Reconnaissance et usages de soi au travail

Etudiante en Master de psychologie clinique au Brésil, je me suis intéressée pour la première fois en 2001-2002 au travail des soignant-e-s. Je suivais alors, dans des contextes hospitaliers et associatifs, des patientes atteintes par le VIH, récemment diagnostiquées et vivant dans des situations de grande précarité. La grille de lecture mobilisée à l’époque était centrée sur les aspects intrapsychiques et relationnels de ce travail. Ce qui m’a conduite à problématiser « l’épuisement professionnel », faute d’un terme plus adapté, pour décrire les identifications massives, les conflits, le turnover de ces professionnelles face à des situations psychosociales complexes.

Cette lecture psychosociale et systémique m’avait alors permis de mettre en perspective la notion d’épuisement des soignantes avec celle d’identification aux femmes atteintes par le VIH. Certains thèmes, comme la sexualité, la vie et la mort, la maternité, mais aussi la valorisation sociale, l’insertion professionnelle et la reconnaissance de soi, le traduisaient nettement (Guerra Gomes-Pereira, 2003). Ainsi, j’avais animé deux groupes pour essayer d’approfondir les relations entre soignantes et soignées à partir de la thématique de « l’autoprise en charge », ou l’« auto-cuidado », des actes de soins vis-à-vis de soi-même.

A l’issue de cette recherche, j’avais pu constater que l’auto-prise en charge, le « care » de soi, notamment pour les femmes, passait par la prise en charge d’autrui. Les patientes s’étayaient davantage sur le rôle de mère, afin de regagner une valorisation sociale par une conformisation morale reposant sur la mise en retrait de leur sexualité. Aussi, la hiérarchisation du monde des femmes, entre « saintes » et « putes », m’a permis de mieux comprendre la réparation subjective et sociale qu’opéraient leurs grossesses, malgré la contreindication médicale. Cette réparation soutenait une demande de reconnaissance, notamment chez les patientes atteintes par le VIH qui étaient tenues pour responsables de leur maladie (ie. des prostituées, des femmes alcooliques, des usagers de drogues, des SDF, etc.).

La représentation de la mort dans la société et son traitement à l’hôpital 

La mort structurant la culture : approches anthropologiques des rites 

Le philosophe Jean Baudrillard propose trois temps de lecture historique et anthropologique de la mort dans la société. Ces trois temps éclairent largement la compréhension de la représentation et du traitement que l’on donne à la mort. Il dégage aussi la structuration de notre culture occidentale, notamment la formation de nos institutions.

Dans un premier temps, l’auteur considère que dans les cultures primitives , le rituel assurait le lien entre les termes de chaque instance – entre la naissance et la mort, entre l’homme et la femme, entre l’adulte et l’enfant -, encadré par les principes de réversibilité et de l’échange. Ainsi, le terme en tant que tel n’avait pas de sens ; c’est-à-dire, que la mort ou la naissance, en soi, ne voulait rien dire : seuls les échanges symboliques revêtaient une fonction de garant du sens de chaque terme (par ex. mort, naissance, etc.).

L’échange ritualisé reliait les termes à un rapport social, les rendant intelligibles. Ce principe d’échange et d’irréversibilité permettait par-là même, une plus fine différenciation des instances qui circonscrivaient les termes. Les différents termes indivisés étant reliés entre eux par le rite, les instances étaient tenues pour non échangeables, intransposables, donc, déterminées. Chaque instance restait distincte selon sa sphère de référence et chaque rite était spécifique au sein de cette organisation. C’est cette condition de différenciation des instances qui permettait aux termes d’être articulés dialectiquement dans les rites. Cette première phase aurait duré jusqu’au Moyen Âge.

Dans un deuxième temps, autour du XVIe siècle, nos rapports à la mort changent. J. Baudrillard (1976) précise que le changement opéré dans le traitement de la mort est le résultat d’un changement beaucoup plus large, dans la structuration de la société elle-même. Il relie ces changements à l’émergence de l’« éthique protestante » et à sa résultante : l’accumulation de la production matérielle comme forme de « protection contre la mort » (p.223).

L’auteur souligne qu’avec l’avenir de la Contre-Réforme, une nouvelle manière de vivre, de produire, de s’organiser socialement, mais aussi de mourir, se met en place. Les temps primitifs voulaient une indivision entre les termes, par le rituel, afin de permettre l’échange – dédramatisant la mort, mais aussi la naissance – évitant l’installation d’une linéarité du temps, l’accumulation, le pouvoir. Pour J. Baudrillard (1976) « Si le don est la source et l’essence même du pouvoir, seul le contre-don abolit le pouvoir ; cela est la réversibilité de l’échange symbolique » (p.73).

Les temps modernes viennent découper et isoler chaque terme scientifiquement, séparant le don du contre-don, rendant étanche chaque terme du rapport social. Cet empêchement de la réversibilité entre les termes inscrit une organisation où le pouvoir deviendra enjeu organisateur des nouvelles formes de vie. J. Baudrillard nomme premier pouvoir, le pouvoir constitué par l’Eglise et par la suite par l’Etat, nous y reviendrons. Cette étanchéité entre les termes et le rapport social permet de calibrer chaque terme de l’échange par un code universel, l’argent, qui devient la valeur référentielle de toute sphère. Ainsi, il n’est plus question de liaison des termes par les échanges, ni de différenciation des instances. Une équivalence se met en place, qui réduit les termes échangés à un référentiel externe, universel. L’indétermination entre les termes apparaît. En créant un référent universel, la « loi structurale de la valeur » (idem, p.20) est instaurée et avec elle, le « calcul d’équivalence des différentes sphères et la régulation par l’indifférence entre elles » (idem, p.67).

La conception occidentale moderne de la mort à l’hôpital 

Céline Lefève (2006) rend compte dans son article des mouvements de société dans la structuration des pouvoirs de régulation des corps. En accord avec J. Baudrillard (1976), elle repère trois phases où la conception de sujet change, aussi bien que le traitement de la maladie et de la mort. Elle situe ces trois phases dans l’Antiquité, au Moyen Âge et dans l’ère moderne. Cet auteur mobilise les concepts de médecine et soins comme analyseurs de la conception du sujet, de ses droits et la régulation exercée en ce qui concerne la vie et la mort, dans les différentes périodes.

C. Lefève nous rappelle que selon Hippocrate, la médecine et les soins constituaient une unité, et la maladie était envisagée comme la forme de guérison spécifique à l’individualité du malade. Ainsi, le médecin accompagnait et observait « l’effort par lequel l’organisme cherche, par la maladie même, à revenir à l’équilibre » (p.25).

Au Moyen Âge, médecine et soins se séparent, s’opposent, avec l’émergence de la religion chrétienne comme pouvoir régulateur des corps dans la société. Les soins passent dans le domaine de la charité chrétienne, « dans l’assistance et dans l’hospitalité destinée aux pauvres » (p.26). Les infirmes sont accueillis compte tenu de leur condition de pauvres. C. Lefève montre aussi la répercussion de la logique chrétienne dans la mise en rapport des notions de souffrance et d’expiation. L’impact de cette démarche religieuse porte un « frein à la médicalisation de l’hôpital » et au traitement de toute douleur. La rupture suivante entre médecine et soins se fait au XIXe siècle, avec l’émergence de la médecine scientifique. A cette époque, le clivage entre médecine et soins apparaît au sein de l’institution hospitalière, distinguant les médecins – qui gardent un regard objectif sur la maladie – des soignantes, présumées s’attarder sur la subjectivité des soignés. Le prestige de la médecine repose ainsi sur la fonction curative de la maladie, déléguant aux soignantes ce qui relève de la fonction d’accompagnement de la souffrance.

C. Lefève nous explique que soigner la personne, en réintégrant soins et médecine a gagné en vigueur à compter de la deuxième moitié du XXe siècle, avec la volonté de remettre le patient au centre du débat. Georges Canguilhem, philosophe inspirateur de ce rapprochement postule la normativité du sujet comme « le pouvoir de l’individu de valoriser sa relation au milieu » (p.32), différenciant ainsi la norme selon les critères du sujet, de celle prescrite par la médecine scientifique. Ce débat à permis de réinscrire les soins dans la pratique médicale, notamment à l’hôpital, d’asseoir une plus forte participation du patient et son droit en ce qui concerne ses choix thérapeutiques, toute en envisageant les limites de la connaissance scientifique médicale.

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Table des matières

Introduction
Première partie Aspects Théoriques
Chapitre I. La représentation de la mort dans la société et son traitement à l’hôpital
La mort structurant la culture : approches anthropologiques des rites
La conception occidentale moderne de la mort à l’hôpital
Deux procédures dans le « donner la mort » : les Interruptions Volontaires de Grossesse (IVG) et les Interventions Médicales de Grossesse (IMG)
Les Soins Palliatifs à l’épreuve des « accompagnements de fin de vie »
Conclusion
Chapitre II. Le travail du négatif : Le négatif psychosocial et le « sale boulot »
Hughes et la hiérarchisation morale du travail
Le négatif psychosocial
Le négatif psychosocial et le « sale boulot »
La subversion du « sale boulot » en « bel ouvrage »
Conclusion
Chapitre III. L’usage de soi au travail : tension entre la reconnaissance de soi par soimême et par les autres
Les contributions théoriques de la reconnaissance de soi médiatisée par l’activité
La perspective de la Psychodynamique du Travail
La reconnaissance de soi comme émancipation dans la perspective de l’Ecole de Frankfort
La problématique de la reconnaissance de soi en clinique de l’activité
Conclusion
Problématique et hypothèses
Problématique
Hypothèses
Méthode
Le contexte
Le terrain
Les antécédents de la recherche
Les rapports entre la commande et la demande
Les dispositifs mobilisés sur le terrain
Deux méthodes pour comprendre les enjeux du travail en gynécologie : observation et entretiens
L’analyse des matériaux
Méthode utilisée pour les analyses des entretiens et des journaux de bord
L’analyse des contenus
La mise en évidence des thématiques
Deuxième partie Résultats et Discussions
Signes de la division morale du travail
La division physique des services ou unités de soins au sein du PME et en Médecine Interne
Répartition des tâches par catégories professionnelles
La délégation des tâches de moindre prestige
Les affects face aux épreuves du « sale boulot »
Les stratégies individuelles et collectives et les idéologies défensives de métier
La hiérarchisation des patients
Le relais entre soignants et autres équipes
Le « binôme » entre professionnels
« Faire craquer »
La désorganisation du travail au sein des collectifs soignants
Les idéologies défensives de métier
Conclusion
Conditions nécessaires pour que le « sale boulot » puisse être subverti en « bel ouvrage »
Liaison et déliaison des collectifs de travail : la continuité identitaire à l’épreuve de la confrontation à la mort
La défaillance des régulations collectives en gynécologie et en soins palliatifs
Le Mauvais travail : la perte de l´encadrement et le manque de répondants collectifs dans la production des « événements indésirables »
La configuration en collectif de travail : source de liaison en gynécologie et en soins palliatifs
La complexité des interprétations : la subversion des gestes présents dans les stratégies
défensives qui transforment le « sale boulot » en « bel ouvrage »
La classification et la hiérarchisation des patients
Renommer la tâche
Le relais entre soignants comme signe de qualité de soins
Le binôme entre catégories professionnelles
« Faire parler » pour aider les patientes à élaborer le deuil
La désorganisation des tâches pour garder la main sur les activités valorisantes
Le découpage du temps individuel et collectif pour garantir les soins relationnels
Conclusion
La problématique de la reconnaissance
La reconnaissance de soi et les différentes modalités d’arbitrages de valeurs
La reconnaissance de soi dans le partage des règles de métier
La reconnaissance de soi dans la mise en commun des défenses
La reconnaissance de soi face à des situations extrêmes
Conclusion
Conclusion

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