L’instinct du territoire
Le territoire est une étendue de la surface terrestre sur laquelle vit un groupe humain ; c‟est donc un espace défendu, d‟où l‟expression « défendre son territoire ». En effet, la notion de territoire favorise le sentiment d‟unité et de solidarité sur la base de valeurs communes. Sous ce rapport, les occupants se distinguent par un attachement profond et un dévouement remarquable à leur territoire, souvent avec la volonté de le défendre par tous les moyens en cas d‟attaque extérieure. Dans le cadre des récits de la résistance du Jigemb face aux pouvoirs politiques du Bawol, l‟instinct du territoire se manifeste par cette solidarité remarquable et aussi la volonté qui poussait les Seereer de cette province à combattre, par tous les moyens, pour défendre et maintenir la sécurité de leur territoire. Il s‟agissait pour eux de faire face aux attaques de leurs ennemis en l‟occurrence les envahisseurs wolof qui venaient du Bawol. Cette situation entraînait souvent des affrontements directs et/ou indirects entre envahisseurs wolof et sociétés seereer du Jigemb. Ce qui fait que le territoire du Jigemb évoluait dans un climat moins stable car les Wolof arrivaient souvent à perturber la quiétude des Seereer qui y vivaient. Sur ce, la protection des populations ainsi que le maintien de leur intégrité territoriale devient donc un sacerdoce pour chacun des habitants. Ainsi, il fallait nécessairement s‟unir dans une perspective de défendre le Jigemb en mobilisant tous les moyens pour vaincre tous les étrangers voulant violer cet espace territorial. De plus, le Jigemb est un territoire bien délimité. Du coût, chaque secteur était surveillé par un groupe de personnes avec à leur tête les grands héros qui luttaient pour les intérêts de ce territoire. D‟ailleurs, cet instinct du territoire animait particulièrement les Seereer de Mbaaɗaan : une contrée située à côté du Bawol. Cette position de Mbaaɗaan fait que les Seereer cohabitaient avec le royaume wolof ; ce qui faisait de Mbaaɗaan une contrée souvent ciblée par les envahisseurs. En effet, les Wolof y effectuaient souvent des razzias imprompues. Toutefois, la protection de cette province du Jigemb se faisait sur la base de la mise en œuvre d‟un dispositif de sécurité : des stratégies de combat ainsi que des systèmes d‟attaque et de défense très techniques. C‟est pourquoi, ces sociétés seereer du Jigemb réussissaient toujours à repousser toutes les attaques leur venant de l‟extérieur. Dans L‟attaque surprise de Gitir, par exemple, Karfa Ndumbe Juuf, Teeñ du Bawol d‟alors avait décidé de se rendre avec sa cavalerie dans le village de Gitir (un village traditionnel se trouvant dans la contrée de Mbaaɗaan). Bien que prévenu par sa mère du danger que portait ce déplacement, car étant consciente de la détermination des Seereer du Jigemb, Karfa Ndumbe décida le lendemain de conduire son armée dans le Jigemb. Ces quelques versets nous montrent sa volonté de violer le territoire du Jigemb :
«Na ñaal leng koy, Karfa lay a yaay um ee :
-« O feet de, xam ret yerik kafe no saax le Gitir! ».
Yaay um a jaaɓin ee:
-« Xan o ret koy ndaa gatkiro! »
Na feet olaa no nqes naa, Karfa Ndumbe fa yoon we ten
A mbaaj soo a ŋaay pis den a ndet Gitir.
Traduction :
Un jour, Karfa Ndumbe dit à sa mère :
-« Demain, j‟irai boire du café16 dans le village de Gitir ! »
Sa mère lui répondit :
-« Tu iras mais tu ne reviendras pas ! »
Le lendemain matin, Karfa Ndumbe et ses guerriers
S‟armèrent et chevauchèrent en direction de Gitir […]
(L‟attaque surprise de Gitir, v. 4-9).
Nous pouvons noter, ici, que le Teeñ, dans L‟attaque surprise de Gitir, était déjà vaincu moralement par les propos avancés par sa mère (-« Xan o ret koy ndaa gatkiro ! » (-« Tu iras mais tu ne reviendras pas! »), verset 7. Les Seereer étaient déjà en embuscade dans la forêt, ils attendaient les guerriers du Bawol. Dès l‟arrivée de l‟armée wolof, les guerriers seereer déclenchèrent l‟assaut. Après quoi, le Teeñ et sa cavalerie furent anéantis sur le champ de bataille par les populations de Gitir. Le narrateur résume ces faits et gestes dans les versets suivants :
« […] Yaaga Seereer we a ƈookna Faal we me da ndefnayo,
Yaaga inooxyo koy so a soonga den.
No ke lay‟eena na xooy ole, Ngoor Mbaad fe reeɗna paar ne
A adoox so a xaƈ soox um kam Faal we.
So soox ke Ngoor Mbaad a ndoom Teeñ ne.
No kaaga, Karfa Ndumbe Juuf a yeen fa waa mayna lool
Na yoon um we fa pis ke na den.
Yaaga koy o maad oxe a yeena no lanq ke fo pis ne ten,
Faal we yoqna fop yaaga a ƈufu soo a njang ɗat Fa‟ool […] »
Traduction :
« […] Dès que les Seereer découvrirent les positions de l‟armée wolof, Ils déclenchèrent l‟assaut.
Et, comme décidé au cours de la rencontre divinatoire, Ngoor Mbaad, le chef des griots
Dirigea l‟assaut et fut le premier à viser l‟armée wolof.
Les balles de Ngoor Mbaad s‟abattirent sur le Teeñ.
Karfa Ndumbe Juuf s‟écroula et en même temps que beaucoup de guerriers wolof ;
Autant de guerriers que de chevaux.
Lorsque le Teeñ et son courrier furent abattus,
Le reste des Wolof se sauva en direction de Bawol […].
« L‟attaque surprise de Gitir » ; v. 64-72)
L‟instinct du territoire du Jigemb était également symbolisé par la reconnaissance et la fidélité aux Esprits surnaturels, plus connus en seereer sous le vocable de Pangool. La plupart du temps, leur autel se trouvait sous un fromager ou encore un baobab. La fonction principale des Esprits était de veiller au bien être des populations qui vivaient dans le territoire du Jigemb. Chaque fois qu‟un malheur devait frapper les villages, ce sont les Esprits qui alertaient les habitants en temps réel. Cela se manifestait réellement par des cris que l‟on pouvait entendre à partir de l‟autel des Esprits : « Pangool ke kaa mbuuqaa ». Aussitôt, les habitants comprenaient vite qu‟un malheur allait perturber leur quiétude. En effet, dès que les Seereer sentirent que leur indépendance territoriale était menacée, ils prirent l‟initiative des combats en mobilisant toutes les forces disponibles. Cette situation permettait aux Seereer d‟avoir une longueur d‟avance sur leurs ennemis ; ils pouvaient prendre des mesures avant l‟arrivée des Wolof au sein de leur territoire. C‟était donc des moments décisifs où les populations du Jigemb mobilisaient toutes leurs forces afin de repousser les ennemis et sécuriser davantage leur territoire. Sur ce, lisons ce passage extrait de L‟attaque surprise de Gitir :
» Ndaa na saax le Gitir yaaga…
Fa‟ool we mbug‟angaa songiid saax le,
Pudaay ken saax le kaa mbuuqoogu
Seereer we a mbaag o and ee
A jega paaxeer ke na gaara kam saax le.
A cinj kaaga, wiin wen saax le a nqooyir
No ke ñofna, no ndaxar maak nen saax le,
Ndax da mbaag a ɗeet paaxeer ke na gaara.
So maaɗag we lay ee:
-« Teeñ fee na Fa‟ool na rokiida no saax le ! »
No kaaga, Seereer we ɗeet […] »
Traduction :
« Mais le village de Guityr, à l‟époque…
Chaque fois que les Wolof du Bawol préparaient une attaque contre le village,
Les fromagers du village poussaient des cris d‟alerte
Afin que toute la communauté soit prévenue
Du malheur qui s‟apprêtait à s‟abattre sur le village.
Ainsi, tous les hommes du village se réunissaient
Dans l‟urgence, sous l‟arbre du conseil du village,
Pour diagnostiquer la menace qui planait sur le village.
Les devins prédirent :
-« Le Teeñ du Bawol est sur le point d‟attaquer le village ! »
Alors, les Seereer analysèrent les présages pour savoir la conduite à tenir […]
« L‟attaque surprise de Gitir » ; v. 10-20).
Les hommes réagissaient rapidement par des assemblées d‟urgence sous l‟arbre du conseil du village pour discuter du sort réservé à leur village.
D‟ailleurs, non seulement les Esprits surnaturels alertaient les populations en cas d‟attaque ou de trouble, mais ils apportaient également du renfort aux guerriers seereer pendant les affrontements. Ces pratiques animistes initiées par les ancêtres aidaient à maintenir la paix et la sécurité dans le territoire du Jigemb. Ainsi, les Esprits se métamorphosaient en hommes valides pour secourir les guerriers seereer quand il y avait une attaque. C‟est le cas à Gitir losrque ce dernier était attaqué par Karfa Ndumbe Juuf :
« A ñox a jegangaa kam saax le Gitir,
Pangool ke kaa suptuxoogu xa pes xa koor
So a ndok kam seereer wen saax le
Ndax da mbaaga ɓaat a den doole na ñox ale.
Pangool ke naanga ŋaaya took pudaay ke
A nqaƈa soo ndoomaa Faal we
Ndaa koy Faal we mbaagkee ndoomaa den took pudaay ke.
Traduction :
En cas d‟attaque contre le village de Gitir,
Les esprits protecteurs se métamorphosaient en jeunes hommes valides
Et ils se mêlaient aux guerriers seereer,
Leur apportant du renfort.
Ces esprits-là juchaient au sommet des fromagers,
Et ils tiraient sur les guerriers wolof.
Mais les tires des Wolof ne pouvaient pas atteindre le sommet des fromagers.
« L‟attaque surprise de Gitir » ; v. 49-50).
Nous pouvons retenir que l‟instinct du territoire repose sur l‟unité et la solidarité des populations seereer mais aussi sur l‟amour du territoire et le désir de la volonté de défendre ardemment ces terres à tout prix afin de pouvoir maintenir l‟intégrité territoriale du Jigemb.
Le culte de la défense
Selon la plupart de nos textes, la défense peut être définie comme l‟ensemble des moyens et des mesures visant à assurer l‟intégrité d‟un territoire, la protection de ses populations ou la sauvegarde de leurs intérêts. C‟est aussi la réaction d‟un être destinée à réduire ou annulée ce qu‟il perçoit comme une agression. Ainsi, défendre un territoire revient à assurer le maintien de la sécurité des habitants ainsi que de leurs biens et matériels. Depuis longtemps, comme nous l‟avons déjà évoqué dans l‟introduction générale, une volonté de puissance et de domination politique a animé certains peuples comme le royaume du Bawol, où, à l‟époque précoloniale, une aristocratie wolof ne cherchait qu‟à élargir son système de royauté dans les provinces seereer du Sud comme le Jigemb. En effet, les Wolof du Bawol arrivaient souvent à troubler la quiétude des sociétés seereer du Jigemb par des assauts répétés, des razzias et des expéditions impromptues. Même si la province du Jigemb appartenait politiquement à ce royaume du Bawol, cette appartenance n‟était pas effective. Cependant, malgré l‟absence de structure politique centralisée dans le Jigemb, la résistance des Seereer, de par son caractère déterminant, parvint à garantir l‟indépendance de leur territoire devant toute sorte de royauté à l‟époque précoloniale. En effet, l‟aristocratie wolof du Bawol eut beaucoup de difficultés pour soumettre les populations seereer du Jigemb. C‟est pourquoi, l‟autorité du Teeñ n‟a jamais été reconnue dans sa plénitude car, les Seereer du Jigemb étaient longtemps habitués à préserver leur indépendance et à contre-carrer toutes les attaques extérieures. Ainsi, pour parler de la défense du territoire seereer du Jigemb, il sera judicieux d‟abord d‟évoquer les faits et gestes des vaillants hommes historiques, pris en considération dans nos récits et qui ont marqué individuellement et/ou collectivement leur empreinte dans le cadre de la défense du territoire du Jigemb par des exploits héroïques. Mais, nous montrerons ensuite les stratégies et les techniques de défense ainsi que les pièges qui étaient souvent mis en œuvre par les populations seereer du Jigemb afin de pouvoir fermer leur territoire et repousser les envahisseurs loin du Jigemb. Nous évoquerons enfin le cas de la magie pratiquée souvent par les Seereer du Jigemb dans le but d‟anéantir leurs ennemis pendant ces moments troubles de leur histoire. La défense du territoire du Jigemb n‟était pas assurée par une armée ; d‟ailleurs il n‟y avait même pas de soldats. Néanmoins, dans chaque contrée dudit territoire, il y avait de grands hommes qui assuraient volontairement et régulièrement la sécurité de leur territoire. Ces vaillants guerriers, très courageux, bien armés, s‟installaient sur les principales routes afin de pouvoir couper la route aux étrangers envahisseurs de leur territoire : ils n‟hésitaient pas de tuer sauvagement les Wolof quand il le fallait. Plusieurs fois des ceddo wolof tombèrent dans leurs pièges. Alors, pour les étrangers qui ne comprenaient pas cette stratégie de défense, le Jigemb était un territoire de brigands et de grands bandits, des coupeurs de route. Cette affligeante image du Jigemb a été véhiculée et entretenue jusqu‟à l‟avènement de la colonisation. Parmi les plus ardents défenseurs du Jigemb, la tradition orale retient les noms de quelques figures historiques parmi lesquelles nous pouvons citer Qoox‟o Ndumbe. Ce dernier logeait dans un village appelait O‟qoo, dans la contrée de Mbaaɗaan. Qoox‟o Ndumbe était à la tête pour la protection des populations de Mbaaɗaan et celles de Ndimaag. Son fusil portait le nom de « Buur ŋaay » et détonnait dès qu‟on prononçait son nom : il ne nécessitait même pas de poudre. Cet homme qui montait au sommet d‟un fromager pour y moudre son tabac était la terreur des Wolof. Ainsi, le narrateur relate ses exploits lors d‟une razzia dans le territoire du Jigemb :
[…] Ndaa ye Qoox a xeembna poonum boo a ƈut koy,
Yaaga sutooxu na mbudaay ne soo a lay Faal we ee :
-« Ha, Qoox fa nuun goo !».
Ndaa no ke moƈna ñof, yaaga Faal we andid a Qoox
Yaaga inooxyo so a eetatir pis ke den ndax da mbaag o ƈuf.
No keene, Faal we a ndiida lool
Boo leng we, oxuu inooxna na den rek,
A ɓekaa a laxaaƥ ale no fuɗ len pis ne ten ;
So we yoqna, and‟ee ke da mbar‟ina o mbi.
No kaaga, Qoox o Ndumbe a wara a den a bar a ɗomu ;
Ru ta xaƈna soox gidi rek, a lay “Tuuk !”
Soo fomb qurand a sutoox.
No keene qurand ke a soongaa Faal we so mbaraa a den.
Neene Qoox o Ndumbe a fagiɗtoogu Faal we.
Bo yaa oleng soom a yoqna na den fop
Ta layin ee :
-«Xam xaƈong o ñoow,
Ndaa koy o xaadangaa saax le Fa‟ool,
Kam bug o wetanduux ke jegna meeke
No ñaal neeke xaaye, kam saax le Jigemb !».
Raaga o Paal o leng oxe a ƈufu soo a xaad saax le Fa‟ool.
Traduction :
[…] Dès que Qoo‟o Ndumbe eut fini de moudre son tabac,
Il surgit du fromager et dit :
-«Ah, les gars ! Qoox est parmi vous !»
Tout de suite, ils reconnurent la voix de Qoox en personne ;
Ainsi, ils se ruèrent sur leurs chevaux pour se sauver.
Les Wolof étaient si effrayés
Que chaque fois que l‟un d‟eux se levait,
Il fourrait les mors dans l‟anus de son cheval.
Les autres ne savaient même pas quoi faire.
Là, Qoox o Ndumbe les massacra.
Chaque fois qu‟il tirait un coup de fusil, il criait : « dix ! »
À l‟instant même, un essaim d‟abeilles sortit du fromager
Et s‟abattit les Wolof et les tuèrent
C‟est ainsi que Qoox o Ndumbe extermina l‟armée des Wolof.
Il ne laissa la vie sauve qu‟à un seul Wolof
Il lui dit :
-«Je te laisserai la vie sauve
Pour qu‟une fois rentré au Bawol,
Tu racontes tout ce qui s‟est passé ici,
Aujourd‟hui même sur le sol du Jigemb !»
C‟était ainsi que le seul rescapé des Wolof retourna au Bawol.
« Qoo‟o Ndumbe face aux Wolof du Bawol » ; v. 35-55.
De jour comme de nuit, Qoox‟o Ndumbe veillait sur la sécurité de ses congénières.
Dans la même dynamique, le village de Mbuufuuƈ était protégé par un groupe d‟hommes avec Bugar Dece Fay à leur tête. L‟invulnérabilité de ce dernier était incontestable et reconnue à l‟époque par le Teeñ Mayoro Faal. Bugar Dece disposait d‟une protection magique capable de tenir les populations loin des mauvais sorts. À l‟époque, le Teeñ avait envoyé un Peulh pour espionner Bugar Dece pendant trois années. C‟est ainsi qu‟il a découvert son secret d‟invulnérabilité. Après être capturé un jour par Mayoro Faal, Bugar Dece a fini par se suicider dans le village de Njaay-Njaay parce qu‟il refugeait d‟être humilié devant ses compatriotes par les wolof du Bawol :
[…] -« No ndigil, nu mbaageeram‟o mbar fo kenu saqna
Ndaa koy xam lay a nuun ke na warkaxam ! »
Raaga layu den ee :
-« Nquuyyo took xoox es,
Nu mbatin teex ne refna kam ɗuf ne mi
Kaaga soom na taxkaa nu mbaraam ! »
Ciiñ fa lay um koy,
Yaaga faal we a nquy took ɗuf ne ten,
A mbatin teex um ne reeɗna kam fee
Soo a yaqin maaga koy.
Re da mbi‟na kaaga boo ƈut koy,
Raaga mbartin maaga Njaa-Njaay.
Traduction :
[…]-« Vous ne pouvez pas me tuer avec vos propres armes !
Je vais vous dire par quelle arme vous parviendrez à me tuer ! »
C‟est ainsi qu‟il leur dit :
-« Déchirez la peau de ma tête
Retirez le gris-gris caché dans ma chevelure
C‟est après seulement que vous pourrez me tuer ! »
Aussitôt après,
Les Wolof lui ouvrirent le crane,
Retirèrent le gris-gris qui y était caché
Et le détruisirent.
Après avoir procédé ainsi,
Ils le tuèrent sur place, à Njaay-Njaay.
« Bugar Dece Fay contre le Teeñ Mayoro Faal » ; v. 76-87).
D‟autres vaillants hommes veillaient aussi sur la sécurité des populations du Jigemb mais ils ne figurent pas parmi nos récits. Il s‟agit de Siing Jaga Joom : ce dernier habitait à Jolofira et son fusil dénommé « Unaan » détonait à la simple prononciation de son nom. Jafe Yala, un aristocrate du Bawol a une fois essuyé une sévère défaite devant ce dernier et ses compagnons lors d‟une bataille près du village de Ñoomar. Il y avait aussi Kookool Jatar et Kaangam Dud, deux braves hommes qui protégeaient la contrée de Sandook. Kookool habitait notamment dans le village de Suusuung seereer tandis que Kaangam était du village de Mbeefec. Ces deux hommes sécurisaient toute la contrée de Sandook si bien que les Wolof ne pouvaient en aucun cas pénétrer cette partie du territoire du Jigemb. De plus, à Njaay-Njaay (Njagañaw), il y avait un nommé Ngaari Yiinge. Ce dernier était réputé pour son courage et sa bravoure dans le cadre de la protection du village de NjaayNjaay ; il détenait surtout un immense pouvoir, capable de se prononcer même sur des choses pas encore arrivées. Ces différents lions du Jigemb « Cogoy ke Jigemb » ont âprement défendu le territoire du Jigemb pendant les périodes troubles de son histoire. Ils ont opposé une résistance farouche aux pouvoirs centraux du Bawol en refusant catégoriquement que leurs congénères soient opprimés, réduits à l‟exclavage et vendus aux étrangers. En outre, les Seereer du Jigemb mettaient en place des stratégies et des techniques de défense ainsi que des pièges pouvant empêcher le passage aux Wolof dans l‟enceinte de leur territoire : il s‟agissait de tranchées larges et profondes à la fois infranchissables, creusées tout autour des frontières villageoises. Ils les masquaient par des branches d‟épineux et d‟herbes au point que les Wolof, une fois arrivés, ne pouvaient pas en aucun cas remarquer qu‟il s‟agissait d‟un piège. Ainsi, la contrée de Mbaaɗaan fut la plus réputée pour ces techniques de défense. Toutefois, la pratique de la magie a également beaucoup aidé les Seereer dans la défense du territoire du Jigemb. Il s‟agissait d‟une pratique traditionnelle occulte fondée sur l‟utilisation du surnaturel ou de pouvoirs magiques à des fins maléfiques ou égoistes. Le Jigemb fut une province très réputée dans ce domaine. Ainsi, les gemb disposaient d‟un certain nombre de pouvoirs magiques incontestables. En effet, le Jigemb est aussi un territoire reconnu à travers la détention des flèches-mystiques, « a loɓet ake » . Il s‟agissait de flèches fabriquées d‟abord sur la base du fer forgé, données ensuite aux saltigués qui les armaient mystiquement pour enfin les déposer sur un van, « ndal ndurir ». Ils y mettaient un colier de perles « mbeeme ». La flèche-mystique se présentait comme une simple flèche ayant des trous tout autour. Ces flèches armées mystiquement servaient d‟armes dangeureuses, capables de tuer sans limite car elles pouvaient pénétraient n‟importe qui à tout moment quelle que soit la distance de l‟ennemi. Ainsi, dès que les Wolof attaquaient les gemb, les saltigués envoyaient ces flèches-mystiques en direction des Wolof. Et, quiconque qui envoyait ces flèchesmystiques restait assis, immobile jusqu‟à ce qu‟elles retournent à leur point de départ. Quand les flèches atteignaient les Wolof, elles pénétraient leur corps et sortaient aussitôt de l‟autre côté ! C‟est ainsi que les Seereer massacraient les Wolof qui perturbaient leur quiétude. Ces flèches retournèrent aussitôt qu‟elles avaient tué les Wolof. Les saltigués les récupéraient à leur retour et rejoignaient enfin leurs concessions respectives. A cela, s‟ajoutent aussi les pouvoirs maléfiques remarquables de certaines figures historiques dans le territoire du Jigemb. Pour cela, nous pouvons évoquer le cas de Qoox‟o Ndumbe. Ce dernier était célèbre grâce à ses pouvoirs surnaturels qui lui permettaient de faire des choses mystérieuses à chaque fois qu‟il avait affaire avec les Wolof. Ainsi, ses pouvoirs étaient relatifs à plusieurs actions parmi lesquelles la capacité de faire apparaître un essaim d‟abeilles en pleine bataille, de faire retentir son fusil sans poudre, de disparaître et de réaparaître devant l‟ennemi… C‟est pourquoi Qoox‟o Ndumbe était la terreur des Wolof :
[…]-« Ha, Qoox fa nuun goo !».
Ndaa no ke moƈna ñof, yaaga Faal we andid a Qoox
Yaaga inooxyo so a eetatir pis ke den ndax da mbaag o ƈuf.
No keene, Faal we a ndiida lool
Boo leng we, oxuu inooxna na den rek,
A ɓekaa a laxaaƥ ale no fuɗ len pis ne ten ;
So we yoqna, and‟ee ke da mbar‟ina o mbi.
No kaaga, Qoox o Ndumbe a wara a den a bar a ɗomu ;
Ru ta xaƈna soox gidi rek, a lay “Tuuk !”
Soo fomb qurand a sutoox.
No keene qurand ke a soongaa Faal we so mbaraa a den.
Traduction :
[…]-«Ah, les gars ! Qoox est parmi vous !»
Tout de suite, ils reconnurent la voix de Qoox en personne ;
Ainsi, ils se ruèrent sur leurs chevaux pour se sauver.
Les Wolof étaient si effrayés
Que chaque fois que l‟un d‟eux se levait,
Il fourrait les mors dans l‟anus de son cheval.
Les autres ne savaient même pas quoi faire.
Là, Qoox o Ndumbe les massacra.
Chaque fois qu‟il tirait un coup de fusil, il criait : « dix ! »
À l‟instant même, un essaim d‟abeilles sortit du fromager
Et s‟abattit les Wolof et les tuèrent…
« Qoo‟o Ndumbe face aux Wolof du Bawol » ; v. 37-47)
Ses actions historiques et héroïques font de lui un redoutable héros dans le cadre de la défense du territoire du Jigemb. En outre, il y a aussi le cas de Kookool Jatar dans le village de Suusung-Sandook. Ce dernier était un homme mystérieux, un grand marabout dans le Sandook. Il recevait tous les jours un nombre important de personnes venues à la recherche de remèdes pour leurs problèmes. D‟ailleurs il fabriquait des boubous mystiques qui rendaient invulnérables devant tout objet tranchant ainsi que devant les fusils. Quand une attaque se préparait dans le Sandook, Kookool Jatar sortait le premier et traînait son amulette sur le sol. Après quoi, une ligne magique surgissait. Quiconque traversait cette ligne mystique, revenait des affrontements saine et sauve. Dans le village de Ñiiñing, à côté de Suusung, se trouvait un vaillant homme du nom de Waali Dem. C‟est lui qui alertait les populations de la venue des envahisseurs wolof. Son cri pouvait être entendu partout dans la contrée de Sandook et Njagañaw. Du côté de Mbuufuƈ, se trouvait Bugar Dece Fay. Ce dernier, pour éviter d‟être traîné devant ses compatriotes comme nous l‟avons déjà évoqué, avait fini par dire aux Wolof de sortir la corne qui se trouvait dans son crane afin qu‟il puisse mourir tôt :
[…]-« No ndigil, nu mbaageeram‟o mbar fo kenu saqna
Ndaa koy xam lay a nuun ke na warkaxam ! »
Raaga layu den ee :
-« Nquuyyo took xoox es,
Nu mbatin teex ne refna kam ɗuf ne mi
Kaaga soom na taxkaa nu mbaraam ! »
Ciiñ fa lay um koy,
Yaaga faal we a nquy took ɗuf ne ten,
A mbatin teex um ne reeɗna kam fee
Soo a yaqin maaga koy.
Traduction :
[…]-« Vous ne pouvez pas me tuer avec vos propres armes !
Je vais vous dire par quelle arme vous parviendrez à me tuer ! »
C‟est ainsi qu‟il leur dit :
-« Déchirez la peau de ma tête
Retirez le gris-gris caché dans ma chevelure
C‟est après seulement que vous pourrez me tuer ! »
Aussitôt après,
Les Wolof lui ouvrirent le crane,
Retirèrent le gris-gris qui y était caché
Et le détruisirent.
« Bugar Dece Fay contre les Wolof du Bawol » ; v. 76-85)
Pour finir, nous pouvons retenir que si le Jigemb est resté un territoire quasiment indépendant, c‟est grâce à son système de défense qui était insolite mais efficace et méconnu par les assaillants. Ce système était solidement basé sur plusieurs stratégies de défense. Il a permis aux Seereer de neutraliser les tentatives de domination du Bawol. Le Teeñ n‟osait pas traverser le Jigemb et le Jobaas pour se rendre à la Petite Côte. Pour effectuer ce voyage, il allait de Lambaay à Mbuur en passant par Kaba, Ndengeleer et Jaak.
Le style hyperbolique
C‟est une figure de style qui consiste à mettre en relief un fait ou une idée au moyen d’une expression qui la dépasse afin d‟attirer l‟attention du lecteur. Il s‟agit d‟une exagération qui sert à présenter les choses en leur donnant plus d’importance qu’elles n’en ont réellement. Cependant, il arrive quelquefois dans nos récits des passages où le narrateur s‟attèle à l‟exagération pour accorder plus de valeur aux faits et gestes. Cette forme de narration à caractère épique, car ayant les proportions des sujets de l‟épopée, met en scène les héros du Jigemb contre des envahisseurs véreux. Ainsi, L‟attaque surprise de Gitir peut nous servir d‟exemple, plus particulièrement l‟étape où Karfa Ndumbe Juuf s‟était écroulé au sol :
[…] Yaaga Seereer we a mbadna maaga Faal we yenna,
Kaa soƥ a Karfa Ndumbe Juuf fa pis um da ndef no lanq ke.
Ndaa koy ceer‟um ke mbel‟aan o nge
Yaam mu refna no ceer ke ten, xa can xa ɓor a refu.
Traduction:
[…] Quand les Seereer arrivèrent sur le champ de bataille rempli de cadavres des Wolof
Ils trouvèrent Karfa Ndumbe et son cheval gisant.
Mais son corps n‟était pas aussi facile à identifier
Il était partout couvert de cornes.
(L‟attaque surprise de Gitir, v. 76 – 79)
Dans ce passage, l‟idée qui fait penser à l‟hyperbole est relative au fait que le corps du Teeñ était presque invisible car, « couvert partout de cornes ». Cela introduit une forte exagération des faits dès lors qu‟on sait que les gris-gris, d‟habitude, c‟est pour protéger le porteur contre les mauvais sort. Malgré tout, le Teeñ a succombé. De même, le cas de Qoox o Ndumbe est à noter dans le récit 2. Lorsqu‟un jour les Wolof razzièrent Mbaaɗaan, ils étaient tombés dans le piège de leur « terreur » : Qoox o Ndumbe. Ainsi, ce dernier qui surgit d‟un fromager les attaqua si bien que les Wolof étaient carrément effrayés. Le narrateur accorde beaucoup d‟importance aux exploits de Qoo dans les versets cidessous :
« Ndaa ye Qoox o Ndumbe a xeemb na poon‟um boo a ƈut koy,
Yaaga sutooxu na mbudaay ne so a lay Faal we ee :
-Ha, Qoox fa nuun de goo !
Nda no ke moƈna ñof, yaaga Faal we andid a Qoox
Yaaga inooxyo so a eetatir pis ke den ndax da mbaag o ƈuf.
No keene, Faal we a ndiida lool
Boo leng we, oxuu inooxna na den rek,
A ɓekaa a laxaaƥ ale no fuɗ len pis ne ten ;
So we yoqna, and‟ee ke da mbar‟ina o mbi. »
Traduction :
« Mais dès que Qoox o Ndumbe eut fini de moudre son tabac,
Il surgit du fromager et dit :
– Ah, Qoox est parmi vous les gars !
Aussitôt, ils reconnurent la voix de Qoox en personne ;
Ainsi, ils se précipitèrent sur leurs chevaux pour se sauver.
Les Wolof étaient si effrayés
Que chaque fois que l‟un d‟eux se levait,
Il fourrait le more dans l‟anus de son cheval.
Les autres ne savaient quoi faire. »
(Qoo‟o Ndumbe face aux Wolof du Bawol ; vers 35 – 43)
Ici, l‟hyperbole peut se lire dans les versets suivants : « Chaque fois que l‟un d‟eux se levait, / Il fourrait le more dans l‟anus de son cheval ». A travers ces propos, le narrateur nous montre combien Qoox o Ndumbe terrorisait véritablement les Wolof. En somme, nous pouvons retenir que pour amplifier la dimension des faits et gestes des personnages historiques du Jigemb, les narrateurs utilisent souvent l‟hyperbole pour attirer l‟attention du public. Cependant, le narrateur peut aussi faire recours à d‟autres procédés rhétoriques tel que l‟euphémisme.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIÈRE PARTIE : CORPUS
Présentation des récits
Récit 1 : L‟attaque surprise de Gitir !
Récit 2 : Qoox o Ndumbe face aux Wolof du Bawol
Récit 3 : Bugar Dece Fay contre le Teeñ Mayoro Faal
Récit 4 : Caaka Maac Yum et l‟homme du Bawol, razzieur de vaches
DEUXIÈME PARTIE : ANALYSE THÉMATIQUE ET STYLISTIQUE
CHAPITRE 1 / ANALYSE THÉMATIQUE
II-1.1 – L‟instinct du territoire
II-1.2 – Le culte de la défense
II-1.3 – La bravoure
CHAPITRE 2 / ANALYSE STYLISTIQUE
II-2.1 – Les figures de style
II-2.1.1 – Le style hyperbolique
II-2.1.2 – Le style euphémique
II-2.1.3 – La personnification
II-2.2 – Les modes de dramatisation
II-2.2.1 – Le tragique
II-2.2.2 – Le merveilleux
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
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