Redéfinition de l’éducation et de l’identité dans Alice’s Adventures in Wonderland

Connaissances tirées de livres et d’histoires

                 Il apparaît clairement, dès le début de l’histoire d’Alice, que son éducation occupe une place centrale et que la petite fille y accorde beaucoup d’importance. Néanmoins, il convient de définir quel type d’éducation reçoit Alice. Dans un premier temps, nous allons donc aborder l’idée que la majorité des connaissances d’Alice sont tirées de ce qu’elle a pu lire dans les livres, ou ce qu’elle a appris d’histoires ou comptines qui lui ont été enseignées. Concernant son éducation scolaire, plusieurs possibilités peuvent être envisagées. La première serait de considérer qu’Alice reçoit une éducation scolaire typique de l’ère Victorienne, à savoir qu’elle est éduquée à la maison. Cela indiquerait qu’Alice est issue de la classe moyenne voire supérieure, et donc qu’elle reçoit des leçons d’une gouvernante ou, peut-être, de sa propre mère, auquel cas la qualité de son éducation dépend largement des compétences de sa ou ses éducatrice(s). En effet, comme l’écrit Ginger S. Frost dans Victorian Childhoods au sujet des filles issues de la classe moyenne à aisée, [They] learned first at home, so the quality of their early education depended much on the skills and attention of nurses, nannies, and mothers. Dans le cas de ce mode d’éducation, il serait important de garder à l’esprit qu’Alice est restée entre les quatre murs de sa maison : cela signifierait qu’elle n’a, jusqu’à son voyage à Wonderland, probablement pas eu beaucoup l’occasion d’explorer le monde extérieur, et qu’elle est restée confinée dans un cocon familial douillet, entourée des membres de sa famille, des domestiques employés à s’occuper d’elle, de ses animaux de compagnie. Cette information jouerait un rôle majeur dans la suite du travail de recherche qui va suivre, et c’est aussi ce qui nous permettrait de considérer les aventures d’Alice au Pays des Merveilles comme une forme de voyage initiatique. Il existe néanmoins une seconde possibilité, qui consiste à considérer qu’Alice pourrait être allée à l’école. En effet, alors qu’elle est déjà bien avancée dans son voyage à Wonderland, Alice rencontre la ‘Mock Turtle’12, qui se vante d’être allée à l’école, ce à quoi la petite fille rétorque : « I’ve been to a day-school too ». C’est l’un des seuls passages du livre où Alice mentionne véritablement une école – autre qu’un possible enseignement reçu dans le cadre domestique. Elle mentionne, lorsqu’elle chute dans le terrier du Lapin, « a school-room », mais les éléments qui permettent de déterminer clairement le lieu de son éducation sont, finalement, peu nombreux. En effet, Alice ne donne que bien peu de détails quant à sa vie dans le monde réel. La question peut donc se poser : est-elle en train de mentir face à la Mock Turtle, simplement parce qu’elle est agacée par le récit prétentieux de la tortue ? Est-ce une façon de se hisser au même niveau, de prouver qu’elle a, elle aussi, des raisons d’être fière ? Ou Alice dit-elle la vérité ? Dans tous les cas, et pour en revenir aux connaissances qu’Alice a acquises grâce à cette éducation scolaire traditionnelle, nous avons donc mentionné que ces dernières étaient majoritairement basées sur des faits lus dans les livres ou entendus dans les histoires de son enfance. Cela n’a rien de surprenant, puisque la lecture était la première compétence enseignée à l’ère Victorienne, comme l’indique Deborah Gorham dans The Victorian Girl and the Feminine Ideal15. La lecture représentait à cette époque un savoir de première importance, qui permettait de se cultiver : c’était un outil indispensable à l’éducation des enfants. Les filles notamment, de par le mode d’enseignement qu’on privilégiait pour elles, apprenaient énormément de leurs lectures. C’est ce que souligne Ginger S. Frost : Girls usually excelled in literature and history, subjects that were easy to absorb from reading in family libraries, but needed more specialized help for any advanced study of ‘modern’ subjects. Nous avons choisi d’étudier dans le détail Alice’s Adventures in Wonderland, mais le deuxième volet de son aventure, qui s’intitule Through the Looking-Glass, met en scène de nombreux personnages issus de poèmes ou de comptines, faisant ainsi écho, à travers l’intertextualité, à une série de petites histoires qui peuplent le paysage de l’éducation de l’enfant. Ainsi, Tweedledee et Tweedledum sont les personnages d’une comptine britannique de John Byrom, et furent popularisés par Lewis Carroll à travers son œuvre. De même, Humpty Dumpty17 est tiré d’une chansonnette anglaise. Il est intéressant de noter que d’autres personnages apparaissant d’ailleurs dans le volet Through the Looking-Glass18, tel que le Jabberwock, sont inspirés de poèmes de Lewis Carroll lui-même. Aux références littéraires s’ajoutent donc des références de l’auteur lui-même, qui appose sa signature créatrice pour enrichir le monde d’Alice. Dans l’œuvre étudiée également, différents poèmes, comptines et chansonnettes sont récités à de nombreuses reprises – travestis, certes – mais pris comme référence tout de même. Il est ainsi fait référence, dans l’œuvre, à des nursery rhymes, que l’on peut définir comme suit : « a short rhyme for children that often tells a story ». Ces petites comptines à destination des enfants sont l’occasion d’éduquer les plus jeunes de façon ludique. Ainsi, Alice tente de réciter ces petites œuvres courtes apprises par cœur quatre fois dans le cours de ses aventures, sans jamais parvenir, néanmoins, à les réciter correctement. À quatre autres reprises, différents personnages récitent eux-mêmes des chansonnettes, poèmes et autres comptines. Ils jouent donc un rôle important dans le récit. Le premier poème que récite Alice – dans le but de se prouver qu’elle n’est pas Mabel, parce qu’elle a des connaissances que Mabel n’a pas – est How doth the little crocodile. Le poème original est How doth the Little Busy Bee, de Isaac Watts20 : Carroll a entièrement réécrit le poème de Watts. Si l’image de la petite abeille collectant le pollen des fleurs pour faire le miel est touchante et délicate, la réaction que provoque l’image d’un crocodile accueillant les petits poissons dans sa gueule souriante l’est beaucoup moins. C’est ce que souligne Mark Gabriele dans un article dédié aux problèmes d’identité rencontrés dans Alice in Wonderland : Crocodiles are primitive animals, reptiles, notorious for their insatiability when it comes to their diet of live prey. Here these meanings contribute to the gruesome montage- compounded with the cold-blooded insensitivity and fraudulent smile on the part of the crocodile, and dainty Alice has just given vent to the picture of a perverse oral sadism. Ces confusions à partir des comptines de l’enfance d’Alice sont le signe des bouleversements qui vont s’opérer durant son voyage au Pays des Merveilles. Ce sont aussi de multiples occasions, pour l’auteur, de démontrer que la sémantique et le langage sont troublés – autant que tout autre élément – à Wonderland. Les mots préservent leur signification, mais ils se mélangent les uns aux autres, et deviennent un obstacle à la compréhension. Comme ici, certains mots en remplacent d’autres, pour former un résultat totalement différent de celui qui était attendu. C’est néanmoins une idée que nous développerons plus en détails dans un chapitre ultérieur. Les livres sont donc, sans nul doute, un élément essentiel de la vie quotidienne d’Alice, mais ils influencent également sa perception et son interprétation du monde. Cela se vérifie très tôt dans son voyage à Wonderland : la façon dont elle s’adresse au premier personnage qu’elle rencontre, à savoir la Souris, et le choix des mots qu’elle fait pour communiquer avec ce personnage, sont déterminés par quelque chose qu’elle se souvient avoir lu dans un livre. Ainsi : she remembered having seen in her brother’s Latin Grammar ‘A mouse – of a mouse – to a mouse – a mouse – O mouse !. De toute évidence, avoir une conversation avec une souris est une expérience qu’Alice n’a jamais eu l’occasion de vivre auparavant, et c’est la raison pour laquelle elle s’interroge quant à la manière correcte de l’aborder. Elle utilise ainsi des souvenirs de son expérience en tant que lectrice pour gérer la situation et y trouver une solution : les livres semblent être perçus comme une source d’informations fiable lorsqu’il s’agit d’acquérir des connaissances. Ils semblent aussi avoir structuré le paysage éducatif d’Alice. Cette idée apparaît de plus en plus clairement à mesure que la petite fille explore le Monde des Merveilles : elle fait une étroite connexion entre les livres et le processus d’apprentissage, comme le démontre sa réflexion dans la maison du Lapin, alors qu’elle a tant grandi qu’elle se trouve bloquée et ne peut plus bouger : How can you learn lessons in here ? Why, there’s hardly room for you, and no room at all for any lesson-books.23 Il est donc indubitable, tout d’abord, que l’espace de la maison – un espace restreint qui ne permet pas toujours d’explorer les possibilités multiples du monde extérieur – est aux yeux d’Alice représentatif d’un apprentissage rigoureux. Il est pour elle le symbole de l’éducation. De plus, l’idée de ‘learning lessons’ et ‘lesson-books’ sont, dans son esprit, deux parties d’un tout et ne peuvent donc pas être envisagées l’une sans l’autre. L’apprentissage, selon Alice, en tout cas dans les débuts de son voyage, se fait nécessairement à partir de livres. En plus de constituer, à ses yeux, une source d’information fiable, ils sont aussi un sujet de fierté pour Alice, qui tire toujours beaucoup de plaisir à sa rappeler ce qu’elle a lu dans un ouvrage quelconque. C’est ce que démontre l’épisode final du procès, au chapitre Who Stole the Tarts ?. Il est mentionné : Alice had never been in a court of justice before, but she had read about them in books, and she was quite pleased to find that she knew the name of nearly everything there. ‘That’s the judge’, she said to herself, ‘because of his great wig’.Nous remarquons que les livres, et le patchwork de connaissances qu’ils lui ont permis d’acquérir, sont pour elle du domaine du familier ; qu’ils lui permettent de reconnaître des choses dont elle n’a pourtant jamais fait l’expérience, et qu’en cela ils constituent un repère important. C’est sans doute la raison pour laquelle la petite fille tire tant de fierté de ses connaissances théoriques : elles sont pour elle une façon de se sentir moins perdue, dans un monde où pourtant elle découvre tout. Les livres, la lecture, qui appartiennent à sa vie dans le monde réel, sont des alliés sur lesquels elle compte pour comprendre son environnement. Enfin, ces références culturelles composées de chansonnettes et comptines qui semblent peupler le paysage de son enfance – et de son éducation – et dont Alice tire une grande fierté, sont aussi souvent employés par les personnages eux-mêmes à diverses occasions25. Par exemple, la Duchesse chantonne cet air à son bébé, qu’elle manipule d’ailleurs violemment en même temps : Speak roughly to your little boy / And beat him when he sneezes / He only does it to annoy / Because he knows it teases // I speak severely to my boy / I beat him when he sneezes / For he can thoroughly enjoy / The pepper when he pleases ! Les berceuses qui font partie du monde du nourrisson – et du monde de l’enfance, auquel Alice appartient – sont ici détournées pour évoquer la cruauté du personnage de la Duchesse, dont les manières brutales mettent en danger son petit. Comme pour tout autre poème, toute comptine ou chansonnette prononcée dans le récit d’Alice, les démonstrations sémantiques sont une à une détournées, parfois tournées en ridicule et prêtant à rire, d’autres fois provoquant l’effroi d’Alice ou du lecteur. Ce qu’elles permettent en tout cas de mettre en lumière, c’est l’importance des mots dans l’esprit d’Alice – et l’importance qu’elle leur accorde sera justement peu à peu démantelée par la folie absurde de Wonderland. Pour finir, les livres et histoires qu’elle a lus ou entendus jouent également un rôle important dans la façon dont elle se perçoit elle-même – et c’est une idée développée par Kimberly Cosier dans son article intitulé « Girl Stories : On Narrative Constructions of Identity » : Stories define us and help us become. We know ourselves, and others, through a patchwork of biography, memoir, myth, parable, and prophesy. La fiction, les symboles qui la composent, les personnages qu’elle met en scène, sont autant de prétextes à l’apprentissage, autant d’éléments familiers que l’enfant mémorise et sur lesquels il s’appuie pour évoluer. D’une part, les connaissances théoriques tirées de livres, d’autre part, les enseignements de petites comptines enfantines : dans les deux cas, Alice évoque à de nombreuses reprises ce qui constituait un environnement familier dans le monde réel. Il s’agit donc d’un élément majeur, et nous allons voir comment, progressivement, Wonderland permet à Alice de prendre du recul par rapport à cette éducation théorique et d’enclencher – ou de poursuivre – un processus de construction identitaire. En effet, bien que les livres et les faits bruts qu’elle en tire aient une importance non négligeable au sens où ils permettent à la petite fille d’acquérir une base solide sur laquelle elle se repose avec confiance, ils sont insuffisants à lui enseigner certains aspects essentiels de la vie et, surtout, ils ne lui permettent pas de savoir qui elle est : cela n’est écrit dans aucun livre, l’individu seul peut le découvrir. C’est donc tout le sujet de son voyage. L’éducation scolaire dont nous avons vu qu’elle se faisait essentiellement à partir de contenus théoriques, n’est pas l’unique composante du noyau de la vie d’Alice dans le monde réel. Comme nous allons le voir, son éducation à vivre et interagir en société constitue un autre pilier pour la petite fille.

L’apprentissage perçu comme une contrainte

           Quelle image plus représentative que celle de l’enfant, soupirant à l’idée qu’il faille – encore – faire les leçons, apprendre une poésie ou un cours pour un contrôle ? Ou encore celle de l’enfant traînant des pieds, de retour sur le chemin de l’école après de longues vacances ? Il serait intéressant de s’interroger sur la raison pour laquelle le travail scolaire est communément perçu comme une corvée – une obligation qui par définition ne peut être associée à une activité amusante et plaisante. Est-ce la faute à des supports inadaptés qui ne stimulent pas suffisamment la curiosité de l’enfant ? À l’époque Victorienne, l’apprentissage théorique, nous l’avons vu, se fait essentiellement à partir de livres et leçons mémorisées par cœur, ce qui ne semble pas satisfaire pleinement à l’imagination et la vive curiosité d’Alice, bien qu’elle considère cette forme d’éducation comme un socle sur lequel elle peut se reposer pour gérer différentes situations. C’est pourtant bien la curiosité qui l’amène à plonger dans le labyrinthe de Wonderland, comme le souligne Donald Rackin : Alice enters upon her journey underground simply because she is curious. ‘Simplement’, parce qu’elle est curieuse : voilà qui est intéressant. En effet, le voyage d’Alice ne commence pas sous l’apparence d’une quête, de la recherche d’un trésor mystérieux ou quelque autre prétexte. Il ne s’agit que d’une réaction spontanée à un élément extérieur qui attire son attention – et qui la divertit de l’ennui dans lequel elle est plongée, à regarder pardessus l’épaule de sa sœur pour ne trouver qu’un livre sans ‘images ni conversations’. Cette curiosité à laquelle la petite fille cède, la tête la première, forme un contraste particulièrement frappant avec la notion de contrainte que semble lui inspirer l’apprentissage. Ainsi, une grande partie de la vie d’Alice semble être placée sous le signe de l’enseignement – et c’est en cela qu’il importe d’étudier la façon dont Alice perçoit l’apprentissage, lorsqu’il est en tout cas question de l’apprentissage théorique que nous avons vu qu’elle recevait dans le monde réel – d’autant que les théories que Wonderland met en scène trouvent leur origine dans les théories développées dans le monde réel. Par ce procédé, s’opère une déconstruction qui va au-delà même de la simple contradiction des savoirs, comme le souligne Donald Rackin : Here is a twist in Wonderland’s destructive strategy: instead of contradicting the validity of manmade constructs and conventions by merely carrying on without them,Wonderland manages in the very act of using them to be far more subversive. À partir des savoirs théoriques qui régissent le monde d’Alice et habitent les leçons qu’elle reçoit, Wonderland crée donc un entremêlement, une confusion d’informations qui laissent la petite fille perplexe – à l’image, notamment, de la notion de langage, dont Donald Rackin, que nous venons de citer, indique le caractère changeant et ambigu dans le cours des aventures d’Alice : Finally, when Alice and the strange animals emerge soaking from her pool of tears, linguistic order dissolves completely, appropriately in a dramatized pun. The Mouse announces in all seriousness that he will dry them: his method is to recite a passage from a history textbook, the « driest thing » he knows (p. 46). Here Wonder- land, through the comic agency of the Mouse and his « dry » history lesson, subverts a fundamental principle of everyday language. L’auteur ajoute, dans le même article : Such a new turn in strategy enriches the complexity of the humorous attack on above-ground convention and our illusion of cosmic order.De la contrainte que semble représenter, pour l’enfant, l’éducation scolaire, émerge donc une série d’épisodes humoristiques ayant pour but de critiquer le fondement même de la pensée du ‘monde réel’ – le monde non imaginaire, au-dessus de Wonderland. Cela est particulièrement vrai, nous l’avons mentionné, pour le domaine du langage, que nous aurons l’occasion d’évoquer à diverses autres reprises. Comme l’écrit Donald Rackin : Here, then, another above-ground assumption (one that perplexed Charles Dodgson all his life)- that ordinary language, whether written or spoken, has at least the potential to be univocaldissolves as swiftly and easily as the smiling Cheshire Cat. And as Alice’s adventures continue, this comic subversion of linguistic convention increases in both scope and intensity.. Cependant, les domaines des mathématiques, ou de la géographie, par exemple – tout champ d’étude, toute vérité en apparence convenue et acceptée comme telle – ne sont pas épargnés et deviennent, à Wonderland, capricieux et changeants, par ce phénomène de déconstruction que nous avons décrit. Nous avons émis des questionnements quant au lieu de l’éducation d’Alice : qu’il s’agisse d’un enseignement reçu à la maison et dispensé par sa mère ou une employée de maison, ou qu’Alice aille à l’école pour recevoir ses leçons, cela ne change finalement rien à sa perception du processus : cet enseignement théorique est à l’image de l’épisode de la ‘Mock Turtle’, qui traite principalement d’éducation – tout particulièrement, d’éducation scolaire. Ainsi, à travers un grand nombre de jeux de mots, l’univers de l’école est évoqué avec humour. Par exemple, il explique que leur maître se faisait appeler « Tortoise », à mettre en lien avec le verrons dans un prochain chapitre, mais elle exprime dans certaines situations un sentiment d’ennui vis-à-vis de ce mode d’apprentissage. Le premier exemple qu’il convient de noter à ce sujet se trouve au début du roman, alors qu’Alice est encore assise sur l’herbe aux côtés de sa sœur. Il est mentionné que la petite fille commence à s’ennuyer : once or twice she had peeped into the book her sister was reading, but it had no pictures or conversations in it, ‘and what is the use of a book’, thought Alice, ‘without pictures or conversations ?’. Cette réflexion révèle un aspect majeur de la personnalité d’Alice : sa perception du monde est essentiellement visuelle, et les images y jouent un rôle capital – comme c’est souvent le cas dans l’enfance. Par conséquent, un livre qui n’aurait pas d’images ou de conversations est jugé inintéressant de son point de vue. Les images sont un vecteur par lequel l’enfant visualise plus aisément ce qu’il lit ; elles ouvrent une porte sur un monde imaginaire – ce qui est hautement symbolique du voyage qu’Alice s’apprête à vivre. Qui plus est, cette réflexion d’Alice révèle qu’elle a conscience que la lecture de livres est une pratique courante dans le monde adulte ; pour autant, elle n’en comprend pas l’intérêt. C’est ce que souligne Alvin Kibel : […] the child knows what it is to read books without pictures or conversations but not what reading them amounts to once simple diversion is out of the question : what is really practice looks to her innocent eyes either mystifying or else the eccentric way her sister has of enjoying herself. Plus tard, alors qu’Alice est bloquée dans la maison du Lapin parce qu’elle est devenue immense, elle s’interroge : […] shall I never get any older than I am now ? That’ll be a comfort, one way – never to be an old woman – but then – always to have lessons to learn ! Oh, I shouldn’t like that !. Alice associe l’enfance avec l’apprentissage, et l’apprentissage lui apparaît comme une contrainte, puisqu’elle n’apprécie pas l’idée d’avoir toujours des ‘leçons à apprendre’. Alice fait ici référence à l’éducation traditionnelle, théorique et scolaire qu’elle a reçue jusqu’à présent, et il est possible d’en déduire que l’imagination de la petite fille n’est pas stimulée par ce type d’enseignement. Le même type de situation se reproduit après qu’Alice se demande si elle a été ‘échangée’ avec Mabel : récitant un poème dans le but de tester ses connaissances, puisque Mabel est visiblement d’une classe sociale plus  rend compte que les mots ne sortent pas de sa bouche comme ils sont supposés le faire, et elle en déduit qu’elle doit être Mabel, ce qui l’afflige, en partie parce que cela signifie qu’elle a encore « ever so many lessons to learn ». La relation d’Alice à l’éducation est donc paradoxale, puisqu’elle a conscience de l’importance d’acquérir de nouvelles connaissances mais que, comme beaucoup d’enfants, elle ne tire pas un grand plaisir de ces enseignements théoriques basés sur des ouvrages ou des leçons à apprendre par cœur. Elle semble les percevoir davantage comme une contrainte, une entrave à sa liberté et à son désir de s’amuser. Nous aurons l’occasion de développer l’idée que l’œuvre de Carroll présente un aspect satirique – qui touche très nettement à l’éducation traditionnelle Victorienne, entre autres. L’enfant semble forcé par le monde adulte à ‘ingurgiter’ un savoir qu’il ne comprend pas bien – et cette mémorisation obstinée ne lui apporte pas toujours les éléments nécessaires à une véritable évolution, identitaire par exemple, comme le démontre le cas d’Alice. C’est ce que semble sous-entendre la petite fille, lorsqu’elle se plaint d’être Mabel, d’avoir par conséquent encore tant de leçons à apprendre, et qu’elle envisage même de rester à Wonderland si vraiment, elle est bien devenue Mabel88. À cet instant du récit, malgré les expériences de Wonderland, qui laissent Alice souvent perplexe et confuse, elle semble porter son choix sur ce monde qui a au moins le mérite de stimuler sa curiosité et son imagination, plutôt que d’avoir à retourner dans le monde réel où l’attend un travail acharné de mémorisation. Cependant, et malgré cette contrainte que semble représenter pour elle la vie dans le monde réel – avec ses leçons à apprendre par cœur, la rigueur des enseignements et l’étendue des connaissances théoriques à acquérir pour devenir une fille, ou une femme, accomplie – c’est bien vers le monde réel qu’Alice retourne, à la fin de ses aventures. Ce retour, Gary H.Paterson l’envisage comme un rejet de Wonderland : Alice, rejecting the tedium of reality (in the opening paragraph, the book her sister is reading has neither pictures nor conversations), leaps down the rabbit hole into a dream-nightmare world of nonsense which, much later, she will reject in favor of the imperfect but much more securely livable reality above ground. Selon l’auteur de cet article, après avoir donc rejeté la rigueur et l’austérité du monde réel, Alice rejetterait l’absurdité notoire de Wonderland. Si le terme de ‘rejet’, nous le verrons, ne correspond pas exactement à l’idée que nous tenons à développer dans ce travail de recherche, il est néanmoins indéniable que le fait qu’Alice quitte Wonderland – et aussi soudainement que cela – porte une signification très forte. Nous émettrons l’hypothèse que c’est parce qu’elle arrivée au terme de sa quête, et qu’il est temps pour elle d’appliquer au monde réel les enseignements de Wonderland90. Quoi qu’il en soit, c’est bien dans le monde réel qu’est sa place : en conséquence, la contrainte lui apparaît certes comme une ennuyeuse obligation, qui semble pourtant lui être tout à fait nécessaire. Wonderland, nous le verrons, la fait considérablement évoluer, mais ne peut remplacer le cadre rassurant et sécurisant dans lequel Alice a été éduquée.

La découverte par la transgression

                La notion de transgression se manifeste de multiples manières dans le récit d’Alice au Pays des Merveilles. Alors qu’Alice est encore dans le hall, la porte qui la sépare du jardin merveilleux qu’Alice voudrait pouvoir rejoindre, lui demeure fermée ; impossible donc d’accéder au jardin. La symbolique de cette porte, demeurée close, est intéressante : une porte ouverte renvoie à une multitude de moments clés dans le processus de développement personnel. Il peut s’agir de l’ouverture sur la nouveauté, sur un nouveau monde et donc de nouvelles perspectives. Or, à ce stade, Alice n’a guère le pouvoir de franchir cette porte- et ce, pour des questions de taille : elle est toujours soit trop petite, soit trop grande pour, d’une part, se saisir de la clé et, dans un second temps, ouvrir la porte et en franchir le seuil. Cela semble indiquer qu’elle est encore à un stade préliminaire de son développement personnel et de la construction de son identité, mais ce n’est pas tout. Dans son article traitant du symbolisme de la porte, Dominique Raynaud détermine, d’une part, que la porte renvoie à une quête d’extériorité : elle peut alors englober les notions ‘Commencer’, ‘Sortir’ et ‘Ouvrir’. D’autre part, la porte renvoie aussi à une quête d’intériorité, auquel cas elle peut englober les notions ‘Finir’, ‘Entrer’ et ‘Fermer’137. Ces particularités architecturales de la porte sont le lieu d’interprétations innombrables. Alice est, face à cette porte, tout autant dans une quête d’intériorité que d’extériorité. Mais surtout, elle désire ardemment franchir cet espace, ce passage qui l’enferme, elle veut aller au-delà, et en conséquence, transgresser. D’ailleurs, l’illustration de Tenniel, représentant Alice découvrant cette porte, évoque bien l’idée d’une volonté d’exploration. On y distingue Alice, une clé dans une main, et tirant un rideau derrière lequel apparaît le minuscule passage de la porte close138. Le caractère caché de la porte de l’illustration est symbolique de la quête d’intériorité dont nous avons fait mention : elle semble mener à un endroit secret et intime, un espace qui n’est pas visible du premier coup d’œil. Accéder à cet espace requiert donc une certaine audace, la curiosité nécessaire pour soulever le rideau et voir ce qui se dissimule dessous. Le premier élément moteur des aventures d’Alice, des rencontres qui les ponctuent et des découvertes qu’elle y fait, est la recherche du plaisir intellectuel. De nature curieuse, Alice aime à mettre ses capacités de raisonnement au service de son expérience personnelle. C’est d’ailleurs cette recherche du plaisir intellectuel et cette curiosité qui la poussent à avancer, aussi bien physiquement- puisqu’elle ne demeure pas au même endroit tout le long du récit, elle chemine et traverse différents espaces peuplés de différents personnages- que métaphoriquement, puisqu’elle empiète peu à peu sur les limites que son éducation antérieure et sa culture avaient pu fixer. Elle rit parfois des situations qu’elle rencontre, ce qui suggère un plaisir manifeste de l’enfant à explorer. Ainsi nous avons : […] she succeeded in getting its body tucked away, comfortably enough, under her arm, with its leg hanging down, but generally, just as she had got its neck nicely straightened out, and was going to give the hedgehog a blow with its head, it would twist itself round and look up in her face, with such a puzzled expression that she could not help bursting out laughing […]. Ici, Alice dévoile toute sa candeur d’enfant, son rire facile est une manifestation du plaisir qu’elle prend à participer au jeu et à le découvrir. Nous employons le mot ‘découvrir’ au sens où, même s’il s’agit d’un jeu familier, il exploite de nouvelles règles et de nouveaux instruments. Ce peut être un clin d’oeil de la part de Carroll, puisqu’on sait qu’il était particulièrement féru de jeux et qu’il prenait grand plaisir à en revisiter les règles pour sesjeunes amies140. Toujours durant le jeu de croquet, la description du jeu se poursuit comme suit : Besides all this, there was generally a ridge of furrow in the way wherever she wanted to send the hedgehog to, and, as the doubled-up soldiers were always getting up and walking off to other parts of the ground, Alice soon came to the conclusion that it was a very difficult game indeed141. C’est un tableau anarchique qui est dressé du jeu de croquet. Il est intéressant de notre que l’espace du jeu – un espace ludique, destiné à se détendre, avec pour certains jeux tout de même une finalité pédagogique – est un espace où les règles sont pourtant très importantes. En effet, même lorsqu’on veut jouer, sans règles, il est difficile de concevoir le jeu. C’est ce que souligne Terry Eagleton dans son article « Alice and Anarchy » : There are two fairly commonplace facts about games which seem relevant to a discussion ofAlice in Wonderland . First, games are rule- governed, and so orderly; but playing a game  involves a creative application of the rules, as Wittgenstein reminds us in Philosophical Investigations , and thus allows for freedom : rules are fixed, but moves are to some extent unpredictable. Seen in this way, a game might appear as a paradigmatic fusion of order and liberty – one, perhaps, of some relevance to society142. Cela se vérifie bien ici, où les règles semblent justement avoir été abolies : le jeu prend une tournure chaotique, ce qui est symbolique de l’absence totale de limites à Wonderland. Tout y est possible, et c’est précisément ce qui inquiète Alice : la Reine condamne à mort tous ceux qui se mettent en travers de son chemin, et la petite fille se rend bien compte que, quoiqu’elle n’ait rien à se reprocher, il n’est pas exclu qu’elle soit elle-même condamnée à la décapitation. Après tout, Wonderland est le lieu où l’improbable devient probable – en cela, un lieu particulièrement propice à la transgression. Dans la Bible et ses enseignements est ancrée cette notion de transgression, véhiculée par le péché originel que commettent Adam et Eve en goûtant au Fruit défendu, le Fruit de la Connaissance. Ces fondements de la religion chrétienne sont perceptibles dans le récit d’Alice et, à plusieurs reprises, les situations que rencontre Alice font écho à cet épisode de transgression que relate la Bible. Ainsi, dès le début de son aventure, Alice perçoit, comme nous l’avons dit, en regardant par le trou de la serrure, un magnifique jardin dont une porte lui obstrue le passage. Irrésistiblement attirée par les fleurs et les fontaines, par les couleurs vives qui s’y déploient, elle tente de s’emparer de la clé qui lui permettrait d’ouvrir la porte et, par conséquent, d’accéder au jardin. Cette étendue de verdure idyllique peut être symboliquement assimilée au paradis terrestre, dont Adam et Eve seront chassés après avoir commis leur péché. Il existe néanmoins une différence notable entre les deux jardins : si le paradis terrestre est collectivement pensé comme un jardin luxuriant, où la nature fait jaillir ses trésors à l’état sauvage, le peu de description qui est fait du jardin d’Alice semble évoquer un espace coquet et entretenu, loin de l’image d’une nature sauvage et voluptueuse. Les fontaines ainsi que les fleurs suggèrent un lieu apprivoisé, confié à des soins particuliers et cultivé dans l’harmonie des formes et des couleurs. Il n’est rien d’étonnant à cela lorsqu’on pense qu’Alice est issue d’un milieu où chaque sphère est consciencieusement délimitée, où les règles et les normes doivent être respectées, et où l’apparence et la civilité sont hautement considérées. Néanmoins, ce désir qu’exprime Alice de franchir la porte qui la sépare du jardin dénote une forme de tentation- la tentation d’accéder à un espace qu’elle ne peut qu’observer depuis le trou d’une serrure, un endroit secret, donc, et qui lui est pour l’heure interdit, ne serait-ce que symboliquement. Cela est d’autant plus intéressant quand on sait que transgression signifie étymologiquement « marcher à travers, au-delà »143. Dans ce prélude aux nombreuses aventures qui l’attendent, le premier désir que formule Alice, et le premier élément qui attise sa curiosité au point de la motiver à agir, est donc un espace obstrué par une porte- porte qu’Alice voudrait pouvoir ouvrir. En ce sens, elle exprime une envie de marcher à travers, physiquement, mais aussi psychologiquement. De ce désir de communication et de communion avec un espace autre naît un germe d’idée : Alice est sur le chemin de la transgression, de la découverte et de la curiosité. Puisqu’un héritage religieux sous-jacent semble habiter le récit d’Alice au Pays des Merveilles, il est aussi intéressant de faire un parallèle entre le Fruit de la Connaissance, symbole même de transgression, et qui vaut à Adam et Eve d’être chassés du Paradis terrestre144, et la soif de connaissance qui motive Alice tout le long de son voyage. La petite fille veut savoir, comprendre, connaître, et c’est précisément ce qui la pousse à avancer sans relâche, malgré les obstacles et les craintes que lui inspirent parfois le monde de Wonderland. C’est aussi ce qui, d’étape en étape, d’épreuve en épreuve, lui permet d’accéder finalement au jardin tant convoité qu’elle admirait avec envie par le trou d’une serrure, peu après son arrivée à Wonderland. Cette étape finale à son aventure apparaît donc comme une récompense aux nombreux obstacles qu’Alice a réussi à franchir – ou bien encore le jardin peut être perçu comme un lieu sacré auquel il n’est permis d’accéder qu’après avoir fait l’expérience d’un certain nombre de choses essentielles à la vie et à la compréhension de soi-même

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Table des matières

INTRODUCTION
I) L’éducation : un pilier central pour Alice dans sa perception d’elle-même et du monde qui l’entoure
1- Connaissances acquises
a- Connaissances tirées de livres et d’histoires
b- Les bonnes manières, d’une grande importance pour une petite fille appliquée et éduquée
2- L’éducation dite « traditionnelle » est-elle un guide ou un carcan ?
a- Un repère pour Alice
b- La source de malentendus et de situations inconfortables
3- La relation d’Alice à l’éducation
a- L’apprentissage perçu comme une contrainte
b- L’éducation expérimentale à travers le plaisir d’explorer
II) L’évolution d’Alice au cours de son voyage à Wonderland
1- Déconstruction et fragmentation des connaissances théoriques d’Alice
a- Vers l’oubli de ce qu’elle pensait savoir
b- Déconstruction de sa perception d’elle-même
2- S’adapter à un environnement nouveau et changeant
a- La découverte par la transgression
b- Mise en œuvre de la créativité et de l’intelligence émotionnelle d’Alice
3- Indépendance d’esprit et de jugement : une progression notable
a- C’est en se trompant qu’on apprend !
b- Le courage de s’exprimer et de se rebeller
III) Une aventure qui mène à la construction identitaire
1- Qui suis-je ? Evolution de la notion d’identité
a- Le reflet d’Alice dans le miroir : sa perception d’elle-même
b- Alice, sur le chemin de l’émancipation ou symbole de la construction identitaire de l’enfant
2- Les thématiques des transformations et des métamorphoses
a- Transformations du corps
b- De petite fille à femme
c- De la vie à la mort
3- Grandir et s’apprendre soi-même, en dehors de sa zone de confort
a- Être à la maison
b- Ou en être très loin
CONCLUSION

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