Récupération de l’uranium des phosphates naturels : un enjeu pour demain
L’énergie nucléaire
L’approvisionnement des populations en énergie est un des défis majeurs du XXIème siècle. De nombreux pays ont ainsi vu leurs besoins exploser ces 10 dernières années et la tendance est encore à l’augmentation . La demande mondiale en électricité aura selon toute vraisemblance doublé entre 2002 et 2030.
La technologie nucléaire civile, développée au début des années 1950, est une réponse envisageable pour satisfaire de tels besoins. Elle possède trois avantages de poids :
➤ Elle est compétitive. En effet, le rapport « Energies 2050 »[2] remis en février 2012 au ministre français chargé de l’industrie a montré que même si son coût d’investissement est nettement plus élevé que celui inhérent à la technologie thermique au gaz naturel ou au charbon, le prix du kWh électrique nucléaire reste inférieur (5,6 centimes d’euros pour 1 kWhe « nucléaire » contre 6,7 pour 1 kWhe «charbon » et 6,9 pour 1 kWhe « gaz », à titre d’exemple, 1 kWhe « éolien » coûte 7,3 centimes et 1 kWhe « solaire photovoltaïque » coûte 15 centimes). Qui plus est, l’évolution du marché des combustibles fossiles ainsi que les mesures de taxation des industries polluantes entreprises par certains pays rendront encore moins rentable l’électricité issue des ressources fossiles. La forte compétitivité de la technologie nucléaire est principalement due au faible coût de sa matière première, à savoir l’uranium naturel.
➤ Elle ne produit pratiquement pas de gaz à effet de serre, ce qui est loin d’être une caractéristique à négliger quand on connaît les ravages du réchauffement climatique. Plus précisément, le dioxyde de carbone est responsable d’au moins 60% de l’augmentation de l’effet de serre induit par les activités humaines. Or la production mondiale d’électricité est une des principales sources de CO2 (elle est à l’origine des rejets de 40% du CO2, soit 9,5 milliard de tonnes annuelles à l’échelle planétaire). Le diagramme suivant donne les masses minimales et maximales de CO2 produites pour 1 kWh obtenu au moyen des technologies actuelles.
Ceci vient donc souligner l’intérêt du nucléaire qui produit, pour 1 kWh d’électricité, entre 9 et 21 g de CO2 et ce uniquement à cause du cycle de vie du combustible. Malgré tout, le problème de la gestion des déchets ne permet pas de classer l’énergie nucléaire parmi les énergies dites « propres » ou « vertes » même si elle est à l’origine de nettement moins de déchets que l’énergie thermique et qu’une partie de ces déchets peut être réutilisée.
➤ Elle est sûre. Même si les accidents de Three Mile Island en 1979, de Tchernobyl en 1986 et de Fukushima en 2011 resteront gravés dans les mémoires, des statistiques établies par l’Institut Paul Scherrer en Suisse révèlent que, sur la période 1970 – 2005, la technologie nucléaire est à l’origine de 31 décès directs, soit bien moins que les autres méthodes de production d’électricité[4]. Elle est en effet loin derrière les technologies hydroélectrique (ruptures de barrages : environ 30000 morts) et thermique au charbon (intoxications, effondrement de mines et « coups de grisou » : près de 32000 morts). Cependant, ce chiffre de 31 morts est à nuancer car les décès indirects dus aux radiations sont difficilement quantifiables (en 2005, l’Agence Internationale à l’Energie Atomique estimait ainsi à 4000 morts le bilan total de la catastrophe de Tchernobyl[5]).
Les sources d’uranium
Les 63875 tonnes d’uranium consommées en 2010 provenait à 85% de la production mondiale (soit 54670 tonnes, 6% de plus qu’en 2009 et 25% de plus qu’en 2008), les 15% restant ayant été couverts avec de l’uranium déjà extrait (sources dites « secondaires » telles que les stocks publics et privés excédentaires, la conversion de l’uranium hautement enrichi de qualité militaire en uranium faiblement enrichi, le réenrichissement de résidus d’uranium appauvri et le retraitement du combustible usé). Cette année-là, 22 pays se sont déclarés producteurs d’uranium mais 8 d’entre eux produisaient à eux seuls 93% de l’uranium mondial. Il s’agit du Kazakhstan (33%), du Canada (18%), de l’Australie (11%), de la Namibie (8%), du Niger (8%, avec notamment les mines d’Arlit exploitées par AREVA qui sont les principales pourvoyeuses de l’uranium français), de la Russie (7%), de l’Ouzbékistan (5%) et des USA (3%).
Selon l’AIEA[7] , les ressources conventionnelles en uranium (primaires et secondaires) seront plus que suffisantes pour satisfaire les besoins des centrales nucléaires jusqu’en 2035 dans le cas de l’hypothèse haute. Cependant, même si certains facteurs contribuent actuellement à une baisse du prix de l’uranium (politiques de sortie du nucléaire consécutives à l’accident de Fukushima, découvertes de gisements de gaz naturel bon marché, climat financier peu propice aux investissements, etc.), il devrait remonter sous peu du fait de l’augmentation des coûts de production et de la forte demande des pays émergents.
Pour diminuer cette pression qui s’exercerait presque totalement sur les mines du fait de la diminution des stocks militaires, il paraît essentiel de diversifier les apports d’uranium. Les ressources dites « non conventionnelles » pourraient ainsi devenir rentables dans les années à venir. On peut en distinguer quatre types :
• Les minerais de phosphate[7] : historiquement, c’est la seule ressource non conventionnelle à partir de laquelle de l’uranium a déjà été exploité industriellement. Ainsi, la Belgique produisit, à partir de phosphates marocains, 686 tonnes d’uranium entre 1975 et 1999. Durant la période 1954 – 1962, en pleine guerre froide, les USA parvinrent à récupérer 17150 tonnes d’uranium à partir de phosphates provenant de Floride. Cet uranium était très largement destiné à un usage militaire. Dix ans plus tard commença une seconde vague de production à partir des phosphates, cette fois-ci affectée à un usage civil. Le Kazakhstan aurait également extrait près de 40000 tonnes d’uranium à partir de phosphates issus de dépôts organiques marins. Dans les années 1990, l’extraction de l’uranium à partir des phosphates fut arrêtée faute d’une rentabilité suffisante. Actuellement, seul le Brésil prévoit d’investir dans ce secteur. Sa première usine devrait être inaugurée en 2015 et devrait pouvoir produire 970 tonnes d’uranium par an. Selon Hilton et al. [9] , au maximum 11000 tonnes d’uranium par an (ce qui représente environ 20% de la production actuelle) pourraient être extraites mondialement de l’acide phosphorique en équipant les usines le produisant avec des dispositifs d’extraction par solvant.
• Les schistes noirs (ampélites)[7] : en Finlande, des minerais à basses teneurs en sulfures polymétalliques contiendraient environ 0,0017% d’uranium. Alors que le nickel, le zinc, le cuivre et le cobalt sont extraits après biolixiviation des minerais, rien n’est actuellement prévu pour l’uranium. Pour remédier à cela, la compagnie qui exploite le site prévoit de rajouter un circuit d’extraction par solvant. A terme, le dispositif pourrait produire 350 tonnes d’uranium par an. En Suède, de l’uranium (jusqu’à 0,014%) a été détecté dans des schistes alumineux, ce qui représenterait au total une réserve de près de 600000 tonnes de métal. Cet uranium pourrait commencer à être extrait dans un avenir proche.
• L’eau de mer[7] : ressource contenant des quantités d’uranium gigantesques (plus de 4 milliards de tonnes), son exploitation reste délicate du fait des faibles concentrations de métal à récupérer (entre 3 et 4 ppb). Entre 1950 et 1980, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, le Japon et les USA menèrent des recherches sur le sujet. A l’heure actuelle, seuls les deux derniers poursuivent leurs investigations. Le Japon a par exemple mis au point une installation capable de produire 1200 tonnes d’uranium par an par adsorption de l’eau de mer sur un polymère mais son coût d’exploitation reste trop élevé pour être rentable.
• Les autres sources[7] : trois compagnies (Gold One, Gold Fields et Harmony Gold) ont récemment développé des programmes de recherche afin de récupérer l’uranium présent dans les résidus (stériles) issus des mines d’or d’Afrique du Sud. Deux autres entreprises (Sparton Resources et Holgoun) tentent également de traiter les cendres de charbon afin d’en retirer l’uranium. Chacune de ces méthodes pourrait fournir quelques centaines de tonnes d’uranium par an.
Comme nous pouvons le constater, la source non conventionnelle qui paraît la plus intéressante tant au niveau des tonnages obtenus que de la facilité de mise en œuvre de la méthode d’extraction est l’acide phosphorique. Nous allons donc maintenant nous pencher plus en détails sur la production et les principales utilisations de cet acide. Nous chercherons notamment à comprendre comment l’uranium contenu dans les minerais initiaux se retrouve dans le produit final et quelles sont les conséquences d’une telle présence.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 : Contexte de l’étude
I) Récupération de l’uranium des phosphates naturels : un enjeu pour demain
1) L’énergie nucléaire
2) Les sources d’uranium
3) L’acide phosphorique : production et utilisations
4) Récupération de l’uranium contenu dans l’acide phosphorique
II) L’extraction par solvant : généralités et définitions
1) Utilisations
2) Les différents types d’extraction
3) Grandeurs caractéristiques
4) Influence des écarts à l’idéalité et de la spéciation
III) Les écarts à l’idéalité
1) Activité dans les mélanges
2) Les coefficients d’activité : estimation et mesure
3) Particularités des électrolytes
4) Les modèles thermodynamiques
a) Les modèles d’enthalpie libre d’excès
b) Les équations d’état
c) Les modèles empiriques
IV) Base de données pour la modélisation de l’extraction de l’uranium(VI) contenu dans l’acide phosphorique
1) Le milieu phosphorique : spéciation et modélisation
2) Spéciation de l’uranium(VI) dans l’acide phosphorique
3) Le mélange D2EHPA/TOPO pour extraire l’uranium(VI) contenu dans l’acide phosphorique
4) Les complexes uranium(VI)-extractants
V) Bibliographie du chapitre 1
Chapitre 2 : Acquisition de données complémentaires
I) Spéciation de la phase aqueuse
1) Position du problème
2) Technique analytique : la spectroscopie ATR-IR
3) Protocole expérimental
4) Résultats
a) Aires des pics de l’acide phosphorique seul
b) Aires des pics de l’acide phosphorique en présence d’uranium(VI)
II) Spéciation de la phase organique
1) Position du problème
2) Technique analytique : l’osmométrie à pression de vapeur
3) Protocole expérimental
4) Résultats
a) Auto-association de D2EHPA en milieu anhydre et saturé d’eau
b) Auto-association du TOPO en milieu anhydre et saturé d’eau
c) Association du D2EHPA avec le TOPO en milieu anhydre et saturé d’eau
III) Extraction de l’eau et de l’acide phosphorique par la phase organique
1) Position du problème
2) Technique analytique : la méthode de Karl-Fischer
3) Protocole expérimental
4) Résultats
a) Extraction d’eau en fonction de la concentration en extractants
b) Extraction d’eau en fonction de l’activité d’eau
c) Extraction d’eau et d’acide phosphorique en fonction de la concentration en acide phosphorique en phase aqueuse
IV) Bibliographie du chapitre 2
Chapitre 3 : Modélisation de l’extraction liquide-liquide de l’uranium(VI) contenu dans l’acide phosphorique par le mélange D2EHPA/TOPO
I) Objectif
II) Modélisation thermodynamique de la phase aqueuse
1) Etude du système H3PO4-H2O
2) Etude du système U(VI)-H3PO4-H2O
III) Couplage phase aqueuse – phase organique : amélioration du modèle de Beltrami et al
1) Présentation du modèle
2) Modélisation de l’isotherme d’extraction de l’uranium(VI) en fonction de la concentration en acide phosphorique
a) Prise en compte des écarts à l’idéalité et de la spéciation en phase aqueuse
b) Prise en compte de l’extraction d’eau et d’acide phosphorique par le mélange D2EHPA/TOPO
IV) Bibliographie du chapitre 3
Conclusion
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