Difícil será encontrar en toda la Historia de España asuntos que hayan interesado tanto (no sólo a los investigadores, sino también a poetas, dramaturgos, novelistas y escritores políticos) como los de la conversión forzada, el alzamiento y la expulsión de los moriscos, sus incidentes y sus vicisitudes.
Dans cette déclaration située au début de son ouvrage Los moriscos del reino de Granada, Julio Caro Baroja rend compte d’une certaine fascination exercée par le destin de la communauté morisque en Espagne. L’histoire des minorités religieuses de la Péninsule prend un tour nouveau à partir de 1492. Cette année clé est celle de la fin de la Reconquista, de l’expulsion de la communauté juive, et du premier voyage de Christophe Colomb en Amérique. Ces événements fondamentaux, et les reconfigurations qu’ils entraînent au siècle suivant, obligent l’Espagne à se poser la question de son identité. En d’autres termes, il s’agit de se demander qui sera intégré dans la « nation » en formation, et qui en sera rejeté, et rendu illégal ; c’est la religion qui servira de critère discriminant, puisque ce grand royaume, à l’aube du XVIe siècle, cherche à se définir, avant tout, comme chrétien, comme le souligne Barbara Fuchs :
En réaction à la longue période d’occupation de la Péninsule par l’Islam, et pour étayer ses revendications sur le Nouveau-Monde, l’Espagne du XVIe siècle endossa ostensiblement le rôle de Défenseuse de la foi –principal bastion d’un Catholicisme assiégé et nation chrétienne par excellence.
Or, malgré l’expulsion des Juifs et la chute de la dernière enclave musulmane, l’altérité religieuse perdure en Espagne, puisque les habitants de l’ancien royaume de Grenade ont été autorisés à conserver l’Islam, selon la politique qui avait été appliquée lors de la Reconquista dans le reste du pays. Cette tradition de cohabitation est vieille de plusieurs siècles : les Musulmans l’ont appliquée tout au long de leur conquête du territoire, autorisant les vaincus chrétiens à continuer à pratiquer leur foi en échange d’un impôt spécial, et les Chrétiens, au début de la Reconquête, firent de même . Cette politique, cependant, ne peut survivre à l’année 1492 : comme l’explique André Stoll, l’Etat moderne qui se met alors en place se rêve homogène . La nécessité de convertir les Musulmans s’impose donc rapidement à Grenade : elle s’illustre d’abord dans les efforts d’évangélisation pacifique du premier archevêque de la ville, fray Hernando de Talavera, le confesseur de la reine Isabelle. Néanmoins, cette politique se réoriente dès les premières années du XVIe siècle, et le cardinal Cisneros inaugure un autre chemin, celui de l’urgence et des baptêmes de masse. Les décrets qui imposent la conversion aux Musulmans se multiplient à travers le pays, dans les royaumes de Castille en 1500, de Valence en 1525, et enfin d’Aragon en 1526, date de la disparition de l’Islam péninsulaire. En théorie, il ne subsiste plus aucune minorité religieuse en Espagne ; pourtant, ces Musulmans convertis au Christianisme, ainsi que leurs descendants, peinent à se fondre dans la masse de leurs nouveaux coreligionnaires : ce sont ceux que l’on désigne, par opposition aux « VieuxChrétiens», comme « nuevos convertidos de moros », ou « morisques ».
Qu’est-ce que la minorité morisque ? En réalité, ce statut, qui n’en est pas vraiment un, constitue une sorte de trou dans le tissu légal qui réglemente les rapports entre les communautés, une zone grise que personne ne peut, ou ne cherche à remplir. Isidro de las Cagigas se demande :
¿Qué es lo morisco? ¿Una nueva minoría? Desde luego que no; es la misma que antes veníamos llamando mudéjar. ¿Cuestión de nombres? Tampoco. Las minorías se caracterizan no sólo por los núcleos raciales que la forman, sino también por el estatuto que las protege. Y el estatuto del morisco no es, en forma alguna, el mismo que amparaba al mudéjar.
Bernard Vincent et Antonio Domínguez Ortiz parlent à cet égard de « la intolerable ambigüedad de la situación morisca » : d’un point de vue politique et religieux, de fait, rien n’autorise à considérer cette communauté comme un groupe à part. Pourtant, le fait même de maintenir la désignation « morisque » est un stigmate de la différence : on ne laisse pas leur origine se perdre, et le souvenir en est rappelé de génération en génération. C’est dire si le « problème musulman », en Espagne, ne s’achève pas en 1526 : il s’est simplement déplacé, et se cristallise autour de nouveaux foyers de tension, en particulier cette communauté de nouveaux convertis, victime de toutes les suspicions et de toutes les discriminations. Il semblerait alors que la meilleure définition que l’on puisse donner de cette minorité qui ne dispose d’aucun statut légal clairement établi, réside dans un rapport de force permanent, et une relation dominant-dominé :
L’essentiel est bien là. Les morisques ne sont pas maîtres de leur destin, ne peuvent être, à tout moment et en tout lieu, eux-mêmes. Ils vivent constamment sous le regard d’un Autre dominateur. L’être morisque dépend en permanence de la relation majoritaire-minoritaire.
De fait, ces Nouveaux-Chrétiens sont constamment soupçonnés de crypto-islamisme: leur conversion n’est pas sincère, et ils continuent à pratiquer leur ancienne foi. Or, pour l’Espagne du Siècle d’or, celle-ci s’exprime avant tout à travers un ensemble de coutumes étrangères au monde chrétien, qui font l’objet de réglementations spécifiques : la façon qu’ont les morisques de manger, s’habiller, parler ou vivre en famille devient affaire d’Etat. Mais ce n’est pas tout : non contents d’être les antagonistes religieux et culturels de l’Espagne, les morisques en seraient aussi les ennemis politiques : on les voit comme une cinquième colonne prompte à favoriser les intérêts de leurs frères en religion de l’autre côté de la Méditerranée, avec lesquels ils conspirent dans le but d’envahir de nouveau l’Espagne . C’est que le « problème musulman » trouve un prolongement au-delà des frontières nationales. Au contraire de l’Europe, qui se désintéresse de la question après la chute d’Acre en 1291, la péninsule Ibérique entretient avec le monde islamique un rapport de proximité qui perdure après 1492.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Les voix du réel
I. Un substrat historique précisément déterminé
A) Le contexte morisque, marqueur d’historicité par excellence
L’identification générique des textes
Des facteurs d’historicité
B) La reprise des débats autour de la « question morisque »
Mettre en scène le réel
Les écueils de la « question morisque »
II. D’un texte l’autre
A) Un sous-texte persistant
Les paradigmes discursifs
L’attitude textuelle ou syndrome don Quichotte
B) A la recherche d’une justification pour le texte de fiction
Une autorité pour écrire
Des stratégies de légitimation
Chapitre 2 : La représentation de l’Autre
I. La construction d’un archétype de l’Autre
A) L’Autre radical
La construction de deux blocs antagonistes
Un fossé radical entre les deux communautés
B) Entre l’Autre et le Même : une distance contrôlée
Moros y cristianos, une fausse disjonction
« Nací yo, de moriscos padres engendrada »
II. L’altérité rendue inoffensive
A) Fiction et exclusion
Marginalisation des personnages morisques
La fiction amoureuse
B) L’Orient : un pur moteur narratif
Un instrument au service de l’intrigue
Un contexte historique vidé de sens
Conclusion
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