Régulation de la conduite automobile chez les femmes et les hommes âgés

Une activité complexe

    L’activité de conduite automobile est une activité complexe qui implique des fonctions sensorielles, physiques et cognitives.17 De nombreuses fonctions visuelles seraient impliquées lors de la conduite, qui sont nécessaires par exemple pour lire les panneaux de signalisation, estimer de manière adéquate les distances, conduire de nuit ou par mauvais temps, ou encore voir des obstacles ou dangers dans le champ visuel. C’est pourquoi, l’acuité visuelle, la sensibilité aux contrastes, ne pas être sensible aux éblouissements, ou encore un champ visuel intact sont des fonctions visuelles indispensables pour conduire.18-20 Elles fourniraient ainsi l’information sensorielle de base sur le lieu de conduite, sur les autres véhicules et usagers de la route, et sur les dangers potentiels. Par ailleurs, des fonctions physiques sont impliquées dans l’activité de conduite : la force musculaire et d’agrippement pour manœuvrer le volant et de bonnes capacités de rotation de la tête pour vérifier les angles morts par exemple. Une réduction de ces capacités réduisent le champ périphérique et peuvent impacter sur la conduite lors d’intersections complexes ou de changements de voie. Enfin, les fonctions cognitives impliquées dans l’activité de conduite sont nombreuses.17, 21 Nous citerons ici les capacités d’attention qui permettent de relever les informations pertinentes et d’ignorer celles qui le sont moins, en particulier dans des lieux complexes avec de potentiels risques pouvant survenir de toute part. Les fonctions exécutives sont aussi très impliquées dans la conduite automobile. Elles permettent d’intégrer les informations, d’anticiper et de planifier une réponse sensorimotrice et cognitive adaptée. Elles sont essentielles lors de situations complexes de circulation.22 La conduite requiert également de bonnes capacités de mémoire de travail pour retenir des informations pertinentes à l’esprit pendant le processus de prise de décision. Enfin une vitesse de traitement de l’information rapide est essentielle et permet le bon fonctionnement de ces différents processus. Toutes ces fonctions impliquées vont également interagir au cours de l’ensemble du processus de la conduite. Par exemple, l’enregistrement d’informations liées au trafic nécessite de bonnes capacités sensorielles et rotation de la tête afin de percevoir correctement l’ensemble de la situation. Une vitesse de traitement non ralentie permet de prendre des décisions suffisamment rapidement pour laisser le temps à l’exécution d’une réponse.17 Les fonctions exécutives seront essentielles pour intégrer et évaluer l’information disponible avant d’effectuer une réponse. Pour conclure, la conduite est une activité impliquant de multiples fonctions sensorielles, motrices et cognitives qui interagissent entre elles. Il est donc essentiel de s’interroger sur les modifications de ces fonctions dans le vieillissement.

Les différents indicateurs de régulation

    Les études qui ont décrit les habitudes de conduite des personnes âgées montrent que certains conducteurs diminueraient leur exposition routière, en diminuant la fréquence d’utilisation de leur voiture ou le nombre de kilomètres qu’ils parcourent84-87 ou éviteraient certaines situations de conduite,88 avec à terme un arrêt définitif de la conduite. Beaucoup d’auteurs se sont intéressés à l’arrêt de la conduite automobile, qui est un événement facile à mesurer et à étudier.89-111 D’autres auteurs se sont intéressés à une diminution des kilomètres parcourus.91, 104, 112-114 Certains auteurs ont enfin exploré la régulation de la conduite sous l’angle des évitements de situations de conduite jugées difficiles.42, 85, 86, 99, 104, 112, 113, 115-140 Parmi ces auteurs, certains ont étudié les nouveaux évitements de situations de conduite par rapport à une période antérieure,104, 136 en prenant des situations particulières, limitation de la conduite aux lieux familiers,140 conduite de nuit,99, 112 ou en calculant des scores d’évitements, et en étudiant leur évolution dans le temps.88 D’autres ont recueilli les raisons des évitements, permettant ainsi de distinguer les évitements dus à la mise en place d’une régulation de la conduite, des autres évitements, dus par exemple, à un mode de vie ou à des préférences.137-139 Au plan méthodologique, les études prospectives 88-99, 109, 110, 112, 140 seront préférées aux études transversales 42, 86, 91, 95, 100-108, 111, 113- 139 car ces dernières ne permettent pas de savoir si la présence de facteurs est apparue avant ou après la régulation, et avec ces études un biais de mémoire est possible. Nous proposons ici une revue de la littérature des facteurs associés au processus de régulation de la conduite, en termes d’arrêt, de diminution des kilomètres parcourus, et d’évitements, en présentant les facteurs sociodémographiques, les facteurs de santé, puis les facteurs cognitifs. En plus de l’effet propre du sexe dans le processus de régulation, nous nous interrogerons aussi sur un possible effet différent chez les hommes et chez les femmes, ou en d’autres termes sur une interaction significative ou non de ces facteurs avec le sexe.

Les facteurs de santé associés à la régulation de la conduite

     Comme nous l’avons présenté dans les parties II et III, la conduite automobile nécessite de bonnes capacités sensorielles, motrices et cognitives qui peuvent être plus ou loin touchées dans le vieillissement. Mais ce qui est important, c’est de savoir si, en présence de déficits, les conducteurs âgés modifient leurs habitudes de conduite. Beaucoup d’études montrent que les conducteurs âgés modifient leurs habitudes de conduite ou cessent l’activité lorsqu’un problème de santé survient. Un mauvais état de santé a été retrouvé associé à une plus forte régulation de l’activité de conduite.91, 92, 94, 100, 104, 107, 108, 117, 120, 124, 139, 142 Plus précisément l’arrêt de la conduite est plus fréquent en présence d’un diabète,97, 98 d’antécédents cardiaques,94, 98 de limitations physiques,89-91 ou encore en présence de problème d’équilibre.90, 94 Des difficultés à accomplir des activités instrumentales de la vie courante (IADL) pourraient également jouer un rôle dans la régulation de la conduite des conducteurs âgés.92, 95, 99 Plusieurs études montrent que des maladies pouvant sévèrement altérer les fonctions visuelles, incluant le glaucome,42, 92, 104 la cataracte,62, 91 la DMLA,100 ou encore l’hémorragie rétinienne,100 sont des facteurs de diminution de l’activité de conduite. De précédentes études ont également montré qu’en présence de maladies neurologiques telles qu’une maladie de Parkinson,77, 91, 100, 105 d’une démence,105, 141, 146-153 d’antécédents d’AVC,100, 101, 105 de syncope100 ou de paralysie,104, 142, 143 les conducteurs régulaient davantage leur conduite. De plus, le taux d’arrêt de la conduite chez les déments a été estimé à 74,0% 2,6 ans après le diagnostic.153 La dépression ne semble pas modifier les habitudes de conduite. À l’exception d’une étude transversale américaine,103 toutes les autres études, transversales 104, 105, 108 ou prospectives,90, 91, 95, 97, 98 n’ont pas trouvé d’association avec l’arrêt de la conduite. Enfin, beaucoup de conducteurs âgés modifient leurs habitudes de conduite s’ils se sentent en mauvaise santé.42, 89, 96-98, 112, 133, 145 Les facteurs de santé ont-ils le même effet chez les hommes et chez les femmes ? L’étude de Choi et al a montré qu’un mauvais état de santé général était associé à un taux d’arrêt élevé chez les femmes, mais pas chez les hommes.109 Une différence d’attitude vis-à-vis de la régulation de la conduite entre hommes et femmes pourrait également subsister en présence de pathologies du Système Nerveux Central (SNC). Campbell et al. ont trouvé que les hommes s’arrêtaient plus de conduire lorsqu’ils avaient des antécédents d’AVC, et les femmes lorsqu’elles présentaient une maladie de Parkinson.100 Seiler et al. ont montré, chez des personnes atteintes de démence, que les femmes s’arrêtaient davantage de conduire que les hommes.151 Mais Herrmann et al. n’ont pas trouvé cette association, supposant que cette absence d’association était due à l’arrêt de la conduite chez les femmes avant l’inclusion dans leur étude.150 De plus, cette étude et l’étude rétrospective de Gilley et al. n’ont pas trouvé d’effet du sexe sur l’arrêt de la conduite après le diagnostic de démence.149, 150 Quant à la dépression, Brabyn et al. ont montré que la dépression était associée à l’évitement de la conduite de nuit chez les hommes, mais pas chez les femmes.130 Enfin, Windsor et al. ont trouvé qu’un mauvais état de santé ressenti était associé à l’évitement de situations de conduite chez les femmes, mais pas chez les hommes.

L’expérience au volant et un effet génération

     Certains auteurs ont émis l’hypothèse que la différence de taux d’arrêt entre les hommes et les femmes ne serait due qu’à une différence d’expérience au volant,93, 178 et expliquerait alors l’absence de convergence des résultats entre les études prospectives. Dans la littérature, aucune des études montrant une différence de régulation entre hommes et femmes ne prend en compte l’expérience de conduite. Dans notre travail, les femmes ont effectivement une expérience de conduite plus courte, mais nous montrons que, même en ajustant sur cette expérience de conduite, l’effet sexe reste un facteur majeur d’évitements de situations de conduite (p<0,001). Ce facteur n’expliquerait donc pas, ou du moins pas totalement, la divergence de résultats sur l’effet du sexe. Les auteurs cités auparavant ont également supposé un effet de cohorte récente dite « moderne », où les différences entre les hommes et les femmes s’atténueraient.93 Le changement des habitudes de vie des femmes, qui se rapprochent de celles des hommes dans les cohortes plus récentes et plus jeunes, pourraient donc en partie expliquer l’absence de convergence des résultats. Toutefois, les fenêtres de recrutement des études ne trouvant pas d’association et celle des études trouvant une association comprennent des périodes récentes comme anciennes (elles s’étendent respectivement de 1982 à 2007, et de 1989 à 1994). Dans les analyses menées dans notre travail, l’effet sexe reste significatif alors que l’on peut qualifier nos cohortes de modernes puisque leur recrutement s’est déroulé en 1999-2000 pour la cohorte des 3C, en 2008 pour l’étude MG-CogCAPA et en 2011-2012 pour l’étude SAFEMOVE, avec des participants d’âges proches de ceux des participants des autres études. Il est probable que les différences s’amenuisent effectivement, mais il reste un effet du sexe significatif dans notre travail basé sur des populations que l’on peut qualifier de moderne.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
I- CONTEXTE DEMOGRAPHIQUE
II- LA CONDUITE AUTOMOBILE
II- A- Une activité complexe
II- B- Une activité marquée par des différences d’hommes et de femmes
III- LES MODIFICATIONS LIEES AU VIEILLISSEMENT
III- A- Vieillissement normal
III- A- 1- Fonctions visuelles
III- A- 2- Fonctions motrices
III- A- 3- Fonctions cognitives
III- B- Vieillissement pathologique
III- B- 1- Pathologies touchant les fonctions visuelles
III- B- 2- Pathologies neurologiques et psychologiques
IV- LES STRATEGIES DE REGULATION DE LA CONDUITE AUTOMOBILE
IV- A- Les différents indicateurs de régulation
IV- B- Les facteurs sociodémographiques associés à la régulation de la conduite
IV- B- 1- L’âge
IV- B- 2- Le revenu et le niveau d’études
IV- B- 3- Le mode de vie et le statut marital
IV- B- 4- L’effet propre du sexe
IV- B- 5- Des facteurs sociogéographiques
IV- C- Les facteurs de santé associés à la régulation de la conduite
IV- C- 1- Le niveau sensoriel
IV- C- 2- Le niveau cognitif
V- OBJECTIF
CHAPITRE 1 L’ARRET DE LA CONDUITE AUTOMOBILE
I- PROBABILITE D’ARRET DE LA CONDUITE DES HOMMES ET DES FEMMES AU COURS DU PROCESSUS DEMENTIEL
I- A- Méthode
I- A- 1- Population d’étude : la cohorte des 3-Cités (3C)
I- A- 2- Définition de la variable d’intérêt
I- A- 3- Facteur étudié : la démence
Diagnostic de démence
Autres pathologies du SNC
I- A- 4- Mesures utilisées
Evaluation cognitive
Facteurs sociodémographiques
I- A- 5- Analyses statistiques
I- B- Résultats
I- B- 1- Description de la population
I- B- 2- Activité de conduite chez les hommes et les femmes âgés de 65 ans ou plus
I- B- 3- Arrêt de la conduite chez les hommes et les femmes âgés de 65 ans ou plus
I- B- 4- Activité de conduite au moment du diagnostic de démence
I- B- 5- Arrêt de la conduite au moment du diagnostic de démence
I- B- 6- Arrêt de la conduite après le diagnostic de démence
II- DETERMINANTS DE L’ARRET DE LA CONDUITE SUR 10 ANS
II- A- Méthode
II- A- 1- Facteurs étudiés
Facteurs cognitifs
Plainte cognitive
Vision
Fonctions physiques
Facteurs de santé et consommation de médicaments
Autre facteur en lien avec la conduite
Facteurs sociodémographiques
II- A- 2- Stratégie d’analyse
II- B- Résultats
II- B- 1- Caractéristiques des conducteurs et conductrices
II- B- 2- Facteurs d’arrêt de la conduite automobile
Facteurs associés à l’arrêt de la conduite, analyse multivariée chez les hommes et chez les femmes
III- SYNTHESE DU CHAPITRE
CHAPITRE 2 AUTRES INDICATEURS DE REGULATION DE LA CONDUITE
I- DETERMINANTS DE LA RESTRICTION DE LA CONDUITE SUR 6 ANS
I- A- Méthode
I- A- 1- Population d’étude : la cohorte des 3-Cités (3C)
I- A- 2- Définition de la variable d’intérêt
I- A- 3- Facteurs étudiés
Facteurs cognitifs
Pathologies du SNC
Plainte cognitive (cf. chapitre 1 page 47)
Fonctions physiques
Fonctions visuelles et chutes
Autres facteurs de santé et consommation de médicaments
Autres facteurs en lien avec la conduite automobile
Facteurs sociodémographiques
I- A- 4- Stratégie d’analyse
I- B- Résultats
I- B- 1- Caractéristiques des conducteurs et conductrices
I- B- 2- Facteurs de restriction de la conduite automobile
Facteurs associés à une restriction de la conduite, analyse multivariée chez les hommes et chez les femmes
II- DETERMINANTS DU NOMBRE DE SITUATIONS DE CONDUITE EVITEES
II- A- Méthode
II- A- 1- Population d’étude
II- A- 2- Définition de la variable d’intérêt
II- A- 3- Facteurs étudiés
Évaluation cognitive
Difficultés cognitives ressenties
Fonctions physiques
Fonctions visuelles
État de santé
Autres facteurs en lien avec la conduite automobile
Facteurs sociodémographiques et sociaux
II- A- 4- Stratégie d’analyse
II- B- Résultats
II- B- 1- Caractéristiques des conducteurs et conductrices
II- B- 2- Évitement de situations de conduite
Facteurs associés au nombre d’évitements de situations de conduite chez les hommes
Facteurs associés au nombre d’évitements de situations de conduite chez les femmes
III- SYNTHESE DU CHAPITRE
CHAPITRE 3 LA REGULATION DE LA CONDUITE CHEZ LES HOMMES ET LES FEMMES : UNE QUESTION DE CULTURE ?
I- METHODE
I- A- Population d’étude basée sur le projet SAFEMOVE
I- B- Définition des variables d’intérêt : nombre de situations de conduite évitées
I- C- Facteurs étudiés
Évaluation cognitive
Habitudes de conduite
Expérience de conduite et autres modes de transports
Difficultés lors de certaines situations de conduite
Auto-estimation des capacités de conduite
Ressenti sur l’activité de conduite
État de santé
Variables sociodémographiques
I- D- Stratégie d’analyse
II- RESULTATS
II- A- Caractéristiques sociodémographiques et de santé des conducteurs et conductrices
Habitudes de conduite
Difficultés de conduite
Ressenti et auto-estimation des capacités de conduite
II- B- Situations de conduite évitées
Facteurs associés au nombre de situations de conduite évitées, analyse multivariée
III- SYNTHESE
DISCUSSION GENERALE
I- EFFET PROPRE DU SEXE
I- A- Le design de l’étude
I- B- L’âge
I- C- L’état de santé
I- D- L’expérience au volant et un effet génération
I- E- Un effet culturel
I- F- Manque de puissance
I- G- Conclusion
II- EFFET DES PATHOLOGIES DU SNC SUR LA REGULATION DE LA CONDUITE : DIFFERENCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
II- A- Effet de la pré-démence
II- B- Effet de la démence
II- C- Effet de la maladie de Parkinson
II- D- Effet des autres pathologies du SNC
III- EFFET DU NIVEAU COGNITIF SUR LA REGULATION DE LA CONDUITE : DIFFERENCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
IV- EFFET D’AUTRES FACTEURS SUR LA REGULATION DE LA CONDUITE : DIFFERENCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES
IV- A- Effet du revenu et du niveau d’étude
IV- B- Effet du mode de vie
IV- C- Effet d’autres facteurs de santé
IV- D- Limites des études
V- CONCLUSION ET PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES

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