Récits de voyage au féminin

Le XIXe siècle, un long siècle de mutations

                La période concernée par nos récits est, d’un point de vue historique, une période charnière. Le XIXe siècle, qualifié par les historiens de « siècle long » courant pour certains de 1789 à 1914, est en effet marqué en France par une succession de révolutions. Du point de vue institutionnel, la mutation est profonde puisque les français voient se succéder, après la Révolution de 1789, trois républiques, deux monarchies et deux empires. La démocratie et le parlementarisme finissent par s’imposer avec l’avènement de la Troisième République (1870- 1940) et le triomphe des républicains et des libéraux, après de nombreux soubresauts. Au milieu du siècle, la France métropolitaine est peuplée d’un peu plus de 35 millions d’habitants, ils seront 40 en 1900. Lorsque parait le premier de nos récits de voyage, en 1879, c’est une nation dominante, sûre de sa supériorité et internationalement respectée. Cependant,à la suite de la défaite de 1870 et de l’épisode tragique de la Commune, la République reste très contestée jusqu’en 1890 et la capitulation face à l’Allemagne de Bismarck laisse des traces durables. D’un point de vue économique, elle connaît une croissance importante (qui s’infléchit après 1870) sous l’impulsion de la révolution industrielle, avec le développement des moyensde production et de communication. Cet élan bouleverse l’équilibre entre ville et campagne et entraine l’apparition de la classe ouvrière et avec elle, d’une nouvelle doctrine, le socialisme qui s’épanouit dans les faubourgs misérables des grandes villes. Les expositions universelles, symboles d’un modèle industriel en plein essor, font leur apparition en 1851 et se succèdent ensuite à un rythme soutenu, portant à son apogée l’idée de progrès et de supériorité des civilisations occidentales. Dans cette seconde moitié du XIXe siècle, les Français vivent donc dans une atmosphère de progrès, de prospérité nationale et de relative insouciance qui culmine durant la Belle Epoque (1880-1914) avant le désastre des grands conflits mondiaux. Cependant, l’antagonisme franco2 La délimitation temporelle du XIXe siècle est sujette à controverse chez les historiens. Certains affirment que le siècle commence en 1789, lors de la Révolution française, alors que d’autres commencent ce siècle en 1814, après la défaite des armées napoléoniennes. De même, certains considèrent qu’il se prolonge jusqu’en 1914, voire jusqu’en 1945. C’est l’historien britannique Eric Hobsbawm qui a été à l’origine de cette périodisation avec les trois ouvrages fondateurs publiés chez Fayard, dans lesquels il défend l’idée d’un siècle long, divisé en trois ères successives : L’Ère des révolutions : 1789-1848 (1970), L’Ère du capital : 1848-1875 (1978) et L’Ère des empires : 1875-1914 (1989). Il oppose ce long XIXe siècle (1789-1914) au « bref XXe siècle » (1914-1989). Celle de Chicago en 1893 est la première à présenter un pavillon des femmes. On en trouve une description détaillée dans le récit d’une autre voyageuse,  allemand qui suit la défaite de 1870 engendre la montée du nationalisme et un esprit de revanche sensibles dans l’opinion publique. Les discours belliqueux dominent et l’époque est au soupçon – l’affaire Dreyfus en 1894 en est un triste symbole. Les Français sont donc à la fois divisés et persuadés de leur supériorité dans un monde soumis à l’hégémonie des grandes puissances européennes. Le rayonnement international de la France est alors important et son empire colonial, constitué depuis le XVIe siècle, est en pleine expansion. Les colonies permettent d’agrandir l’aire d’influence française, de démontrer sa puissance et d’enrichir le pays en lui fournissant d’importantes richesses (coton, cacao, café, bois précieux…). À partir des années 1830 se développe ce que les historiens appellent le « second espace colonial », composé principalement de régions d’Afrique (Algérie en 1830 mais aussi anciens comptoirs comme le Sénégal ou le Gabon), d’Asie (Indochine) et d’Océanie (Polynésie française, NouvelleCalédonie, Nouvelles-Hébrides). Constitué de comptoirs, de colonies ou de protectorats, cet empire est le deuxième plus vaste du monde, derrière l’empire colonial britannique, et s’étend à son apogée (au début du XXe siècle) sur plus de douze millions de km2 . La rivalité qui oppose la France et l’Angleterre est forte à cette période et se cristallise autour de plusieurs points stratégiques, comme le canal de Suez. Habités par la notion de progrès et mus par un fort patriotisme renforcé par la défaite de 1870, de nombreux Français tentent l’aventure coloniale avec le désir de prouver la supériorité de leur pays sur les autres nations, tout en espérant faire fortune outre-mer ou du moins trouver une vie meilleure. Selon René Rémond, La conquête coloniale au XIXe siècle ne procède pas d’une volonté systématique des Etats […], elle est plutôt la conséquence d’une succession désordonnée d’initiatives tantôt individuelles tantôt collectives – mais presque toujours privées – qui devancent l’intervention des Etats et les mettent devant le fait accompli. […] Tirant son argument principal de sa supériorité, de son avance technique et culturelle, l’Europe se croit des devoirs à l’égard des autres continents. Le premier espace colonial avait été constitué, entre le XVIe et le XVIIIe siècle, de plusieurs territoires en Afrique (Gorée, Saint Louis, Rufisque), en Amérique (Arcadie, Canada, Terre-Neuve, Louisiane) et dans les Caraïbes (Saint Domingue, Guyane, Antilles). Inauguré en 1869, le canal de Suez relie la mer Méditerranée (Port Saïd) à la mer Rouge (Suez). Point de passage stratégique pour le transport maritime, il génère d’importantes recettes (droits de péages) que se partagent alors la Grande-Bretagne et à la France, actionnaires majoritaires de la compagnie universelle du canal maritime de Suez. Cette nouvelle vague de colonisation reflète l’évolution libérale de la société, traversée par davantage d’initiatives privées, individuelles ou collectives, et l’affirmation de motivations personnelles (familiales, religieuses ou philosophiques), ce que René Rémond qualifie de causes « morales, philosophiques ou idéologiques »7 . C’est dans ce contexte que nos autrices partent à la découverte du vaste monde, profitant de cet élan d’ouverture pour concrétiser leur désir d’indépendance.

Le grand siècle des voyages

               Le XIXe siècle est assurément le grand siècle des voyages, et le siècle des grands voyages. Les Français n’ont jamais autant parcouru le monde, par nécessité ou par goût, et cela s’explique par des raisons à la fois politiques, économiques et technologiques. En effet, avec la Révolution et les soubresauts institutionnels qui ont agité le pays, de nombreux Français partent vers l’étranger pour fuir les conflits ou les persécutions, préférant s’éloigner de ce pays instable. Par ailleurs, la poursuite de l’expansion coloniale les encourage à s’expatrier et le contexte économique plus libéral favorise la mobilité, d’une part en raison du développement des relations commerciales avec le reste du monde, d’autre part en raison de la croissance et de l’enrichissement d’une classe bourgeoise en plein essor. Enfin, les voyages sont facilités par les progrès techniques, notamment le développement des transports (essor du chemin de fer et de la navigation à vapeur) et l’amélioration de leur rapidité et de leur confort (invention du pneumatique et multiplication des axes de communication). Les lignes de paquebot connaissent un fort développement dans la seconde partie du XIXe siècle et l’inauguration du canal de Suez en 1869 encourage les voyageurs à embarquer pour des destinations lointaines, notamment vers l’Extrême-Orient. On peut d’ailleurs lire dans la préface de l’un des récits étudiés : « Sans le canal de Suez, ce joli volume n’aurait pas vu le jour. »19 Plusieurs compagnies de transport ont l’idée de développer des lignes commerciales, telles que Les Messageries Maritimes ou La Compagnie du Lloyd Autrichien qui transportent nos voyageuses20 : elles assurent régulièrement des liaisons vers l’Extrême-Orient en partance de Marseille ou vers l’Amérique en partance du Havre à bord de navires de plus en plus luxueux. Décelant le potentiel d’une telle évolution, des entrepreneurs visionnaires comme le britannique Thomas Cook inaugurent les premiers voyages organisés, au départ en Angleterre d’abord puis à travers l’Europe et finalement tout autour du monde. La première croisière en bateau à vapeur sur le Nil est organisée en 1869 et une agence est installée au Caire pour répondre à la forte demande de traversées du canal de Suez vers l’Extrême-Orient. Ces différents facteurs entrainent un très net accroissement des déplacements, dans un contexte culturel et moral teinté du goût de l’ailleurs : découverte des littératures étrangères, attrait pour les destinations lointaines véhiculé par les romantiques, souci d’exactitude et de vérité par les réalistes qui n’hésitent pas à entreprendre de grands voyages pour nourrir leur œuvre à la source. La notion de voyage s’installe dans l’acception moderne où on la connait aujourd’hui, au sein d’un paradigme constitué des notions d’exotisme, d’ailleurs et de dépaysement21. Non que les Français des siècles précédents n’aient pas, eux aussi, parcouru le monde à des fins d’exploration, de conquête ou de prosélytisme. Mais précisément, ils ne voyageaient pas au sens moderne du terme : c’est davantage le but qui comptait, le déplacement en lui-même ne constituant souvent qu’un passage obligé, inconfortable voire dangereux vers le point d’arrivée. Avec le développement des techniques, l’expansion économique, la libéralisation politique et l’attrait culturel pour les pays lointains, le voyage devient au XIXe siècle une occupation d’agrément pour les classes aisées, signe d’un nouvel art de vivre. Ce mouvement s’accompagne du développement de nouvelles structures : agences de voyage, lignes de train ou de paquebot de plus en plus fréquentées, guides touristiques. C’est en effet à cette époque qu’apparaissent les premiers guides de voyage dont le fameux guide anglais du globe-trotter Bradshaw’s Through Routes to the Chief Cities of the World ou le monumental Itinéraire de l’Orient publié en 1881 chez Hachette dans la célèbre collection Joanne22. Ainsi, sans atteindre encore le niveau du tourisme de masse du XXe siècle, on peut affirmer que le goût du voyage au sein de la société française trouve son origine dans les innombrables mutations du XIXe siècle.

Une Parisienne au Brésil

                  Adèle Samson naît à Paris en 182038 de Marie-Thérèse Cornillat dite La petite Agnès, actrice, et de Joseph Isidore Samson, comédien et auteur dramatique, sociétaire de la Comédie Française (en 1827) et professeur au conservatoire (à partir de 1850) qui sera nommé chevalier de la légion d’honneur. Elle grandit au sein d’une fratrie de trois enfants dont elle est l’aînée, dans un milieu familial ouvert et cultivé. Son père tient un salon hebdomadaire et Adèle profite des conversations raffinées qui s’y tiennent sur l’art, la société ou la politique. Très jeune, elle écrit et compose de la poésie, publiant en 1843 son premier recueil sobrement intitulé Poésies. Elle poursuit cette activité littéraire toute sa vie et la base de données de la BnF lui attribue huit publications composant une liste assez éclectique : deux recueils de poésie intitulés Poésies (1843) et Épaves, sourires et larmes (1870), des Essais (1843) et Les Chemins de la vie, études de mœurs (1880) pour lequel elle obtient le prix de l’Académie française, un récit de voyage, Une Parisienne au Brésil (1883), une comédie en un acte, La Comtesse Diane (1884) et même un roman en vieux français, Histoire de Messire Jehan et de Dame Ursule (1894). Par ailleurs, elle rédige la préface des Mémoires de Samson de la Comédie française (1882) dont elle assure l’édition après la mort de son père bien-aimé. C’est sans doute à cause de cette activité d’autrice mais aussi en raison de la fierté qu’elle éprouve à être la fille du « grand Samson » qu’Adèle a conservé toute sa vie son nom de naissance accolé à son nom d’épouse, à la différence de nos autres voyageuses. Certainement vers 1846 (nous n’avons pas la date précise), elle épouse Jules-Antoine Toussaint, né à Rio de Janeiro en 1817 de parents français (son père est danseur et sa mère actrice) et lui-même danseur et caissier au Théâtre Français. Vers 1850, le couple décide de partir au Brésil en espérant y faire fortune suivant l’exemple d’un oncle de la famille. Ils embarquent au Havre sur le clipper La Normandie39 avec Paul, leur fils aîné né en 1848, et arrivent à Rio de Janeiro après environ un mois de traversée. Leur séjour brésilien durera près de douze années au cours desquelles naîtront deux autres enfants : une fille, Emma, en 1851, puis un autre garçon, Maurice. Installé à Rio, le couple se mêle à la vie mondaine et culturelle de la capitale, fréquente les résidents étrangers et la société brésilienne aisée et réalise plusieurs excursions dans l’intérieur des terres au cœur des fazendas, vastes propriétés esclavagistes. Le pays est alors en pleine expansion, gouverné par un empereur d’origine portugaise, Pierre II aussi appelé Dom Pedro II, qui restera dans l’histoire comme l’un des personnages les plus importants du Brésil40. Jules donne des cours de danse pour gagner sa vie et Adèle poursuit ses travaux littéraires tout en tenant la maisonnée, sans qu’on lui connaisse un métier ou une activité rémunérée. En lisant son récit, on comprend mal d’ailleurs par quelle activité le couple comptait faire fortune. Elle rentre plusieurs fois en France pour des séjours de quelques mois, notamment pour accoucher de ses deux autres enfants, et fait au total cinq fois le voyage en bateau de la France vers le Brésil. Tout au long de ces douze années, elle note dans des cahiers ses observations sur le pays et la société qu’elle découvre et relate les aventures qu’elle traverse avec mari et enfants. Leur retour définitif a lieu vers 1862 (nous n’avons pas non plus la date précise) mais ce n’est que de nombreuses années plus tard, en 1883, qu’elle publie ses souvenirs sous le titre Une Parisienne au Brésil. Témoignage détaillé sur la vie quotidienne dans ce pays au milieu du XIXe siècle, il décrit la société mondaine de Rio, l’effervescence de l’activité commerciale, les relations entre hommes et femmes et la réalité de l’esclavage encore très présent à cette époque. C’est l’un des rares récits à la première personne rédigé par une femme ayant séjourné en Amérique latine et cette nouveauté lui vaut un certain succès en librairie, d’autant qu’il paraît juste après la tournée triomphale de l’empereur Dom Pedro en Europe. Elle raconte pourtant dans la préface les nombreuses difficultés qu’elle a rencontrées avant de réussir à le faire publier en 1883 chez l’éditeur parisien Paul Ollendorff. Le livre est traduit en anglais par sa fille Emma en 1891 et édité à Boston et il est depuis peu traduit en portugais et publié au Brésil41. Mais contrairement à celui de Laure Durand-Fardel, l’ouvrage n’a jamais été réédité. Il a été numérisé par la BnF et se trouve en ligne sur le site Gallica. Ce récit s’organise en quatre parties intitulées La vie à bord, Rio de Janeiro, La fazenda et Tempête et retour. Il comporte une dédicace à un ami, monsieur Louis Jacolliot43, un avantpropos de l’autrice et un appendice présentant deux poésies brésiliennes en version bilingue, Chant de l’exil de Gonçalves Dias et L’esclave de Luiz Fagundes Varella. L’ensemble compte 204 pages et est illustré de plusieurs photographies originales. A la fin de l’ouvrage, une table des matières reprend les différentes parties en détaillant leur contenu grâce à des sous-titres évocateurs : Arrivée au Brésil, Les processions, Les serpents, Notre consul et notre ministre, La littérature, Tempête en mer… Adèle Toussaint-Samson regroupe en effet ses réflexions par thème et produit ainsi un récit très différent de celui de Laure Durand-Fardel qui suit un ordre purement chronologique. Cela s’explique sans doute par le fait qu’elle ait rédigé son texte après son retour, à partir de notes prises pendant la douzaine d’années que dura son séjour brésilien : elle a pu réaliser un travail d’organisation thématique du propos qui ne peut se retrouver dans un récit constitué d’une somme de lettres écrites au fil des jours.

Exotisme, préjugés et littérature coloniale

                Dans la seconde partie du XIXe siècle, nous l’avons rappelé, la vogue de l’exotisme144 et des destinations lointaines se renforce. L’Orient puis l’Extrême-Orient fascinent les Occidentaux et les compagnies de transport, comme les guides touristiques et les circuits organisés, se développent rapidement. Parallèlement, l’expansion coloniale s’accélère et la domination sur le reste du monde s’accentue. L’une des conséquences majeures de ce vaste mouvement est que la culture européenne se diffuse largement et devient le modèle dominant qui s’impose aux autres peuples. Par le biais des récits de voyage, mais aussi de la littérature exotique et coloniale145 qui connait alors un grand succès, s’enracine un référentiel très ethnocentré : celui du colon courageux face à l’indigène paresseux, de l’Occidental avancé, technologiquement mais aussi politiquement et moralement, face à l’autochtone attardé. Pourtant, au cours des siècles précédents, écrivains et philosophes éclairés ont voulu modérer l’élan civilisateur européen et défendre un relativisme culturel face à l’appétit d’expansion des grandes puissances. Le mythe du bon sauvage146, qui défend l’idée que les sociétés nouvellement découvertes puissent véhiculer d’autres modes de vie, d’autres visions du monde, est l’une des expressions de cet effort. Mais le dédain et le sentiment de supériorité des blancs sur les autres peuples a perduré, les plus méprisés étant ceux que l’on appelait alors les nègres avec une condescendance indiscutable. Au XIXe siècle, l’esclavage est encore courant malgré son abolition (en 1833 dans les colonies anglaises, en 1848 dans les colonies françaises) et la notion de race solidement ancrée dans les mentalités, autorisant colons et voyageurs à se considérer comme les maîtres quelle que soit leur situation sociale dans leur pays d’origine. Romans coloniaux, récits de voyage et manuels de l’époque147 reflètent ce regard porté sur l’autre, choquant pour un lecteur du XXIe siècle mais perçu au XIXe comme une évidence qui ne semble même pas devoir être questionnée : la supériorité paraît encore naturelle, la domination légitime. Ce sentiment de supériorité est présent de manière plus ou moins exacerbé dans les trois récits étudiés, adossé à la certitude de la grandeur de la civilisation française. Les pays visités sont ainsi jugés par rapport à la France, les villes par rapport à Paris et les peuples par rapport aux Parisiens ou aux Français : le modèle ne se discute pas. A la bonne heure ! Ici c’est beaucoup mieux bien que cela ne ressemble en rien – même de bien loin – à l’Opéra ou à la Comédie-Française ; mais dans son genre exotique, ce n’est pas trop mal vraiment. La mode de l’exotisme, séduisante quand elle entraîne le lecteur vers le monde onirique de l’Orient des mille et une nuits ou naïve quand elle évoque les bons sauvages, véhicule ainsi une multitude de stéréotypes repris sans réserve par les voyageurs européens149 : supériorité blanche, sauvagerie des indigènes, saleté, sous-développement économique ou politique des pays, inculture et immoralité des peuples, spiritualité douteuse. Les récits témoignent ainsi d’une quête d’exotisme et de dépaysement mais à travers le filtre pernicieux des préjugés paternalistes. Les substantifs barbare ou sauvage sont moins usités au XIXe siècle pour qualifier les peuples étrangers mais on les retrouve encore, notamment sous la plume de nos trois autrices, ainsi qu’indigène ou autochtone qui n’ont rien de péjoratif sauf s’ils sont employés dans une phrase dépréciative. Par exemple, Laure Durand-Fardel, en excursion au Japon, décrit son équipage en ces termes : Enfin, la pluie redoublant, nous montons chacun clans une djin-rick-it-sha. Nos conducteurs sont de véritables sauvages, vêtus seulement d’une espèce de manteau fait en feuilles de roseaux attachées au cou par une corde et dont les pointes tombantes servent à égoutter l’eau. Ils ont en plus un chapeau en feuilles tissées, du diamètre d’un mètre au moins. Leurs pieds et leurs jambes restent sans protection. C’est singulier de voir le brancard de sa voiture occupé par ce genre d’animaux. D’ailleurs, ces stéréotypes sont entretenus par les éditeurs qui réclament de l’exotisme et du sauvage. Ainsi, lorsqu’Adèle Toussaint-Samson présente son manuscrit à un éditeur, celuici s’enquiert de son contenu afin de savoir s’il va contenter ses lecteurs :
– Y a-t-il des tigres, des serpents, des missionnaires mangés par les sauvages dans ce que vous m’apportez ? Telle fut la première question du directeur.
– Mon Dieu ! non, répondis-je humblement ; je viens vous proposer une étude sur les mœurs et coutumes d’un pays que j’ai habité douze ans ; je dis ce que j’ai vu et n’invente rien.
– Tant pis ! reprit-il, inutile alors de me laisser votre manuscrit. Nous avons publié dernièrement une nouvelle dont la scène se passait au Brésil, et qui a eu beaucoup de succès : onces, jaguars, serpents boas, et sauvages, rien n’y manquait : c’était très émouvant.
Ces préjugés tenaces sur les êtres dits inférieurs, parfois comparés à des animaux, émaillent nos trois récits et les propos racistes – pour employer un adjectif anachronique – sont légions. Ils permettent de percevoir à la fois l’incroyable arrogance et la profonde ignorance des Européens du XIXe siècle vis-à-vis des autres peuples. Le discours sur les nègres est particulièrement choquant, marqué par le dégoût physique et la répugnance morale, avec une propension à les exclure du champ humain pour les rapprocher de l’animal qui ne s’explique que par une idéologie puissante écrasant la pensée individuelle. Leur peau est d’un noir lustré magnifique, et leurs dents sont d’une blancheur éclatante. Leurs ébats sont assez dangereux, du reste, car il arrive quelquefois qu’un requin de fond en lorgne un qui paraît lui convenir et, le prenant par le pied, le fait en un clin d’œil disparaître de la surface et l’entraîne au fond de l’eau pour s’en régaler avec ses compagnons. Mais un nègre de plus ou de moins, ce n’est pas une affaire, et les autres continuent leurs exercices sans avoir l’air d’y songer

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

INTRODUCTION
I. DES PARISIENNES INTREPIDES AUTOUR DU MONDE
1. Femmes dans un monde en mouvement
a) Le XIXe siècle, un long siècle de mutations
b) Avancées sociales et libération des femmes
c) Le grand siècle des voyages
2. Présentation du corpus
a) De Marseille à Shanghai et Yedo, récits d’une Parisienne
b) Une Parisienne au Brésil
c) Les Indes et l’Extrême-Orient, Impressions de voyage d’une Parisienne
3. Récits de voyage au féminin
a) Un genre en vogue au XIXe siècle
b) Tentative de définition d’un genre polymorphe
c) Pour une approche genrée
II. RACONTER L’AILLEURS POUR SE DIRE
1. Diversité des voyages, variété des récits
a) Des Parisiennes réelles ou fantasmées ?
b) Pourquoi partir ?
c) Désir d’écrire
2. Le récit, reflet du regard porté sur l’autre
a) Exotisme, préjugés et littérature coloniale
b) Des motifs choisis
c) Un regard dominé par la culture ou par le genre ?
3. Le voyage, révélateur de la parole féminine
a) Les préfaces, témoins d’une posture ambiguë
b) Le voyage, miroir de la féminité
c) Une écriture féminine ou féministe ?
III. LE RECIT DE VOYAGE, TERREAU D’EMANCIPATION 
1. Oser écrire le voyage
a) Des postures auctoriales variées
b) Dans l’ombre d’un homme
c) L’identité féminine au cœur du récit
2. Publication et réception des écrits féminins
a) Aventurières et bas bleus : une double peine
b) L’épreuve de la publication
c) Réception et postérité des récits
3. La transgression au cœur du récit 
a) Affirmation de soi et transgression sociale
b) L’ordre établi à l’épreuve de l’altérité
c) Une émancipation incertaine mais fantasmée
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
1. Corpus d’étude et autres œuvres des trois autrices
2. Récits et biographies d’écrivaines voyageuses
3. Anthologies et histoire du récit de voyage
4. Histoire des femmes et du voyage
5. Ecriture féminine et questions de genre
6. Ressources internet
ANNEXE

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *