REALITE DE LA SECURISATION FONCIERE
Histoire du foncier ร Madagascar
Insularitรฉ du systรจme foncier malgacheย
Si l’accรจs ร la terre et ร son contrรดle constitue la principale source de richesse et de pouvoir dans toutes les sociรฉtรฉs paysannes, la question fonciรจre prend ร Madagascar des caractรจres originaux liรฉs ร l’insularitรฉ ainsi quโร l’histoire du peuplement et de la formation de l’Etat. Patrimoine prรฉcieux, la terre a toujours รฉtรฉ synonyme de richesse pour les Malgaches. Dโailleurs, pendant la pรฉriode de la Physiocratie , Franรงois Quesnay prรดnait lโaspect รฉconomique de la terre et la considรฉrait comme seule source de revenus, lโactivitรฉ agricole รฉtant lโactivitรฉ primaire.
La civilisation rizicole qui s’est progressivement constituรฉe sur les Hautes-Terres de Madagascar a donnรฉ naissance ร un royaume unifiรฉ dont la puissance relative reposait en premier lieu sur sa capacitรฉ ร gรฉrer les terres cultivรฉes. Le Roi Andrianampoinimerina, dont le rรจgne commenรงa en 1787, a marquรฉ durablement les structures agraires du pays : non seulement il organisa de vastes amรฉnagements hydroagricoles propices au dรฉveloppement de la riziculture irriguรฉe mais surtout il รฉtablit un rรฉgime foncier qui dรฉtermine encore largement les modes d’appropriation, de rรฉpartition ou de transmission des droits d’usage du sol. Son ลuvre fut poursuivie par ses successeurs et notamment par la Reine Ranavalona II qui, en promulguant les codes de 1878 et surtout les 305 articles de1881 , prรฉcisa par รฉcrit les rรจgles fonciรจres.
ยซย Ahy ny Tanyย ยป, c’est-ร -dire, ยซ la terre est mienne ยป : ainsi fut รฉnoncรฉ le principe essentiel de ces rรจgles, attribuant au souverain la propriรฉtรฉ du sol du royaume. Le Roi pouvait alors disposer directement des terres cultivรฉes (terres ยซย menabeย ยป), les distribuer en rรฉcompense des services rendus (lohombintany,droit dโusage inaliรฉnable, cessible et transmissible, exempt dโimpรดt), en confier la mise en valeur ร ses sujets libres ou affranchis, contre redevance (hetra ou hasina) en impรดts et corvรฉe ou bien en dรฉlรฉguer la gรฉrance (terres ยซ menakely) ร un noble (tompomenakely) qui les faisait exploiter par ses propres vassaux. Cette affirmation de l’autoritรฉ centrale du suzerain s’รฉtendait aux terres vacantes (lavavolo) et aux grandes forรชts sur lesquels le fokonolona (communautรฉ gรฉnรฉralement issue dโun mรชme clan ou de lignages alliรฉs et gรฉrant un terroir ยซ hรฉritรฉ ยป dโun ancรชtre commun) possรฉdait collectivement des droits d’usage. Cependant, ces terres vacantes pouvaient รชtre appropriรฉes par la mise en valeur. Lorsque celle-ci รฉtait autorisรฉe puis constatรฉe par les autoritรฉs habilitรฉes (tompomenakely ou fokonolona), le droit d’usage ainsi reconnu devenait รฉgalement cessible et transmissible, sous rรฉserve des redistributions auxquelles pouvaient procรฉder le fokonolona afin de rรฉaffecter des terres tombรฉes en dรฉshรฉrence a profit de familles ร la descendance nombreuse. Le principe de la limitation de la concentration fonciรจre รฉtait รฉgalement posรฉ dรจs Andrianampoinimerina ยซ quiconque laisse les mauvaises herbes pousser est un sujet que je renie ; jโexige quโon ne prenne pas plus dโespace quโon peut cultiver ยปย .
Transmissibilitรฉ
La transmissibilitรฉ ร la descendance de droits ainsi acquis fonde la notion de Tanindrazana, constitutive ร la fois de la structure sociale รฉlรฉmentaire (le lignage) et de la nation toute entiรจre (la patrie) en passant par le fokonolona ou le clan selon les rรฉgions et les ethnies. Par contre, la cession de ces droits ร des personnes รฉtrangรจres ร la communautรฉ dโorigine reste socialement rรฉprouvรฉe mรชme si elle fut progressivement autorisรฉe par le droit. En effet, le rรฉgime foncier ainsi รฉtabli a d’abord รฉtรฉ en large partie reconnu par l’administration coloniale : la loi du 9 mars 1896, signรฉe par Ranavalona III et visรฉe par l Rรฉsident Gรฉnรฉral, rรฉaffirmait que ยซย le sol du royaume appartient ร l’Etatย ยป . Elle disposait que ยซย les habitants continueront ร jouir des parcelles sur lesquelles ils ont bรขti et de celles qu’ils ont eu l’habitude de cultiverย ยป tout en introduisant les instruments juridiques du droit foncier franรงais ยซ les habitants qui voudront acquรฉrir des titres de propriรฉtรฉ rรฉguliers sur les parcelles qu’ils ont bรขties ou qu’ils ont eu jusqu’ร ce jour l’habitude de cultiver pourront le faire sans autre dรฉpense que les frais de constitution des plans par le service topographique et des titres par le conservateur de la propriรฉtรฉ fonciรจre..ย ยป.
Mode de gestion fonciรจre
Systรจme domanial
Mรฉcanisme
Hรฉritรฉe de la pรฉriode coloniale, le systรจme domanial a รฉtรฉ le mode de gestion fonciรจre reconnu. Les autoritรฉs coloniales se sont inspirรฉ en effet du ยซ Torrens AcT (situation commune ร beaucoup de pays colonisรฉs que la colonisation ait รฉtรฉ faite par un pays anglo-saxon ou latin). Les terrains non titrรฉs ont รฉtรฉ considรฉrรฉs comme la propriรฉtรฉ prรฉsumรฉe de lโEtat. Par ce principe, lโEtat รฉtait en situation dโaccorder des droits de propriรฉtรฉ ร ceux qui auront rรฉalisรฉ une ยซ mise en valeur ยป; agissant en souverain, il cรฉdait une partie de son patrimoine au bรฉnรฉfice dโun nombre restreint dโindividus, moyennant un strict contrรดle de lโeffort de mise en valeur.
Ce systรจme domanial bรฉnรฉficiait surtout ร lโentreprise coloniale dont asseoir Lโappropriation franรงaise sur une base juridique reconnue internationalement. La dรฉlivrance de quelques titres fonciers ne profitait quโร une รฉlite rurale et urbaine. Force est de souligner que la dรฉlivrance des titres รฉtait rรฉgie par une administration domaniale et topographique de faible envergure. Il ne sโagissait pas de sรฉcuriser le plus grand nombre, mais de dรฉlivrer des droits ร une รฉlite rurale et urbaine qui justifiait lโapplication dโune agriculture moderne et productive susceptible dโinfluer positivement sur lโรฉconomie. La logique de ce dogme domanial correspond ร un systรจme productiviste, en phase avec la conception du dรฉveloppement vรฉhiculรฉe au dรฉbut du XXรจme siรจcle. En accordant des droits de propriรฉtรฉ contre des formes visibles de mise en valeur, elle incite ร stigmatiser lโenvironnement par une action humaine. Et ce principe motive ร la fois lโeffort dโatteindre une certaine production aussi bien en quantitรฉ que qualitรฉ chez ceux qui dรฉsiraient possรฉder un titre.
Limites du systรจme
Bien que Madagascar ait obtenu son indรฉpendance 45 annรฉes aprรจs, le maintien du systรจme domanial a รฉtรฉ encore un fait. Le systรจme se caractรฉrisait surtout par des procรฉdures longues et coรปteuses, ce qui reflรจte un fonds de culture administrative et centralisatrice. Par ailleurs, le haut degrรฉ de complexitรฉ des procรฉdures permet aux plus puissants de faire valoir des revendications au dรฉtriment de groupes de populations moins informรฉs et moins influents. En parallรจle avec ce rรฉgime foncier formel se pratique รฉgalement un rรฉgime basรฉ sur les coutumes.
Pratiques coutumiรจres
Mรฉcanisme
โคย Modes dโacquisition des terrains
-hรฉritage, cession intergรฉnรฉrationnelle ou transmission parentale Au sein des populations rurales malgaches, qui pratiquent une agriculture dโautosubsistance autour de la riziculture, la cession intergรฉnรฉrationnelle est le principal mode dโaccรจs ร la terre. Cโest le cas dans la rรฉgion dโAmpitatafika, oรน environ 84% des terres sont transmises des parents aux enfants . Seuls les enfants mรขles sont hรฉritiers des patrimoines fonciers hรฉritรฉs du pรจre avec lโaccord tacite de la communautรฉ villageoise (fokonolona).
– Technique de mise en valeur
La mise en valeur est source dโacquisition de terrain. Cela se fait par amรฉnagement : dรฉfrichement, construction de diguettes et par la suite par la culture de produits vivriers ou de rente. Personne nโa le droit de rรฉclamer ces terrains considรฉrรฉs comme propriรฉtรฉs privรฉes, individuelles. La remise en cause crรฉe des tensions sociales basรฉes sur des conflits fonciers. Dans les pratiques, rien nโempรชche les femmes de mettre en valeur des parcelles. Mais cela nโimplique pas quโelles peuvent sโen approprier automatiquement. Par exemple, lโimpunitรฉ est de tradition en cas de vol commis par un homme sur la rรฉcolte de sa propre sลur.
-achat : รฉchanges monรฉtarisรฉs sur la terre
En dehors de la cession intergรฉnรฉrationnelle (transmission parentale), lโaccรจs ร des terres arables peut se faire par lโachat. Le marchรฉ des terres se caractรฉrise encore par de faibles offres face ร une demande accrue. Les ventes de terres en milieu rural sont parfois motivรฉes par des contraintes telles lโinsuffisance de revenus face ร un besoin dโurgence, financement dโune exhumation. Au sein de la population locale, la terre joue un rรดle dโรฉpargne et dโassurance vieillesse en lโabsence dโun systรจme de sรฉcuritรฉ sociale et de crรฉdit. Certains propriรฉtaires dรฉcident de vendre leurs terres suite ร une migration. La vente de la terre pour les migrants peut aussi รชtre motivรฉe par la crainte dโusurpation en lโabsence dโun rรฉseau local pour surveiller les terres.
โคย Mode de sรฉcurisation des terrains
-La dรฉlimitation des terrains :
Chaque parcelle acquise est dรฉlimitรฉe par des preuves matรฉrielles ร lโexemple des fotatra (arbres vivaces plantรฉs dans les coins dโun terrain pour servir de dรฉlimitation, de bornes) qui peuvent รชtre des cocotiers, des jacquiers ou autres. Rien nโest รฉcrit. La superficie se mesure par notion dโexploitation traditionnelle. Par exemple ยซ diaongy tapakโandro ยป (le piรฉtinage dโune demi journรฉe) รฉquivaut en une riziรจre dโune certaine superficie. Le paiement dโimpรดts foncier est considรฉrรฉ comme un dรฉbut de preuve matรฉrielle dโappropriation fonciรจre. Ainsi, les fotatra devraient รชtre entรฉrinรฉs par les guichets fonciers.
-Mode de transmission des terrains
La donation des terrains se fait verbalement et avec la prรฉsence des autoritรฉs traditionnelles sans acte รฉcrit.
Limites des pratiques coutumiรจres
Le mode de sรฉcurisation coutumiรจre se traduisant la plupart du temps pas lโabsence de formalisme, se contentant seulement de lโapprobation des autoritรฉs traditionnelles locales se heurte ร bon nombre de difficultรฉs entre autre les conflits. Et mรชme, sโils existent des actes รฉcrits, ces derniers sont parfois imprรฉcis et/ou incomplets, donc comportent des brรจches qui encouragent la remise en cause des droits et donc lโรฉmergence de conflits. Les propriรฉtaires des terrains se trouvent souvent en situation dโinsรฉcuritรฉ car : Les signataires ne sont pas toujours les acteurs rรฉels : il existe des cas de vente par dรฉlรฉgation ou encore des contrats oraux transcrits par la gรฉnรฉration des hรฉritiers, les contrats anciens sans trace รฉcrite prรฉsentent des problรจmes multiples, car les propriรฉtaires titulaires sont parfois absents ou dรฉcรฉdรฉs.
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PARTIE I : SECURISATION FONCIERE A MADAGASCAR
CHAPITRE I REALITE DE LA SECURISATION FONCIERE
I.1 Histoire du foncier ร Madagascar
I.1.1 Insularitรฉ du systรจme foncier malgache
I.1.2 Transmissibilitรฉ
I.2 Mode de gestion fonciรจre
I.2 .1 Systรจme domanial
a) Mรฉcanisme
b) Limites du systรจme
I.2.2 Pratiques coutumiรจres
c) Mรฉcanisme
d) Limites des pratiques coutumiรจres
Graphique 1: Importance du mode dโacquisition de terrain selon leur nature
Graphique 2: Nombre de parcelles pour lesquelles le mรฉnage possรจde des papiers et le nombre moyen de riziรจres par types
I.3 Situation ร Madagascar
I.3.1 Recours ร la pratique coutumiรจre en milieu rural
e) La lourdeur des procรฉdures administratives
f) Zones enclavรฉes et analphabรฉtisation, ignorance
g) Asymรฉtrie informationnelle
h) Obtention des titres inaccessibles pour la plupart des mรฉnages ruraux et laxisme
i)Dรฉgรฉnรฉrescence des services fonciers
j) Femme et foncier
I.3.2 Les coรปts de lโinsรฉcuritรฉ fonciรจre pรจsent sur lโinvestissement agricole
I.3.3 La multiplication et lโaggravation des conflits fonciers
CHAPITRE II PROCESSUS DE REFORME FONCIERE
II 1 Origine de la rรฉforme fonciรจre
II.1.1 Le constat de lโampleur de la crise fonciรจre
k)Lโinsรฉcuritรฉ ร multiples facettes
k.1 Lโinsรฉcuritรฉ sur les limites des terrains
k.2. Lโinsรฉcuritรฉ des nรฉgociations fonciรจres
k.3 Lโinsรฉcuritรฉ des successions
k.4 Lโinsรฉcuritรฉ des rapports locatifs
l)La mรฉconnaissance des droits collectifs
m)Lโinsรฉcuritรฉ liรฉe au systรจme foncier lui-mรชme
n) Les coรปts รฉconomiques de lโinsรฉcuritรฉ fonciรจre
n.1 Rรฉticences ร lโinvestissement
n.2 Difficultรฉ dโaccรจs au crรฉdit
o) Les coรปts sociaux
o.1La dรฉgradation du climat social dรฉcoulant des conflits
o.2 Dรฉsordre dans le traitement des dossiers fonciers
o.3 Remise en cause de la crรฉdibilitรฉ de lโEtat
p) Complexitรฉ de la loi
II.1.2 Faiblesse des programmes prรฉcurseurs
II.1.2.1 Cadastre des aires protรฉgรฉes
II.1.2.2 ODOC
II.1.2.3 ยซ Dotation fonciรจre ยป
II.1.2.4 Modernisation des services fonciers
II.1.2.5 GELOSE
II. 2 Naissance du Programme National Foncier
II.2.1 Programme National Foncier
II.2.2 Crรฉation dโune Cellule de Coordination du PNF
II.3 Objectifs et axes stratรฉgiques du Programme National foncier
II .3. 1 Principes et Objectifs
II.3.2 Axes stratรฉgiques
q)Une administration fonciรจre de proximitรฉ
Tableau 1: ANALYSE COMPARATIVE DU TITRE FONCIER ET DU CERTIFICAT FONCIER
r)Objectifs sur le nombre de certificats fonciers ร dรฉlivrer
r.1) Finalitรฉ
r.2) Objectif principal
r.3) Objectifs spรฉcifiques
II 3 4 Grands principes et axes stratรฉgiques de la politique fonciรจre
s)Approche gรฉnรฉrale et grand principes du Programme National Foncier
t)Axes stratรฉgiques de la politique fonciรจre
PARTIE II : ANALYSE DE LโEFFICACITE DU PROJET DE SECURISATION FONCIERE
CHAPITRE III : ANALYSE DES RESULTATS
III.1 Impacts รฉconomiques : Au niveau de la production agricole
III.I.1 Lโรฉvolution du nombre de terrains sรฉcurisรฉs
Tableau 2 : Evolution du nombre de parcelles sรฉcurisรฉes
III.I.2 Lโamรฉlioration du dรฉlai de certification
Tableau 3 Dรฉlai de certification
III.2 Impacts sociaux
III.2.1 Rรฉduction des conflits
III.2.2 Accรจs des femmes au foncier
a)Cas de lโAfrique
b)Cas de la commune dโAntsahalava , Madagascar
CHAPITRE IV : RELATION ENTRE SECURISATION FONCIERE ET DEVELOPPEMENT RURAL
IV.1 Accรจs au financement rural et une croissance basรฉe sur lโagri-business
IV.2 Conquรชtes de nouveaux marchรฉs, diversification dโune agriculture dโautosubsistance
IV.2.1 Profil de lโagriculture malgache
IV.2.2 Besoin de sรฉcuritรฉ fonciรจre : logique de rationalitรฉ รฉconomique
IV.3 Stabilitรฉ Sociale et migration rurale
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE