Objectifs et organisation à l’échelle nationale
Le rapport du Professeur Vaillant (15) s’est basé sur le retour d’expérience d’actions de prévention de jeunes étudiants en santé dans des établissements scolaires et sur l’audition d’acteurs territoriaux de santé publique (directions d’administrations centrales, agences de santé…). Ce rapport décrivait plusieurs initiatives existantes visant à intégrer la promotion de la santé et la prévention dans les cursus de formation initiale d’étudiants en santé : les interventions d’éducation pour la santé réalisées par les étudiants en deuxième année d’études en soins infirmiers à Dunkerque ; la création et l’organisation d’un module au sein de la formation à l’animation de séances à la vie affective et sexuelle des étudiants en maïeutique de l’école de sages-femmes de Nantes en partenariat avec l’Instance Régionale d’Education et de Promotion de la Santé (IREPS) des Pays de la Loire ; ou encore l’enseignement libre « Actions de préventions » ouvert aux étudiants en santé de l’Université Clermont Auvergne. Le SSES a été envisagé comme « un atout majeur pour le développement de la prévention primaire » et un outil de lutte contre les inégalités sociales de santé (ISS) à travers la réalisation d’actions de prévention auprès de publics jugés plus vulnérables. Par ailleurs, le Pr Vaillant préconisait que le SSES soit intégré aux études de santé sous la forme d’un dispositif complet d’une durée totale de 3 mois comprenant la préparation, la réalisation d’actions de prévention et l’évaluation de ces actions. Les modalités de réalisation du SSES proposées dans le rapport du Pr Vaillant ont été très largement reprises dansl’arrêté ministériel du 12 juin 2018 (18), actant la mise en place du dispositif à la rentrée 2018-2019. Au niveau national, le décret d’application de cet arrêté détermine la mise en place, le suivi et l’évaluation du SSES qui sont pilotés par un Comité national du service sanitaire, co-présidé par les ministres des solidarités et de la santé et de l’enseignement supérieur (17). Par ailleurs, quatre thématiques ont été définies comme prioritaires pour les interventions des étudiants : l’alimentation, l’activité physique, les addictions, la vie affective et sexuelle.L’instruction ministérielle de novembre 2018 précise que « d’autres thématiques peuvent être abordées selon les priorités régionales, particulièrement si les actions s’appuient sur le développement des compétences psychosociales » (20). Des exemples d’actions ciblées selon les problématiques des territoires sont également cités tel que la vaccination, l’hygiène bucco-dentaire, les troubles du sommeil et les gestes d’urgence. L’arrêté du 22 décembre 2020, dans le contexte de la crise sanitaire liée à la COVID-19, a complété ces thématiques en y associant la prévention des infections et de l’antibiorésistance (19). Les observations et analyses du Pr Vaillant ont fait émerger plusieurs enjeux du SSES. Ainsi, les objectifs de ce dispositif, énoncés dans l’arrêté du 12 juin 2018 (18), sont :
– D’initier les futurs professionnels de santé à des actions de prévention primaire (l’arrêté du 22 décembre 2020 ajoute l’enjeu de l’initiation des étudiants à la promotion de la santé (19)) ;
– De permettre la réalisation d’actions concrètes de prévention primaire et de promotion de la santé ;
– De lutter contre les inégalités territoriales et sociales en santé, en veillant à déployer les interventions auprès des publics plus fragiles.
Les objectifs pédagogiques pour les étudiants en santé sont de favoriser leur autonomie dans le cadre d’une pédagogie « par projet » et de développer leurs capacités de travail en inter professionnalité.
Organisation en Pays de la Loire et dans l’hémi-région ouest des Pays de la Loire
Dans chaque région, la coordination du SSES est assurée par un Comité régional du service sanitaire, coprésidé par le rectorat et l’Agence Régional de Santé (ARS). Les textes réglementaires prévoient de laisser une marge d’autonomie aux régions dans l’organisation du dispositif, en parallèle de retours réguliers des ARS au Comité national pour permettre des adaptations dans l’organisation générale. En Pays de la Loire, la coordination du SSES suit une organisation hémi-régionale avec une équipe de coordination en hémi-région est (départements du Maine-et-Loire, Sarthe et Mayenne) et une équipe de coordination en hémi-région ouest (départements de Loire-Atlantique et Vendée), rattachées respectivement aux Universités d’Angers et de Nantes. En effet, les niveaux de structuration organisationnelle du dispositif différaient dans chaque hémi-région à l’origine du déploiement du SSES en 2018, l’université d’Angers faisant partie des universités pilotes pour sa mise en place. En hémi-région ouest, le copilotage du SSES est assuré par la Professeure de santé publique de l’Université de Nantes, cheffe du service de santé publique du CHU de Nantes, et par la Directrice de l’Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) du CHU de Nantes, coordinatrice des 6 instituts de Formation en Soins Infirmier (IFSI) de l’hémi-région. La coordination opérationnelle est assurée par une coordinatrice administrative ainsi que les coordinateurs pédagogiques de chaque structure et filière de formation : UFR médecine, pharmacie et odontologie de l’Université de Nantes, Ecole de sage-femme de Nantes et Institut de formation en masso-kinésithérapie des Pays de la Loire (IFM3R). Pour cette hémi-région, le SSES concerne les étudiants des filières médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie (Université de Nantes), les étudiants en masso-kinésithérapie (IFM3R), et les étudiants en soins infirmiers (IFSI du CHU de Nantes, Croix Rouge de Rezé, Chateaubriant, Saint Nazaire, Saint Jean de Monts et La Roche-sur-Yon). Depuis 2018, le déploiement du SSES a été progressif et évolutif : la formation a été mise en place dès l’année universitaire 2018-2019, tandis que les interventions de prévention primaire ont débuté l’année universitaire suivante. Initiée en 2018, l’interprofessionnalité, tant dans la formation que dans les actions, s’est développée les années suivantes. En 2020-2021, la formation théorique était commune pour les étudiants en médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie de l’Université de Nantes. Cette formation aborde :
– les concepts et principes d’action en promotion de la santé ;
– la méthodologie d’intervention en éducation pour la santé : posture éducative, techniques de communication et d’animation collective, approche pédagogique, construction de séances éducatives.
Concernant les actions dans les établissements scolaires, en 2020-2021 elles se déroulaient en interprofessionnalité pour les étudiants en médecine, odontologie et pharmacie. Cette même année, seuls quelques étudiants volontaires en IFSI et IFM3R ont été intégrés aux actions en interprofessionnalité. Il s’agissait d’une phase de test avant élargissement aux promotions complètes l’année suivante. La figure 2 présente , dans l’ordre chronologique, les différents éléments composant le SSES pour les étudiants en médecine, odontologie, pharmacie de l’Université de Nantes en 2020-2021 :
– Un séminaire de rentrée, commun à tous les étudiants, présentant les objectifs du SSES par l’équipe pédagogique et l’ARS, et une courte présentation des messages clefs sur les thématiques prioritaires retenues pour les interventions.
– Des enseignements dirigés, sous la forme de deux ateliers de 3h30 mobilisant l’approche pédagogique adoptée en éducation pour la santé. Il s’agit donc pour les étudiants d’apprendre autant du contenu que de la manière dont se déroulent ces enseignements.
o Un premier atelier avait pour objectif la découverte de la posture éducative et de technique d’animation et de communication,
o Le second visait à apprendre à structurer une séance d’éducation pour la santé et expérimenter la construction d’un conducteur de séance.
– La réalisation d’actions de prévention par les étudiants. Les étudiants intervenaient en groupes constitués d’au moins deux filières différentes. Ils bénéficiaient pour cela d’un double accompagnement : un référent pédagogique les guidait dans la préparation de séances éducatives en amont de leurs actions dans les lieux d’accueil, un référent de proximité au sein de l’établissement d’accueil les aidait dans l’organisation pratique pendant la période d’intervention à proprement parler.
– L’évaluation par le référent pédagogique du projet mené (préparation du projet, planification et réalisation des séances, analyse réflexive) au cours d’un entretien de validation du service sanitaire avec le groupe d’étudiants.
Les référents pédagogiques et les animateurs des ateliers étaient des membres du personnel volontaires de l’Université de Nantes ou des instituts de formation (médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes, cadres de santé, responsables pédagogiques au sein des instituts, internes en médecine …). Ils avaient la possibilité de suivre une formation généraliste sur la promotion de la santé et la méthodologie d’intervention en éducation pour la santé, dispensée par l’IREPS des Pays de la Loire. Les référents de proximité étaient des membres du personnel volontaires des établissements d’accueil (infirmière scolaire, professeur, directeur d’établissement…). En 2020-2021, l’ensemble des établissements d’accueil sélectionnés pour accueillir les étudiants étaient des établissements scolaires, les étudiants ne pouvant pas intervenir dans les établissements médico-sociaux du fait de l’épidémie de COVID-19.
La prévention par les pairs et l’éducation par les pairs
Par certains aspects (actions vers les lycées), les actions de prévention réalisées lors du SSES se rapprochent du concept d’éducation par les pairs. Dans ce concept, les pairs sont des « personnes de même âge, même contexte social, fonction, éducation ou expérience »(35). L’éducation par les pairs peut être définie par la mise à contribution de membres d’un même groupe, afin de susciter un changement chez d’autres membres de ce même groupe, en tentant de modifier ses connaissances, attitudes, comportements (36). L’éducation pour la santé par les pairs trouve son origine dans les années 1970 et se développera quelques années plus tard en France, notamment lors de l’épidémie de SIDA (37). Principalement menée par des militants associatifs (Aides, ActUp, Techno Plus …), l’objectif était alors de faire face à l’absence de solutions thérapeutiques et à un climat où sévissait la stigmatisation dans le monde médical, les patients ont alors eux-mêmes fait part de leurs expériences, de leur définition de la maladie, et contribué à la construction d’une réponse thérapeutique créant ainsi un « renversement de perspectives dans le champ du soin » (38). Les acteurs motivés se sont alors organisés, pour accompagner les malades (« counseling »), innover dans des approches éducatives visant la réduction des risques (utilisation de préservatifs etc.). L’éducation par les pairs participe donc au renforcement de l’action communautaire évoqué dans la charte d’Ottawa. Par la suite, cette stratégie d’intervention a été largement utilisée en milieu scolaire et de l’enseignement supérieur, où des jeunes, éventuellement encadrés par des adultes, interviennent auprès d’élèves et d’étudiants pour aborder des thématiques de santé qui les concernent plus particulièrement, comme la vie affective et sexuelle (39) ou les addictions (40). Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) (39), le fait qu’un jeune intervienne auprès d’autres jeunes favoriserait la transmission de connaissances et de compétences en améliorant la réceptivité du public. Les intervenants pairs eux-mêmes bénéficieraient d’impact de ces actions, en renforçant leurs compétences psychosociales, leur estime de soi, leur confiance en eux et en développant leur autonomie. Une des conditions pour la réussite de ce type d’intervention est la qualité de la supervision (37). Eric Le Grand, sociologue à l’école des hautes études en santé publique, résume ainsi que les effets de l’éducation par les pairs ne pourraient être obtenus que par l’interaction de trois dynamiques : l’équipe éducative, les jeunes pairs et les jeunes bénéficiaires (41).
Focus sur l’intérêt de la prévention, promotion de la santé dans les études de santé
Dans cette étude, comme dans l’évaluation nationale du HCSP (48), les étudiants soulignent l’intérêt que suscite le SSES pour des domaines qu’ils connaissaient peu : la prévention, la promotion de la santé ou l’éducation pour la santé et qu’ils explorent à travers la préparation et l’animation de séances éducatives collectives auprès de jeunes. La prévention prend une place de plus en plus importante dans les pratiques des professionnels de santé. En médecine par exemple, elle s’inscrit dans la convention nationale entre les médecins généralistes et spécialistes libéraux et l’assurance maladie de 2016 (93) qui vise à renforcer les actions de prévention et promotion de la santé chez les médecins. Cette convention inscrit la prévention dans les missions du médecin traitant lors des consultations, ou dans le cadre de sa participation à des programmes de prévention ou promotion de la santé. Selon le dernier Baromètre santé des médecins généralistes réalisé par l’institut national de prévention et d’éducation pour la santé (actuellement Santé Publique France) en 2009, les médecins généralistes sont favorables à la vaccination ou la prescription de dépistages sérologiques (VIH, hépatite B…) et sont impliqués sur ces sujets (94). La prévention des comportements à risques tels que les conduites addictives, semblait néanmoins moins intégrée dans les pratiques des médecins généralistes, hormis la lutte contre le tabagisme. Concernant la mise en œuvre d’activités éducatives, telle que l’éducation pour la santé ou l’éducation thérapeutique du patient, elle était peu répandue. En dehors des études de médecine, la prévention prend une place importante dans les autres filières de santé. En odontologie par exemple, la santé orale est reconnue comme un enjeu important de santé publique, les maladies de la sphère oro-buccale suivant le plus souvent un gradient social (95). Les pharmaciens sont quant à eux encouragés à avoir un rôle dans la prévention en réalisant des entretiens pharmaceutiques, et par l’accompagnement et le suivi pharmaceutique du patient, ou en s’engageant dans des activités d’éducation thérapeutique (96,97). L’entretien pharmaceutique peut être réalisé à l’officine, dans le cadre d’une hospitalisation ou d’une consultation. Un des objectifs de ces entretiens est d’évaluer les connaissances des patients et de leurs savoir faire concernant leurs médicaments ou encore d’évaluer leurs compétences d’auto-soin (97).
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Table des matières
1. INTRODUCTION
2. CONTEXTE DE L’ETUDE
2.1 Mise en place du service sanitaire des étudiants en santé (SSES)
2.1.1 Objectifs et organisation à l’échelle nationale
2.1.2 Modalités du SSES
2.1.3 Organisation en Pays de la Loire et dans l’hémi-région ouest des Pays de la Loire
2.2 Concepts théoriques à l’œuvre dans le service sanitaire
2.2.1 Prévention, éducation à la santé et promotion de la santé
2.2.2 La prévention par les pairs et l’éducation par les pairs
2.2.3 Le SSES, un levier d’action dans la lutte contre les inégalités sociales et territoriales de santé ?
2.3 L’évaluation du SSES
3. REGARD DES ETUDIANTS EN SANTE SUR LE SERVICE SANITAIRE : UNE ETUDE MIXTE A L’UNIVERSITE DE NANTES, EVALUATION DU DISPOSITIF EN 2020-2021
3.1 Introduction
3.2 Matériels et méthodes
3.2.1 Design
3.2.2 Population cible et échantillonnage
3.2.3 Recueil des données
3.2.4 Analyse des données
3.2.5 Aspects règlementaires
3.3 Résultats
3.3.1 Etude quantitative
3.3.2 Etude qualitative
3.4 Discussion
3.4.1 Principaux résultats
3.4.2 Forces et limites
3.4.3 Discussion et perspectives
3.5 Conclusion
4. DISCUSSION
4.1 Synthèse des résultats
4.2 Forces et faiblesses de l’étude
4.2.1 Forces de l’étude
4.2.2 Limites de l’étude
4.3 Analyse de la littérature
4.3.1 Etudes évaluant le SSES
4.3.2 Focus sur l’interprofessionnalité dans les études en santé
4.3.3 Focus sur l’intérêt de la prévention, promotion de la santé dans les études de santé
4.3.4 Focus sur la formation en communication durant les études en santé
4.3.5 Focus sur la formation par l’expérience
4.3.6 Recommandations pour la mise en œuvre d’actions de prévention
5. PERSPECTIVES
5.1 Recommandations pour le SSES à l’Université de Nantes
5.2 Perspectives de recherche
6. CONCLUSION
7. BIBLIOGRAPHIE
8. ANNEXES
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