L’Arabe du Futur (2014) : un roman graphique en classe de FLE
Le choix d’un roman graphique plutôt que d’une BD
Nous avons opté pour un roman graphique récent intitulé L’Arabe du Futur : une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984) de Riad Sattouf (2014). Il s’agit du premier volume d’une trilogie. Ce volume comprend cent cinquante-huit pages. Nous avons décidé de ne pas l’étudier dans son intégralité mais d’en extraire deux à trois planches par séance. En effet, il nous aurait fallu beaucoup plus de temps pour le travailler dans sa totalité. Ainsi, notre corpus total se compose de vingt-deux planches.
Notre choix s’est porté sur un roman graphique car nous voulions une histoire assez longue pour espacer les extraits choisis tout en les rendant compréhensibles pour le lecteur. Avec L’Arabe du Futur, nous espérions leur faire découvrir un récit d’expériences qui soit proche de leur réalité quotidienne en France. Aussi, nous avons éliminé les BD qui étaient relativement chargées au niveau du contenu graphique afin que les étudiants ne soient pas impressionnés par des dessins très réalistes, et qu’ils n’y aient pas de surcharge visuelle et/ou cognitive. C’est ce que Jan Baetens qualifie de renonciation au « beau style » (dans Maigret et Stefanelli : 2012, 203). Nous souhaitions avant tout que les dessins et les couleurs ne les obnubilent pas au point d’oublier (involontairement) le texte. De plus, nous voulions leur montrer que la simplicité des dessins et du texte ne remet pas en cause la qualité de l’œuvre dans son ensemble. En outre, ce qui nous a aussi poussée à étudier un roman graphique ce n’est pas tant le fait qu’il soit considéré comme une œuvre « sérieuse et pour adultes » (ibid. : 2012, 201) mais plutôt parce qu’il comprend des codes supplémentaires à la BD francophone typique (dans le fond comme dans la forme).
Synopsis de L’Arabe du Futur tome 1 (2014)
Nous avons donné ici les grandes lignes de l’histoire du roman graphique afin de recontextualiser l’œuvre de Riad Sattouf pour nos lecteurs.
En effet, l’ensemble de l’œuvre de L’Arabe du Futur est une autobiographie de l’auteur. Le premier volume, publié en 2014 chez Allary Éditions, commence au moment de la rencontre des parents de Riad (le narrateur) jusqu’à son retour en Syrie à l’âge de cinq ans. Le roman graphique s’ouvre sur la rencontre entre ses parents, Clémentine et Abdel-Razak, à la Sorbonne dans les années 1970 et sur la naissance de Riad Sattouf en 1978 à Paris. Après l’obtention du doctorat de son père, la famille part s’installer en Libye gouvernée par le régime dictatorial kadhafiste. Ensuite, ils se rendent en Syrie dans le village natal du père pour quelques temps. Le pays est alors sous le contrôle d’Hafez Al-Assad. Riad y fait la connaissance de sa famille paternelle. Toutefois, il rencontre des difficultés d’intégration mais finit par s’adapter à son nouvel entourage familial. Quelques mois plus tard, la famille Sattouf part en Bretagne chez la mère de Clémentine qui a accouché d’un second fils prénommé Yahya. Le roman graphique se termine sur leur deuxième départ en Syrie où son père a trouvé un nouveau poste de professeur à l’université de Damas.
Cette œuvre décrit surtout les relations compliquées entre tous les membres de sa famille, notamment son père, ainsi que l’enfance du jeune Riad tiraillé entre plusieurs pays et plusieurs identités.
Le groupe ciblé : les étudiants au pair
Le public d’apprenants des groupes au pair
L’école accueille tous les types de public à partir de dix-huit ans pour les groupes au pair (ils doivent être majeurs pour suivre ce programme). En effet, la moyenne d’âge des apprenants de l’ensemble de ce programme est d’une vingtaine d’années (public que nous considérerons comme jeune adulte). De plus, le groupe en question compte de nombreuses nationalités mais nous recensons une majorité de filles provenant d’Amérique Latine. En effet, Dominique Frelaut nous a expliquée qu’elles souhaitaient généralement continuer leurs études en France car les universités latinoaméricaines sont très coûteuses ou bien elles espéraient sortir de la situation économique de leur pays qui ne leur permettait pas d’y trouver du travail. Cette information était intéressante pour notre choix de BD car nous avons pensé qu’il serait pertinent d’en trouver une qui porte sur un sujet similaire (un récit d’immigration).
Le groupe avec lequel nous avons travaillé était officiellement composé de dix-sept étudiants. Quinze d’entre eux faisaient partie du programme au pair et deux autres étudiantes coréennes suivaient cet atelier en parallèle de leurs cours en mini-groupe le matin. En effet, ces deux étudiantes suivaient un programme récemment créé par le Collège de Paris qui consistait en un échange universitaire entre cet établissement et l’université Sunghin de Séoul. Étant donné qu’elles ne sont venues que trois fois sur l’ensemble des séances, nous étudierons très peu leurs copies.
L’enseignement du FLE pour ces groupes
La méthodologie enseignée à l’école et pour les groupes au pair est la perspective actionnelle. C’est pourquoi, il nous semblait plus judicieux de continuer à mettre en place une telle approche lors de notre mise en place des séquences pédagogiques. De plus, il s’agit d’une méthodologie avec laquelle nous sommes habituée à travailler.
Aussi, seuls les étudiants au pair ne suivent pas de programme avec un manuel dans l’école. Leurs enseignants sont donc libres de concevoir leurs cours comme ils le souhaitent tant qu’ils abordent les objectifs sociopragmatiques, socioculturels et sociolinguistiques nécessaires à la progression de leur groupe tout en respectant le label qualité FLE et les attentes du Collège de Paris.
Dans notre cas, nous étions uniquement en charge des ateliers de phonétique et de communication du groupe B2. C’est Elodie Nya, une professeure de FLE autoentrepreneure, qui enseignait les heures de français général pendant la semaine. De plus, l’atelier que nous animions ne s’associait pas du tout au reste du programme que les étudiants avaient en français général. Donc, cela nous a permis de concevoir librement nos unités didactiques et cela nous a aussi été utile pour nous distancier des objectifs grammaticaux qu’il aurait fallu aborder dans un cours classique. Par conséquent, nous avons pu centrer notre travail uniquement sur les aspects qui nous intéressaient dans la BD soit la compréhension et l’analyse du médium.
L’école Elfe
Présentation générale de l’établissement
Notre lieu de récolte des données est l’école Elfe qui se situe dans le premier arrondissement de Paris au 15 rue Montmartre. Cette institution privée est membre du Collège de Paris et est dirigée par Anne Lapeyre18 depuis 2014.
Elfe est une école de langue française qui existe depuis 1984 et qui a pour but de former des étrangers de tous les pays du monde en FLE ou en Français Langue Seconde (FLS).
Donc, il s’agit d’un contexte homoglotte étant donné que les étudiants apprennent le français en France. De plus, c’est également un contexte exolingue car la langue d’enseignement (le français) est différente de celle parlée par les étudiants. D’ailleurs, il arrive parfois que le personnel administratif ou pédagogique fasse usage de l’anglais avec les étudiants dans des situations où ils ne maîtrisent pas ou très peu le français. Sinon, le français est constamment présent dans l’institution. Par conséquent, tous les étudiants se trouvent dans un contexte d’immersion linguistique.
L’équipe administrative est composée de huit personnes, en incluant les stagiaires, et l’équipe pédagogique est constituée de onze enseignants de FLE.
Le programme « au pair »
Nous avons décrit ici brièvement le programme « au pair » car les étudiants avec lesquels nous avons menés notre expérience sur la BD proviennent quasiment tous de ce type de programme. En fait, les cours au pair ont la particularité d’accueillir les mêmes étudiants durant toute l’année (de septembre à juin de l’année suivante). Le programme qu’ils suivent se découpe en trois trimestres de douze semaines (ils sont absents pendant toutes les vacances scolaires). Aussi, il arrive parfois que de nouveaux étudiants intègrent les groupes de niveaux déjà formés au cours de l’année (pas plus de trois ou quatre par trimestre).
Leur semaine est composée de sept heures trente de français général (dont deux heures trente à distance) et deux heures trente d’atelier de phonétique et de communication. Ils sont regroupés par niveau en fonction d’un test de positionnement oral et écrit en début d’année scolaire ou de trimestre suivant la période à laquelle ils arrivent. Chacun des groupes est constitué de quinze étudiants maximum. Dominique Frelaut, la responsable du développement commercial, et nous-même avions la charge de l’intégralité du processus d’inscription et de suivi pédagogique de ces étudiants.
Introduire des compétences générales et des caractéristiques de la BD
Mobiliser la compétence d’interculturalité
Le CECRL évoque « la capacité à observer de nouvelles expériences, à y participer et à intégrer cette nouvelle connaissance quitte à modifier les connaissances antérieures » (Conseil de l’Europe: 2001, 85). Ainsi, le choix d’enseigner la BD pour un public peu averti amène à se poser « la question de l’obstacle culturel » (Blancher dans Rouvière : 2012, 287). Dans notre cas, nous étions face à un public multiculturel mais avec une forte représentation latinoaméricaine, continent où la BD est encore peu répandue.
En effet, l’utilisation de la BD avec un tel groupe a révélé une méconnaissance dans le simple fait de savoir lire un tel médium puisque plusieurs d’entre eux (F, I et J), au cours des premières séances, nous ont demandée dans quel sens ils devaient la lire. Aussi, il est déterminant de montrer que « le contexte interculturel doit induire pour l’enseignant une capacité de projection dans l’histoire de la sphère culturelle cible » (ibid. : 2012, 300). Les pays d’origine étant multiples, il nous a été difficile de rendre compte d’une telle problématique. Donc, nous sommes partie du principe que la majorité d’entre eux connaissaient peu voire pas du tout les aspects de la BD ainsi que le contexte franco-syrien des années 1970. De plus, au fil des séances, nous nous sommes rendu compte que nous aurions dû évoquer ce contexte politico-historique dès la première séance au lieu de l’expliquer au fur et à mesure comme nous l’avons fait. En effet, les détails politiques ont été particulièrement compliqués à comprendre pour les apprenants lors de la séance 2.
Aussi, ce manque de connaissance et l’éloignement de la culture française dans certains extraits (spécifiquement les séances 3, 4, 5, 7, 8 et 10 qui se déroulent en Libye, en Syrie et à Jersey) auraient pu décourager les étudiants dans leur apprentissage. Finalement, cela a été un moteur de stimulation puisqu’ils ont toujours fait preuve d’enthousiasme quant aux questions et aux productions demandées.
Identifier quelques codes par la manipulation de la BD
Nous estimions qu’il était crucial que les apprenants utilisent le support papier afin de s’aligner sur un document qu’ils connaissaient déjà. En effet, toute réalisation manuelle serait de fait gravée dans notre pensée (Lagoutte : 2002, 80). Ainsi, la production de jeux autour de la BD permettrait de les mémoriser. De plus, nous pensions qu’aborder les codes communicationnels de la BD était un moyen d’introduire une méthodologie et de l’appliquer à nouveau dans des activités de production similaire.
Ainsi, pour créer une BD, il est nécessaire de savoir manipuler le dessin et l’écriture jusqu’à un certain point. En effet, notre objectif n’était pas de faire de nos apprenants des artistes mais d’apprendre la langue de manière ludique pour susciter « le rêve ou le plaisir » (Conseil de l’Europe: 2001, 47). Aussi, afin de construire une narration cohérente, les apprenants doivent pouvoir dessiner des images identifiables parmi lesquelles des personnages (humains ou animaux) qui permettent de définir les protagonistes de l’histoire, un décor qui permet de situer l’action à un moment ou à un endroit défini, et la langue qui rend compte des pensées et des émotions des personnages. En effet, la compréhension d’un texte se construit par le langage (Weber : 2013, 61-62).
Par conséquent, l’étude du roman graphique avec le support papier en couleur a mis en relief des éléments propres au document authentique.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : PARLER DES CARACTÉRISTIQUES D’UN DOCUMENT AUTHENTIQUE : LECTURE, COMMUNICATION ET INTERPRÉTATION DE LA BD FRANCOPHONE
1.1 Envisager la didactisation d’un support contenant textes et images dans une perspective actionnelle: l’apprenant au centre de l’interprétation de la BD
1.1.1 Traiter la BD dans un contexte didactique
1.1.1.1 Pourquoi avoir choisi la BD ?
1.1.1.2 La BD : un document authentique de choix pour la classe de langue ?
1.1.1.3 Le roman graphique : un outil littéraire pour la classe de FLE ?
1.1.2 Développer les compétences de perception de l’apprenant grâce à l’aspect ludique de la BD
1.1.2.1 Savoir lire une BD : la première compétence de l’apprenant dans la découverte du médium
1.1.2.2 L’esthétique en BD, un autre langage à acquérir
1.1.2.3 La séquentialité en BD : comprendre le schéma narratif du médium
1.1.3 Le rôle de l’image dans l’interprétation d’une BD
1.1.3.1 L’image : un support visuel influent dans la compréhension du texte
1.1.3.2 Construction du sens et interprétation
1.2 La BD dans l’objectif d’apporter des éléments communicationnels : aborder les aspects intericoniques et intertextuels
1.2.1 Interpréter la BD : les codes explicites et implicites dans l’interaction verbale
1.2.1.1 Les interactions verbales en BD, la mimogestuelle un guide dans l’interprétation
1.2.1.2 Les marqueurs paraverbaux : un soutien à la langue orale ?
1.2.1.3 La compétence de communication : un outil primordial dans l’appropriation d’un document authentique
1.2.2 Les compétences de l’apprenant dans la tâche de compréhension
1.2.2.1 Maîtriser la compétence socioculturelle avec la BD
1.2.2.2 Maîtriser la compétence sociolinguistique avec la BD
1.2.2.3 Maîtriser la compétence pragmatique avec la BD
CHAPITRE 2 : RÉCEPTION DE L’ARABE DU FUTUR PAR LES APPRENANTS DE L’ÉCOLE ELFE : TERRAIN ET MISE EN PLACE DES DONNÉES
2.1 Présentation générale du terrain et de la méthodologie appliquée
2.1.1 L’école Elfe
2.1.1.1 Présentation générale de l’établissement
2.1.1.2 Le programme « au pair »
2.1.2 Le groupe ciblé : les étudiants au pair
2.1.2.1 Le public d’apprenants des groupes au pair
2.1.2.2 L’enseignement du FLE pour ces groupes
2.1.3 Délimitations du sujet et de la méthodologie
2.1.3.1 Délimitation du sujet
2.1.3.2 Délimitation des choix méthodologiques
2.1.4 L’Arabe du Futur (2014) : un roman graphique en classe de FLE
2.1.4.1 Le choix d’un roman graphique plutôt que d’une BD
2.1.4.2 Synopsis de L’Arabe du Futur tome 1 (2014)
2.1.4.3 Brève biographie de Riad Sattouf
2.2 Présentation spécifique des séquences dédiées à la BD
2.2.1 Les extraits et les séquences didactiques
2.2.1.1 Élaboration des séquences didactiques liées aux extraits
2.2.1.2 Choix des exercices
2.2.2 Application des séquences didactiques en cours
2.2.2.1 Mise en place hebdomadaire
2.2.2.2 Organisation de la récolte des données
2.3 Poursuivre la compétence communicationnelle dans des exercices individuels ou collectifs : l’écriture guidée et libre
2.3.1 Introduire des compétences générales et des caractéristiques de la BD
2.3.1.1 Mobiliser la compétence d’interculturalité
2.3.1.2 Identifier quelques codes par la manipulation de la BD
2.3.2 Faire réfléchir les apprenants et les solliciter dans le processus de création
2.3.2.1 Introduire l’apprenant dans un processus d’écriture
2.3.2.2 Exemples d’exercices centrés sur l’aspect communicationnel
2.3.2.3 Parvenir progressivement à une tâche finale par des activités d’expression écrite
CHAPITRE 3 : ANALYSE DES COPIES : L’APPRENANT AU CŒUR D’UN PROJET DE RÉFLEXION ET DE RÉÉCRITURE DE L’ARABE DU FUTUR
3.1 Analyse d’extraits de L’Arabe du Futur dans une perspective communicationnelle
3.1.1 Extrait 6 : description d’un lieu et rencontre d’un personnage
3.1.1.1 Situation de l’extrait dans le roman graphique
3.1.1.2 Aborder la compétence lexicale : vocabulaire politique et éducatif
3.1.2 Extrait 9 : discussion politique et éducationnelle autour d’un repas familial
3.1.2.1 Situation de l’extrait dans le roman graphique
3.1.2.2 Analyse d’un schéma d’interaction : raconter un souvenir
3.1.2.3 La proxémie ou le comportement paralinguistique dans l’extrait
3.2 Résultats des analyses de copies : de la perception des informations communicationnelles à la réutilisation des codes du médium BD
3.2.1 Maîtriser des compétences classiques pour l’apprenant en langue étrangère
3.2.1.1 Évoquer le socioculturel et l’interculturalité en classe grâce aux différents lieux présentés dans le roman graphique
3.2.1.2 Réutiliser les caractéristiques d’une BD
3.2.2 Les activités d’expression écrite et orale dans la formation de nouvelles compétences
3.2.2.1 Comprendre un extrait par l’approche théâtrale
3.2.2.2 Concevoir une tâche finale
3.3 Évaluer positivement la mise en place d’ateliers didactiques sur la BD
3.3.1 Investissement et participation des apprenants dans le travail de recherche
3.3.2 L’aspect communicationnel en BD : un enjeu didactique
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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