REFLEXION ET LA PERIODE DE TRANSITION
Choix et questionnements de départ
Comme mentionné de manière succincte précédemment, ce mémoire porte sur le thème de la reconversion professionnelle dans l’enseignement primaire. En effet, nous allons nous intéresser aux personnes qui, après avoir travaillé dans une profession durant plusieurs années et ayant été indépendantes financièrement, ont décidé de se tourner vers une seconde formation, pour embrasser une carrière d’enseignant. Ainsi, au sein de la HEP BEJUNE, nombreux sont les étudiants qui possèdent une expérience professionnelle antérieure. Il n’est pas rare non plus, lors de stages pratiques, de croiser dans la salle des maîtres, des enseignants de seconde carrière. Alors que nous pensions avoir affaire à des cas isolés, nous découvrons aujourd’hui que ce phénomène tend à se répandre au fil des années. Dans ce travail, nous chercherons à comprendre si cette « première vie » a aujourd’hui, un impact sur leur enseignement, mais également à savoir, comment ils se perçoivent vis-à-vis de leurs collègues enseignants qui ont, quant à eux, effectué un cursus « classique ». Le regard des autres est-il différent en raison de leur parcours ?
Désirs de changement de la société Aujourd’hui, encore bien plus qu’hier, les reconversions professionnelles ou transitions professionnelles sont fréquentes et sont entreprises de plus en plus souvent. Ceci est appuyé par un article, paru en ligne dans le journal Le Temps, le 24 février 2017, qui met en évidence que 49% des femmes et 40% des hommes en Suisse auraient décidé de changer de profession. Par ailleurs, toujours selon ce même article, une personne sur cinq pense avoir choisi le mauvais métier. Ce qui nous laisse penser que nous ne considérons plus une bifurcation professionnelle comme un échec au cours de sa carrière, mais davantage comme une marque de courage, de changement. Notre société change et ne cesse d’évoluer jour après jour, c’est pourquoi ce qui était autrefois difficilement acceptable peut parfois être entrepris aujourd’hui de manière presque anodine.
Par le passé, les gens choisissaient une profession et en général, s’y tenaient pour la vie. À ce jour, une part de la société se met à effectuer des changements de voies, de métiers, de domaines disciplinaires prenant ainsi une nouvelle direction et réalisant une bifurcation dans leur vie professionnelle, mais également personnelle. Ainsi, comme le mentionnent Mazade et Hinault (2014), les individus ont aujourd’hui la volonté « d’avoir plusieurs vies en une seule et de disposer de dispositifs de réversibilité dans leur parcours de vie » (p.3). Notre société est en perpétuelle évolution et la possibilité de changer de profession semble être une adaptation à ce mouvement quasi incessant. Cependant, changer de profession reste difficile à effectuer tant les obstacles à gérer sont multiples et peuvent différer selon les individus.
État de la question
Selon une étude menée par l’Office fédéral de la statistique (OFS)1 parue en 2018 (cf figure 1), on constate que l’âge moyen des entrants en HEP2 pour la formation primaire est de 23,1 ans. Contre 20,6 ans pour les entrants en HEU3, soit 2,5 ans de plus. Ceci s’explique notamment par le fait que les HEP offrent une possibilité de reconversion aux personnes ayant déjà une première vie professionnelle. Cependant, 23,1 ans est également l’âge moyen des entrants en HES4, expliqué par le fait que pour y entrer il faut être en possession d’une maturité professionnelle, certificat qui s’obtient plus tard dans le cursus et donc nécessite plus de temps qu’une maturité gymnasiale (HEU). Concernant les hautes écoles universitaires et spécialisées, les étudiants entrants étaient plus jeunes en 2016/2017 que dix ans auparavant. En revanche, la tendance est inversée pour les hautes écoles pédagogiques, puisque l’on constate qu’en 2007/2008 l’âge moyen était de 22,3 ans contre 23,1 une décennie plus tard. Comme le souligne l’OFS, cette augmentation est en partie imputable aux candidats effectuant une reconversion professionnelle, phénomène qui semble s’accentuer avec le temps, comme en font état les travaux de Tigchelaar, Brouwer et Vermunt (2010). En effet, ces derniers observent par ailleurs que de nombreux systèmes éducatifs offrent, à ce type d’enseignants modernes, de nouvelles formations.
Complexité du métier
Selon Hélou et Lantheaume, (2008), de nombreux éléments apparaissent dans les récits d’enseignants comme étant à l’origine de leurs difficultés dans le métier. Relations tendues avec les parents, sentiment d’abandon par une institution peu solidaire, usure mentale, fatigue, sentiment d’échec, telles sont les données recueillies de façon récurrente chez les enseignants. Dans ce même article, les auteurs mettent en avant le fait que « les professeurs soulignent la difficulté à gérer un “travail interminable aux résultats improbables” et la façon dont “la vie professionnelle empiète en permanence sur la vie privée” (p.68). En résumé, même lorsque les enseignants quittent la classe, bien souvent les pensées et problèmes de l’école les accompagnent jusqu’à leur domicile. Pour Paquay (1994), le rôle de l’enseignant se complexifie, car la société change et les fonctions de l’école sont modifiées, impactant donc de ce fait les tâches de l’enseignant qui se multiplient. En plus de ses modifications incessantes, le statut social de l’enseignant ne cesse de baisser. On attend de lui qu’il compense le manque de disponibilité des parents dans l’éducation des enfants, d’adapter ses cours pour des élèves surinformés, alors que dans le même temps, les objectifs scolaires fixés par le programme sont de moins en moins réalisables.
Des conflits d’identité et de valeur sont alors réguliers chez les enseignants. De nombreuses difficultés sont croissantes telles qu’organiser des apprentissages dans des classes hétérogènes, avec des élèves qui n’admettent plus aussi facilement les règles de vie en société. L’image des enseignants tend à se dégrader dans cette même société, ce qui rend difficile le développement d’une image du « soi professionnel » positive. L’image positive de l’enseignant et les éléments réconfortants peuvent passer par le salut et la reconnaissance de ses proches. Mais également par le plaisir des élèves, la collaboration et la solidarité entre collègues, la bienveillance des parents d’élèves. En effet, bien que les résultats et objectifs soient souvent difficilement visibles pour des personnes externes à la profession, et de ce fait peu valorisés, le bonheur de l’enseignant réside parfois dans de petites choses, perceptibles en classe ou dans certaines actions d’élèves au quotidien.
Motivations à devenir enseignant
Dans leurs travaux, Berger et D’Ascoli (2011), suivent la proposition théorique de Kyriacou et Coulthard (2000) qui catégorisent les motivations à devenir enseignant en trois types : Les motivations altruistes qui font partie de la sensibilité de la personne et oeuvrent essentiellement au bénéfice de la collectivité, comme le désir de travailler avec des enfants, contribuer à l’amélioration de la société ou encore aider les élèves à réussir. Viennent ensuite les motivations intrinsèques, qui sont quant à elles indissociables de l’intérêt porté pour une activité ainsi qu’au plaisir qui en résulte. La passion pour le métier ou l’envie de transmettre ses connaissances en sont deux exemples. En dernier lieu, les motivations extrinsèques, en lien avec ce qu’offre la profession et son cadre. En majeure partie distinguées par l’obtention de récompenses à la suite d’une action. Les vacances, la stabilité de l’emploi, le salaire ou encore le statut social qu’offre la profession peuvent être cités. En consultant les résultats de nombreuses études (Bruinsma & Jansen, 2010, Krecic & Grmek, 2005, Kyriacou & Coulthard, 2000), il est possible d’affirmer que les motivations altruistes sont les plus fréquemment citées lors des entretiens auprès des enseignants du primaire. Comme selon l’étude de Krecic et Grmek (2005), qui donne l’exemple typique d’un individu qui embrasse la carrière d’enseignant, par désir de travailler avec des enfants, ou participer à l’amélioration de la société. Il faut cependant noter que ces motivations sont largement citées par les enseignants du primaire en comparaison avec leurs homologues du secondaire.
En revanche, les motivations extrinsèques sont bien plus rarement mentionnées comme étant les raisons de leur choix de profession. Il faut toutefois être conscient qu’il n’est pas aisé d’affirmer que les vacances ou le salaire sont les raisons principales pour lesquelles ils ont choisi d’enseigner. Aussi, comme le mentionnent Richardson et Watt (2005), « La possibilité de concilier vie de famille et vie professionnelle est offerte par le métier d’enseignant, ce qui peut attirer, selon certaines études et au contraire des croyances populaires, tant les hommes que les femmes » (p.117), il s’agit donc d’un attrait de la profession, non négligeable au moment du choix.
Reconversion volontaire et impacts
Négroni (2005), s’intéresse à la reconversion professionnelle, dite volontaire et à ses impacts sur l’individu. Ce qui est élémentaire dans ce travail, car l’intérêt n’est pas seulement lié aux obstacles rencontrés professionnellement, mais également à toutes les répercussions qui ont lieu sur le plan personnel de l’individu en reconversion. Ainsi, Prestini (2007) dit qu’une bifurcation professionnelle a pour but d’opérer une évolution personnelle, « de faire correspondre son métier à certaines valeurs, à certaines convictions au regard de la société » (p.69), l’individu va donc, en quelque sorte, perpétrer une transformation identitaire. Roger et Othamane (2013) parlent, quant à eux, de l’équilibre entre la vie professionnelle et privée, primordial pour qu’un individu se sente en situation de bien-être. C’est ce même équilibre qui doit lui permettre de trouver un travail qui a du sens pour lui. Ainsi, il est supposable que les individus qui ont quitté leur premier emploi pour un autre étaient à la recherche d’une certaine reconnaissance, d’une profession dans laquelle ils pourraient développer de nouvelles compétences en accord avec leur identité personnelle. C’est ce que semble relayer les propos de Sardas (2008), cité par Roger et Othomane en 2013, qui disent :
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Table des matières
REMERCIEMENTS
AVANT-PROPOS
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES ANNEXES
INTRODUCTION
CHAPITRE 1. PROBLEMATIQUE
1.1 DEFINITION ET IMPORTANCE DE L’OBJET DE RECHERCHE
1.1.1 Choix et questionnements de départ
1.1.2 Désirs de changement de la société
1.2 ÉTAT DE LA QUESTION
1.2.1 Entrées en hautes écoles de Suisse
1.2.2 Voies d’admission de la HEP BEJUNE
1.2.3 Métier d’enseignant
1.2.4 Complexité du métier
1.2.5 Motivations à devenir enseignant
1.2.6 Reconversion volontaire et impacts
1.2.7 Obstacles liés à la reconversion
1.3 QUESTION ET SOUS-QUESTIONS DE RECHERCHE
1.3.1 Identification de la question de recherche
1.3.2 Sous-questions de recherche
CHAPITRE 2. METHODOLOGIE
2.1 FONDEMENTS METHODOLOGIQUES
2.1.1 Recherche qualitative
2.1.2 Approche inductive
2.2 NATURE DU CORPUS
2.2.1 Entretien semi-directif et guide d’entretien
2.2.2 Choix des sujets
2.3 METHODES ET/OU TECHNIQUES D’ANALYSE DES DONNEES
2.3.1 Transcription des entretiens
2.3.2 Traitement et l’analyse des données
CHAPITRE 3. ANALYSE ET INTERPRETATION DES RESULTATS
3.1 PARCOURS DE VIE (LIE A LA PERSONNE)
3.1.1 Naya
3.1.2 Elodie
3.1.3 Florian
3.2 REFLEXION ET LA PERIODE DE TRANSITION
3.2.1 Admission
3.2.2 Motivations (push & pull)
3.3 OBSTACLES
3.3.1 Entourage
3.4 FORMATION
3.4.1 Aspects liés au parcours atypique
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BIBLIOGRAPHIE
WEBOGRAPHIE
ANNEXES :
ANNEXE 1 : GUIDE D’ENTRETIEN POUR NAYA, ELODIE ET FLORIAN
ANNEXE 2 : GUIDE D’ENTRETIEN POUR SEBASTIEN
ANNEXE 3 : EXTRAIT D’ANALYSE DE L’ENTRETIEN DE NAYA
ANNEXE 4 : EXTRAIT D’ANALYSE DE L’ENTRETIEN D’ELODIE
ANNEXE 5 : EXTRAIT D’ANALYSE DE L’ENTRETIEN DE FLORIAN
ANNEXE 6 : EXTRAIT D’ANALYSE DE L’ENTRETIEN DE SEBASTIEN
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