La place de l’éducation thérapeutique (ETP) (1,2) dans la prise en charge du diabète de type 2 n’est plus à démontrer depuis plusieurs années. En effet, selon la synthèse de méta analyses de Lagger G, Pataky Z, et Golay A en 2009 (3), l’efficacité de l’ETP auprès des patients est établie dans 60% des études quelle que soit la pathologie concernée. Cette efficacité s’applique aussi bien sur des critères biocliniques, pédagogiques, psychosociaux ou économiques. (3,4) Du côté des médecins généralistes qui suivent les patients atteints de maladies chroniques, de nombreuses études ont également été faites. Ces études portaient sur l’implication des médecins et les freins à la réalisation de l’ETP en cabinet libéral (5,6). Les médecins généralistes reconnaissent la pertinence de l’ETP pour leurs patients et expriment les mêmes freins quelque que soit l’étude (5) : le manque de formation, de temps et de revalorisation professionnelle (6). De ce fait, la réalisation de l’ETP en soins primaires se fait majoritairement par l’adressage des patients aux organisations de soins ambulatoires dédiées par leur médecin traitant.
Guide d’entretiens
PATIENT : comment le médecin perçoit le passage à l’ERET pour son patient?
– Compréhension du patient de sa maladie / autonomie de soins
– Cheminement, acceptation de sa maladie chronique
– Prise de conscience de l’importance de la thérapeutique non médicamenteuse et des RHD*1 / démédicalisation
– Observance du traitement / adhésion au parcours de soins
– Mieux être psychique du patient / Meilleure qualité de vie
– Rôle anxiogène de l’ERET et de l’ETP
– Amélioration clinicobiologique
– Diminution des complications aigues, chroniques
– Perception des résultats par les patients eux-mêmes
– Questionnement différent des patients
– Changement de rôle du patient et évolution des attentes des patients
– Notion de patient expert / cothérapeute
– Évocation spontanée du passage à l’ERET par le patient en consultation .
MEDECIN : comment le médecin perçoit le passage à l’ERET dans sa pratique et dans sa relation avec son patient ?
– Intérêt de l’HbA1C*2 dans la prise en charge du diabète et ROSP*3
– Modification de la gestion de la consultation et du temps dans la consultation
– Liens avec ERET et comptes rendus
– Modalités d’adressage et de prescription du passage à l’ETP organisées par l’ERET
– Freins de participation aux ateliers de l’ERET
– Changement dans la relation et la communication médecin-malade
– Perception du médecin traitant vis-à-vis de l’ERET / Attentes du médecin
– Validation des méthodes d’ETP réalisées par l’ERET
– Limites de l’ERET / Pistes d’amélioration .
ERET : des atouts et un confort professionnel pour la majorité
Huit médecins ont une bonne perception de l’ERET en tant que structure utile pour les patients et pour eux-mêmes. Ils notent beaucoup de retentissements positifs sur leur pratique suite au passage de leurs patients au programme éducatif. Cela représente pour la majorité de l’échantillon interrogé une aide extérieure avec un soutien pour le médecin, une prise en charge pluridisciplinaire, ou encore une prise en charge globale et complémentaire aux consultations, voire une nouvelle conception de l’exercice de la médecine !
E9 L.394 et 407 : « Dr : de façon très positive. […] C’est une aide précieuse. […] On délègue quoi. » E4 L.478 à 485 : « Dr : on peut plus concevoir la médecine sans, sans activité extérieure. […] c’est important […] d’avoir, effectivement des soutiens extérieurs. » .
Les atouts du passage au programme éducatif résident, selon les médecins interrogés, dans les méthodes utilisées par l’ERET. Ainsi, une majorité pense que le travail en groupe est un plus pour les patients, que ce soit en termes d’apprentissage avec une méthode pédagogique adaptée ou dans la motivation. La notion de groupe de pairs change la position du patient par rapport à sa posture singulière avec le médecin en consultation. E5 L. 423 à 432 : « Dr : Euh, quand on, quand on voit des groupes fonctionner. T’as une personne qui dit une bêtise, t’as l’autre derrière qui dit, “ben non attendez, madame, c’est pas comme ça, voyons, réfléchissez !” Et, et ça fait avancer le groupe. […] Parce que, c’est toujours plus facile d’avancer quand c’est quelqu’un qui a la même chose que toi qui te donne la solution, plutôt que quand c’est un …, celui qui a le savoir qui apporte. C’est le même principe que pour les internes, on est censé ne pas donner la solution […]. C’est le même principe, quand tu trouves toi-même la solution, ça rentre bien plus vite que quand c’est quelqu’un qui te la donne. » E7 L.77 à 78 : « Dr : Peut-être que de le voir en groupe, ça motive plus. » .
Outre la pédagogie adaptée, des médecins citent l’importance de la gratuité ou du faible coût de la prise en charge diététique et physique, comme autre atout. E7 L.111 à 116 : « Dr : moi je le prescris surtout pour […] prise en charge avec une diététicienne […] un frein financier […] au départ […] C’est dans ce sens-là, que je prescrivais l’ERET. » Le confort professionnel passe aussi par le soutien ou la valorisation que peuvent ressentir les médecins grâce à l’intervention de l’ERET. En effet, ils attendent tous l’aide de l’ERET pour faire évoluer le comportement de leur patient. Même si cette attente est parfois cachée, certains affirment clairement qu’ils ont besoin d’un soutien face à la lassitude engendrée par l’ETP réalisée seuls au cabinet. Grâce à ce programme, les praticiens se sentent valorisés devant les résultats objectifs des patients, et sont moins seuls face à ce travail colossal qu’est l’éducation aux RHD.
E10 L.260. 261 et 267 : « Dr : De ma part (sourire), quelque fois ça commence à être un petit peu lassant […] Oui. C’est moins décourageant de ne pas être seule.» Cette attente paraît d’ailleurs dans les motifs d’adressage. La plupart des interrogés s’accorde à dire qu’ils envoient majoritairement les patients pour une aide à la prise en charge des RHD. Sept d’entre eux les adressent pour la diététique et cinq pour l’activité physique.
E5 L.77 à 79 : « Dr : La première des raisons, c’est que ce soit quelqu’un qui ait besoin, euh, d’avoir une idée, euh, sur le plan de son, de la diététique. » E6 L28. 29 : « Dr : La prise en charge diététique, après tout ce qui est activités physiques. » Les médecins peuvent exprimer minoritairement d’autres attentes du passage à l’ERET dans leur motif d’adressage, mais toujours pour une aide à l’accompagnement du patient (difficultés d’observance, comorbidités, diabète déséquilibré, aide à la mise en place d’un traitement médicamenteux). Deux généralistes nous confient également prescrire l’ERET aux patients demandeurs.
ERET : … mais aussi un contexte de prescription médecin-dépendant à plusieurs niveaux
Il est intéressant de noter que tous les médecins n’adressent pas les mêmes types de patients au programme éducatif. Les motifs et la proportion d’adressage varient en fonction de la formation et de l’intérêt du médecin à l’ETP. Seuls deux généralistes proposent l’ERET de manière systématique. Ces derniers sont formés à l’ETP et ont eu tous les deux, un rôle lors de la création des organismes antérieurs à l’ERET. E 9 L. 344 à 347 : I : « Est-ce que vous avez l’impression de le proposer à plus de personnes ? Dr : Euh […] Moi, c’est un peu systématique, hein, je pense que j’ai été sensibilisé dès le début, puisque j’ai été de l’aventure. » La proportion de participation est très variable d’un médecin à l’autre. Deux médecins en adressent beaucoup comme vu précédemment. D’autres ne connaissent pas la proportion de participation de leurs patients et enfin trois n’adressent qu’une infime partie de leur patientèle. Quant à l’évolution de prescription, on note également une grande hétérogénéité selon les médecins. Pour quatre des généralistes, il n’y a pas d’évolution dans l’adressage. En effet, soit ils étaient dès le début sensibilisés à ce sujet ou soit, il n’y a pas de possibilité d’adresser plus de patients devant des freins de participation aux ateliers. E5 L. 725. 726 : « Dr : non, … parce que ça tu ne peux pas élargir le type de patient, puisque de toute manière, tu as que certaines zones… » Trois médecins ont diminué, voire arrêté leurs prescriptions, dont deux d’entre eux, du fait des mauvais échos de l’antenne locale. E8 L.115 à 118 : « Dr : J’en ai pas en tête qui sont sortis bénéfiques de ce programme. […] Et je vous dis, ça doit faire un an ou deux ans que j’en envoie plus. » .
Un autre généraliste, qui adressait beaucoup de patients à l’ERET au début de son exercice en PSLA, déplore sa diminution de prescriptions. E2 L 29 à 36 : « Dr : Ça s’effrite au fil du temps. […] Ça s’est beaucoup effrité. […] la première année on a eu une trentaine de personnes […] et puis au fil du temps ça s’est complètement délité. » Enfin trois autres ont augmenté leurs prescriptions car ils y pensent davantage. Ils ont plus le réflexe de les adresser à ce programme éducatif, même s’il n’y a pas toujours d’évolution aux motifs d’adressage. E10 L. 225 : « Dr : oui, je le prescris beaucoup plus qu’avant je pense. ».
Un retentissement sur le contenu de la consultation unanime mais médecin dépendant
Par ailleurs, une grande majorité de généralistes évoque une gestion différente des consultations. La moitié affirme qu’ils gagnent du temps dans les consultations avec des patients éduqués (moins de répétitions des RHD et pas de changement de traitement médicamenteux). E6 L.249 à 254 : « Dr : je pense que je passe un petit peu moins de temps à […] si on modifie pas les traitements […] on va être plus rapide. On va effectivement passer un petit peu moins de temps à réexpliquer […] niveau alimentation, niveau activité physique […] C’est vrai que […] on passe moins de temps. » .
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Table des matières
INTRODUCTION
MATERIELS ET METHODE
RESULTATS
Résultat du passage à l’ERET pour leurs patients
Résultats du passage des patients à l’ERET sur le vécu professionnel des médecins et leur ressenti
DISCUSSION
Les limites et forces de l’étude
Comparaison des résultats avec la littérature
Réflexion sur la pratique professionnelle : diverses influences dans la prescription à l’ERET
Evolution de la conception de l’exercice médical : du médecin paternaliste à la notion de cothérapeute
Paradoxe entre la vision de l’ETP des médecins et leur pratique
Pistes d’amélioration
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES