Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
Déterritorialisation des politiques publiques, le cas de l’agriculture
Dans sa « société du vide», Y. Barel (1984) mobilise, avec l’aporie de la civilisation du travail et la crise économique, l’éloignement croissant des centres de décision comme groupes de phénomènes permettant d’évoquer le développement de ce qu’il appelle l’autonomie problème ». Le sociologue pose en effet l’accroissement de la distance entre les lieux où se prennent les décisions et les lieux où elles se font ressentir comme un facteur essentiel du fameux vide social puisque celui-ci se caractérise d’abord par « l’apparition de cette distance presque infranchissable entre la base et le sommet, le local et le global, distance créée par la disparition ou l’usure de nombreux canaux, médiateurs, codes de communication » (Barel, 1984, p. 24). Un processus qui, à l’ère de la mobilité généralisée, pourrait paraître pour le moins paradoxal. Dès lors, l’accroissement des mobilités correspond-t-elle à l’avènement d’une proximité médiatiquepromis par l’utopie techniciste ou plutôt à une délocalisation30 des systèmes sociaux et à une généralisation du processus de mise à distance accentuant la rupture entre les citoyens et leurs institutions ? Autrement dit, doit-on parler d’une compression de l’espace-temps par une vitesse croissante qui « rétrécirait » le monde (Harvey, 1997) ou plutôt évoquer un local globalisé pour mentionner « l’allongement » du local dans le global (Giddens, 1994) ? Ces deux lectures, a priori contradictoires, du même phénomène ont cependant encommun de souligner l’importance actuelle des jeux d’échelles. En effet, dans le monde globalisé d’aujourd’hui, si on veut comprendre l’espace et les recompositions sociales à l’œuvre, il semble nécessaire de regarder au-delà de la fonction exercée localement et de remonter aux raisons et aux décisions qui peuvent venir de loin et avoir même une portée planétaire (Santos, 1997).
Sans véritablement trancher entre ces deux interprétations, on peut tout de même avancer un contexte peu favorable au maintien d’une démocratie représentative de citoyens cultivés reposant sur un État national tout puissant, souverain, légitime et incontesté sur l’ensemble du territoire, outil principal de son pouvoir régalien. En effet, dans les sociétés industrielles, les institutions politiques et administratives s’organisent presque exclusivement dans le cadre territorial des États-Nations 31. Le territoire « Westphalien » c’est-à-dire l’espa ce politique par excellence de la modernité repose surles trois principes fondamentaux que sont l’unité32, tendant souvent à l’uniformité, la stabilité33 et surtout des frontières34 servant à délimiter l’espace légitime de l’action des institutions. Mais cette acception politique du territoire, déjà déspatialisé par l’idéologie égalitariste et l’abstraction administrative (Beauchard, 1999), se retrouve encore plus démuniedevant cette croissance sans précédent de la mobilité des personnes, des biens et de l’information : « La société moderne se scinde en deux avec d’un côté la représentation toujours valable au sein des institutions, reflétant les anciennes sécurités et figure de la normalité dansle cadre de la société industrielle et de l’autre une multitude de modes vie qui s’en éloignent de plus en plus » (Beck, 1998, p. 17). Ainsi, « la fin du territoire » (Badie, 1995) devient un thème récurrent en sciences sociales dans les années 80-90. Les géographes quant à eux préfèrent parler d’une distanciation au territoire, tout en réhabilitant le paradigme du réseau qui invite à envisager une décentration des relations sociales, à découvrir le mobile et non plus le sédentaire (Piolle, 1990). À la permanence temporelle du territoire et du collectif, le réseau oppose la simultanéité des connexions et des rencontres (Chivallon, 1999). Mais derrière ces difficultés de lecture, se cache plus fondamentalement une crise de la légitimation et de la représentation car devant la multiplication des acteurs, des lieux de décision et le manque de lisibilité des actions, notamment celles des politiques publiques, l’État n e peut plus prétendre posséder seul une essence d’intérêt général (Beck et Lau, 2005 ; Lévy, 1999).
L’agriculture française, pierre angulaire des insti tutions républicaines par l’attachement au sol qu’elle est censée symboliser, n’échappe pas à ce mouvement de déterritorialisation, organisée depuis quelques décennies comme une filière de production et non plus comme un ensemble de territoires. Schématiquement, la politique agricole de la IIIe République se caractérise par deux aspects fondamentaux réunis autour du même référentiel d’équilibre : d’abord, une politique de présence dans les campagnes, et ensuite une politique de maintenance des équilibres sociaux dans le monde rural (Jobert et Muller, 1987). Ces principes obéissent, comme on l’a évoqué précédemment, à l’exigence de stabilisation politique d’une République encore agitée par les soubresauts des régimes précédents. Mais après la Seconde Guerre Mondiale, la société française abandonne la recherche de l’équilibre pour faire le choix de l’expansion et de la modernisation. Afin de ne plus être en porte à faux par rapport aux politiques économiques, l’agriculture devient peu à peu un secteur intégré à l’économie nationale et mondiale. La Loi d’Orientation Agricole (LOA) de 196035 affirme ainsi que l’objet de la politique agricole est de promouvoir la mise sur pied d’exploitations viables », c’est-à-dire pouvant assurer un revenu correct à deux personnes, et par ailleurs de mettre en place un certain nombre d’outils destinés à favoriser la transformation des structures des exploitations agricoles, notamment en matière d’encouragement à l’agrandissement foncier (Berriet-Sollec, 2002). Ces mesures seront complétées plus tard par la mise en place d’un système d’encouragement au départ des agriculteurs âgés afin que leurs terres puissent servir à justement au développement des autres exploitations : « Il s’agit d’un renversement complet du référentiel de la politique agricole : ésormaisd c’est la norme d’adaptation qui devient dominante et qui va prévaloir sur la norme de stabilité. Dans le discours de la politique agricole, les appels à la mobilité sociale vont prendre le pas sur l’exaltation des valeurs d’équilibre » (Jobert et Muller, 1987, p. 88). De fait, les politiques agricoles menées jusque dans les années 90 recentrent la profession sur sa vocation technique, c’est-à-dire la production des denrées alimentaires, et ce au détriment d’une vocation de stabilisation sociale et territoriale. L’engrenage est enclenché puisque « plus l’agriculture, aspirée par le complexe agro-industriel et alimentaire lui-même soumis à l’internationalisation des échanges et à l’interaction des politiques à l’éche lle supranationale (Organisation Mondiale du Commerce, Politique Agricole Commune…), participe à l’économie monde, plus elle quitte le système territorial » (Lescureux, 2003, p. 41) et devient par conséquent « mobile et sensible comme l’industrie aux processus de délocalisation » (Kayser, 1990, p. 73). L’une des conséquences de ce processus est une rupture entre l’agriculture et le milieu naturel dans lequel elle est implantée. De nombreux apports extérieurs (énergie, engrais, produits phytosanitaires, variétés végétales, races animales, etc.) viennent ainsi compléter ou même remplacer les ressources locales qu’utilisait l’agr iculture. L’alimentation de la population est en grande partie produite ailleurs, parfois à plusi eurs milliers de kilomètres du lieu de consommation. À l’inverse, la production agricole l ocale est souvent exportée hors de la région. Une spécialisation territoriale s’est développée en fonction notamment des avantages comparatifs, non pas seulement ceux liés aux ressources naturelles, mais aussi beaucoup ceux dus notamment aux différences de rémunérations duravailt et du foncier à travers le monde. Une conséquence de ces diverses modifications a étéla dissociation de la culture et de l’élevage dont l’association jouait naguère un rôle notable. Or, la concentration d’élevages hors sol induit de fortes pollutions alors qu’en zone de grande culture l’absence de fertilisation organique peut entraîner des effets défavorables sur les sols (Bonny, 2002).
Cette distanciation par rapport au milieu naturel n’est pas le seul symptôme de la déterritorialisation de l’agriculture. L’emprise des logiques techniques tend également à isoler les agriculteurs des autres citoyens. Pourtant, paradoxalement, la mécanisation, l’informatisation, le recours à la génétique, la mise à contribution d’une pharmacopée étendue pour la protection phytosanitaire participent de la normalisation des pratiques et de l’insertion des agriculteurs dans un ensemble de réseaux les obligeant à coordonner « l’amont » avec l’aval » faisant ainsi disparaître, ce qui consti tuait l’essence même de leur condition paysanne, leur autonomie36 (Kayser, 1990). Mais cette médiation technologique tout en procurant des avantages sous la forme d’un travail moins pénible expulse les citoyens des centres de discussions réservés à une minorité de ersonnesp (Ruby, 1990). Ainsi, pour l’agriculture, « les crises de la modernisation et la désintégrationdes réseaux domestiques et marchands locaux tendent à une déterritorialisation des systèmes de production et à une organisation sectorielle qui assure la normalisation de la production (industrialisation) et la centralisation de la coordination par un système de marchés institutionnalisés» (Allaire, 1995, p. 350).
Ré-ancrage, de la conscience projetée à l’attachement aux lieux
Si le dés-ancrage est une utopie moderne (Haesbert,2001), le ré-ancrage constitue une pièce maîtresse du discours postmoderne. Face aux incertitudes ontologiques de la modernité, le « retour à la nature » et le « culte des racines » sont ainsi deux figures révélant notre désir de renouer les liens avec notre environnement. Un processus de réappropriation qui confère notamment une signification toute particulière au mouvement de publicisation des campagnes. Plus fondamentalement, le processus de ré-ancrage tendrait à démontrer que si l’espace a sans doute perdu de ses capacités à se constituer en schéma explicatif des dynamiques économiques, il a fortement gagné en signification (Werlen, 2003).
De l’objet à la qualification ou l’éloge de l’expérience sensible
La condition postmoderne est avant tout une situation d’incrédulité à l’égard d’une modernité lue et interprétée comme un idéal régulateur de la pensée et de l’action fondée sur une métaphysique de la raison (Besse, 1992). Plus précisément, le postmodernisme se veut une critique de la logique aristotélicienne de l’absolutisation du sujet et donc de son irréductible séparation avec l’objet, à l’origine du dualisme cartésien. Dualisme qui est souvent présenté comme acte fondateur de l’activitérationnelle érigée en un seul mode de connaissance susceptible de nous faire accéder à une appréhension objective, et donc juste, des choses. Dans cette acception ontologique de la modernité, la nature est ainsi nécessairement réduite au rôle d’objet, non seulement d’observation pour un sujet qui le maîtrise rationnellement, mais aussi de manipulation pour une humanité qui, devenue étrangère à son propre environnement, se l’approprie matériellement. Dans une telle perspective, dépasser le moderne commencerait, à la faveur d’un nouveau paradigme, par une réinvention d’un rapport à l’environnement qui serait l’occasion des retrouvailles de l’homme avec son milieu vital ainsi qu’avec sa propre essentialité (Stevens, 1997). Mais si la nature constitue le prisme par excellence permettant de saisir l’actuelle revendication d’une prise en compte d’une expérience sensible qui ne serait plus réductible à la réalité factuelle, c’est bien parce qu’elle est au cœur de l’ensemble des domaine s où ce désir de « ré-enchantement » s’exprime. Ainsi, de l’urbanisme à l’aménagement en passant par l’architecture, il s’agit non plus de penser en termes d’espace absolu, de globalité et d’uniformité, mais davantage en termes de singulier, de qualitatif et de local (Berque, 1997a).
En géographie, la critique à l’encontre de cette modernité utopique (idéaliste et négatrice des lieux) renvoyant à une seule topologie mesurable (topos) est surtout d’inspiration phénoménologique37. Elle vise à réhabiliter la promotion d’un espace existentiel (chôra ) : « There is no objective world independant human existence » (Relph, 1970, p. 195). Le courant humaniste se développe réellement à la inf des années 60. Il se définit par l’étude du sens, des valeurs, de l’intentionnalité et des représentations de l’Homme dans sa relation au monde. Il est, par conséquent, une critique des approches quantitatives ou naturalistes, marquées par une conception déterministe des actions humaines, mais également par une vision réificatrice de l’espace considéré comme unsubstrat géométrique (Entrikin, 1976 ; Gustafson, 2001). La redécouverte de cette relation ontologique entre l’Homme et la Terre permet de repenser le rapport à l’espace des sociétés modernes. Notre existence individuelle, faite de subjectivité, d’émotionnalité et de mouvements corporels, s’exprimerait au quotidien dans ce que Y.F Tuan désigne sous le concept de «place » : « Place is a center of meaning constructed by experience. Place is known not only through the eyes and mind but also more passive and direct modes of experience, which resist objectivity » (1975, p. 152). Dans cette acception, le concept de « place » est porteur d’une signification interprétée différemment par chaque individu, afin d’en faire le centre de son univers. Y.F Tuan s’intéresse ainsi à la dimension subjective et au rôle du langage dans la constitution d’une intimité réciproquement constitutive du lieu et de l’individu, dénommée «sense of place » : « Place may be said to have « spirit » or « personnality » but only human beings can have a sense of place. People demonstrate their sense of place when they apply their moral and aesthetic discernment to sites and location » (1996, p. 446).
Cette première acception humaniste du « sense of place » trouve son parallèle dans la géographie française avec la redécouverte38 de l’œuvre de E. Dardel (1990 [1952]) « L’Homme et la terre » d’une part, et dans l’émergence de la notion « d’espace vécu »39 défendue par A. Frémont d’autre part. Si E. Dardel est plus proche avec son concept d’habiter 40 d’une Géographicitéde l’Homme, entendue comme primat de la relation à la terre dans la constitution de l’être, le concept d’« espace vécu» a pour ambition d’intégrer une dimension plus sociale41. Toutefois, ces deux approches ont en commun de défendre l’idée que la représentation42 que les sociétés ou les individus se font d’une réalité ou d’un être géographique est tout aussi, si ce n’est plus, importante que la réalité elle-même (Bonnemaison, 2000). Dès lors, l’apport majeur de ces travaux théoriques est de démontrer que nous investissons et qualifions l’espace par nos actes et notre subjectivité projetée.Le rapport à la nature est particulièrement au cœur de s préoccupations de la géographie humaniste tant celle-ci cherche à saisir le profond attachement des individus à certains lie ux, à partir de leurs capacités à ressentir, penser et agir au contact de leur environnement physique. L’attrait contemporain pour la nature est ainsi interprété comme une tentative pour conférer une sacralité indispensable à l’épanouissement de l’être : «Nature, unlike the city, lacked a precise semiotic ; therefore, an individual could readily project his own mood and meaning on it » (Tuan, 1982, p. 173).
Mythe et symboles d’un espace rural moderne, l’émergence d’un espace sacré44
La revalorisation dans les années 70 d’une ruralitéenvisagée sous le double signe de la campagne conviviale et de la nature sauvage s’inscrit dans l’idée que, face à la déshérence des idéologies du progrès, il est nécessaire de réhabiliter l’expression de notre « être-au-monde » (Bédard, 2002a). Contre la réduction des conditionsde vie à de simples exigences matérielles, on entend donc valoriser la nécessité d’une expérience sensible et d’une éthique de la nature : L’aspiration à une nature sauvage, authentique et p rotégée se substitue au désir d’exploration et de domestication d’une nature envi sagée tantôt comme sublime, pittoresque, tantôt comme bucolique ou champêtre» (Kalaora, 2001, p. 591). L’avènement des préoccupations environnementales dans la société ançaisefr correspond ainsi, du moins dans ses prémisses, à une utopie sociale typique d’une crise de sens, cherchant à réinventer dans le rural l’anti-thèse « d’une société de consommation», et amorce la construction du mythe de la campagne vue comme lieu par excellence d’une sociabilité « authentique » dans un contact direct avec la nature (Jollivet, 1997). Ce mouvement de « retour » des premiers « néo-ruraux » n’a alors sur le plan quantitatif qu’une i mportance limitée45 mais il pose les jalons d’un investissement autre de l’espace rural et ce d ’autant plus que ce premier mouvement fortement intellectualisé et politisé aura su, nonseulement trouver un écho plus large dans la société civile, mais sera également célébré commecte afondateur (Ferry, 1992 ; Raymond, 2003)46 alors même que les objectifs poursuivis purent parfois apparaître bien ambigus. Ainsi, sans même évoquer les trajectoires personnelles d’un certain nombre de néo-ruraux47, il faut souligner le polymorphisme de ce « retour » et, plus fondamentalement encore, l’ambivalence structurelle de l’idéologie de la nature qui n’est donc pas spécifique à l’utopie néo-rurale (Léger et Hervieu, 1985).
Il y a chez les premiers néo-ruraux un désir de s’extirper de toutes contraintes sociales et même civilisationnelles, d’expérimenter un autrerapport à l’espace et aux autres, en s’abandonnant à une nature « non polluée » par la société : «S’abandonner au désir, c’est pour ses immigrants, retrouver, au-delà des interdi ts qui engendrent la perversion, le foisonnement vital, l’authenticité d’une nature qui ne connaît ni bien, ni mal, mais qui offre à qui se coule en elle, en même temps que la richesseet son infinie diversité, la garantie de l’ajustement harmonieux du désir aux possibilités de sa réalisation »(Léger et Hervieu, 1985, p. 154). Mais cette revendication d’une spontanéitédu désir peut paradoxalement conduire à imposer une règle tout aussi absolue et tout aussi contraignante que les interdits moraux que la contestation initiale vise à supprimer. On retro uve cette ambiguïté d’une écologisation quasi-religieuse des esprits dans certaines mouvances écologistes, notamment la deep ecology, ou encore chez certains auteurs tel que M. Serres (1991) qui pose le contrat entre les hommes comme secondaire derrière le contrat naturel que l’humanité devrait nouer avec la nature. La chimère subjectivore, c’est-à-dire l’aporie de la personnification de la nature et l’affirmation de son primat sur les choix politiques, n’est jamais vraiment très éloignée de cette version extrême du rigorisme naturel (Berque,2000 ; Pelletier, 1993).
La re-territorialisation des politiques publiques, l’urbanité rurale ou l’irrésistible attrait du local
Les requalifications actuelles de l’espace rural ouvrent la voie à la définition de nouvelles normes de fonctionnalité (Guerin, 2002). En France, depuis les années 80, la figure du local s’impose comme outil privilégié de ces nouvelles revendications culturelles et politiques. Avant même les lois de décentralisationde G. Deffere (1982-1983), le développement local devint ainsi la « vulgate » de l’aménagement du territoire et un cadre de référence pour nombre de politiques publiques, et ec alors même que les scientifiques éprouvent toujours certaines difficultés à en faireun paradigme (Bourdin, 2000b).
Le local est d’abord compris comme acte de résistance face aux incertitudes liées à l’instabilité moderne. Les ferments de cette idéologie territoriale se situent tout autant dans l’ actualisation de la critique tiers-mondiste des années 70-80 que dans une réinterprétation du phénomène «NYMBY »50 et plus largement du modèle communautaire qui fonde une acception du « vivre ensemble » sur une proximité géographique mais aussi sociale et culturelle. Autrement dit, le partage d’un même espace, d’un même mode vie et d’une même histoire serait un facteur indispensable à la const itution d’une certaine cohésion sociale. Ainsi, la géographie américaine opère dans le sillage destravaux d’A. Giddens (2005 [1987]) si ce n’est une certaine confusion, du moins un assemblage rapide entre les concepts de community », de « place » et de « locality » (Cooke, 1987 ; Ley, 1989). En effet, en posant la vacuité du concept de «place » face à la distanciation spatio-temporelle modern e, A. Giddens défend la pertinence du concept de «locality » entendue comme structure sociale élémentaire conférant une nécessaire stabilité auxindividus. Dès lors, pour certains auteurs, la portée humaniste du concept de «place » est quelque peu détournée d’une part au profit d’une acception d’inspiration naturaliste (Agnew, 1989 ; Cochrane, 1987) et d’autre part au profit d’une connotation subjectiviste de « repli sur soi » qui semble doter ce concept de « place » d’une certaine dimension réactionnaire (Soja, 1994). Mais ces premières mises en garde du mirage local ne réussissent pas à masquer l’engouement pour cette échelle qui semble synonyme d’un lieu du possible, tout à la fois celu i de l’engagement et de l’intimité : « Il s’organise en tout cas comme une configuration à pa rtir de laquelle maîtriser le monde et construire la confiance redevient possible » (Bourdin, 2000b, p. 88). Voilà bien ce qui sembl e faire la force du local, cette capacité d’incarner non plus seulement la résistance mais un espace refuge, un outil où les individus peuvent à la fois reconstruire du lien social et de se réapproprier la Chose Publique. Alors que dans le modèle américain, l’idéologie néo-localiste trouve ses origines essentiellement dans les politiques urbaines, en France, les réflexions sur ces nouveaux lieux où peuvent se reconstruire l’action et l’unité dépassent largement le périmètre des aires urbaines pour englober, une fois encore, les espaces ruraux. De même, le modèle communautaire, tout en faisant débat dans la sociét française, reste quelque peu délaissé au profit d’un maintien du paradigme républicain de la démocratie territoriale. En effet, en France, le local devient consubstantiellement l’échelle du territoire, porteur, presque par essence, de la légitimité politique, et celle où ilserait possible de retrouver cet « esprit de clocher », sorte de synecdoque de l’identité nationale (Lussault, 2003). Ainsi, dans la lignée des réflexions sur la géographicité et l’espace vécuémerge un «nouveau paradigme du territoire » sorte d’ « antidote postmoderne » (Bonnemaison, 2000, p. 128). Insidieusement, le territoire quitte son acception strictement politique pour acquérir le statut de concept révélant l’indépassabilité de l’enracinement et des liens symboliques unissant l’Homme et le Monde 51. Les réformes territoriales engagées depuis maintena plus de trente ans, de l’intercommunalité aux pays en passant par les périmètres d’application des politiques contractuelles régionales, démontrent d’ailleurs cette recherche, pourtant si illusoire, de l’espace pertinent, celui permettant de réunir justement culture et action politique, identité et légitimité (Faure et Smith, 1998). Mais si les changements dans les structures, les missions et le fonctionnement des nouveaux territoires de l’action publique, induits par le renforcement des actions intercommunales et tournés vers la construction d’un développement économique et d’une démocratie locale plus proche des citoyens sont initiés en milieu urbain, ils connaissent surtout un certain engouement dans les espaces ruraux (Moquay, 2005). D’abord, parce qu’il est postulé que la recomposition sociale et la publicisation des campagnes produiraient une fragmentation culturelle du tissu social en tout point comparable à ce qui peut se produire dans les métropoles. Ensuite parceque les nouveaux territoires supposent un ancrage culturel et que la requalification des campagnes se fait justement sous le signe de l’authenticité ». Enfin, ce rapprochement entre ville et campagne s’opère également parce que, selon certains, ce qui joue actuellement dans les espaces ruraux doit être rapproché des principes et des modalités historiques de constitution et de fonctionnement politique et institutionnel des villes (Moquay, 2001). Ainsi, ces mêmes auteurs n’hésitent-ils pas à parler de l’avènement d’une « urbanité rurale» définie comme cette émergence d’entités territoriales dotées d’instances de direction qui s’affirment et qui essaient de constituer un sentiment d’appartenance. Autrement dit, l’urbanité rurale serait liée à l’émergence d’une culture de territoire et de chartes, principes fondateurs des villes occidentales, et donc symboles de l’invention de nouveaux modes de gouvernements dans les campagnes (Poulle et Gorgeu, 1997).
Le cas des pays nous semble à ce titre particulièrement intéressant à observer. Ainsi, la Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement du Territoire (LOADT) de 1995, modifiée en 199952, stipule que lorsqu’un territoire présente une cohésion géographique, culturelle, économique ou sociale à l’échelle d’un bassin de vie ou d’emploi, les communes ou les Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) qui le composent ont vocation à se regrouper en pays. Alors que cette notion de pays avait pris forme notamment sous l’impulsion des syndicalistes agricoles (Chamussy, 1997) et possédait initialement une résonance ruraliste (Vanier, 1995), ce qui en soi n’est pas anodin, on doit se demander si ces nouvelles collectivités territoriales peuvent êtredes espaces de discussion permettant de définir de nouvelles légitimités d’usages ou s’ils ervent davantage à réassigner des identités héritées. Autrement dit, le local, cette perspectiv rassurante à court terme, « n’est-il pas un espace de visibilité au détriment d’un espace de mise en commun ? » (Paolletti, 1999, p. 61). Il nous semble ainsi qu’on peut se questionner sur le recours au territoire pour construire une légitimité d’usage, surtout lorsque le mythe d’uneadéquation entre territoire institutionnel et territoire socioculturel, constitue l’utopie dans laquelle sont pensées les politiques publiques. D’autant plus, lorsque le local est un local globalisé, c’est-à-dire non pas un lieu d’autonomie mais une pièce supplémentaire dans un système pyramidal qui voit s’emboîter toujours plus de territoires politiques. Enfin, cette lecture institutionnelle de ce qui se travaille dans l’actuelle réappropriation symbolique des espaces ruraux peut-elle faire l’économie d’une réflexion sur les lieux des actions ordinaires, unedimension qui ne peut être déconnectée des mouvements institutionnels, et que l’on peut supposer indispensable à la réalisation de l’idéal incertain de « la république locale » ? Et ce d’autant plus, lorsqu’on songe aux malentendu s ou aux incompréhensions pouvant exister entre les valeurs d’une agriculture encore fortement sectorielle et les visions du monde défendues par les élus du développement local (Bertrandet al., 2005). Ainsi, si « l’urbanité rurale » nous paraît une voie stimulante puisqu’elle donn e une visibilité institutionnelle aux changements engendrés par l’actuelle publicisation des espaces ruraux, il nous semble nécessaire de réfléchir à d’autres lieux d’actions car ce processus de requalification des campagnes questionne également les schèmes d’interprétation des acteurs ordinaires.
Construction d’une intelligence mutuelle, structure sémantique et dépassement du paradoxe culturel
L’avènement du paradigme de la mobilité généraliséeoblige à penser la complexification du processus d’ « inculcation » des normes et à dépasser le modèle « du milieu clos ». Mais, si la modernité réflexive sapeles fondements de la cohésion des collectifs, cela ne signifie pas la fin de tout collectif, mais plutôt la fin des collectifs imposés et prévisibles (Poche, 1996). La question à l’ordre du jour est alors la suivante : « Comment une société peut-elle avancer comme mouvement social composé d’individus ? » (Beck, 1998, p. 20).
Je vois une société partoutoù des hommes se trouvent en réciprocité d’actionet constituent une unité permanente ou passagère» (Simmel, 1896, p. 72). Autrement dit, il s’agit de penser tout à la fois un monde intersubje ctif et culturel. Intersubjectif, parce que ce monde n’est pas seulement le mien mais également celui d’autres hommes, et culturel parce que notre réalité est constituée de significationsqui, tout en se sédimentant, n’ont cessé d’être réappropriées et transformées à travers l’histoire des sociétés humaines. Toutefois, ce paradoxe n’est pas un appel au relativisme culturel car chaque individu est capable de comprendre ceux qui l’entourent comme autrui est capable de le comprendre, et ce même s’il s’agit d’une intercompréhension partielle car issue nécessairement d’une interprétation (Schütz, 2003). Cette interprétation varie bien entendu selon les compétences de chacun mais elle est toujours possible car même dans les faitsculturels contingents, il existe des structures conceptuelles, des typifications, qui sont le substrat de l’intelligibilité et de l’évaluabilité des faits culturels eux-mêmes (Pharo, 1992). C’est-à-dire qu’au-delà des normes formelles et explicites, comme les normes juridiques, il existe des normes implicites et suivies de manière presque inconsciente qui servent de guide ou de standard à l’orientation de l’action des individus (Candau et al., 2007). Mais ces règles, n’étant pas d’origine transcendantale mais plutôt conventionnelle et collective, ne sont pas d onc immuables. L’approche de P. Pharo est stimulante dans la mesure où elle pose justement la théorie de l’action, faisant lien entre la théorie du politique et la question du sens, comme alternative à ce paradoxe de la culture, mais aussi comme moyen de comprendre l’émergence d’un ordre politique, non pas comme réalitésui generis n’ayant que peu à voir avec les faits et gestes de la vie courante, mais comme résultante de relations de significations entre les êtres humains. Autrement dit, la construction de référentiels communs c’est-à-dire la mise en cohérence des appropriations, des significations attribuées et des usages à un moment donné peuvent s’observer notamment au travers de la transformation des répertoires de normes ou de valeurs véhiculées par le langage et/ou les comportements et sur lesquelles s’appuient sur les institutions ou les individus pour cadrer leurs actions : « Nulle part dans le domaine de la vie sociale, il n’est aussi facile que dans la signification des mots de suivre à la trace une claire interdépendance et une évidente sensibilité au changement. Le mot tele sens qui s’y attache sont vraiment une réalité collective. La plus infime nuance dans le ystème total de pensée se reflète dans le mot individuel et dans les colorations de sens qu’il comporte » (Manheim, 1956 [1929], p. 49). Le langage est ainsi au cœur de l’intelligence mutuell e car il marque les coordonnés de la vie en société et remplit cette vie d’objet chargé de sens: « Le langage utilisé dans la vie quotidienne me procure continuellement les objectivations nécessaires et établit l’ordre au sein duquel celles-ci acquièrent un sens, de même ueq l’ordre au sein duquel la vie quotidienne devient, pour moi, signifiante » (Berger et Luckmann, 1996 [1966], p. 35). Ainsi, il ne s’agit pas tant pour le chercheur d’ordonner le monde à partir des catégories du discours rationnel que de saisir le travail situé et pratique, de mise en forme, de mise en scène et de mise en sens effectué par les individus de l’intérieur des structures de leur expérience comme condition d’avènement d’un monde intelligible (Joseph et Quéré, 1993).
Pour saisir ce qui se joue actuellement entre agriculteurs et non-agriculteurs dans l’actuelle publicisation des campagnes, la notion de lien civil tel que définie par P. Pharo nous paraît constituer un cadre de référence pertinent :« Ensemble des propriétés paisibles du lien social, c’est-à-dire tout ce qui concourt à l’intel ligence mutuelle entre les êtres humains. La notion de civilité englobe les formes dites de politesse et de sociabilité65 et plus généralement toutes les formes, signes, gestes, mouvements, de l’intelligence mutuelle, ce qu’on appelle aussi dans notre jargon psychologique ordinaire, le rapport à autrui. Ces formes peuvent être plus ou moins authentiques ou routinisées, mais elles sont toujours expressives » (1992, p. 07). Le lien civil se jouerait donc d’abord, mais pas seulement, en situation de co-présence où les individus s’exposent aux regards et aux jugements des autres, le tout ponctué par les rites et les cérémonies dont la finalité est de ménager et d’honorer les faces (Goffman, 1979 [1956]).
Le minima de la co-présence, syntaxe comportementale et discursive
Il ne s’agit pas tant de retourner à un déterminisme physique que d’examiner l’importance de la dimension située des interactions sociales, notamment si on accepte l’idée qu’une pratique atomisée de l’espace ne génère pasune sociabilité identique à celle élaborée sur la base d’une localisation étroite (Chivallon, 1999). En effet, les sociabilités électives et réticulaires qui caractériseraient notre multi-appartenance ne sont a priori pas tout à fait la même chose que des sociabilités ataviques fondée rsula durabilité des ancrages et l’interpénétration des espaces de vie (Piolle, 1990; Sencébé, 2004). Pourtant dans les deux cas, la co-présence symbolique mais surtout physique pourrait être considérée comme la condition qui maximise les interactions constituant la trame de l’ordre social car l’expérience la plus importante d’autrui prend place dans la situation de face-face, elle est même le cas-type de l’interaction sociale . Bien entendu l’activité discursive est un moyen privilégié pour construire un échange productif mais il n’est pas le seul puisque E. Goffman relève notamment ce qu’il nomme « la communication indirecte » : « Les acteurs peuvent cesser de s’exprimer explicitement mais ils ne peuvent cesser de s’exprimer indirectement » (1979 [1956], p. 107). Le comportement social étant régi par des codeset des systèmes, il existe également une syntaxe et une sémantique du comportement car tout comportement est une communication potentielle. Dans le cadre d’une co-présence, même l’évitementste ainsi une information délivrée à autrui. Toutefois, si on devait évaluer la richesse et la productivité d’une interaction sociale, pourrait-on mettre véritablement sur le même plan l’évitement et l’engagement d’un échange discursif ?
La co-présence pourrait être considérée comme landitionco a minima des interactions sociales même si la « qualité » de celles-ci sembledevoir fluctuer en fonction d’un certain nombre de critères. Autrement dit, le rapprochement entre les individus passerait toujours par le partage de certains lieux communs. Cette posture est à la base des politiques de mixité qui connaissent un engouement certain dans nos sociétésmarquées par une pluralité culturelle croissante. Mais au-delà de cette notion programmat ique66, il s’agit en fait d’examiner la pertinence de la notion de proximité spatiale.
L’article de J.C. Chamboredon et M. Lemaire (1970), « Proximité spatiale, distance sociale ; les grands ensembles et leur peuplement » symbolise l’apogée d’une pensée sociale déconnectée de toute référence spatiale puisque lesauteurs affirment en substance le primat de la proximité sociale sur un quelconque effet de la proximité physique. D’ailleurs P. Bourdieu ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme : « On est conduit à mettre en doute la croyance selon laquelle le rapprochement spatial d’agents très éloignés dans l’espace social peut, par soi, avoir un effet de rapprochement social : en fait, rien n’est plus intolérable que la proximité physique (vécue comme promiscuité) degens socialement éloignés» (1993, p. 166). Si la proximité, qui est toujours à la fois matérielle, idéelle, subjective et socialement construite, peut certes favoriser des comportements de mise à distance sociale, il est toutefois étonnant de constater qu’à l’heure de la globalité, le local soit à ce point survalorisé et le rural réinvesti notamment sous le signe de la convivialité. Par ailleurs, il semble préférable d’écarter l’idée d’une possible disparition de ce ypet de communication à l’ère de la mobilité car elle repose sur la confusion entre proximité et ancrage. En effet, la mobilité accentue certainement le caractère éphémère des co-présencespotentielles mais ne semble pas devoir les supprimer (Lefeuvre, 2005). En fait, si on veut discuter de la pertinence du concept de proximité, il faut d’abord revenir sur les motivations des individus. Ainsi, paradoxalement, l’attrait pour le rural peut également correspondre à une volonté de s’isoler de ses contemporains, notamment lorsqu’il renvoie aux désirs d’un contact privilégié avec l’environnement naturel. Si la proximité n’est donc pas nécessairement recherchée, elle peut de plus être subie, particulièrement par des agriculteurs assignés à « résidence » une grande partie du temps du fait même de leur activité professionnelle. De manière plus générale, les relations de voisinages imposent une certaine forme de proximité pouvant être vécue sur le mode de la contrainte. Par conséquent, on voit bienémerger ici un point de tension dans notre réflexion : d’un côté l’éloignement physique accentuerait les incompréhensions socio-culturelles et de l’autre, la proximité géographique serait potentiellement source de conflit notamment entre agriculteurs et non agriculteurs (Caron et Torre, 2004).
Dès lors, il s’agit peut-être moins de réutilisere lconcept de proximité géographique que de l’aménager : « Ce n’est pas en général la proximité géographiquee drésidence qui construit le groupe, mais une proximité de goût, de pratiques communes qui doivent être vécues dans un même lieu et au même moment : on choisit un projet commun à réaliser ensemble et on privilégie pour ce faire, ceux qui n’habitent pas trop loin ; on ne constitue pas simplement avec les gens qui résident à côté » (Piolle, 1991, p. 352). La proximité géographique pourrait apparaître ainsi comme une condition nécessaire mais pas suffisante pour saisir les mécanismes de la construction d’une co-présence physique. Ces aménagements ne suffisent pas à imposer totalement la pertinence de la dimension analytique de ce concept, notamment parce qu’il subsiste un lien assez fort entre local et proximité (Rémy, 1999). Autrement dit, est-ce que la proximité peut rendre compte de mécanismes d’interactions sociales autres que la simple adhésion à une culture locale des acteurs déjà les plus impliqués et les mieux intégrés dans la vie sociale ?
Un autre point pourrait tout à la fois nous conduir e à nous écarter un peu plus d’une perspective localiste tout en accentuant l’intérêtd’une entrée spatiale pour saisir la production de normes entre agriculteurs et non agriculteurs. En effet, les situations d’interaction ne sauraient être complètement déconnectées des processus d’institutionnalisation 67, des relations de pouvoir ou d’une somme de règles sociales objectivées constituant donc ce « système » social évoqué par A. Giddens c’est-à-dire la «formation, à travers l’espace-temps, de modèles régularisés de relations sociales conçues comme pratiques reproduites » (2005 [1987], p. 159). Autrement dit, parler de structuration ne revient pas, selon nous, à signifier l’existence d’une entité supra-individuelle qui régirait les comportements individuels, mais consisterait plutôt à penser que c’est la répétition de la dimension relationnelle des pratiques qui tendrait à actualiser la structure sociale. Les structures sociales seraient ainsi des conditions toujours présentes, toujours déjà là, tout en étant perpétuellement le résultat des actions humaines. Or, en se référant à cette théorie de la structuration proposée par A. Giddens, « les propriétés structurelles» des pratiques peuvent se décomposer en règles et ressources inextricablement reliées à la réalité concrète des actions individuelles et par conséquent «les propriétés structurelles» des interactions sociales « varient en fonction des circonstances matérielles et institutionnelles de ’actionl et selon les compétences des agents par rapport à des circonstances » (2005 [1987], p. 237). Cette analyse nous conforte dans l’idée de saisir les processus de production de normes sociales à partir des manières dont sont investis les espaces. En fait, si les normes sont avant tout composées de repères cognitifs il semblerait qu’il soit difficile de les isoler, de les déconnecter des conditions, notamment matérielles, de l’action : « Je dois rapporter les événements qui se produisentdans l’arène des signes et des normes aux conditions de vie et à la nature des activités, mais je ne peux pas ignorer les formes des systèmes de relations dans lesquelles elles sont exprimées, qui sont des formes différenciées, originales» (Darré, 1994, p. 20). Autrement, dit, dans l’optique de notre réflexion sur la construction des normes du «vivre ensemble » entre agriculteurs et non-agriculteurs, il semblerait délicat de ne pas envisager les espaces de co-présences où se joueraient les interactions sociales. Non seulement par ce que l’espace pourrait être une condition et un médiateur essentiel de l’interaction, mais également parce que sa « nature », construite par l’action, serait un facteur important de l’institutionnalisation des pratiques et de ce qui se discute.
Le rôle de l’espace, entre ressource et contrainte de l’action
Avant de proposer une grille analytique essayant de saisir les mécanismes de la production des normes « du vivre ensemble » entre agriculteurs et non-agriculteurs à l’aune des manières dont l’espace est investi par les différents acteurs, il nous faut expliciter notre conception du rôle de l’espace : « Space is not an empirical but a formal and classificatory concept. It is a frame of reference for the physical components of actions and a grammatologue for problems and possibilities related to the performance of action in the physical world » (Werlen, 1992, p. 03).
L’espace de la situation, espace informé médiateurdes relations sociales
L’individu se construit comme individu dans les différents groupes d’appartenances et construit simultanément ces derniers parce qu’en tant qu’être humain, il lui faut un langage. Et ce langage se construit en « parlant » d’abord de la nécessité quotidienne, des pratiques, c’est-à-dire de la réalité du monde, qui a pour première caractéristique d’être visible simultanément par soi-même et les autres membres (Poche, 1996). Ainsi, si le langage de l’interaction peut comporter des références à des «ailleurs», l’espace de la situation se définit fondamentalement et avant tout comme un cadre matériel. Celui-ci est contexte de l’action dans le sens où les interactions sociales sont souvent orientées par la présence d’un objet. Par exemple, s’éloigner d’un objet ou s’en saisir n’induit pas la même signification, ni la même intention d’action : « Je suis continuellement entouré d’objets qui « proclament » les intentions subjectives de mes congénères» (Berger et Luckmann, 1996 [1966], p. 53). De même, le déroulement de l’épisode ou de l’événementva instaurer un agencement spatial correspondant à ce qui est en train de se jouer et qui dispose les langages et les personnes en une ordonnance repérable et signifiante de l’action en cours (Lussault, 2000, 2007). Ainsi, une parcelle en friche offre potentiellement plusieurs usages et l’organisation d’un marché sur cet espace correspondrait à l’activation d’une de c es potentialités. Son aménagement et l’évènement même vont entraîner avant, pendant et prèsa un agencement particulier, significatif de l’interaction sociale. De ce fait, le lieu constitué (i.e. le champ) une fois l’événement passé, n’est ni tout à fait le même, ,nicependant complètement différent, en attente d’une nouvelle occurrence de son activation . L’interaction demande ainsi de se conformer non plus seulement aux codes conversationnels, mais aux codes des objets et des arrangements dans les lieux de co-présence ; nous renvoyant donc à une nécessaire prise en compte des gestes et postures corporels (Chivallon, 2000). Enfin, ce cadre matériel et les objets qui en découlent confèrent à l’action, un climat, une ambiance particulière. Bien entendu, ce décor ne détermine pas la significationde l’action entreprise mais il l’oriente. La matérialité de l’espace est ici conçue comme système sémique, c’est-à-dire qu’il faut considérer «l’espace comme résultat de la pratique symbolique et comme expression d’idéalités matérialisées »(Chivallon, 2000, p. 301). Ce processus de sémantisation, d’encodage de l’espace rend visibles les formes d’o rdonnancement du monde en créant des unités signifiantes. Il suffit ici, comme le rappele C. Chivallon des « écritures spatiales» de quelques grandes catégories qui nous sont familières, comme un muret ou un enclos, pour nous signifier la délimitation d’une parcelle agricole.
Il nous faut donc envisager maintenant le procès d’objectivation de la réalité lié à cette utilisation matérielle et symbolique de l’espace. En effet, peut-on concevoir une autorité des dispositifs spatiaux sans, par la même occasion, retomber dans une conception essentialiste de l’espace ?
Un dispositif spatial pour affirmer/protéger son identité sociale, la (relative) prédominance de l’activité agricole ?
Il revient à H. Lefebvre d’avoir explicité la relation permanente entre l’activité sociale et la force prescriptive des dispositifs spatiaux68. Selon cet auteur, un groupe social dominant » ne peut se constituer sans inscrire ses valeurs et ses représentations dans une invention morphologique » qu’il appelle aussi « espace conçu ». En utilisant le concept de représentation de l’espace », il saisit l’espace dans son rôle de médium et de résultat des pratiques sociales. Dès lors, « l’espace commande aux corps ; il proscrit ou prescrit des gestes, des parcours, des trajets. Il est produit dans ce but ; c’est son sens et sa finalité » (1981 [1974], p. 168). Toutefois, cette production « d’une matérialité socialement informée » se heurte à l’appropriation qu’en font les usagers. Il existe ainsi une continuelle subversion ou transgression conflictuelle dans le vécu du quotidien, définie par l’auteur comme « l’espace de la représentation», sans pour cela que ce travail d’appropriation n’amène ces individus à produire leur propre espace. Appliqué au contexte rural, cela laisserait supposer qu’à la légitimité d’une prédominance de la production agricole vienne, non pas s’ajouter, mais succéder une autre forme normative d’espace dominant tournée par exemple vers l’usage récréatif.Alors que M. de Certeau considère lui aussi l’espace comme instrument de pouvoir, il nous invite cependant à nuancer ce point puisque , selon cet auteur, les ruses permettant aux individus de contourner la puissance coercitive des cadres sociaux sont indissociables d’une reconstruction permanente de l’espace par son énonciation quotidienne : « L’usager de la ville prélève des fragments de l’énoncé pour les actualiser en secret » (1980, p. 154).
Cette discussion interroge les possibilités qu’ont des usagers d’accéder à des espaces privés à vocation agricole. En effet, la définitionde droits d’usage est, depuis le XIXe siècle, soumise aux règles de la propriété privée. Or, sie ldogme du statut privatif des espaces était préservé, cela devrait avoir comme conséquence de éduire fortement les effets de l’appropriation symbolique du rural en limitant les pratiques effectives ou en les orientant vers des espaces réservés. Toutefois, l’arsenal juridique tend actuellement à faciliter l’accès du public aux biens des personnes privées dans les espaces naturels et ruraux, comme en témoignent l’évolution de la loi sur l’eau ou encor la législation sur les activités de pleine nature qui établissent un cadre juridique permettan de concilier des pratiques récréatives et le droit des propriétaires des biens sur lesquelles celles-ci s’exercent (Perrier-Cornet, 2002). Enfin, et peut-être surtout «les usages sociaux de l’espace agricole ne marquent pas le territoire. Ils ne sont ni permanents, ni continus » (Le Caro, 2002, p. 100). Bien entendu, cela vaut essentiellement pour les usages sociaux liés à des présences éphémères et/ou qui ne nécessitent pas d’autres matérialités que l’environnement naturel, mais pas seulement. Par exemple, un champ en friche non délimité par un enclos ou un muret ne permettrait pas nécessairement de visualiser l’activité de production qu’il sous-tend.
Autrement dit, sans rejeter la prégnance des dispositifs spatiaux, on peut se demander s’il n’est pas préférable de les concevoir à partir de l’efficacité qu’ils produisent dans le processus d’intériorisation sociale. Nous adopterions ainsi, « la filière qui va de la représentation puissamment traduite par les dispositifs spatiaux à l’appropriation de son sens en pensant comme possibles pour les usagers destinataires tout aussi bien l’intériorisation de cette représentation que les formes diverses de sa contestation, ces écarts devant du même coup s’interpréter comme la condition du jeu des rapports sociaux » (Chivallon, 2000, p. 308).
Différentiation des espaces d’énonciation, une question de visibilité ?
En posant une variation des compétences individuelles dans la maîtrise des référents symboliques, on admet plus largement une inégalitédes positions sociales et donc une fluctuation du pouvoir selon les agents et les situations. Il ne s’agit pas de renier l’inventivité sociale et l’importance de la relation intersubjective dans la production de normes mais bien de poser qu’il existe un principe de gradation dans le caractère performatif du langage ou des pratiques, en fonction de la position de celui qui l’énonce. En effet, si on s’intéresse aux propriétés structurelles des interactions sociales,il paraît délicat de considérer sur un même plan ce qui se discuterait aux abords d’un champ entre un agriculteur et un non agriculteur et ce qui déroule lorsqu’un leader agricole rencontre un chef d’État à un sommet européen.
Autrement dit, la performativité ne saurait se penser sans le contexte énonciatif, qui fait varier la dimension perlocutoire de l’énoncé, celui-ci étant fonction de ce qu’on pourrait appeler la visibilité d’une situation. Ainsi, l’espace est « un matériau fondamental pour l’établissement de ce que je nomme le régime de visibilité de la politique locale, régime de visibilité essentiel la construction de la légitimité» (Lussault, 2000, p. 31). C’est dans cette optique que nous concevons l’espace comme un vecteur permettant de comprendre le processus de production et de généralisation des normes. Désigner un lieu,nommer un espace, le sort de l’indifférenciation et l’injecte dans l’univers du sens de l’espace, sens qui circule entre les acteurs via l’activité discursive. Mais, inversement, l’espace est aussi un facteur déterminant du contexte énonciatif, dans le sens où la dimension symbolique de l’espace dans lequel s’insère ou est représenté l’action, joue grandement sur l’autorité et le discours performatif des énoncés : «Cette économie sémiotique est produite par le jeu esd différents acteurs d’une situation, puisque chacun d’eux, investis dans leurs actes, du plus élémentaire au plus complexe, produit et diffuse les énoncés qui prendront, compte tenu de son habitus et de sa capacité – variable – à évaluer les circonstances, afin d’utiliser au mieux ses compétences et mettre en scène son capital social, des formes fort variées, de la parole « spontanée », jusqu’aux textes et aux icônes les plus construits, via ces quasi-énoncés que sont les formes de la pratique elle-même. Autant que les résultats matériels de l’acte, ce matériau signifiant permet d’appréhender les logiques et le sens de l’action » (Lussault, 2000, p. 26).
Posture de réassurance ou quand le territoire devient un mythe
Le processus de ré-ancrage fait émerger une reterritorialisation complexe car particulièrement instable et hybride du fait de la multiplication des projets de territoires et de l’enchevêtrement, entre autres, des territoires institutionnels et de ceux du quotidien84 (Debarbieux et Vanier, 2002). Une configuration en « mille-feuille » qui brouille les cartes et pose la question de la pertinence heuristique du territoire. Car, avec l’outillage conceptuel disponible, comment distinguer des espaces définis par les mêmes attributs ? N’est ce pas d’ailleurs un leitmotiv politique que de s’appuyer sur cette confusion ? « Mais quel sens ont ces nouveaux territoires85 ? Sont-ils autre chose que des constructions virtuelles, au mieux (au pire) des reconstructions fondées sur « l’espace vécu » d’une société passée qui hantent les représentations nostalgiques de la société présente?» (Tesson, 2004, p. 10). De fait, on peut se demander s’il n’existe pas, dans le contexte français, une réappropriation par les politiques publiques des supposées vertus « socio-culturelles» du territoire. Un glissement vers une acception plus particularisante du territoire qui serait donc le reflet de l’empreinte et de l’emprise de la version républicaine du territoire « Westphalien », garant et symbole de l’unité de la Nation et outil de régulation de l’État-provi dence. À l’instar de J. Lévy, il nous semble donc important de souligner la « dimension discursive » de l’aménagement du territoire, qui dans « sa version « républicaniste » marquerait une entréeen crise profonde du modèle par mise en visibilité des contradictions entre le mythe et l’action concrète » (2000, p. 163). Le territoire fut le corollaire moderne de la citoyenneté, une vision de l’organisation spatiale permettant d’établir la prédominance du politique urs le culturel, des principes civiques sur les passions ethniques (Badie, 1995). Paradoxalement, en tant qu’outil servant à dépasser les particularismes traditionnels, il a nécessité un ancrage puissant devant permettre de donner à cette construction culturelle les vertus du substrat ontologique : « Le territoire clairement identifié et solidement structuré, était devenu lacible et l’effet d’une véritable mystique nationale, née de la révolution, et d’une sorte d’esthétique de la raison, héritée de la lumière ; cette conception fusionnelle du territoire, architecture spatiale et représentation collective n’hésitant pas à revendiquer une portée universelle » (Touraine, 1992, p. 261).
Lors de notre DEA (Banos, 2003), nous avions ainsi travaillé l’hypothèse d’un territoire devenu lui-même une norme d’appartenance, une valeur patrimoniale renvoyant davantage à un espace métaphorique qu’à un espace d e mise en commun permettant de créer un lien social éthique et légitime. En fait, à la lumière de l’analyse des mythes comme systèmes sémiologiques proposée par R. Barthes (1995 [1957]) on entre dans les mécanismes permettant au mythe territorial, garant d’un universalisme minimal, d’être récupéré – dans un procédé d’inversion – par les revendications identitaires86. En effet, comme tous les méta-récits, le territoire, est soumis à la déconstruction. Libérés de leur contexte historique de production, restreints à des attributs emblématiques, les signes du territoire se distendent, flottent et sont réappropriés, éparpillant ainsi sleéléments constitutifs du système territorial : D’une certaine manière, la dimension de la pratique et du vécu pour une part, celle du symbolique et de la culture d’autre part, celle de l’action et du politique enfin composent des univers territoriaux de plus en plus autonomes » (Micoud et Fourny, 2002, p. 41). Le territoire prendrait ainsi un caractère impératif et interpellatoire, arborant un style unitaire, alors même que sa signification devient indépendante de son contenu. Son statut de mythe lui donnerait un sursis artificiel dans lequel il s’installerait à son aise, devenant ainsi une forme réifiée de vie sociale.
Dès lors, on entrevoit les difficultés posées parel « tout-territorial » (Debarbieux et Vanier, 2002) pour répondre à la fragmentation culturelle des principes organisateurs de notre polis ». Réapproprié au sein de stratégies identitaires, le territoire serait brandi en tant que bien commun », souvent réduit à un simple rôle de marqueur et d’identifiant social. Pire, il pourrait faire l’objet d’une instrumentalisation de ses pseudo-vertus socio-culturelles au service d’une légitimation des différentiations sociales et sous le prétexte de retrouver une cohésion sociale et/ou une organisation politique héritée : «Le territoire n’apparaît plus alors comme un espace issu d’usage et d’histoire, mais de façon plus forte comme un instrument au service de la reproduction d’un groupe […] C’est ce tte fonctionnalisation de sens qui conduit une (re)production volontaire par les acteurs, élus ou techniciens, qui ont explicitement la charge du territoire dans et par ses représentation. Dans les modes et objets de l’intervention sur le territoire se constitue en effet, et forme un champ autonome, une intervention que l’on pourrait qualifier de « culturelle ». Celle-ci redonne une existence au territoire par le discours et fait de l’aménagement non plus une finalité mais une opportunité pour un discours d’existence. Elle utilise également les valeurs attachées au territoire pour l’ériger en bien commun par lequel peut se constituer une identité collective» (Micoud et Fourny, 2002, p. 41). Comme l’explicite également M. Lussault (2003), toute action politique élabore et médiatise un modèle territorial, c’est-direà qu’elle s’appuie fortement sur une représentation rétrospective, actuelle et prospective de l’organisation légitime du territoire qu’elle structure. « L’imagibilité » et « le régime de visibilité »du territoire sont ainsi exploités au maximum car ils permettraient de convertir les normes et les idéologies en lieux . Fruit d’une sélection, cette mise en scène du territoire par le biais des images ou des récits 86 « En échouant dans une universalisation mal-conçue et mal maîtrisée, parfois caricaturale et forcée, le modèle stato-national est entré dans une crise sévère qui n’a pas permis d’actualiser ces processus à la face du monde, ni même de les pérenniser là où ils ont vu el jour. Il est cependant illogique de supposer que l’institution territoriale puisse être récupérée à des fins contrai es, pour servir de fondement à l’inflation ident itaire qui s’en dégage et pour construire, sur ces ruines, de nouveaux État-Nations » (Badie, 1995, p. 103).
possèderait une vertu performative87 par l’intermédiaire d’un discours incantatoire et prophétique, car si le politique a le pouvoir de délimiter le territoire et d’annoncer sa naissance, au-delà, il veut créer la conscience de ce territoire (Tesson, 2004). De fait, le territoire ne serait-il pas devenu un dispositif d’autorité à part entière88 ?
Si le territoire apparaît ainsi comme une conceptualisation des rapports à l’espace difficilement dépassable dans l’objectif de compréhension de l’existence humaine, il est toutefois nécessaire, du fait de la «fonctionnalisation de sens » dont le territoire ferait l’objet et de la complexité des appartenances territoriales actuelles, d’essayer d’aller voir au-delà, sous peine de participer à ancrer, à naturaliser ce s phénomènes, c’est-à-dire finalement « de favoriser l’éclosion de nouveaux discours identitaires, au lieu de considérer d’un œil critique ceux qui existent » (Claval, 1996, p. 110).
|
Table des matières
Première partie : De la construction théorique à l’opérationnalisation du questionnement : Les enjeux du « vivre ensemble »
Chapitre 1 : Les enjeux de la double publicisation des campagnes au crible de l’analyse culturelle
Chapitre 2 : Réflexions autour du rôle de l’espace dans un processus de production de normes sociales
Chapitre 3 : De la méthode comme moment théorique à l’opérationnalisation de la grille analytique
Deuxième partie : Reconstruction des contextes d’action
Chapitre 4 : Le monde agricole au « pays de l’Homme », une visibilité à questionner
Chapitre 5 : Identification des occasions de co-présence ponctuelles
Chapitre 6 : Description de quelques situations de co-présence ponctuelles et routinières
Troisième partie : De l’idéologie patrimoniale à la recherche des échappés du territoire
Chapitre 7 : La patrimonialisation comme « propriété structurelle » des situations de coprésence ponctuelles
Chapitre 8 : Les échappés du territoire, entre moments de lieux et construction d’un « monde commun »
Conclusion
Télécharger le rapport complet