Vers des systèmes hybrides
Coupler un résonateur optomécanique à un autre dispositif quantique permet de contrôler et de sonder l’état quantique du résonateur mécanique grâce à cet autre système, tout en jouissant des possibilités de contrôle et de détection du second. Du point de vue de l’information quantique, l’intrication des deux systèmes permet l’élaboration de réseaux quantiques pour le transfert et le stockage de l’information [9, 10, 11]. L’enjeu repose, d’une part, sur la réalisation de portes logiques efficaces au niveau quantique, d’autre part sur la capacité à stocker et à transférer l’information quantique de façon fiable sur de longues distances. Par leur capacité de couplage quasi-universelle, les systèmes optomécaniques permettent d’établir un pont entre les différents types de systèmes quantiques et, ainsi, de profiter des avantages de chaque type d’architecture. Certains offrent une forte interaction, idéale pour le calcul, d’autres offrent de très longs temps de cohérence, idéaux pour les mémoires, et d’autres, enfin, permettent le transfert d’information quantique sur de longues distance. Principalement deux champs de la physique sont au centre de ces développements, et ont déjà permis l’amorce de briques de base pour le traitement de l’information quantique : la physique atomique [12], et la physique du solide [13]. Grâce à leur forte interaction avec la matière, les photons aux fréquences optiques sont les candidats privilégiés pour l’implémentation de mémoires optiques dans les milieux atomiques, comme cela a déjà été montré dans les vapeurs atomiques [14], les atomes froids [15], ou encore les solides cristallins [16]. Il en va de même pour le transfert de l’information quantique, puisque les photons peuvent se propager sur des dizaines de kilomètres dans des fibres optiques sans absorption. Les systèmes optomécaniques opérant aux fréquences optiques sont donc de très bons candidats pour l’interfaçage et la transduction d’information quantique.
Différents systèmes hybrides ont d’ores et déjà été développés, comme le couplage de résonateurs mécaniques au spin électronique d’un électron dans un solide [17], le couplage d’une boîte de paire de Cooper [18], ou encore à des Qubits supraconducteurs [19]. Malgré les avantages qu’offrent de tels systèmes, les compromis entre les qualités électriques, optiques, ou mécaniques des systèmes, limitent les temps de cohérence de la nano- à la micro-seconde. Pour pouvoir profiter des avantages de chaque système, il est donc nécessaire de pouvoir séparer leurs environnements. Deux types de systèmes hybrides sont particulièrement prometteurs. Ceux couplant des résonateurs optomécaniques aux atomes, qui offrent la possibilité d’utiliser la véritable “boîte à outils” développée depuis plusieurs dizaines d’années pour le contrôle des degrés de liberté internes ou externes des ces derniers. Et ceux couplant des résonateurs optomécaniques et des circuits micro-ondes, qui offrent la possibilité d’utiliser les techniques novatrices de la physique du solide, telles que les atomes artificiels pour créer des portes logiques [20]. Dans les deux prochaines sections nous allons esquisser les principales caractéristiques nécessaires pour le développement d’un système optomécanique performant, permettant l’hybridation avec chacun de ces deux systèmes.
Le couplage avec des atomes
Comme exposé précédemment, l’avantage d’un tel couplage est la diversité des techniques de manipulation et de mesure développées par la communauté de la physique atomique permettant un contrôle extraordinaire sur l’état quantique d’atomes ou encore d’ions, à l’échelle unique ou collective. De plus, ceux-ci offrent de très longs temps de cohérence, indispensables pour le stockage de l’information quantique. On recense principalement deux propositions expérimentales pour coupler des atomes à un résonateur mécanique via la pression de radiation. La première, développée dans l’équipe de H.J. Kimble au Caltech, couple un seul atome, piégé dans le champs optique d’une cavité à une membrane insérée dans cette même cavité (Figure 0.4 a). La mise en cavité des systèmes a l’avantage d’augmenter le couplage grâce au recyclage des photons par les miroirs. Cependant, combiner les techniques nécessaires à la manipulation d’atomes froids avec un environnement cryogénique semble expérimentalement très contraignant pour le résonateur [21]. La deuxième, développée dans le groupe de P. Treutlein, à Bâle, présente l’avantage d’isoler l’environnement du mode mécanique de celui des atomes : le résonateur mécanique est inséré dans une cavité Fabry-Perot et le faisceau réfléchi par cette dernière est utilisé pour piéger les atomes froids grâce à la force dipolaire [22].
Réflecteurs à cristaux photoniques membranaires
Contexte et objectifs
Les cristaux photoniques, introduits pour la première fois par Yablonovitch et John en 1987 [32, 33], sont des milieux électromagnétiques dont la constante diélectrique est modulée de façon périodique dans une ou plusieurs directions de l’espace réel [34]. Ces vingt dernières années, grâce au développement informatique permettant la résolution et la simulation des équations de Maxwell dans des milieux complexes, ainsi qu’à l’amélioration des technologies de croissance et de gravure des semiconducteurs, le domaine des cristaux photoniques a connu un véritable essor. Ces structures offrent la possibilité d’un contrôle modal et spatial de la lumière suscitant un vif intérêt pour la communauté de l’optomécanique. Le premier système optomécanique à avoir été observé dans son état quantique fondamental est d’ailleurs un résonateur utilisant ce type de structure [35].
Conventionnellement, la haute réflectivité des résonateurs optomécaniques est assurée par des dépôts de couches diélectriques formant un miroir de Bragg sur les résonateurs, et qui permettent d’atteindre des réflectivités de plus de 99.999% [36]. Malgré l’incroyable efficacité de cette technologie, leurs pertes mécaniques et leur poids les mettent en défaut pour les applications en optomécanique. En effet, les hautes performances de tels systèmes sont obtenues grâce à un nombre important de dépôts successifs de couches de diélectrique dont l’épaisseur est de l’ordre du quart de longueur d’onde, une trentaine pouvant être nécessaire. Cette contrainte sur l’épaisseur des miroirs alourdit considérablement les résonateurs dont la réponse mécanique et la fréquence sont ainsi réduites. D’autre part, les matériaux utilisés pour la fabrication de ces miroirs étant bien souvent des diélectriques amorphes, ils introduisent, s’ils ne sont pas placés judicieusement [37], des pertes mécaniques ; là aussi un paramètre clef dans le développement de systèmes optomécaniques performants. Les cristaux photoniques, eux, n’entraînent pas de telles limitations. Comme nous allons le présenter dans ce chapitre, c’est la structuration périodique sub-longueur d’onde de l’indice diélectrique du milieu qui sélectionne certains modes optiques et crée ainsi des miroirs performants. De plus, de tels systèmes restent très performants pour des épaisseurs de quelques dizaines de nanomètres, permettant d’atteindre des masses très faibles. Un des autres intérêts de cette technique est qu’elle peut être utilisée sur bon nombre de matériaux diélectriques, ce qui permet d’utiliser des matériaux offrant peu de pertes mécaniques [38]. Les systèmes développés dans la communauté optomécanique peuvent être regroupés en deux catégories :
– ceux utilisant le cristal photonique pour piéger la lumière autour d’un défaut dans la direction de la périodicité. Le piégeage dans la(les) dimensions transverse(s) est généralement assuré par réflexion totale interne. En outre, de telles structures peuvent également présenter des modes mécaniques confinés lorsque la longueur d’onde mécanique devient comparable à la longueur d’onde optique (pour des fréquences mécaniques de quelques GHz). La Figure 1 présente quelques exemples de structures exploitant le couplage optomécanique entre modes optiques et mécaniques colocalisés.
– la seconde approche, développée pendant cette thèse, utilise les propriétés de diffraction d’une membrane structurée pour réaliser un réflecteur parfait en incidence normale. Le couplage optomécanique a alors lieu entre les modes mécaniques hors plan de la membrane, à des fréquences de quelques MHz, et le mode optique d’une cavité dont la membrane suspendue forme le miroir mobile. Cette configuration diffère notablement de l’usuelle configuration en miroir de Bragg, où la réflexion est assurée suivant l’axe de périodicité. Ici elle est induite dans la direction normale, utilisant un canal de couplage hors plan résultant de l’épaisseur finie du cristal. Elle est illustrée par l’image de droite de la Figure 2.1. C’est la seconde approche qui a été utilisée pour le développement du nano-résonateur présenté dans ce manuscrit. Ce chapitre est composé de la manière suivante : après un rappel des équations de Maxwell dans un milieu diélectrique homogène isotrope et sans pertes, nous allons, par des arguments de symétrie, déduire un grand nombre de propriétés des solutions de ces équations dans le cas du cristal photonique. Nous montrerons alors par un modèle simple l’origine physique des propriétés de réflexion extraordinaire des membranes à cristaux photoniques. Nous présenterons ensuite le principe de la méthode d’analyse par le couplage entre ondes planes (RCWA), et confronterons les résultats obtenus par cette méthode aux arguments physiques invoqués précédemment. Nous procéderons ensuite à une discussion sur les différents écarts possibles du comportement en réflexion, comme la taille finie du cristal photonique, ou encore la nature gaussienne du champ incident. Enfin, après avoir présenté le processus de fabrication, nous présenterons les mesures de réflectivité des échantillons réalisés.
Equations de Maxwell dans un milieu : un problème aux valeurs propres
Equations de Maxwell dans un milieu
Le champ électromagnétique d’une onde optique est décrit dans un milieu quelconque par les équations de Maxwell. Nous supposerons dans ce travail que les milieux sont homogènes, isotropes et que les champs sont suffisamment faibles pour négliger les non linéarités optiques. Les modifications des propriétés optiques du matériau traité dans ce chapitre ne seront dues qu’à la structuration de l’indice diélectrique du milieu. En l’absence de charges, de pertes et de courants, et en considérant une dépendance harmonique du champ en fonction du temps, les équations de Maxwell prennent la forme suivante :
∇.H(r) = 0
∇.E(r) = 0
∇ × H(r) = −iε0ε(r)ωE(r)
∇ × E(r) = iωH(r) .
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Table des matières
Introduction
1 Mesure de déplacement en optomécanique
1.1 La mesure interférométrique optique
1.1.1 Mesure de position avec une cavité Fabry-Perot
1.1.2 Sensibilité de la mesure de petits déplacements
1.2 Dynamique d’un oscillateur mécanique
1.2.1 Equivalence avec l’oscillateur harmonique
1.2.2 Susceptibilité effective d’un mode acoustique
2 Réflecteurs à cristaux photoniques membranaires
2.1 Contexte et objectifs
2.2 Equations de Maxwell dans un milieu : un problème aux valeurs propres
2.2.1 Equations de Maxwell dans un milieu
2.2.2 Problème aux valeurs propres
2.3 Symétrie du cristal photonique
2.3.1 Invariance par translation discrète : théorème de Bloch-Floquet
2.3.2 Cas d’un cristal membranaire
2.4 Cristaux photoniques : vers un réflecteur en incidence normale
2.4.1 Régime spéculaire
2.4.2 Approche du comportement par la théorie des modes couplés
2.4.3 La méthode d’analyse par couplage entre ondes planes (RCWA)
2.4.4 Réflecteur à cristal photonique à 1D
2.4.5 Réflecteur à cristal photonique à 2D
2.5 Discussions
2.5.1 La méthode FDTD
2.5.2 Influence de la taille du waist
2.5.3 Taille finie du cristal
2.5.4 Déviation conique
2.6 Fabrication
2.7 Caractérisation des membranes à cristal photonique
2.7.1 Mesures préliminaires
2.7.2 Mesures de plateaux de haute réflectivité
3 Conception et caractérisation mécanique du résonateur
3.1 Développement de la géométrie
3.1.1 Etude des mécanismes de perte
3.1.2 Caractérisation mécanique des échantillons
3.2 Méthode de Rayleigh appliquée à une poutre sous tension
3.2.1 Energie potentielle de flexion
3.2.2 Énergie potentielle de tension
3.2.3 Énergie potentielle élastique axiale
3.2.4 Énergie cinétique
3.2.5 Fréquence de résonance
3.3 Régime non linéaire
3.3.1 Modèle de Duffing
3.3.2 Effet statique de la non-linéarité
3.3.3 Effet dynamique de la non-linéarité
4 Mesure et contrôle du bruit thermique
4.1 Comportement d’une cavité Fabry-Perot
4.1.1 Modes gaussiens d’une cavité Fabry-Perot
4.1.2 Évolution du champ dans une cavité Fabry-Perot
4.1.3 Adaptation spatiale du faisceau incident
4.2 Conception de la cavité
4.2.1 Des coupleurs d’entrée à très petit rayon de courbure : µRoC
4.2.2 La cavité à petit col
4.2.3 Caractérisation des µROC
4.3 Présentation du montage expérimental
4.3.1 Dispositif de mesures
4.3.2 Détection de phase du faisceau réfléchi
4.4 Réponse aux forces de Langevin
4.5 La friction froide
4.5.1 Le principe de la friction froide
4.5.2 Implémentation de la boucle de rétroaction
4.5.3 Mesures de refroidissement
Conclusion