Régissant un datif en russe contemporain

Présentation et justification du sujet

La présente thèse a pour objectif de contribuer à l’étude de la modalité en russe contemporain à travers la description de certains moyens lexicaux et syntaxiques pouvant exprimer l’obligation. Ce domaine reste relativement peu exploré du fait de l’hétérogénéité des procédés impliqués.

Le russe, par les différents moyens mis en œuvre pour exprimer la modalité, se distingue nettement d’autres langues dans lesquelles les modaux sont présentés comme un ensemble répondant à certains critères morphosyntaxiques précis qui permettent de les identifier comme appartenant à une catégorie spécifique dans la langue. C’est notamment le cas en anglais avec les modal verbs (caractérisés par leur absence de forme infinitive ou de forme participiale, par l’absence de marque spécifique -s- à la troisième personne du singulier), en allemand également (modification de la voyelle de la racine au singulier, absence de terminaison spécifique au présent pour les première et troisième personnes du singulier), ou encore en français où l’on parle de « semi-auxiliaires » modaux (voir notamment F. Palmer, 2001, p. 100-103). En russe, les modaux n’appartiennent pas à une classe homogène. Ils sont variés tant sur le plan morphologique ‒ il peut s’agir de verbes conjugués, de formes adjectivales ou de mots invariables ‒ que sur le plan syntaxique.

Nous distinguons en russe dans l’expression de la modalité deux structures syntaxiques : la structure personnelle (avec sujet au nominatif) et la structure impersonnelle (avec premier argument au datif). Si une opposition similaire peut se retrouver dans d’autres langues, comme en français entre « Tu dois travailler » et « Il te faut travailler », c’est de façon beaucoup plus marginale qu’en russe, où la structure impersonnelle avec premier argument au datif est extrêmement répandue dans la langue, y compris hors des énoncés modaux.

Outre la différence formelle, la distinction entre structure personnelle et structure impersonnelle avec datif a une implication directe sur la nature de la modalité exprimée. Par exemple, seule une tournure personnelle peut être utilisée pour exprimer une modalité épistémique. Le verbe močʹ « pouvoir » à forme personnelle peut exprimer soit une capacité du sujet, soit une permission accordée, soit une probabilité, alors que son correspondant impersonnel možno renvoie uniquement à une permission. Cette présentation montre également l’influence que peut avoir l’aspect du verbe à l’infinitif sur la modalité exprimée, notamment avec le prédicatif négatif nel’zja qui, s’il régit un imperfectif exprime une interdiction (11), et s’il régit un perfectif, une impossibilité (12).

Représentation de la modalité dans le cadre de la TOPE

Procès et domaine notionnel

Dans le cas d’un énoncé modal, il y a mise en relation d’un procès à réaliser avec un valideur, l’entité appelée à devenir le sujet de ce procès lors de son actualisation dans le temps. Au moment de l’énonciation, la relation prédicative introduit alors la construction d’une visée d’un procès (P). Le terme de visée n’implique pas une intention du valideur, il signifie qu’au moment de l’énonciation, les événements peuvent mener soit à la validation effective du procès (notée p), soit à autre chose (noté p’), nous sommes dans le domaine du validable (noté p/p’). La relation entre ces trois positions distinctes forme le domaine notionnel associé à la relation prédicative. Par exemple les phrases Il veut venir, Tu dois partir, Tu peux rester ont en commun qu’elles présentent toutes trois un procès (représenté par l’infinitif) que le valideur (représenté ici par un pronom personnel sujet) va ou ne va pas réaliser. En elle-même, aucune de ces phrases n’indique si p sera effectivement validé ou non, on se situe dans le domaine du validable. Cela est notamment dû au fait que ces énoncés sont au présent, la visée du procès est construite au moment de l’énonciation, et la validation ou non-validation du procès adviendra à un moment ultérieur. Il faudrait alors prendre en compte un contexte plus large pour savoir si l’action a été ou non réalisée. Au contraire, si l’on modifie certaines caractéristiques de ces phrases (le temps du verbe, la modalité assertive – passage d’une affirmative à une négative), elles peuvent alors indiquer explicitement que c’est soit p, soit p’ qui a été atteint : Il n’a pas voulu venir (p’ validé), Il a dû partir (p validé), Il a pu rester (p validé). Notons que ces phrases contenant un verbe modal au passé composé ne se contentent pas de présenter la validation ou non-validation de p (celle-ci est construite par l’ensemble des éléments participant de la relation prédicative), mais reconstruisent un instant t dans le passé où p et p’ sont encore envisageables. La relation prédicative fait donc l’objet d’un double repérage, par rapport au moment de l’énonciation, où une des valeurs concurrentes est devenue effective, et par rapport à un moment passé reconstruit a posteriori, où elles étaient toutes deux possibles.

En revanche, l’emploi de l’imparfait, s’il implique également la construction d’un repère temporel passé antérieur au moment de l’énonciation, ne lève pas l’incertitude sur la valeur effectivement validée : Il ne voulait pas venir, Il devait partir, Il pouvait rester conservent le point de vue prospectif des énoncés au présent, l’ambiguïté sur la suite ne pouvant être levée que par le contexte. Cette opposition entre points de vue rétrospectif et prospectif montre la nécessité de tenir compte également de la position subjective adoptée par l’énonciateur.

Opérations énonciatives : acteurs et repères 

Dans cette sous-partie nous présentons les principaux repères, subjectifs et situationnels, auxquels nous aurons affaire tout au long de nos analyses d’énoncés.

Repères subjectifs : énonciateur, coénonciateur et valideur . Énonciateur et coénonciateur Nous avons déjà mentionné ces termes lors de notre introduction. L’énonciateur (S0) et le coénonciateur (S1) représentent des positions théoriques subjectives constitutives de l’acte d’énonciation. Il s’agit de repères abstraits, à distinguer des personnes physiques que sont le locuteur et l’interlocuteur, bien que dans les situations de dialogue les plus usuelles, ils soient généralement construits à partir des points de vue respectivement attribuables à ces derniers. Outre le fait que ces deux positions soient les conditions préalables à tout acte d’énonciation, la relation qui va se construire entre eux joue un grand rôle dans la compréhension de l’expression de la modalité.

Il s’établit une relation d’altérité S0/S1. L’énonciateur construit un énoncé à destination de S1 qui, lui, peut potentiellement tenir une position antagoniste. Selon que cet antagonisme est purement virtuel ou s’appuie sur un support contextuel réel, cela aura une influence sur l’expression de la modalité.

Valideur
Nous introduisons également la position du sujet valideur (Svalid). Il est celui à qui, dans notre cas, incombe la validation du procès. En russe, il peut être représenté soit par un sujet syntaxique au nominatif (propositions personnelles avec prédicat accordé), soit par un groupe nominal au datif, le prédicat étant impersonnel . La forme qu’il va revêtir et la manière dont il va être mis en relation avec le procès à valider varie énormément selon le type d’énoncé (personnel ou impersonnel), mais également selon le modal utilisé. De fait, il occupe une place prépondérante dans notre système de représentation. Quant à sa position au sein du système énonciatif, on distinguera quatre possibles :
– Coréférent de l’énonciateur (SValid = S0)
– Coréférent du coénonciateur (SValid = S1)
– Personne extérieure à l’énonciation (équivalent au il de É. Benveniste)
– Sujet générique (englobant donc les trois positions précédentes).

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Table des matières

Remerciements
Abréviations, symboles et notes préliminaires
Introduction
Partie I Concepts théoriques et critères formels utilisés dans la recherche
Partie II Analyse sémantique et comparative des prédicats modaux non-verbaux nado et nužno
Partie III Analyse du prédicat verbal prijtis’/prihodit’sja
Partie IV La structure dative-infinitive
Conclusion
Bibliographie
Table des matières

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