RÉGIME D’HISTORICITÉ ET POSTURE LANGAGIÈRE
HITLER ET LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Qu’est-ce qui a causé la Seconde Guerre mondiale? Bien que l’origine de ce conflit ne fasse pas l’unanimité auprès des historiens, une grande majorité de chercheurs, dont Keegan et Breitman, s’entendent pour affirmer qu’elle tire ses sources de la Première Guerre mondiale. Un lien déterminant unit ces deux guerres très étroitement, comme le souligne Keegan lorsqu’il affirme que « [la] Première Guerre mondiale explique la Seconde. En fait, elle l’a provoquée dans la mesure où un événement en entraîne un autre. »28 C’est donc dans l’optique d’une succession d’événements, d’une évolution progressive que la Seconde Guerre mondiale doit être observée. Le premier élément de cette longue suite événementielle serait, selon les sources consultées, le sentiment de défaite ayant résulté de la Première Guerre mondiale.
En 1919, lorsque la guerre fut définitivement terminée, les Allemands, par le traité de Versailles29, subirent alors les lourdes conséquences entraînées par la défaite : la perte de territoires (dont l’Afrique allemande, la Prusse orientale, la Belgique, etc.), le paiement à la France d’une rétribution pour compenser les dégâts causés, de nombreuses clauses militaires (une démilitarisation, l’interdiction de former une armée, etc.), mais également un affaiblissement moral de la population. Lorsqu’Adolf Hitler30 devint le chef du Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP31) en 1921, son voeu premier fut le rétablissement de l’Empire allemand. Pour ce faire, il tenta le 9 novembre 1923 de prendre le pouvoir politique par la force. Hitler crut fermement que la crise économique allemande de 1923 représentait le moment le plus propice à un putsch, qu’il fomenta avec le maréchal Éric Ludendorff à Munich. Les événements ne se déroulèrent pas aussi bien que prévu initialement. Le 11 novembre, Hitler fut arrêté et accusé de conspiration contre l’État, il purgea cependant moins d’une année dans la prison de Landsberg am Lech32, d’où il écrivit son manifeste Mein Kampf33.
À la suite de cet échec, il devint évident pour Hitler que, s’il souhaitait accéder au pouvoir, il se devrait de le conquérir légalement. Il entreprit donc de rallier de plus en plus de partisans autour du concept de nation et d’antisémitisme. Bien qu’il s’agissait ici d’un parti politique, le parti nazi affichait ouvertement un côté militaire dans son organisation et son esprit. La tenue nazie en est une démonstration concrète : en effet, elle empruntait divers articles à de nombreuses armées. Un uniforme de couleur brune rappelant l’armée britannique, une casquette de ski empruntée aux régiments alpins d’élite, accompagné de hautes bottes caractéristiques de l’aristocratie équestre34, en sont la preuve (voir Annexe B – figure 1). La détermination d’Hitler fut finalement récompensée lorsque celui-ci fut nommé à la chancellerie par la président Hindenburg en janvier 1933.
Un mois plus tard, en février, un violent incendie détruisit le Reichstag35 et permit à Hitler de suspendre les pouvoirs parlementaires, ce qui, comme le mentionne Keegan, octroya à Hitler « le pouvoir législatif exclusif »36. La mort du président Hindenburg, en 1934, l’autorisa finalement à abolir la fonction de président et à se nommer Führer37, chef suprême du Troisième Reich, du gouvernement et de l’État. Tous les éléments furent alors en place pour permettre à Hitler d’exécuter ses projets d’expansion et, ainsi, de reconquérir les territoires perdus. L’Allemagne se réarma progressivement jusqu’en 1938, date où le Führer déclara l’inadmissibilité du traité de Versailles et refusa ouvertement de s’y conformer. Une fois les contraintes abolies, l’Allemagne nazie fut dès lors en mesure de se réarmer complètement et d’envisager certaines expansions territoriales. Le 12 mars 1938, Hitler annexa l’Autriche et poursuivit sa conquête dès l’automne, en s’attaquant à la Tchécoslovaquie.
La France et la Grande-Bretagne réagirent vivement, mais ne déclarèrent cependant pas la guerre. Le 30 septembre 1938, le traité de Munich38 fut signé et la Tchécoslovaquie se vit alors cédée à l’Allemagne. Hitler s’ingénia à justifier cet envahissement par les trois millions de germanophones dispersés, en Tchécoslovaquie, qu’il souhaitait rapatrier en territoire allemand. À l’automne 1939, Hitler décida de dévoiler ses véritables intentions aux pays de l’Est. Il signa un pacte de non-agression (voir Annexe B – figure 2) avec l’URSS39 et attaqua le 1er septembre 1939 l’ouest de la Pologne. L’URSS, quant à elle, patienta jusqu’au 17 septembre avant d’attaquer l’est de la Pologne. Cette fois, la France et l’Angleterre ne purent rester indifférentes. La guerre fut officiellement déclarée le 3 septembre 1939 entre l’Allemagne, la France et l’Angleterre. L’URSS n’entrera en guerre qu’en 1941, tout comme les États-Unis.
LA SHOAH ET LA SOLUTION FINALE
L’Allemagne nazie de la Seconde Guerre mondiale fut avant tout un empire basé sur une idéologie socio-raciale. Comme il a été mentionné plus haut, Hitler souhaitait que les quelques millions de germanophones hors de l’Allemagne réintègrent l’Empire allemand. Cette race germanophone, la race aryenne45, était jugée supérieure. Une race déclarée prédominante se voit inévitablement comparée aux autres races, jugées inférieures par leurs différences physiques, sociales et religieuses. La croyance en ces concepts raciaux entraîne une réaction de préservation, en ce sens qu’il convient de protéger la race estimée la plus prédominante de toute contamination. La race aryenne, la perfection incarnée, se devait dès lors d’éliminer les races inférieures pour conserver cette perfection.
Selon le philosophe Theodor Adorno, la culture occidentale se trouve coupable d’avoir produit l’idée de perfection selon les critères de la raison, la perfection étant un produit de la raison46. Zygmunt Bauman, dans Modernité et Holocauste47, développa les idées d’Adorno en affirmant que la civilisation occidentale est une civilisation horticole, c’est-à-dire une civilisation s’octroyant le droit de maintenir en ordre le paysage (dont le paysage social) et, par conséquent, d’éliminer tout élément nuisant à la symétrie afin de constituer des meilleures conditions d’existence pour ce qui apparait bon et utile : en d’autres termes, supprimer les éléments nuisibles pour permettre l’avènement d’une société parfaite constituée d’éléments supérieurs. Les concepts développés par Adorno et Bauman se retrouvent concrètement dans l’idéologie nazie : bien que les Allemands encourageaient la multiplication des bons éléments raciaux, ils se devaient également d’éliminer les mauvais, pour empêcher la propagation d’une tare génétique. Durant la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants nazis s’aperçurent qu’il leur était possible de circonscrire ces éléments nuisibles et même de les éliminer « facilement ». Parmi ceux jugés inopportuns dans cette nouvelle société parfaite, apparaissaient, entre autres, les homosexuels, les malades et les handicapés.
AUSCHWITZ ET LES SONDERKOMMANDOS
Encore de nos jours, ce simple nom, Auschwitz, marque l’imaginaire. Symbole de la mise à mort industrielle, ce lieu est devenu au fil du temps, selon de nombreux chercheurs, une véritable métonymie de la Shoah. Annette Wieviorka, dans La mémoire d’un lieu, expose une vision d’Auschwitz représentant l’horreur la plus inimaginable, mais aussi une facette de la nature humaine : « Auschwitz est presque érigé en concept du mal absolu, celui de ce que l’homme a pu faire, peut toujours faire à l’homme. »69 Cette transformation progressive de simple camp en camp d’extermination de masse se fit en repoussant continuellement les limites du dicible. Auschwitz désigne avant tout la ville polonaise d’Oswiecim, en Haute-Silésie.
En 1939, lorsque les Allemands envahirent la Pologne, ils décidèrent de renommer la ville en lui donnant une connotation plus allemande : Auschwitz. Cette ville, d’environ 12 000 habitants, abritait d’anciennes casernes polonaises. Les Allemands y voyaient donc une occasion d’enfermer rapidement les opposants politiques polonais. À ses tout débuts, Auschwitz fut un camp destiné principalement aux opposants polonais : « Initialement simple camp de transit pour des détenus transférés des prisons de Haute-Silésie et du gouvernement général en Pologne, le camp se spécialise dans la répression et la ″rééducation″ des patriotes polonais. »70 Les dirigeants allemands décidèrent de transférer trente criminels de droit commun de nationalité allemande de Sachsenhausen à Auschwitz, afin de constituer un cadre auto-dirigeant. Les détenus ainsi classés étaient plus facilement contrôlés.
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Table des matières
RÉSUMÉ
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES ANNEXES
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : À PROPOS DES ÉCRITS DES SONDERKOMMANDOS D’AUSCHWITZ-BIRKENAU : ENTRE DÉCOUVERTE ET REFUS
1.1- CONTEXTE HISTORIQUE
1.1.1- HITLER ET LA SECONDE GUERRE MONDIALE
1.1.2- LA SHOAH ET LA SOLUTION FINALE
1.1.3- AUSCHWITZ ET LES SONDERKOMMANDOS
1.2- LES TÉMOIGNAGES DES SONDERKOMMANDOS
1.2.1- LA PAROLE
1.2.2- LES ÉCRITS DES SURVIVANTS
1.2.3- L’ART
1.2.4- LES MANUSCRITS
1.2.4.1- HAÏM HERMAN
1.2.4.2- ZALMEN GRADOWSKI
1.2.4.3- LEJB LANGFUS.
1.2.4.4- ZALMEN LEWENTAL
1.2.4.5- MARCEL NADSARI
1.2.4.6- ÉDITION DES MANUSCRITS
CHAPITRE 2: RÉGIME D’HISTORICITÉ ET POSTURE LANGAGIÈRE
2.1- HISTORICITÉ ET TÉMOIGNAGE LITTÉRAIRE
2.1.1- UNE PAROLE POUR L’HISTOIRE
2.1.2- APPROCHES LINGUISTIQUES DE LA LITTÉRATURE (VOIR ANNEXE A.6)
2.1.2.1- MONDE COMMENTÉ
2.1.2.2- ALTERNANCE ENTRE MONDE COMMENTÉ ET RACONTÉ
2.1.2.3- MONDE RACONTÉ
2.1.3- MÉMOIRE SENSORIELLE ET TÉMOIGNAGE HISTORIQUE
2.2- RÉHABILITATION DU LANGAGE
2.2.1- LE PROCÈS EICHMANN ET L’AVÈNEMENT DU TÉMOIN
2.2.2- TRANSMISSION ET LITTÉRARITÉ
2.2.2.1- CRITÈRES ET RÉGIMES DE LITTÉRARITÉ CHEZ GENETTE
2.2.2.1.1- CRITÈRE THÉMATIQUE DE GENETTE
2.2.2.1.2- CINQ CATÉGORIES NARRATOLOGIQUES DE GENETTE
2.2.2.1.2.1- CATÉGORIE DU MODE
2.2.2.1.2.2- CATÉGORIE DE LA VOIX
2.2.2.2- LA LITTÉRARITÉ D’UN TÉMOIGNAGE EXTRÊME
CHAPITRE 3: CONFIGURATIONS LITTÉRAIRES ET HYPERTEXTUALITÉ
3.1- ÉCRITURE RÉALISTE
3.1.1- REPRÉSENTATION DES CHAMBRES À GAZ ET DES SCÈNES DE GAZAGE
3.1.2- LA VIOLENCE DU TRAVAIL DES SONDERKOMMANDOS
3.2- ÉCRITURE TRANSCENDANTE
3.2.1- THÉMATIQUE DES FLAMMES
3.2.2- HYPERTEXTUALITÉ DE L’ENFER DE DANTE
3.3- CONFIGURATION CRITIQUE
3.3.1- VARIATIONS FOCALES
3.3.2- PROCÉDÉ ANAPHORIQUE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE A : REPÈRES CHRONOLOGIQUES, TABLEAUX RÉCAPITULATIFS ET CITATIONS
ANNEXE B : IMAGES, CARTES ET PLANS
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