Réception de Hâfez de Chirâz en France

C’était au printemps 2006 que la rumeur de la publication de la première traduction française de l’œuvre complète de Hâfez de Chirâz a couru dans les milieux littéraires et francophones d’Iran et a suscité admiration et reproche. La question de la compétence du traducteur et de la qualité de sa traduction n’étaient pas au centre de toutes ces réactions, mais c’était le prestige de Hâfez et l’attachement des Iraniens à l’œuvre de ce poète glorieux qui ont poussé les lettrés et critiques iraniens à admirer cette traduction comme un hommage étranger à l’œuvre de Hâfez ou à la critiquer comme une atteinte à l’intraduisibilité de sa poésie, considérée comme une valeur et un signe de son originalité de forme et de fond.

Malgré ces admirations et reproches gratuits qui ne parlaient pas du traducteur et de sa traduction, mais seulement du poète et de sa poésie, cette traduction était accueillie aussi bien en Iran qu’en France et avait valu à C. H. de Fouchécour plusieurs prix littéraires dans les deux pays : 2006 : Prix Nelly Sachs de la traduction de poésie ; 2007 : Lauréat de la Fondation culturelle iranienne « Mowqûfât de Dr. Mahmoûd-e Afshâr » ; Prix de la Bibliothèque Nationale d’Iran ; Médaille du Centre de Recherches d’études hâféziennes de Chirâz ; Prix du « Livre de l’année » attribué par le Ministère de la Culture d’Iran ; 2008 : Prix Delalande-Guérineau de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de l’Institut de France.

Le traducteur et le poète 

Après la lecture de la traduction et de l’original ainsi que des lectures collatérales  c’està-dire les lectures préliminaires de divers écrits critiques sur l’original et la traduction vient le troisième temps de la critique proposée par Antoine Berman : il forme « un tournant méthodologique » qui consiste à « prise en vue du sujet traduisant » (Berman, 1995 : 73) : pour cela, il faut « aller au traducteur » (id.) et poser la question « qui est le traducteur ? » face à la traduction comme on pose la question « qui est l’auteur ? » face à une œuvre littéraire. Ladite question se compose à son tour d’une série de questions plus détaillées sur l’identité du traducteur et son parcours professionnel, sur sa position traductive – c’est-à-dire « le rapport spécifique » qu’entretient le traducteur avec sa propre activité, ce qu’il pense du traduire, de son sens, de ses finalités, etc. (ibid. : 74), sur son projet de traduction – qui définit « la manière dont, d’une part, le traducteur va accomplir la translation littéraire et d’autre part va assumer la traduction même, choisir un mode de traduction, une manière de traduire » (ibid. : 76), sur l’horizon traductif autrement dit l’ensemble « des paramètres langagiers, littéraires, culturels et historiques » ayant porté de près ou de loin sur « le sentir, l’agir et le penser du traducteur » (ibid. : 79).

Mais comme l’a indiqué A. Berman, les deux questions n’ont pas la même finalité : à l’inverse de l’auteur dont les éléments biographiques, psychologiques, etc. sont censés illuminer son œuvre, « la vie du traducteur ne nous concerne pas et a fortiori ses états d’âme » (ibid. : 73). Ce qui importe pour la critique de la traduction, c’est la carrière professionnelle du traducteur, parce que c’est au cours de ses activités professionnelles que ce dernier se forme une conception de l’acte du traduire, celle qui influencera ses choix traductifs des manières différentes.

Traducteur 

Un spécialiste de la littérature classique persane 

Le grand spécialiste de la littérature classique persane Charles Henri de Fouchécour est né au Maroc en 1925. Après ses études de théologie et d’arabe en Algérie, en Tunisie et à Lyon, il s’est orienté vers la langue et littérature persanes et a continué ses études jusqu’à la soutenance de sa thèse de troisième cycle sous le titre de La description de la nature dans la littérature lyrique persane du XIe siècle en 1966 ; dans la même année il est entré au Centre national de la recherche scientifique et a entrepris « les travaux préparatoires à sa recherche de doctorat d’État avant de développer ses recherches une première fois en mission à Téhéran » (Balaÿ, 1995 : 5). Après quelques années de recherche et d’enseignement, il a soutenu sa thèse de doctorat d’État, Moralia : les notions morales dans la littérature persane du 3ème/9ème au 7ème /13ème siècle en mai 1984. Il a dispensé des cours de la langue et littérature persanes à l’INALCO de 1972 à 1985 et à l’université de la Sorbonne Nouvelle (Paris III) de 1985 à 1993 ; depuis 1993 il est professeur émérite à l’université de la Sorbonne nouvelle.

À part les postes universitaires qu’il occupait à l’université Paris III (directeur de l’Institut d’études iraniennes, de l’URA « Langues, littérature et culture iraniennes » et de l’UFR « Orient et monde arabe »), il avait d’autres responsabilités qui « l’ont placé au cœur des activités concernant l’Iran et sa littérature » (Shams, 2001 : 116) parmi lesquelles nous pouvons citer : directeur du département d’iranologie à l’institut français de Téhéran de 1975 à 1979 ; membre du conseil de rédaction et directeur de publication de la revue Kârnâmé ; fondateur et directeur d’Abstracta Iranica, la revue bibliographique et critique des études iraniennes.

Hâfez, le poète de prédilection

Après plusieurs années de recherche dans le domaine de la littérature classique persane, C. H. de Fouchécour se trouvait encore en 1986 comme « un étranger » devant la littérature persane et cherchait l’œuvre qui lui « révélerait le centre de palpitation de cette littérature » (Fouchécour, 1988 : 9). C’était ainsi qu’il s’est mis à aborder sérieusement le Divân de Hâfez et que vingt ans plus tard, avec la publication de sa traduction complète du Divân en 2006, il s’est présenté comme un spécialiste de Hâfez dans les milieux littéraires iraniens et iranologues français. Durant ces vingt années de labeur, il a publié dans les revues Luqmân et Kârnâmé – dont il était membre du conseil de rédaction de nombreux articles sur la poésie hâfézienne ; la lecture de la traduction du Divân, de sa longue introduction et des commentaires qu’il a rédigés pour les ghazals traduits ainsi que l’étude de ses articles et de ses entretiens avec les revues iraniennes nous dévoileront ce qu’il pense de Hâfez et de son œuvre.

Hâfez, l’héritier de cinq siècles de la littérature persane

Lors de ses premières lectures des ghazals de Hâfez qui étaient « une démarche de compréhension » pour lui, C. H. de Fouchécour s’est aperçu que « toutes les notions mystiques [qu’il] avai[t] étudiées jusque-là se sont concentrées dans l’œuvre de Hâfez » (Fouchécour, 2008 : 6). Pour lui, comme pour la majorité des critiques iraniens, le génie de Hâfez est de rassembler toute la lyrique – mystique ou non persane ; il voit un aspect récapitulatif de toutes les images et figures poétiques persanes et un aspect synthétique de la mentalité de plusieurs siècles de la littérature persane dans l’œuvre de Hâfez.

Hâfez succédait aux grands poètes persans tels que le grand poète épique Ferdowsi, les poètes lyriques Farrokhi et Khâqâni, l’éminent romancier médiéval Nézâmi et les poètes spirituels ‘Attâr et Roumi. Ces poètes ont contribué tous à la formation d’un langage poétique remarquablement raffiné ; mais c’était par le lyrisme des mystiques que ce langage poétique a connu sa plus grande fortune. Ces poètes mystiques exploitaient au début le même langage poétique qu’avait formé la poésie panégyrique et bachique de Manoutchehri, Farrokhi, Anvari et Khâqâni (comme nous avons déjà constaté, cette poésie panégyrique et bachique est l’objet d’une étude détaillée par C. H. de Fouchécour dans La description de la nature…). Ces spirituels s’adressaient « à l’Objet divin de leur quête dans les mêmes termes que les amoureux à la maîtresse de leur cœur » (Lazard, 1978 : 63). Ils décrivaient leur bien aimé céleste et leur amour divin de la même manière que les lyriques profanes décrivaient leur amour pour la femme ou le jeune garçon touchant leur cœur.

Les principaux motifs de l’amour profane se retrouvaient dans les œuvres des mystiques : ils ne parlaient que du vin et de l’ivresse, de l’échanson et de sa coupe, de la taverne et de ses habitués, de la jeune beauté et des finesses de son corps ; mais contrairement au langage profane dans lequel les mots avaient leur sens ordinaire et ne disaient pas autre chose que ce qu’ils disaient, dans le langage lyrique des mystiques, les mots étaient employés avec une valeur symbolique : de la même manière que dans la pensée de ces spirituels l’homme était une allégorie qui témoignait de l’existence et des attributs du Créateur, leur langage imagé et métaphorique, formé au cours de cinq siècles avant Hâfez, était la représentation allégorique de l’amour fiévreux qu’ils tenaient dans le cœur pour l’Être divin ; le vin n’était plus le vin, mais l’exaltation mystique, son ivresse symbolisait l’extase mystique, les termes décrivant la beauté ou l’attitude de l’Être aimé renvoyaient aux conceptions mystiques. Ainsi les images et thèmes de ce langage devenaient-ils l’expression concrète et éphémère d’une vérité ineffable et éternelle cachée derrière la Création ; cette vérité était à la fois l’agent de la Création c’est-à-dire Dieu, l’Être aimé et la raison de la Création c’est-à-dire l’amour divin qu’il a installé dans le cœur des hommes.

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Table des matières

Introduction
Annonce du parcours
PREMIERE PARTIE
Chapitre I : Le traducteur et le poète
0. Introduction
1. Traducteur
1.1. Un spécialiste de la littérature classique persane
1.2. Hâfez, le poète de prédilection
1.2.1. Hâfez, l’héritier de cinq siècles de la littérature persane
1.2.2. L’amour, moteur de la poésie hâfézienne
1.2.3. Hâfez, le poète discret
1.2.4. Hâfez et sa ville natale
1.2.5. Hâfez et la cour du Fârs
1.2.6. La musicalité et l’écriture dans le ghazal de Hâfez
Chapitre II : Le traducteur et la traduction
0. Introduction
1. Position traductive
2. Projet de traduction
2. 1. Une traduction de tous les ghazals du Divân
2.2. Une traduction commentée
2.2.1. Le commentaire, l’objectivité du texte et la subjectivité du traducteur
2.2.2. Le commentaire, la défectivité traductive et les différences linguistiques-culturelles
2.2.3. Le commentaire et l’intertextualité
2.2.4. Le commentaire, l’identité du lecteur et la mission pédagogique de la traduction
2.2.5. Le commentaire est le complément du texte traduit
2.3. Une traduction non versifiée
3.Horizon traductif
Conclusion
DEUXIEME PARTIE
Chapitre III : Hâfez et son art poétique
0.Introduction
1.Hâfez : philosophe, mystique ou … ?
1.1. L’histoire de la création de l’Homme dans le Coran
1.2. Du soufisme ascète au mysticisme amoureux
1.3. Du mysticisme amoureux à la poésie du libertinage philosophique (rendi)
1.4. « l’Homme parfait » devient « parfaitement Homme » !
2. Hâfez, le grand rhétoricien
2.1. Les structures amphibologiques
2.2. Les structures paradoxales
2.3. Les structures métaphoriques
2.4. Les structures satiriques
3. Hâfez musicien ou Hâfez du coran ?
3.0. Introduction
3.1. Le mètre
3.1.1. Les mètres employés dans la poésie hâfézienne
3.1.2. La concordance entre la pause métrique et la pause linguistique
3.1.3. Les syllabes ultra-longues
3.2. La musique latérale
3.2.1. Refrain (radîf)
3.2.1.1. Radîf, une particularité de la poésie persane
3.2.1.2. Les fonctions du refrain
3.2.2. La rime
3.3. La musique des mots : allitérations et assonances
4.Conclusion
Chapitre IV : Confrontation de la traduction et l’original
La méthode de confrontation
La mise en page
Ghazal 1
Introduction
Distique I.
Distique II.
Distique III.
Distique IV.
Distique V.
Distique VI.
Distique VII.
Conclusion
Ghazal 9
Introduction
Distique I.
Distique II.
Distique III.
Distique IV.
Distique V.
Distique VI.
Distique VII.
Distique VIII.
Distique IX.
Distique X.
Conclusion
Ghazal

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