ayant des unités de mesures différentes relevés sur plusieurs sites. Les projections des vecteurs des variables sur les axes du cercle de corrélation apportent parfois à ces axes une signification écologique. Chaque axe est alors interprété comme un gradient environnemental re-synthétisé et associé aux variables les plus corrélées avec lui. Cette technique condense graphiquement l‟information contenue dans un important jeu de données en perdant un minimum d‟informations.
L’Analyse Canonique des Correspondances (ACC)
L‟analyse canonique des correspondances est apparue en écologie en 1986 (ter Braak 1986). Cette méthode permet de relier des données d‟abondance d‟espèces aux données environnementales recueillies sur les mêmes sites par des couplages de tableaux du type AFC/ACP (Chessel et al. 1987). Elle représente graphiquement la combinaison linéaire des paramètres environnementaux qui sont potentiellement les plus responsables de la séparation de niche des espèces (ter Braak & Verdonschot 1995 ; McCune 1997). Ce type d‟analyse permet d‟étudier la séparation spatiale et temporelle des communautés expliquée par des modifications des variables environnementales (ter Braak & Verdonschot 1995).
Origine et caractéristiques des espèces testées
Les espèces étudiées ont été récoltées sur la communauté steppique de référence située dans le paléo-delta de la Plaine de La Crau et sont caractéristiques de celle-ci. Ces espèces sont adaptées aux conditions pédo-climatiques particulières du site, caractérisées par un climat sec et venteux et un accès limité aux réserves hydriques due à la présence d‟un poudingue (Colomb & Roux 1978 ; Buisson et al. 2004). Ces espèces en conditions in-situ sont soumises a une perturbation récurrente mais néanmoins ancestrale : le pâturage ovin itinérant (Henry 2009).
retusum : l’espèce phytomètre
B. retusum est l‟espèce qui domine la végétation steppique (Römermann et al. 2005). Cette poacée pérenne polymorphe se reproduit essentiellement de façon clonale grâce à la formation d‟abondants rhizomes (Bonet 2004 ; Gonzalez Pech 2010). Elle semble avoir un rôle dans la structuration de la communauté herbacée steppique et a une importance dans les circuits de pâturage.
Les espèces matricielles
T. caput-medusae est une annuelle appartenant à la famille des Poacées. Elle est considérée comme rare dans le département des Bouches-du-Rhône (Fadda et al. 2008 ; Pavon sous presse). E. pygmaea est une petite annuelle prostrée xérophile de la famille des Astéracées (Pavon sous presse), cette espèce adaptée aux milieux piétinés, sableux et ouverts caractérise en particulier les tonsures de La Plaine de La Crau (portions de la steppe présentant une végétation rase et un fort recouvrement de sol nu). L. strictum est une annuelle érigée stress-tolérante appartenant à la famille des Linacées (Pavon sous presse). A. ayardii est l‟espèce caractéristique de l‟association phytosociologique de l‟écosystème de référence : Asphodelum fistulosii. Cette espèce de la famille des Xanthorrhoeaceae est présente en France uniquement dans les départements du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône (Pavon sous presse). La présence de composés chimiques dans ses différents organes aériens la protège de la prédation par les brebis (Devaux et al. 1983).
Origine du sol et mise en place des pots de culture (novembre 2007)
Deux types de sol ont été prélevés par étrépage sur la Plaine de La Crau en novembre 2007 : un sol caractéristique de l‟écosystème steppique de référence (S) et un sol de friche culturale (F) caractéristique de l‟écosystème steppique perturbé. Le sol correspondant à la communauté végétale steppique de référence est un sol qui était voué à la destruction. Il a été prélevé sur un carreau de la carrière de la Ménudelle en préparation pour l‟extraction de granulats. Le sol caractéristique des sites perturbés a été prélevé au lieu-dit La Bergerie des Dominos (Sud de la Crau) sur une friche céréalière cultivée depuis les années soixante et abandonnée en 2006. Trois prélèvements par type de sol (200g de sol par prélèvement) ont été effectués afin d’analyser leurs propriétés physiques et chimiques (Baize 2000).
Chaque sol a été tamisé à une maille de cinq centimètres pour extraire les gros cailloux, pierres et blocs de poudingue. Le sol tamisé a ensuite été mélangé avec de la Vermiculite dans une proportion de 1/3:2/3, ceci afin d’augmenter sa porosité et d‟éviter sa compaction dans les pots. Ces différents types de sol ont été répartis dans des pots en plastique d‟un volume de 3 litres et de 16 centimètres de diamètre. Une couche de trois centimètres de galets de taille moyenne provenant du sol prélevé a été disposée au fond des pots afin de faciliter le drainage.
L‟ensemble des pots a été disposé aléatoirement sur une surface bétonnée ensoleillée de la pépinière d‟Etat d‟Aix-Les-Milles (43°30‟35.19 N ; 5°24‟30.55 E ; altitude 120m) présentant des conditions climatiques semblables aux conditions climatiques de l‟écosystème étudié. Avant d‟effectuer le semis, une phase de pré-germination des graines contenues dans les sols a été effectuée dans les pots pendant un mois. Cette étape éliminant les espèces contenues dans la banque de graines de ces sols permet ainsi de travailler uniquement sur les espèces sélectionnées et semées.
Semis et culture des espèces
L‟expérience a été conduite sur deux ans afin de tester l‟action de B. retusum sur les espèces voisines à deux âges différents : juvénile (5 mois) et mature (18 mois). B. retusum juvénile se différencie de B. retusum mature par un thalle petit (quelques brins) et une incapacité de se reproduire de manière sexuée. Afin d‟évaluer les interactions biotiques entre espèces, les espèces ont été testées i) en assemblage : un phytomètre accompagné de quatre individus de l‟espèce voisine testée, ii) le phytomètre seul (sans espèce voisine) et iii) les espèces voisines seules (quatre individus sans phytomètre) selon le protocole standard de Gaudet & Keddy 1995.
Le semis du phytomètre (B. retusum) a été effectué en janvier 2008 dans 220 pots (110 sur sol S, 110 sur sol F). 60 pots ont été utilisés la première année pour la première partie de l‟expérience, testant les interactions biotiques avec B. retusum juvénile. Les 160 pots restant ont été utilisés la seconde année pour tester les interactions biotiques avec B. retusum mature (Tableau 9). Le phytomètre a été cultivé au centre du pot en sur-semis. Au stade phénologique d‟apparition de la première feuille, les individus excédentaires ont été enlevés pour conserver un unique individu au centre.
Les espèces voisines ont été semées à la fin de l‟hiver 2008 pour la première partie de l‟expérience et à la fin de l‟hiver 2009 pour la seconde partie. Pour chaque espèce voisine, quatre individus ont été cultivés par pot à un angle de 90° les unes par rapport aux autres par rapport au centre du pot (phytomètre) (Gaudet & Keddy 1995). La culture des espèces voisines a été effectuée en sur-semis de la même manière que pour le phytomètre.
La première année, l‟expérience a visé à tester les interactions biotiques de B. retusum juvénile avec les espèces voisines selon les deux types de sol (friche vs steppe). L‟expérience étant répliquée six fois, elle a nécessité l‟utilisation de 108 pots (Tableau 9).
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Table des matières
Introduction générale
Objectifs de la thèse
Organisation de la thèse
Cadre conceptuel
La théorie des successions et les règles d‟assemblages au coeur de l‟écologie de la restauration
Structuration et dynamique de la communauté
Les perturbations et la résilience
Les successions
Les facteurs responsables de la structure et de la composition de la communauté
L‟Ecologie de la restauration et la restauration écologique
L‟écosystème de référence
Site d‟étude : La pseudo-steppe de la plaine de la Crau et ses faciès dégradés
Les écosystèmes steppiques méditerranéens
La plaine de la Crau
Méthode générale
Démarche de l‟étude
Les outils d‟analyse des données
Partie 1 : Etude de la résilience et des facteurs responsables de l’assemblage de la communauté végétale steppique
Résumé
Abstract
Introduction
Methods
Study area
Vegetation survey
Statistical analyses
Results
Effect of pipeline disturbance on soil characteristics
Structure and community composition changed by pipeline construction
Discussion
Disturbance impact on soil properties
Disturbance impact on plant community succession
Conclusion
Première inter-partie
Partie 2 : Réintroduction potentielle d’un maximum d’espèces de la steppe par transfert de foins
Résumé
Abstract
Introduction
Methods
Study area
Protocol
Results
Soil nutrient status and plant community characteristics just after disturbance
Species richness
Vegetation composition among the different treatments
Comparisons of donor site, pipeline, steppe and cultivated hay samples
Discussion
Soil properties and consequences for restoration
Consequences of hay transfer for steppe community
Grazing effect
Conclusion
Appendix A
Deuxième inter-partie
Partie 3 : Réintroduction d’espèces structurantes
Résumé
Abstract
Introduction
Methods
Study area
Experimental design
Germination tests in laboratory
Field measurements
Statistical analyses
Results
Controlled germinations
Foundation species establishment
Foundation species impact on plant community
Complemental species establishment results
Discussion
Foundation species establishment and their impact on plant community
Impact of restoration protocol on complemental species
Conclusion
Appendix B
Troisième inter-partie
Partie 4 : Tests des interactions biotiques
Résumé
Introduction
Matériel et méthodes
Origine et caractéristiques des espèces testées
Dispositif expérimental
Analyses statistiques
Résultats
Caractéristiques des sols
Interactions biotiques et abiotiques
Discussion
Conclusions et perspectives
Discussion générale
Synthèse des résultats obtenus sur les règles d‟assemblages de la communauté herbacée steppique
1. La production, la dispersion des graines et leur viabilité dans le sol
2. Les propriétés physico-chimiques du sol
3. Les interactions entre espèces végétales
4. Le pâturage ovin
La dynamique de la communauté herbacée steppique n‟est donc pas un phénomène aléatoire
Synthèse des résultats obtenus en écologie de la restauration
Perspectives
Etudes à envisager pour approfondir les connaissances sur les règles d‟assemblages
Perspectives en écologie de la restauration
Bibliographie
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