Les verrous technologiques de la configuration planaire
Si la compacité et les performances électrochimiques des SOFCs en configuration planaire rendent cette technologie compétitive vis-à-vis des autres types de piles à combustible, leur essor industriel est toutefois limité par un vieillissement rapide et rédhibitoire pour une application commerciale.
En fonctionnement stationnaire sous hydrogène, on observe en effet des forts taux de dégradation d’environ 0,5 à 4% par 1000h suivant le type de système étudié et la sévérité du test . Ces taux semblent influencés en premier lieu par la densité de courant débitée par la pile et par le taux d’utilisation du combustible. Les mécanismes induisant cette dégradation ne sont à ce jour pas clairement établis ni décorrélés les uns des autres. Néanmoins un certain nombre de mécanismes sont classiquement évoqués : l’agglomération des particules de nickel sous l’effet de la température pouvant aller jusqu’à la perte de percolation électrique , une ré-oxydation locale du cermet anodique à fort taux d’utilisation du combustible , une réactivité du LSM avec l’électrolyte et un empoisonnement de la cathode provenant d’une évaporation du chrome de l’interconnecteur métallique . En fonctionnement sous gaz reformé, des impuretés telles que H2S peuvent en outre s’adsorber sur les sites d’électrooxydation de l’hydrogène et participer à l’empoisonnement de l’anode . En Reformage Interne Direct, le dépôt de carbone qui apparaît dès que les conditions thermodynamiques sont favorables peut également s’avérer être une source de dégradation.
Un endommagement mécanique de la cellule peut être induit par des contraintes résiduelles générées par son étape de mise en forme . Le gradient de température qui apparaît en fonctionnement modifie l’état de contraintes initial et peut également participer à la dégradation mécanique des cellules . Il est important de noter que ce gradient dépend fortement du type d’architecture envisagée et de la nature du combustible.
Les cycles d’arrêt et de mise en route des systèmes induisent également des phénomènes transitoires et de fatigue thermique pouvant s’avérer dommageables pour la pile. A titre d’illustration, il a été reporté pour un système commercial développé par Versa Power Systems une dégradation de 0,5% sur cinq cycles thermiques (i=0,5 A/cm² et ∆T~750°C).
Si l’alimentation en combustible est accidentellement ou volontairement interrompue en température, l’entrée d’air dans le compartiment anodique de la pile va induire une ré-oxydation du nickel. Cette ré-oxydation s’accompagne d’une déformation macroscopique irréversible de l’anode conduisant à un chargement mécanique important de la cellule.
De façon générale, même pour une ré-oxydation partielle du cermet, il suffit d’une à quelques alternances en atmosphère réductrice et oxydante (appelées cycles redox) pour détruire irrémédiablement la pile . Une telle sensibilité aux cycles d’oxydoréduction n’est pour l’instant pas compatible avec une application commerciale des SOFCs.
Présentation du cadre de l’étude : intégration d’une pile SOFC au sein d’une chaudière individuelle fonctionnant au gaz naturel
Principe du couplage entre une chaudière individuelle et une pile SOFC
La société Sulzer Hexis développe depuis 1989 une pile de 1kW pour une application résidentielle, l’objectif étant à la fois de produire de l’électricité et de chauffer un habitat individuel . Dans ce système, l’empilement de cellules planes est alimenté par le gaz naturel de ville préalablement reformé. L’excèdent de chaleur dégagé par la pile (∼2,5 kW) est récupéré pour être introduit dans le circuit de chauffage de l’habitat. Le système reste néanmoins équipé d’un brûleur classique fournissant 20 kW de chaleur. Le principal inconvénient de ce système est la faible robustesse du cœur de pile.
Dans le cadre du projet CIEL (pour Chaudière Individuelle ELectrogène) financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), Gaz de France (GdF) a proposé d’intégrer directement une pile SOFC au sein du cœur de chauffe d’une chaudière individuelle. Ce concept permet de réduire drastiquement le volume du système complet et d’assurer un réel couplage thermique entre la pile et la chaudière. Par ailleurs, afin d’éviter un reformeur externe difficilement intégrable dans la chaudière, un fonctionnement de la pile en Reformage Interne Direct (RID) du méthane est considéré. Une analyse menée par GdF a montré que ce système est rentable sur le plan financier et écologique, seulement si la pile affiche un rendement électrique important supérieur à 55%. De plus, elle devra être capable de subir au moins partiellement un grand nombre de cycles thermiques et redox lors des phases de mise en route et d’arrêt de la chaudière.
Objectifs du travail de thèse
Ce travail de thèse vise à étudier le fonctionnement d’une pile SOFC dans les conditions définies par le projet CIEL. Par une démarche de modélisation, on s’est proposé d’établir la pertinence et la faisabilité du couplage chaudière/pile sur le plan thermique et électrochimique. L’étude des mécanismes du RID à fort taux d’utilisation (i.e. pour des rendements importants) a été menée afin d’établir des spécifications assurant un fonctionnement optimal de la pile. Différents points de fonctionnement de la pile SOFC ont également été étudiés.
La dégradation mécanique des SOFCs constitue un des verrous technologiques majeurs de cette configuration. Par conséquent, un effort particulier a été dédié à la prévision de l’endommagement des cellules en fonctionnement, au cours des cycles thermiques et d’oxydoréduction. Les autres causes de dégradation n’ont pas été abordées dans le cadre de ce travail.
Bilan du modèle « thermo-électrochimique » et éléments de validation expérimentale
Un modèle basé sur des lois physiques classiques a été développé pour rendre compte du comportement thermique et électrochimique d’un SRU alimenté par du méthane. Ce modèle permet d’établir la courbe de polarisation de la pile ainsi que les fractions molaires locales dans les électrodes. Sur le plan thermique, il permet de calculer le champ de température et les gradients thermiques dans le SRU, ainsi que les échanges de chaleur avec le milieu extérieur.
Il est donc possible d’établir les grandeurs caractéristiques du fonctionnement du SRU permettant d’analyser ses performances (puissance, taux d’utilisation, rendement électrique et régime thermique).
Les phénomènes transitoires au démarrage et à l’arrêt du système n’ayant pas été pris en compte, le domaine d’application du modèle est restreint à un fonctionnement stationnaire de la pile. De plus, les cinétiques de réactions de dépôt de carbone n’étant pas établies, le modèle n’est rigoureusement valide que dans les conditions thermodynamiques où les réactions de craquage du méthane (1.12) et de Boudouard (1.13) ne sont pas possibles.
Les paramètres introduits dans le modèle possèdent tous une signification physique. Les tableaux A2-1 et A2-2 de l’annexe 2 rassemblent les données utilisées pour effectuer les simulations. Ces données proviennent de la littérature scientifique, et correspondent à des mesures expérimentales effectuées sur les matériaux de référence (i.e. Ni-8YSZ//8YSZ//LSM). On notera que les paramètres microstructuraux sont typiques d’une cellule SOFC standard. La valeur donnée pour l’émissivité des plaques d’interconnection n’a pas été référencée. En effet, comme mentionné par D. Larrain et al. , ce paramètre dépend fortement de l’état d’oxydation du métal et peut varier entre 0,4 et 0,9. La valeur de 0,7 retenue pour cette étude correspond cependant à une valeur raisonnable pour un Inconel chauffé à 800°C sous air.
Une étape de validation du modèle a été effectuée. Pour ce faire, le modèle a été adapté pour décrire le comportement du banc de test électrochimique SOLO. Ces adaptations ont tenu compte de l’écoulement des gaz spécifique à ce banc. Par ailleurs, on notera que ce montage présente les mêmes conditions aux limites qu’un empilement placé au sein d’une chaudière : la chaleur dégagée par la cellule en fonctionnement peut être évacuée par rayonnement vers les parois internes du four.
Une cellule commerciale constituée par les matériaux standard (Ni-YSZ//YSZ//LSM) a été testée sous hydrogène humidifié à 3%. L’essai a été réalisé avec une température du four régulée à 800°C. La courbe de polarisation obtenue est présentée en figure II.9. En adaptant la résistance de collectage du courant non optimisée de ce banc à 0,8 Ω.cm2 , le modèle permet de bien simuler la courbe de polarisation expérimentale. Ce résultat indique que les hypothèses du module électrochimique sont suffisamment pertinentes pour reproduire correctement la réponse électrochimique d’une cellule SOFC.
Estimation du risque de rupture aux interfaces de la cellule
Etant donné la grande fragilité des matériaux SOFCs, on peut raisonnablement supposer qu’une couche mince soumise à des contraintes résiduelles en traction ne commencera pas à se décoller de son substrat, mais rompra plutôt par l’apparition de fissures transverses (i.e. perpendiculaires au plan du dépôt). Inversement, une décohésion d’interface pourra se produire si la couche mince est soumise à des contraintes résiduelles en compression.
En effet, cet état de contrainte peut provoquer un décollement du film par buckling ou « cloquage » (fig. II.14a). Ce mécanisme de rupture nécessite un défaut initialement présent dans l’interface. Ce dernier pourra se propager dès que l’énergie élastique emmagasinée dans le dépôt dépassera un seuil critique. Ce seuil correspond à l’énergie de rupture interfaciale (ou adhérence) du système. Si il n’y a pas de défaut dans l’interface étudiée, l’amorçage de la rupture requiert une deuxième condition : une contrainte de traction doit être appliquée perpendiculairement à l’interface et dépasser un seuil critique.
Si la résistance du film est suffisamment faible en comparaison de l’interface, la couche mince sollicitée en compression pourra se décoller par un mécanisme de wedging ou « écaillage » (fig. II.14b). Ce mécanisme ne nécessite pas un défaut d’interface préexistant, mais correspond à un amorçage cohésif de la rupture dans la direction du cisaillement maximum, suivi d’une propagation de la fissure dans l’interface.
Dans le cadre de cette étude, le risque de délaminage aux interfaces des cellules SOFCs sera simplement estimé en calculant l’énergie élastique emmagasinée dans les couches minces en compression. La valeur ainsi calculée sera alors comparée à l’adhérence de l’interface entre la couche mince et son substrat.
Dans le cas de la couche électrolytique mince, seul le mécanisme de cloquage sera retenu.
En effet, la résistance mécanique du matériau dense est grande devant celle des interfaces poreuses et l’électrolyte n’est pas susceptible de rompre en mode II pur pour les niveaux de contrainte envisagés (σ0=446 MPa en mode I : cf. annexe 2). En d’autres termes, en plus du critère énergétique, le délaminage reposera dans le modèle sur l’existence d’un défaut préexistant dans l’interface étudiée. Inversement, compte-tenu de leurs caractères poreux, la résistance des matériaux d’électrodes se rapproche de la ténacité de l’interface. Par conséquent, la rupture cohésive en mode II pur du film peut intervenir dès que la condition énergétique pour le délaminage est remplie. Par conséquent, un mécanisme d’écaillage, ne nécessitant pas de défaut d’interface initialement présent, est possible. Le modèle prévoira donc un décollement du film poreux de son substrat lorsque le critère énergétique sera vérifié.
Méthodologie de mesure de l’adhérence pour une cellule SOFC planaire
Application à l’interface cathode/électrolyte
Description du test mécanique
Les mesures d’adhérence sont réalisées en faisant se propager une fissure à l’interface cathode/électrolyte. Pour ce faire, une plaquette découpée dans la cellule est mise en flexion à l’aide d’un dispositif à 4 points d’appui symétriques (fig. II.15). P.G. Charalambides et al . ont montré que ce type de chargement permettait d’obtenir un moment de flexion constant entre les points d’appui internes assurant ainsi une propagation stationnaire de la fissuration.
En d’autres termes, le délaminage s’effectue à force constante par la propagation de deux fissures d’interface se développant symétriquement depuis le centre de l’éprouvette.
Cependant, dans le cas d’une cellule SOFC, la cathode mince poreuse ne permet pas d’emmagasiner suffisamment d’énergie élastique pour assurer le délaminage. Pour remédier à ce type de problème, I. Hofinder et al. ont proposé l’adjonction de deux contreplaques non jointives sur la couche mince à décoller. L’écartement entre ces deux contreplaques constitue en outre une entaille à partir de laquelle la rupture pourra s’amorcer. Une plaque est également ajoutée du côté de l’anode qui joue un rôle de raidisseur de l’éprouvette. On peut ainsi maintenir des taux de restitution d’énergie adéquats pour la fissuration, tout en obtenant des forces appliquées mesurables. Ce raidisseur présente un second avantage en limitant le risque de déviation de la fissure en mode I dans l’électrolyte. Le dimensionnement en épaisseur de ces plaques a été effectué par G. Delette et al. . Il a été ainsi montré que des épaisseurs supérieures à 1 mm ne permettaient plus d’assurer un taux de restitution d’énergie stable en fonction de l’avancée de fissure.
Préparation des éprouvettes
Des cellules commerciales Indec de type ESC1 à électrolyte support ont été découpées au laser en barrettes rectangulaires de 40×7 mm. Les matériaux constitutifs de ces cellules sont, pour l’électrolyte, de la zircone partiellement stabilisée 3% molaire d’yttrium (3YSZ). La cathode est structurée en une couche externe en LSM pur permettant le collectage du courant et une couche fonctionnelle constituée d’un composite LSM/3YSZ. L’anode est un cermet à base de nickel et de cérine dopée avec du gadolinium (Ni/CGO). Les dimensions et les coefficients élastiques de ces matériaux sont récapitulés dans le tableau II-1. Contreplaques et raidisseur ont été découpés dans une tôle en acier inoxydable 304 puis assemblés aux barrettes céramiques dans un gabarit en téflon. L’utilisation de ce gabarit permet d’assurer une reproductibilité des épaisseurs de couche de colle et un écartement constant d’environ 1 mm entre les raidisseurs. L’observation au microscope optique d’une coupe polie de l’éprouvette révèle des épaisseurs d’adhésif constantes d’environ 55 µm côté cathode et 13 µm côté anode (fig. II.16). L’excédent de colle présent en fond d’entaille est totalement enlevé à l’aide d’un scalpel. L’adhésif utilisé est une résine époxyde (Epotechny E505 ® ) dont la réticulation nécessite un traitement thermique à 100°C pendant 30 minutes. La pénétration de la colle jusqu’à l’interface cathode/électrolyte a été vérifiée au Microscope Electronique à Balayage (MEB). Les fractographies obtenues révèlent sans ambiguïté une imprégnation complète de lacathode (fig. II.17)
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Table des matières
Nomenclature
Introduction générale
Chapitre I : Contexte et objectifs de l’étude
1 Présentation des piles SOFCs
2 Présentation du cadre de l’étude : intégration d’une pile SOFC au sein d’une chaudière individuelle fonctionnant au gaz naturel
Références bibliographiques
Chapitre II : Les outils développés pour l’étude
1 Adaptation des outils expérimentaux utilisés pourla validation des modèles
2 Le modèle « thermo-électrochimique » du SRU alimenté directement sous méthane
3 Le modèle mécanique : calcul des contraintes internes et estimation de la dégradation
des cellules
4 Méthodologie de mesure de l’adhérence pour une cellule SOFC planaire −Application à
l’interface cathode/électrolyte
5 Conclusion
Références bibliographiques
Chapitre III : Recherche des conditions de fonctionnement optimales de la pile alimentée directement sous méthane
1 Analyse des mécanismes impliqués dans le RID : répartition des fractions molaires et
températures dans la cellule
2 Analyse des points de fonctionnement de la pile selon la performance intrinsèque du SRU
3 Conclusion
Références bibliographiques
Chapitre IV : Recherche de la géométrie et des conditions de robustesse optimales
1 Contraintes résiduelles à température ambiante induites par la mise en forme des cellules
(champ régulier)
2 Contraintes à température de fonctionnement des SOFCs (champ régulier)
3 Champ de contrainte induit par la ré-oxydation del’anode
4 Effet des singularités sur la dégradation des cellules
5 Optimisation géométrique des cellules au regard de leur intégrité mécanique
6 Conclusion
Références bibliographiques
Chapitre V : Synthèse et discussion des résultats
Perspectives
1 Les apports de la modélisation
2 Solutions potentielles pour lever les verrous technologiques liés à l’utilisation d’une SOFC au sein d’une chaudière
3 Perspectives : les développements du modèle à envisager pour étudier les solutions aux verrous technologiques du couplage chaudière/pile
4 Conclusion
Références bibliographiques
Conclusion générale
Annexe 1 : Développement d’une approche statistique pour l’estimation de la rupture aux singularités d’une structure céramique
1 Rappels sur l’expression des probabilités de survie pour un champ régulier quelconque
2 Expression de la probabilité de survie dans un champ singulier
3 Analyse numérique (MEF) des probabilités de survie calculées dans un champ singulier
4 Discussion
5 Conclusion
Références bibliographiques
Annexe 2 : Paramètres de référence utilisés pour les modèlesélectrochimique, thermique et mécanique
Annexe 3 : Mécanique des interfaces et calcul de la mixité modale
Annexe 4 : Relations entre le tenseur des contraintes locales et celui des contraintes principales
Annexe 5 : Relation entre le rayon de raccordement en fond d’entaille et les probabilités de survie pour 2 * 1 > λ m
Annexe 6 : Relation entre le rayon exclu R ex et les probabilités de survie pour 2 * 1 > λ m Annexe 7 : Etude préliminaire portant sur la ré-oxydation électrochimique d’un cermet Ni-YSZ