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Historique des communautés virtuelles
Les communautés virtuelles scientifiques
Les premières communautés virtuelles sont « les communautés issues des scientifiques du département de la défense américaine et du milieu universitaire et liées au réseau de l’Arpanet et de l’Usenet »9. Ces communautés virtuelles ont été essentiellement composées d’informaticiens.
En 1970, une expérimentation de téléconférence par ordinateur fut menée en parallèle avec la construction de l’Arpanet. « Cette expérience fut gérée par The Emergency Management Informatique System And Reference Index dans le but pour les participants de partager les mêmes donnée, de faire remonter des informations des régions vers Washington, de les annoter et de mener un débat à distance et en différé »10.
En 1971, la première application proposée par le réseau de l’Arpanet fut le transfert de fichiers. Mais un autre usage potentiel qui n’avait pas été retenu dans le projet Arpanet initial fut développé de manière informelle par ces informaticiens : la messagerie électronique ou e-mail11.
Les communautés virtuelles civiles
Les communautés virtuelles civiles c’est-à-dire sans relation ni avec les scientifiques et le milieu universitaire, ni avec le personnel du département de la défense américaine sont issues de la contre- culture.
En 1973, le «Community Memory» fut fondé, constitué par des « hackers »17 qui ont quitté l’université et qui partagent leur temps entre militantisme politique et informatique. Selon Steven LEVY, « ils ont élaboré une éthique qui peut se résumer en six points : l’accès
aux ordinateurs devrait être total et sans limite, toute information devrait être libre, il faut se défier de l’autorité et promouvoir la décentralisation, les hackers devraient être jugé sur leur production et non sur des faux critères comme les diplômes, l’âge, la race ou la situation sociale, l’on peut créer de l’art et de la beauté avec l’ordinateur, les ordinateurs peuvent transformer la vie pour le meilleur »18.
En 1978, un an après la sortie du mico-ordinateur d’Apple, un groupe de San Francisco, animé par d’autres informaticiens marginaux, lança un système de conférence informatique, pour amateur accessible par téléphone : « CommuniTree », ou arbre communautaire19.
Au cours de la même année, les membres d’un club informatique de Chicago lança aussi le logiciel « Computer Hobbyist Bulletin Board System » qui permet à tout possesseur d’un micro-ordinateur de créer son propre BBS, et de le partager sur le réseau. 20
En 1985, The Whole Earth’ Lectronic Link ( Well)21, voit le jour un an après la sortie du Macintosh en 1985. WELL est la première communauté virtuelle pérenne créée par des anciennes hippies issues principalement du groupe de rock « Merry Pranksters » et d’une commune hippie « Hog Farm ». Pour Kevin KELLY « le Well est devenu une façon de vivre dans une commune sans avoir à gagner sa vie en son sein ».22
Le fonctionnement des communautés virtuelles
Pour qu’une communauté virtuelle se forme, il faut plus que des individus qui discutent ensemble. Selon Jean-François MARCOTTE, « c’est avec le temps que certains usagers trouvent un intérêt à se réunir plus régulièrement et à partager leurs connaissances ou simplement à s’amuser ensemble. C’est pourquoi il faut distinguer un rassemblemen t d’individus de la formation d’un groupe social ».50
Plusieurs mécanismes sociaux doivent donc se mettre en place, à savoir l’attachement à un territoire symbolique en l’occurrence le site web, la présence d’un animateur, l’émergence d’un sentiment d’appartenance au groupe, des normes51 partagées, des valeurs52 communes et des langages particuliers.
Mais les communautés virtuelles ont une faible capacité de rétention de leurs membres et la nature du groupe est susceptible d’influencer les rapports sociaux qui se déroulent en son sein :
– dans le contexte d’une équipe virtuelle de travail, il y a souvent une contrainte extérieure, un but à atteindre, des échéances à respecter et des membres choisis.
– dans le cas des environnements virtuels de discussion, il s’agit alors, de la volonté commune d’individus qui discutent à loisir dans le but de se divertir, d’échanger des informations ou de faire des rencontres agréables.
– dans le cas d’une communauté virtuelle professionnelle, des personnes utilisent les réseaux pour favoriser la communication53 entre les acteurs d’un milieu et pour mettre en commun certaines ressources afin de bénéficier de l’expérience de chacun.
La typologie des communautés virtuelles proposée par Jean -François MARCOTTE
Jean-François MARCOTTE mentionne trois types de communautés virtuelles :
– « les communautés tout public »68, construites autour d’un site Web fédérateur. C’est une association de services, la plupart du temps gratuit, destinés à faciliter l’échange et
la communication entre les internautes. Cette communauté assure non seulement l’hébergement des sites Web, mais fournit également une adresse électronique, accompagnée de la mise à disposition d’une boîte aux lettres HTML69 et de forum. Ce sont finalement des communautés virtuelles de fait, constituées par les fournisseurs d’accès, les hébergeurs de sites, les portails, mais n’établissant pas nécessairement de forts liens entre ses utilisateurs,
– « les communautés thématiques » comme les inconditionnels des coccinelles, des palm Pilot, de Linux World, des avions légers, les communautés d’une lignée… Elles sont formées par affinité entre individus : proximité géographique, centres d’intérêt commun, milieu professionnel, âge…
– « les mondes virtuels 70», c’est-à-dire des communautés graphiques qui peuvent représenter pour leurs membres une sorte de fuite de la vie réelle, l’individu étant représenté par un double. Le modèle s’organise autour d’une partie gratuite nécessitant souvent l’identification de l’internaute et d’une zone accessible sur abonnement dispensant des services plus sophistiqués. Les utilisateurs des services gratuits offerts par les communautés virtuelles constituent pour les annonceurs une audience non négligeable.
Les formes et les dimensions des communautés virtuelles seront déterminantes dans la formation de ses propres mécanismes de régulation, dans son organisation à travers les divisions de rôles.
REFLEXIONS SUR L’APPORT ET LES PERSPECTIVES OFFERTES PAR LES COMMUNAUTES VIRTUELLES
LA REDEFINITION DU CONCEPT D’USAGE
La société dite d’information et de communication est avant tout, une société d’usagers107.
On parle généralement d’usages108 et d’usagers dans le prolongement direct des notions de consommateurs et des administrés. Avec l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, les économistes s’intéressent de plus en plus aux usages sociaux, dans la mesure ou le concept de consommateur se révèle réducteur. Mais pour les sociologues, les usagers ont une place centrale, car c’est lui qui mène véritablement le jeu à travers la description des phénomènes d’appropriation, de détournement, de piratage et de résistance voire de rejet. Auparavant, les facteurs d’explication de la relation entre technique et société sont d’une part le déterminisme109 technique qui ramène l’explication du changement socio-historique au seul facteur technologique, et d’autre part le déterminisme sociologique qui ramène l’explication du changement exclusivement au système de rapports de force entre acteurs. D’un côté donc, on se focalise sur l’impact des technologies sur le social, en faisant coïncider l’explication du bouleversement socio-historique à la genèse des inventions techniques. Dans ce cas de figure, la technologie provoquerait le changement social. D’un autre côté, le déterminisme sociologique efface toute complexité aux modalités de l’action technique dans la société, car ce sont les structures sociales qui détermineraient unilatéralement les contenus et les formes des objets et les dispositifs techniques.
LA CONSTRUCTION D’UN NOUVEAU LIEN SOCIAL
Dans cette seconde partie de la réflexion sur la communauté virtuelle, l’on focalisera l’analyse des apports et des perspectives offertes par les communautés virtuelles sur l’individu à travers les interactions qui ont lieu sur la toile et plus précisément sur les environnements synchroniques des « chats» et asynchroniques des « forums de discussions ».
Si l’on fait référence aux grilles d’analyse d’Erving GOFFMAN sur l’interactionnisme symbolique118, l’on peut avancer que les interactions119 réticulaires médiatisée par ordinateur sont moins fastidieuses que les interactions traditionnelles. En effet, Erving GOFFMAN explique que « lorsqu’un individu est mis en présence d’autres personnes, celles-ci cherchent à obtenir des informat ions à son sujet ou mobilisent des informations dont elles disposent déjà (…). Cette information n’est pas recherchée seulement pour elle-même, mais aussi pour des raisons très pratique : elle contribue à définir la situation, en permettant aux autres de prévoir ce que le partenaire attend d’eux et corrélativement ce qu’ils peuvent en attendre. Ainsi informés ils savent comment agir de façon à obtenir la réponse désirée. 120»
Erving GOFFMAN insiste donc sur l’angoisse des interlocuteurs dû au fait que des incertitudes planent sur la question de savoir s’ils ont agi de manière convenable ou non. Et cette incertitude ne disparaît que rarement puisque les acteurs ne peuvent agir que sur les interprétations qu’ils font des signes émis par les autres. Ainsi contrairement, aux interactions virtuelles, l’on ressent beaucoup plus de tension dans les interactions traditionnelles.
Car pour parvenir à réduire l’incertitude et accéder à un consensus temporaire sur la situation, les interlocuteurs mobilisent plus ou moins consciemment des stratégies121 comme la loyauté dramaturgique122, la discipline123, la circonspection124 et la séparation de l’espace de représentation125.
Ainsi les acteurs peuvent donc mener double jeu : présenter un Moi qui sert de masque dans les interactions en public et préserver le vrai Moi, authentique et sincère dans celles en privé. Mais GOFFMAN nuance ses propos en affirmant qu’« on ne prétend pas que les communications par voie clandestine reflètent davantage la réalité que ne le font les communications officielles avec lesquelles elles sont en contradiction ; la difficulté vient du fait que l’acteur est véritablement impliqué dans les deux formes de communication, et qu’il doit maîtriser soigneusement cette double implication sous peine de discréditer les projections officielles. 126»
C’est pourquoi, l’acteur derrière le personnage n’est pas un manipulateur invétéré de masque, tout en restant immuable derrière le défilé de ses Moi. Car pour GOFFMAN, « le vrai ‘Moi’ n’est pas l’ensemble des caractéristiques sociales que l’acteur avait modifiées pour des raisons de sa présentation, mais bien le fait qu’il joue un personnage. Et dans l’idée de jouer un personnage ce n’est pas tant le personnage qui doit retenir l’attention, mais le ‘Moi’ profond qui s’investit donc bien dans le mouvement permanent que l’on voit à la surface : celui d’être un comédien. 127»
D’où, la « nécessité dramaturgique » qui a pour fonction de maintenir non plus la stabilité sociale, mais la condition de possibilité d’une interaction, c’est- à- dire le maintien de la « façade ».
LA VIRTUALISATION DES GROUPES SOCIAUX
Le virtuel
La notion de virtuel est probablement l’une des plus polysémiques que l’on rencontre dans la littérature sur l’informatique et l’Internet. Selon Patrice FLICHY « pour les informaticiens qui ont développé la réalité v irtuelle , il s’agit d’un dispositif informatique de reconstruction, à l’aide d’images et de sons de synthèse, permettant de disposer de simulations de situations dans un objectif d’apprentissage ou d’expérimentation ; (…) Alors que les artistes imaginent, quant à eux, non pas de copier le réel, mais de créer des mondes nouveaux.»142
Pour certains passionnés d’informatique, le virtuel permet également de s’échapper du réel, soit pour vivre dans un monde imaginaire, soit pour essayer de transformer dans son ordinateur son intelligence et peut être même ses émotions.
John WALKER soutient que « les communautés virtuelles donne aux gens l’impression d’avoir été transportés, hors de leur corps, du monde physique ordinaire dans des mondes de pure imagination (…) Alors que le cinéma vise à montrer une réalité à un public, les communautés virtuelles sont conçues pour donner un corps virtuel à chacun des acteurs.»143
La réalité virtuelle apparaît ainsi non plus comme un double du réel, mais comme des nouveaux médias dont la caractéristique la plus forte est de faire intervenir le corps du spectateur comme c’est le cas du théâtre.
Et c’est Brenda LAUREL qui fut la première à établir une parallèle entre le théâtre et la réalité virtuelle dans une perspective où le théâtre est essentiellement un lieu d’improvisation, situation où l’acteur a une grande autonomie. Dans ce cas, la réalité virtuelle peut être considérée comm e des « instruments de la pensée », car elle peut offrir « la chance de découvrir la part de vous-même que vous ne trouverez pas dans le déroulement de la vie quotidienne, d’éclairer la part sombre de votre cerveau. C’est une façon de devenir plus que vous ne pouvez l’être144 ». La réalité virtuelle permet donc de démultiplier le corps.
Certains estiment au contraire que les communautés virtuelles permettent de se passer de son corps ou de le connecter directement sur une machine. Cette idée est souvent exprimée par les « nerds145 » ou les hackers, ou encore les joueurs dans les MUDS. En effet, Steven LEVY rapporte que l’un d’entre eux a déclaré : « quand je suis devant mon ordinateur, je suis détaché de mon identité physique. Je perds alors mes repères tempo rels et je ne ressens plus la faim ou la fatigue146 ». Ainsi ils oublient leur corps pour s’adonner à leur passion. Ils voient dans l’informatique une sorte d’être vivant qu’il faut entretenir et améliorer, en définitive leur lieu de la vraie vie. Pour ces n erds donc, « les systèmes informatiques sont organiques, il s’agit de création vivante. Si l’on arrête de travailler sur eux, ils meurent147 ».
Dans les communautés virtuelles en général et dans les MUD en particulier, les interlocuteurs bâtissent en commun un monde imaginaire. On peut considérer qu’ils sont ensemble dans un lieu virtuel et que dans ce cas, la communication entre les individus n’est qu’une opportunité nouvelle de la réalité virtuelle. Patrice FLICHY parle « d’une situation de coprésence148 ». S’ils interagissent les uns avec les autres, contrairement à la vie réelle, ils ne peuvent utiliser que certains de leurs sens. Le lieu virtuel dans lequel leurs membres communiquent à l’aide de textes et de dessins, des sons et d’images, constitue ce que Sherry TURKLE appelle « une réalité sociale virtuelle 149».
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : APPROCHE THEORIQUE SUR LES COMMUNAUTES VIRTUELLES
I. 1. HISTORIQUE
I. 1. 1 Historique de l’Internet
I. 1. 2. Historique des communautés virtuelles
I. 1. 2 .1. Les communautés virtuelles scientifiques
I. 1. 2. 2. Les communautés virtuelles civiles
I. 2. DEFINITION
I. 3. FORMATION ET FONCTIONNEMENT
I. 3. 1. La formation des communautés virtuelles
I. 3. 2. Le fonctionnement des communautés virtuelles
I. 4. TYPOLOGIE DES COMMUNAUTES VIRTUELLES
I. 4. 1. La typologie des communautés virtuelles proposée par Serge PROULX
I. 4. 2. La typologie proposée par Jean-François MARCOTTE
I. 4. 3. La typologie des communautés virtuelles proposée par Pierre LEVY
I. 5. CARACTERISTIQUES DES COMMUNAUTES VIRTUELLES
I. 5. 1. La Netiquette
PARTIE II : ENQUETES AUPRES DES MEMBRES DES COMMUNAUTES VIRTUELLES
II. 1. METHODOLOGIE D’ENQUETE
II. 2. RESULTATS DE L’ENQUETE
II. 2. 1. Sur leur perception des communautés virtuelles
II. 2. 2. Sur leur représentation sociale des communautés virtuelles
PARTIE III : REFLEXIONS SUR L’APPORT ET LES PERSPECTIVES OFFERTES PAR LES COMMUNAUTES VIRTUELLES
III. 1. LA REDEFINITION DU CONCEPT D’USAGE
III. 2. LA CONSTRUCTION D’UN NOUVEAU LIEN SOCIAL
III. 3. LA VIRTUALISATION DES GROUPES SOCIAUX
III. 3. 1. Le virtuel5
III. 3. 2. Les communautés virtuelles en tant que groupes sociaux
III. 3. 3. Une économie de don et un contrat social dans les communautés virtuelles
III. 4. L’EMERGENCE D’UN NOUVEAU MODE D’EXPRESSION POLITIQUE
III. 4. 1. La mondialisation de la politique
III. 4. 2. Les communautés virtuelles, un nouvel espace public
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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