Fonctionnement d’un plan de feu
Une intersection est un lieu où se croisent deux routes ou plus. On appelle « section » la portion de route située entre deux intersections. Chaque section peut être composée d’une ou plusieurs voies dans chaque sens. On peut découper une intersection en plusieurs zones (voir Figure 1.1) :
• la zone de conflit, qui correspond à la zone où plusieurs routes se superposent effectivement et où les conflits entre les véhicules sont les plus susceptibles d’arriver.
• la zone de stockage, en amont de la zone de conflit, contient les véhicules susceptibles de s’engager dans la zone de conflit. La limite entre cette zone et la zone de conflit est appelée « ligne de feu ».
• la zone de sortie, en aval de la zone de conflit, par laquelle les véhicules sont évacués.
Les feux de signalisation permettent d’attribuer aux différents usagers de la route, piétons ou véhicules, le droit de s’engager dans la zone de conflit de l’intersection ou sur un passage piéton. Pour les véhicules, ceci est représenté par un code couleur :
• le vert autorise les véhicules à s’engager dans la zone de conflit.
• le jaune est un état transitoire annonçant le passage du vert au rouge, et les véhicules doivent s’arrêter dans la mesure du possible.
• le rouge interdit de s’engager dans la zone de conflit.
Le groupe de véhicules concernés par le signal dépend de la configuration de l’intersection, et le signal peut concerner une ou plusieurs voies d’une même section. Parfois le signal concerne les véhicules empruntant un courant particulier de l’intersection, c’est à-dire les véhicules allant d’un certain groupe de voies de la zone de stockage à un certain groupe de voies de la zone de sortie. Les systèmes de feux classiques fonctionnent de la manière suivante : le temps est découpé en une succession de cycles, qui sont eux-mêmes une succession de phases. Une phase est la période durant laquelle un ou plusieurs courants sont admis dans l’intersection. Ces courants doivent être cohérents entre eux, c’est à-dire ne pas se chevaucher (on dit alors qu’ils sont compatibles), ou être suffisamment peu utilisés pour que le risque de conflits soit bas. À la fin d’une phase le signal passe au jaune, puis au rouge. Après quelques secondes de rouge intégral durant lesquelles aucune phase n’est active, afin de permettre l’évacuation de la zone de conflit, une autre phase commence. Un cycle est donc une succession de phases durant lesquelles tous les courants admis dans l’intersection ont été servis au moins une fois. Ce type de fonctionnement classique est mis en oeuvre par le système TRANSYT (TRAffic Network Study Tool) [56], l’un des plus anciens systèmes proposés pour la gestion des feux. Celui-ci nécessite la connaissance de nombreux paramètres sur le réseau sur lequel il est déployé : géométrie du réseau, nombre de véhicules mesuré ou attendu, etc. Ce système réalise une optimisation des plans des feux afin de produire un paramétrage optimal de ceux-ci. Toutefois cette optimisation est réalisée hors-ligne, et ce système est donc incapable de s’adapter aux variations effectives du trafic ayant lieu en temps réel. Les flèches représentent les différents courants de véhicules possibles. Ainsi le véhicule rouge ou un véhicule sur la même voie ne peut que tourner à gauche, empruntant le courant Ouest-Nord. Le véhicule bleu ou un véhicule sur la même voie peut emprunter deux courants différents, le courant Ouest-Est ou le courant Les périodes durant lesquelles le vert et le jaune sont affectés à chacun de ces groupes de courants sont les différentes phases formant le cycle. Au contraire, certains systèmes, dits « adaptatifs », mesurent en temps réel certaines données sur le trafic et exercent une stratégie qui s’adapte en temps réel aux conditions effectives du trafic. De plus certains systèmes de transport, qu’ils concernent la question de la régulation ou non, sont dits « coopératifs ». Un système de transport est dit coopératif lorsqu’il atteint un « État de coopération [de ses] acteurs […] (exploitants, infrastructures, véhicules, leurs conducteurs et autres usagers de la route) dans le but d’offrir le plus sûr, le plus fiable et le plus confortable des déplacements » [61]. Un système coopératif nécessite donc des capacités de communication et de réaction de la part des acteurs, notamment des véhicules. Ceci est permis par le niveau d’équipement croissant des véhicules et des conducteurs, et on appelle « véhicule connecté » un véhicule équipé pour la communication. Ceci inclut les véhicules autonomes, c’est-à-dire sans chauffeur humain, dont la présence sur les routes pourrait devenir commune dans un avenir proche. Un système coopératif peut avoir différents objectifs, comme la sécurité des déplacements ou la qualité du trafic.
Discussion sur les approches classiques
Un certain nombre des systèmes présentés ci-dessus, que ce soit TRANSYT ou les systèmes adaptatifs, sont mis en oeuvre dans de nombreuses villes à travers le monde. Ceci peut bien sûr s’expliquer historiquement, cependant ces systèmes possèdent un certain nombre de propriétés intéressantes :
• perception limitée de l’environnement : ces systèmes s’appuient sur les données récoltées par des capteurs simples, le plus souvent des boucles électromagnétiques, présentes entre une et trois fois par tronçon. Si l’information utilisée par ces systèmes est limitée, cela ne nécessite pas un équipement complexe et coûteux.
• simplicité computationnelle : les calculs réalisés par ces systèmes sont le plus souvent réalisés de manière individuelle par les intersections et sont relativement simples, ce qui facilite leur application en temps réel.
• décentralisation et simplicité communicationnelle : certains systèmes comme UTOPIA sont structurés en plusieurs niveaux et ont recours à une centralisation régionale, d’autres comme PRODYN permettent une communication entre des intersections voisines. Bien que ces communications aient un coût, celles-ci sont relativement rares, ce qui rend ces systèmes moins sensibles à un certain nombre de pannes et ne nécessitent pas d’infrastructures de communication complexes.
Ces propriétés permettent d’écarter un certain nombre d’hypothèses, notamment sur le niveau d’équipement de l’environnement (infrastructures et véhicules). Cependant les technologies contemporaines, notamment celles embarquées dans les véhicules, rendent ces hypothèses de moins en moins coûteuses. De plus ces systèmes adaptatifs font d’autres hypothèses, qui peuvent être plus ou moins simplificatrices. Ces systèmes, en particulier les systèmes cycliques, limitent les actions à un certain nombre de possibilités, le plus souvent issus de la régulation traditionnelle : modification de durées de phases, de cycles et déphasages entre intersections voisines. D’autres actions de régulation peuvent cependant être envisagées pour permettre une régulation plus dynamique. De plus les véhicules connectés permettent d’envisager de nouvelles possibilités d’action qui peuvent être utilisées pour la régulation, par exemple communiquer sur la stratégie de contrôle d’une intersection afin que le véhicule adapte son profil d’accélération. Certains de ces systèmes s’appuient sur des modèles d’écoulement afin de réaliser des prédictions de l’évolution du trafic. S’il semble difficile de s’affranchir de tout modèle de prédiction dans une démarche anticipative, la simplicité des perceptions de ces systèmes ne permet pas un ajustement dynamique des prédictions réalisées. Cette critique peut être renforcée par le fait que les véhicules connectés, de par leurs capacités de communication entre eux et de coordination, présentent des dynamiques d’écoulement différentes des véhicules classiques. La diffusion de ce type de véhicules pourrait rendre les prédictions réalisées par ce type de systèmes de moins en moins pertinentes, et ainsi diminuer l’efficacité de la régulation réalisée.
Description de l’intersection et modélisation du problème
Le problème que nous présentons dans ce chapitre consiste à attribuer une date d’admission à chaque véhicule approchant d’une intersection. Cette date est définie comme un créneau durant lequel le véhicule a le droit de s’engager dans la zone de conflit de l’intersection afin de la traverser. Une configuration doit être capable de permettre un trafic efficace et de respecter les différentes contraintes physiques et de sécurité, tout en prenant en compte le contexte du trajet de chaque véhicule ainsi que le contexte global de trafic. Un modèle multi-agents est défini dans lequel tous les véhicules et les intersections sont modélisés par des agents. La représentation physique du réseau est faite par un modèle s’appuyant sur un automate cellulaire. Ce type de modèle est largement utilisé dans la littérature parce qu’il permet de conserver les principales propriétés d’un réseau tout en étant relativement simple à utiliser [13] [49]. Bien qu’il existe des outils plus avancés tels qu’ARCHISIM [21] ou VISSIM [27] pour effectuer une telle modélisation, nous avons opté pour un modèle de ce type car il conserve les principales propriétés d’un réseau tout en restant simple, ce qui permet un traitement facile de l’état de l’environnement. Comme expliqué dans le chapitre précédent, l’intersection est entre autres composée de plusieurs voies d’entrée, appelées “approches », et d’une zone centrale appelée “zone de conflit ». Dans ce chapitre, on appelle “trajectoire » le chemin du véhicule à travers l’intersection. Chaque approche ou trajectoire est une succession de cellules (cf. Figure 2.1). Une cellule en dehors de la zone de conflit appartient à exactement une voie. Une cellule à l’intérieur de la zone de conflit peut appartenir à une ou plusieurs trajectoires. Dans ce second cas, cette cellule est appelée “point de conflit ». Les règles de déplacement des véhicules sont les suivantes :
(1) Si un véhicule est dans la cellule avant d’une approche, ce véhicule avance et Les approches sont numérotées de 1 à 12. La zone de conflit est traversée par différentes trajectoires, également composées de cellules. Les cellules appartenant à différentes trajectoires (toutes les cellules de la zone de conflit dans cet exemple) sont des points de conflit. Les cellules colorées sont occupées par un véhicule. Par exemple le rectangle annoté v1 sur l’approche 1 est un véhicule en provenance de l’Ouest, sur le point de traverser l’intersection en direction du Nord.
(2) Si un véhicule est sur une approche, il avance si et seulement si la cellule de destination est vide ou devient vide durant ce pas de temps.
(3) Si un véhicule est dans la zone de conflit, il avance nécessairement. Notre méthode doit donc garantir pour chaque véhicule que celui-ci ne rencontrera aucun autre véhicule sur les cellules de sa trajectoire.
Lorsqu’un véhicule avance, il avance nécessairement d’une cellule par pas de temps. La décision est distribuée : chaque agent est capable de raisonner et de communiquer avec l’intersection et les autres véhicules. L’agent intersection prend part à la coordination des interactions des véhicules. Lorsqu’on cherche à proposer un mécanisme permettant aux véhicules de prendre une décision de manière distribuée, on peut choisir entre deux approches :
(1) Les agents construisent individuellement des configurations complètes puis débattent et décident collectivement sur ces configurations.
(2) Les agents construisent des solutions partielles basées sur leurs contraintes individuelles, puis fusionnent ces solutions partielles.
Les différentes dates d’admission constituant une configuration étant fortement interdépendantes du fait des différentes contraintes physiques et de sécurité, fusionner des solutions partielles serait une tâche complexe nécessitant de nombreuses interactions répétées entre les agents, avec de nombreux échanges de messages, ce qui ralentirait le processus de décision. Pour cette raison, nous avons décidé d’opter pour une approche dans laquelle les véhicules construisent individuellement des configurations complètes puis décident collectivement du choix final avec un processus de négociation. Avant d’aborder l’étape de négociation, les agents doivent modéliser le problème d’attribution du droit de passage afin de construire les configurations qui feront l’objet des négociations. Notre mécanisme doit satisfaire les propriétés suivantes :
• Distribution et autonomie : Les véhicules sont considérés comme des agents qui ont leurs propres connaissances, buts et capacités de calcul.
• Réalisme des capteurs : Les connaissances de chaque véhicule doivent correspondre au type et à la quantité d’informations qu’ils peuvent obtenir de manière réaliste par leurs capteurs et leurs capacités de communication.
• Faible coût calculatoire et communicationnel : Le mécanisme doit être appliqué en temps réel. Les véhicules doivent donc prendre leurs décisions en temps réel, ce qui suppose que les calculs et les communications sont suffisamment courts.
• Prévention des interblocages : Sur un réseau routier, les situations d’interblocage sont les situations dans lesquelles plusieurs véhicules se gênent mutuellement empêchant tout déplacement. Ces situations pénalisent très fortement le trafic et doivent donc être évitées.
• Unicité de l’accord : Si les agents ne partagent pas le même accord sur la configuration choisie par l’intersection, les véhicules peuvent s’engager dans la zone de conflit sans qu’aucun contrôle de sécurité ne soit fait, ce qui est susceptible de créer des collisions.
• Configuration « anytime » : Même si un agent subit des ralentissements computationnels ou des retards de communication, le véhicule correspondant à cet agent continue sa progression physique. Lorsqu’un processus de décision en cours n’a pas le temps d’être terminé, tous les agents doivent connaitre la configuration de l’intersection afin de savoir quel comportement le véhicule doit appliquer.
|
Table des matières
1 État de l’art des systèmes de régulation du trafic
1.1 Régulation de trafic urbain
1.1.1 Fonctionnement d’un plan de feu
1.1.2 Systèmes adaptatifs cycliques
1.1.3 Systèmes adaptatifs acycliques
1.1.4 Autres systèmes adaptatifs
1.1.5 Discussion sur les approches classiques
1.2 Agents dans la régulation de trafic
1.2.1 Régulation sur une intersection isolée
1.2.2 Problèmes de coordination inter-véhiculaire à l’échelle de l’intersection
1.2.3 Coordination de la régulation pour plusieurs intersections
1.2.4 Discussion sur les différentes approches
1.3 Prise en compte des transports en commun dans la régulation du trafic
1.3.1 Fonctionnement général des bus
1.3.2 Règles de priorité aux bus
1.3.3 Systèmes de régulation de trafic incluant la priorité aux transports en commun
1.4 Conclusion
2 Négociation du droit de passage à l’intersection
2.1 Description de l’intersection et modélisation du problème
2.2 Modélisation du problème d’attribution du droit de passage et construction des configurations
2.3 Modèle de négociation du droit de passage
2.3.1 Rôle de l’agent intersection
2.3.2 Scénario illustratif
2.3.3 Contraintes non-structurelles
2.3.4 Propriétés du mécanisme
2.3.5 Mécanisme de continuité de la négociation
2.4 Conclusion
3 Coordination des intersections pour le passage du bus
3.1 Introduction
3.2 Description du problème
3.2.1 Description d’un scénario basique
3.2.2 Généralisation à n intersections
3.2.3 Politique de l’intersection
3.3 Mécanisme de coordination
3.3.1 Mécanisme de régulation des intersections
3.3.2 Politique et application
3.3.3 Fonctions d’évaluation des politiques
3.3.4 Stratégie de proposition par les intersections
3.3.5 Stratégie descendante
3.3.6 Stratégie ascendante
3.3.7 Perspectives
3.4 Conclusion
4 Implémentations et résultats
4.1 Négociation du droit de passage à l’intersection
4.1.1 L’environnement
4.1.2 Simulation d’un système multi-agents
4.1.3 Réservations
4.1.4 Scenarii et résultats
4.2 Problème du bus
4.2.1 Implémentation
4.2.2 Expérimentation
4.2.3 Résultats expérimentaux
4.3 Conclusion
5 Conclusion et perspectives
Bibliographie
Télécharger le rapport complet