Recherche de molécules non-toxiques actives en antifouling à partir d’organismes marins de Méditerranée

Les océans et les mers représentent près des trois-quarts de la surface du globe. La vie sur Terre est apparue dans le milieu marin il y a environ 3,8 milliards d’années alors que les premières espèces terrestres remontent, quant à elles, à 400 millions d’années. Cette différence se traduit aujourd’hui par une plus grande diversité des phyla et des genres dans le milieu marin. Par exemple, parmi les principaux phyla qui composent le règne animal, une grande majorité comporte des espèces marines et nombre d’entre eux sont exclusivement marins. De la même manière, on peut constater que le règne végétal terrestre se limite au seul monde « vert », alors que le milieu marin en comporte trois : les mondes « vert », « rouge » et « brun ». En effet, au cours de l’évolution, les algues vertes se sont adaptées aux eaux douces puis ont colonisé les sols, conduisant à l’ensemble des végétaux terrestres que l’on connait actuellement. A l’inverse, les algues brunes et rouges sont restées essentiellement marines en colonisant peu les eaux douces et pas du tout le domaine terrestre [1]. En plus de ce temps d’évolution plus long, un autre paramètre pourrait expliquer la richesse du milieu marin par rapport au milieu terrestre : l’espace. En effet, la vie sur terre se développe principalement en trois dimensions, une temporelle et deux spatiales ; dans le milieu marin, une quatrième dimension, celle de la verticalité, permet une diversification des milieux le long de la colonne d’eau (lumière, pression, nourriture, etc) et donc des espèces vivantes.

Cette biodiversité que l’on retrouve dans les mers et les océans se traduit naturellement par une chimiodiversité tout aussi importante. Celle-ci est d’ailleurs très spécifique en raison des particularités physico-chimiques du milieu marin. Néanmoins, sur près de 220 000 substances naturelles répertoriées, seules 10% sont d’origine marine. Ceci peut s’expliquer par le fait que les organismes marins ont été beaucoup moins étudiés que leurs analogues terrestres ; et ce principalement à cause du manque de connaissance de ce milieu et des difficultés liées à la récolte des échantillons. Ainsi, les premières recherches sur les produits naturels marins datent seulement de la fin des années 60 alors que les substances d’origine terrestre sont étudiées intensivement depuis déjà plus d’un siècle. Dès lors, de nombreux organismes marins n’ont pas encore fait l’objet d’études chimiques et beaucoup de métabolites restent à découvrir dans ce domaine. Notamment, une grande variété de végétaux et d’animaux sessiles utilisant la défense chimique comme mode de protection contre les prédateurs constitue un immense réservoir de structures chimiques originales et potentiellement valorisables pour leur bioactivité.

Par ailleurs, les hommes sont amenés à lutter contre une certaine diversité marine, appelée biofouling, qui sous forme de salissures marines colonise toutes sortes d’ouvrages immergés. Des peintures antisalissures (antifouling) ont ainsi été développées pour contrôler la prolifération de ces espèces colonisatrices sur les navires et certaines surfaces artificielles. Or, les revêtements très efficaces à base d’oxydes de tributylétain, couramment utilisés à partir des années 70, ont été totalement interdits par l’IMO (International Maritime Organization) en 2008 du fait de leur importante toxicité vis-à-vis d’espèces non-ciblées, principalement des mollusques. Pour cette raison, de nombreux travaux sont actuellement dévolus à la recherche de substances actives en antifouling et non-toxiques pour l’environnement marin. Les organismes marins produisant eux-mêmes des molécules afin de se protéger des organismes colonisateurs entrant en compétition avec eux, ils peuvent être considérés comme des sources potentielles de molécules actives en antifouling.

En attendant l’ouverture officielle du parc national des calanques en 2010, le parc national de PortCros, créé en 1963, fut le premier parc national marin d’Europe et le seul en France métropolitaine. Il se situe dans le département du Var et s’étend au niveau des îles d’Hyères (cf Figure 1). Il englobe la totalité de l’île de Port-Cros avec ses îlots (île de Bagaud, rochers du Rascas et de la Gabinière) et son domaine maritime est constitué d’une bande de 600 m de large tout autour de l’île. Avec près de 2000 hectares, dont 1300 maritimes, il s’agit du plus petit parc national français. Le parc gère également l’île de Porquerolles ainsi que deux zones côtières continentales : le cap Lardier, la presqu’île de Giens. Il est également assistant scientifique et technique sur le territoire des salins d’Hyères. L’île du Levant est, pour sa part, réservée en majeure partie aux activités militaires (80% du territoire de l’île).

Avec 600 espèces végétales terrestres et 500 espèces d’algues, l’île de Port-Cros constitue un habitat privilégié pour des centaines d’espèces animales dont quelques-unes sont endémiques. La préservation de ces milieux aussi riches que fragiles est l’une des missions principales du parc national. Les actions entreprises passent entre autres par une sensibilisation du public à la protection de l’environnement et par une gestion de ces espaces naturels. Dans ce contexte, les gardes du parc national de Port-Cros organisent chaque année depuis 1994 une campagne d’éradication de l’algue invasive Caulerpa taxifolia autour de l’île de Port-Cros [3-4]. Celle-ci s’effectue soit par prélèvement manuel, pour les petites colonies isolées, soit à l’aide de couvertures traitées au cuivre, pour les colonies plus étendues [3-4]. Cette action est localisée uniquement dans la zone centrale du parc, l’île de Porquerolles étant touchée à une trop grande échelle, notamment sur la côte nord, par cette invasion pour envisager toute élimination. Le matériel végétal prélevé lors de ces campagnes était détruit : une des idées à l’initiative de ce travail doctoral fut de valoriser scientifiquement ces échantillons afin notamment de les étudier d’un point de vue chimique.

Près de 20 000 substances naturelles marines ont été isolées à ce jour. Ce chiffre reste néanmoins relativement modeste comparativement aux plus de 200 000 composés décrits à partir d’organismes terrestres. Pourtant, les molécules d’origine marine sont particulièrement originales car, du fait de l’environnement dans lequel elles sont produites, elles témoignent de particularités structurales inédites par rapport aux substances terrestres. Par exemple, certains éléments comme le chlore, le brome et, dans une moindre mesure, le bore, le silicium, le phosphore, l’iode et l’arsenic, sont incorporés dans les métabolites marins alors qu’ils ne le sont pas, ou peu, dans les composés terrestres. Certaines fonctions chimiques, isonitrile, thiocyanate ou formamide, sont majoritairement rencontrées dans des métabolites produits par des invertébrés marins [5]. Par ailleurs, dans les écosystèmes terrestres, les molécules sont essentiellement vectorisées par voie aérienne, les composés volatils constituent donc une classe majeure au sein des produits naturels terrestres. A l’inverse, les métabolites secondaires marins sont en général plus lourds et plus complexes que leurs homologues terrestres ; ceci est dû notamment à la vectorisation et à l’utilisation de ces composés qui s’effectue cette fois en milieu liquide.

Près de 80% des produits naturels marins ont été décrits à partir d’éponges (Porifera), d’algues (Chlorophycota, Rhodophycota, Chromophycota et Cyanophycota) et de cnidaires (coraux, gorgones, méduses, etc) (cf Figure 2). Ces organismes étant majoritairement sessiles*, leur stratégie de défense s’est donc plus particulièrement orientée vers la défense chimique. Ceci peut permettre d’expliquer l’abondance des métabolites isolés à partir de ces organismes par rapport à ceux appartenant au monde pélagique. Actuellement, une attention toute particulière est portée sur les microorganismes qui, seuls ou en symbiose, seraient responsables de la production d’un grand nombre de métabolites secondaires marins.

Les métabolites isolés à partir d’algues représentent près de 22% des produits naturels marins décrits à ce jour. L’appellation « algue » est couramment utilisée pour désigner un végétal aquatique, par opposition aux végétaux terrestres ; or, la réalité biologique de ces organismes est beaucoup plus complexe.

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Table des matières

Introduction générale
I. Le parc national de Port-Cros
II. Etude bibliographique des organismes étudiés
II.1. Algue verte : Caulerpa taxifolia
II.1.1. Description biologique et distribution de l’espèce Caulerpa taxifolia
a/ Position systématique
b/ Description morphologique
c/ Répartition géographique et caractère invasif
II.1.2. Etude chimique du genre Caulerpa
a/ Métabolites isolés de Caulerpa taxifolia
La caulerpényne et ses dérivés
La caulerpine
La composition en stérols
Autres composés
b/ Composés issus d’autres espèces du genre Caulerpa
Caulerpa prolifera
Caulerpa racemosa
Composés issus d’espèces tropicales du genre Caulerpa
II.1.2. Etudes en écologie chimique portant sur Caulerpa taxifolia
II.2. Algues brunes : Dictyota sp. et Dictyota dichotoma
II.2.1 Description biologique du genre Dictyota
a/ Position systématique du genre Dictyota
b/ Répartition géographique
c/ Description morphologique
Dictyota dichotoma
Dictyota sp.
II.2.2. Etude chimique du genre Dictyota
a/ Diterpènes cycliques
Voies biosynthétiques des différentes familles de diterpènes cycliques
Diterpènes du groupe I
Diterpènes du groupe II
Diterpènes du groupe III
b/ Autres types de composés
c/ Composés issus de D. linearis
d/ Composés issus de D. dichotoma de Méditerranée
Diterpènes du groupe I
Diterpènes du groupe II
Diterpènes du groupe III
Sesquiterpènes
e/ Diterpènes aux squelettes atypiques isolés de D. dichotoma
II.3. Algue brune : Cystoseira foeniculacea
II.3.1 Description biologique du genre Cystoseira
II.3.2. Etude chimique du genre Cystoseira
II.4. Bryozoaires
II.4.1. Description biologique
II.4.2. Métabolites secondaires isolés de bryozoaires
III. Biofouling et antifouling
III.1. Le fouling en milieu marin
III.1.1. Mécanisme d’action (biofilm)
III.1.2. Impact du biofouling en milieu naturel
III.2. Conséquences sur les activités humaines
III.2.1. Impact économique
III.2.2. Impact écologique
III.2.3. La prévention contre le fouling
a/ Historique
De l’antiquité à la moitié du XXème siècle
Depuis la moitié du XXème siècle
b/ La lutte antifouling aujourd’hui
Les peintures à base de métaux
L’approche répulsive
L’approche biomimétique
III.3. Substances naturelles d’origine marine présentant des propriétés antifouling
III.3.1. Molécules actives en antifouling
III.3.2. Molécules actives en antibiofilm
Conclusion générale

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